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Le Chat et la Murène

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Message par Petits tracas Mer 16 Juin 2010 - 7:10

[Suite indirecte de "Le Lion et la Vipère", où comment Croc-Noir s'est elle retrouvée ici. Pour tout comprendre, la lecture du récit précédent est vivement conseillée !]

Irfan - Return to Outremer


Il pleuvait sur la mer, et c'était beau.

Elle revenait de sa chasse, dans ces régions où les vivants chassaient les Morts, où les Morts guettaient les vivants. Austrivage, où l'odeur de l'iode et de la guerre se partageait celle des poissons et du vent des montagnes. Ca n'était pas un endroit qui l'attirait particulièrement, mais il y avait des lions, alors elle y était restée un peu. Elle en avait serré un contre elle, longtemps, à songer au Lion trépassé qui lui manquait comme un trou béant dans son ventre et dans son âme. Elle avait pressé l'animal en ses bras, le visage couvert du sang des lionnes, les mains fermées sur ses naseaux et sa gueule, jusqu'à ce qu'il finisse de convulser, privé d'air. Et elle lui avait dévoré le coeur. Elle était pleine, pour un temps.

Elle avait fait ses libations aux esprits de la rivière, elle avait brûlé la graisse de sa plus belle prise pour leur plaire, et avait réussi à les amadouer un temps. Assise, là, au bord de l'eau venue des montagnes qui rejoignait l'onde salée de la Mer, elle contemplait les larmes du ciel, se disant que c'était un beau temps pour les signes. Que la destinée -Cette chienne- allait sans nul doute agripper son manteau encore et l'entrainer à sa suite. Des éclats de voix et de fer lui annoncèrent que son instinct ne l'avait pas trompée. Elle se leva, et se dirigea vers la ville, les peaux et la viande bonnes à revendre sur son dos. Fuir son destin, c'était perdre l'occasion de le voir tourner le dos pour lui planter une dague entre les omoplates.

C'était une petite armée qui faisait ses exercices. Deux, à vrai dire, à observer les tabards. Les forces de l'Alliance s'entrainaient ensemble, du moins finissaient de le faire, à la détente subite et aux rires qui s'élevaient. Elle laissa le sourire revenir à ses traits, et l'idée d'une soirée à se frotter aux hommes et aux femmes plutôt qu'aux bêtes commença à la séduire. L'auberge était bondée, elle s'y fraya un chemin après avoir troqué or contre chair fraîchement tuée. Et elle le vit. Aussitôt. Il la vit. Aussi vite. Elle le reconnut, lui ne sembla pas la remettre tout de suite. Il l'observait en coin, elle le regardait directement. Il sortit pour s'éloigner, elle le suivit. Il s'intrigua. Il se moqua. Il lui dit qu'elle avait l'air aussi sauvage que lui, quand il était revenu sur les terres. Ca la fit rire. Le rire le fit frémir. Il partit, après lui avoir dit ce qu'elle voulait savoir. Hurlevent. Il était à Hurlevent, maintenant. Dans ce nom, elle y vit le coin de sourire et de la Vipère et de la destinée chafouine. Elle avait la prochaine étape de son errance. Là où les Vents sont, là où elle pourrait les courir, et les charmer. Et là où elle avait une proie à chasser.

Quand elle arriva sur son cheval volé de frais à un noble déchu, il faisait grand beau temps, et le jour agonisait. On la regardait avec méfiance, là où d'ordinaire on se contentait de se dire qu'elle ne serait que de passage. On sentait moins la guerre que l'arrogance, dans cette ville, assurément c'était la capitale. Elle oublia les gens, sentait les vents, et elle était ravie. Alors que les gardes la guettaient en coin, tandis que les enfants demandaient à leurs mères pourquoi la dame était si bizarre, pendant que les jeunes filles en fleur se moquaient de son allure et blêmissaient lorsqu'elle posait son regard sur elles, celle qu'on avait appelée Vespérale se dit qu'elle était là où elle devait être. Parce que les vents y étaient. Parce qu'il y avait, finalement, tout un tas de personnes étranges, attirés par l'éclat de la capitale et de leur lumière adorée -Qu'elle évita soigneusement, de crainte qu'un esprit aussi puissant ne la voie trop vite, avant qu'elle n'ait pu l'amadouer. Elle se trouva une guide, même, qui lui montra le nid, qui lui présenta le port, le parc, les coutumes, la Garde. Qui lui murmura ses vices, ses défauts. Elle lui offrit tant qu'elle parvint à l'en faire se sentir redevable, et elle lui conta, à demi mots et à gestes francs, une part de son histoire. Qu'elle lui trouva un nom, rien que pour elle, qui lui allait beaucoup mieux que celui avec lequel elle s'était présentée. Elle s'était trouvée une alliée parmi les êtres que la terre sur laquelle elle marchait avait fait croître, et c'était important. Cette terre était si construite qu'elle en était peu naturelle, et elle lui en était assez étrangère. Plus encore qu'à Forgefer, où son amour des pierres l'avait fait être appréciée vite. Elle en oublia sa chasse, un temps.

Un temps seulement.

Ils se croisèrent, une fois, deux, à la troisième on la convia à le rejoindre, lui et deux autres. Ils avaient trop bu, ils jouaient, ils riaient; elle se mêla à eux avec aisance. Leurs propos étaient légers, leurs paris stupides, ils lançaient leurs dés pour se jeter des défis qui n'avaient guère de sens ou de portée. A être autant appelée, la dame Fortune répondit, et on lui demanda de se jeter à l'eau. Elle sourit, ils rirent, embrumés par les vapeurs de rhum et de complicité. Elle laissa tomber ses bottes, ils encouragèrent, elle se défit de son pantalon, ils applaudirent, elle se défit de son fin gilet de cuir, ils se figèrent. Elle s'élança dans la Mer, le souvenir tenu fermement entre ses crocs, les marques ravinant à son dos hurlant leur existence à l'air libre, et quand elle revint, ils se taisaient. Le jeu reprit, en demie teinte, alourdi par les marques et le spectre d'un passé qui s'en revenait des flots et sur sa peau sombre, et quand ce fut à son tour d'imposer quelque chose à l'homme dont elle revoyait à présent tout à fait les traits plus jeunes de sept ans, dont l'odeur lui parvenait nette, distincte, dont le contact de la peau faisait réagir la sienne, elle lui posa la question qui l'avait taraudée longtemps. Combien. Elle avait pu compter jusqu'à vingt-trois, avant de s'effondrer. Elle voulait savoir combien de coups de fouet les marins avaient-ils bien pu lui donner avant de la jeter à l'eau. Elle n'eut besoin que de demander combien. Elle vit son regard changer. Le voile devant ses yeux se fendre. Cinquante, répondit-il sèchement, avant de partir. Un autre homme, un ami pour lui sans doute, le suivit, une femme resta. Elle avait l'air de la plaindre. Celle qu'on appelait Vespérale, elle, souriait.

Le premier coup avait été porté. La chasse serait longue. Très longue. Mais elle était désormais certaine de la vouloir jusqu'à la curée.

Alaba,

Je t'écris à toi, puisque je ne peux pas m'écrire à moi-même. Je te les donnerai, quand je t'aurais retrouvé, tu pourras suivre mes pas. Tu disais vrai, en parlant des grandes villes, elles sont pleines d'imbéciles qui ne savent pas le sens de leurs mots ou la vérité derrière leurs actes. J'en ai retrouvé un, toi qui m'en avait apporté trois, et je caresserai ton âme avec son souffle bientôt, quand il sera prêt. Tu ne l'aimerais pas, tu le haïrais même, parce qu'il me plait. Il grogne, il jure, il sait, il me plait.
Je fraie avec les basses fosses, dans les racines et dans la fange, parce que c'est d'en bas qu'on voit le mieux la vraie nature des choses. Je me suis faite une alliée, elle, elle te plairait, elle a la peau comme tu les aimes, les cheveux clairs comme ça nous plait à tous deux. Je te la présenterai, je suis sure que tu saurais l'amadouer. Il faut rendre ce qu'on nous donne quand ça a autant de valeur, je lui montrerai la chasse.
Tu n'aimerais pas cette ville, je le sais déjà, mais je vais chasser ses Vents, et je les aurai. Je sais comment faire. On se rejoindra, bientôt.

Tienne.

Consignant ses notes dans son carnet de cuir, elle se plongea dans le déchiffrage d'un livre, pour mieux comprendre la langue de ces gens. C'était un livre à l'eau de rose, un de ceux que sa nouvelle alliée avait pu lui prêter, avant de lui dire de le lui rendre, pour l'offrir à quelqu'un d'autre. Elle avait assez appris pour commencer à appâter.

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Message par Petits tracas Mer 16 Juin 2010 - 8:37

Daemonia Nymphe - Nocturnal Hecate


« C'est pour toi, » lui avait dit le Lion en lui apportant un coeur entre ses mains fermées de fureur et d'une joie sauvage, et elle s'était relevée, affamée et heureuse, avant de saisir le morceau de chair qu'il lui avait tendu. C'était pour elle, rien que pour elle et pour ce qu'ils avaient osé abimer son petit chaton noir, soufflait-il; elle y plongea les crocs avec une délectation qui fit naître une lueur d'envie dans les yeux de son père de Lion. Elle riait, feulait comme un jeune fauve, il gronda et se saisit d'elle pour la jeter à terre, rouler avec elle dans le sable brûlant, s'ébattre et faire mine de s'affronter sous le soleil cuisant. C'était un des plus jolis bijoux qu'on lui avait offert, même s'il était éphémère. Il resta à ses doigts et à sa gorge longtemps, et quand il lui apporta le second coeur sur le plateau d'argent de ses mains jointes, il était accompagné d'un fanion rouge sang, arraché d'à une voilure. C'était une injure à un symbole, c'était une belle vengeance, elle en fut frémissante de joie féroce.

    _Je les trouverai tous, tous ceux que tu as comptés, quitte à en fendre cent fois leur nombre.
    _Tues-en encore un pour moi, laisse-moi le reste, ne fais pas plus que la moitié.
    _Je suis ton père.
    _Je suis en âge.
    _Un encore, et tu me jures de les trouver et de les saigner.
    _Leur sang à la Mer ou à moi, oui, je promets.
    _Et que le dernier impressionne jusqu'à tes esprits, qu'ils sachent que plus jamais ils ne devront toucher l'un des nôtres, surtout pas ma fille.
    _Oui, je te promets.


Elle filait ce souvenir tendre sous ses doigts agités, alors qu'on la questionnait. Elle allait pouvoir entrer au service du Roi et de la Lumière, dans la Garde de Hurlevent, peut être, restait à savoir inspirer confiance pour ce faire. Ils étaient nerveux à son approche. Elle le sentait. C'était les dents, c'était la Vipère, c'était sans doute d'autres choses aussi. Elle était nerveuse, elle aussi, pour d'autres raisons. Sa proie était là, dans son dos, et il avait rit, toutes dents dehors, quand elle avait tendu son formulaire d'entrée. « Tu n'irais jamais, » lui avait-il dit, « On ne voudra pas de toi ici, » avait-il ajouté. Une heure plus tard, elle passait son tabard, alors qu'on lui montrait les lieux. Son nouveau nid. Elle n'avait pas menti une seule seconde quant à ses motivations, quand bien même elle n'avait pas été tout à fait exhaustive. Elle avait dit avoir le désir de servir la terre sur laquelle elle marchait pour lui rendre la faveur de la laisser courir sur son sol, elle disait vrai. Protéger, faire partie des murs et de la pierre, c'était ce qu'elle avait trouvé de plus évident et de plus profitable -Pour elle comme pour Hurlevent. Finalement, ils lui avaient laissé sa chance, et elle n'allait pas laisser cette catin de Dame Fortune se jouer d'elle cette fois. Elle avait dit vouloir comprendre, vouloir apprendre, c'était ce qu'il y avait de plus vrai. Savoir et ressentir étaient les deux mains de son pouvoir sur ce qui l'entourait. Ils avaient bien voulu d'elle. Avec son naturel entier, elle se coula dans le nid, se fit sa place, commença à faire son travail et connaissance avec ceux qui portaient les mêmes couleurs. Avec les coutumes et les façons.

Les oeuvres et les jours passèrent, qu'elle laissait bien volontiers être longues, pour savourer et mieux faire. La précipitation était l'erreur des faibles. Les forts détiennent le temps, c'était ce que sa tante disait souvent. On lui murmura que sa proie avait été blessée par un autre, et était dans le coma; le mot qu'ils employaient pour dire qu'il était piégé dans ses rêves. Dame Fortune avait décidé de lui plaire, elle ne refusait pas un présent offert. Elle vint auprès de lui. Ca lui fut un peu rude, au départ, d'obtenir la confiance des médecins qui avaient sa garde, mais après quelques échanges, la Vipère était auprès du Caporal tombé. Une caresse à la joue, un corps qui s'allonge auprès du sien, des lèvres qui frôlent pour donner à boire, puis de quoi rêver plus fort -Un des rares secrets de sa tante- et elle se dit que ça serait très facile d'en finir comme ça. Très facile, et très indigne. Elle prit sa part, se pelotonna contre son ennemi, et s'endormit.

Elle y trouva de l'eau, elle y trouva une forteresse aux portes qui s'ouvraient d'une caresse, elle y trouva de quoi se repaître, bien qu'elle ne toucha à rien. Enfin, elle le trouva, lui. C'était une murène. De jolies dents pointues, un regard qui n'était pas celui d'un homme, une attitude d'animal prêt à mordre. Elle rit, parce que ça lui plaisait, et parce que ça lui ressemblait. L'un impliquant l'autre, peut être.

    _Toi. Ici ?
    _Je suis venue te chercher. Paresseux.


Il grondait, furieux de la trouver là, furieux par nature, furieux parce que dans ses rêves, il n'y avait pas de frontières pour contenir sa colère. Il agrippa sa hanche, elle se plaqua contre lui. Trop proche pour qu'il frappe, assez pour qu'il mordre. Ce qu'il ne fit pas encore. Leurs échanges rapides, leurs esquisses de coups suffisaient. Ils feulaient, l'un contre l'autre.

    _Garde-toi de l'orgueil si tu veux rester la Sorcière.
    _De toi à moi, nous avons trop de haine à faire pour que je te laisse à un autre.
    _Je vais te noyer.
    _Me noyer ? En toi ? C'est toi qui t'es perdu en moi. Je t'ai plu. Je t'ai marqué. Viens donc, viens encore.
    _Ose me dire que tu n'as pas ressenti la même chose, Sorcière. A courir ta vengeance au point de venir me chercher ici, dans mes gouffres, dans ma prison.


Triomphe. Victoire. La même chose, avait-il dit. C'était un aveu, même si ses griffes tant que ses yeux le lui hurlaient auparavant. Il l'admettait. C'était une façon de se rendre. Une laisse à sa gorge, sans que ça ne soit une muselière. Un pas de plus dans l'abime. Une lame plus proche du coeur battant. « Je vais te déchirer, » promit-il, elle l'embrassa comme on mord. Il répondit avec la fougue d'une tempête, l'entraina dans ses tréfonds. Et son rire roulait dans sa gorge qu'il mordait comme un orage prêt à craquer. Ce n'était pas une étreinte, c'était un combat. Plein d'une haine furieuse et contrariée. Dans ses rêves ils s'unirent à force de s'affronter, comme deux vents contraires. Et quand elle s'effaça, s'échappa vers son Éveil, il piaula, chercha à la retenir de griffes et de baisers.

    _Reste. Nous n'en avons pas terminé. Je ne suis pas rassasié. Je ne suis PAS rassasié ! Je te pourchasserai. Où que tu sois.
    _Sors de toi-même, en premier. Je te promets la chasse. De toi. A moi.


Elle ouvrit les yeux pour le sentir la serrer dans son sommeil, retomber lourdement, embourbé dans ses songes. A leurs côtés, il y avait une autre femme de la Garde, qui baillait. Elles échangèrent des mots légers, plaisantèrent à propos de tout et de rien, et se remirent au travail en chantonnant. Elle s'amusait, en découvrant les raffinements de la perversité. Le soir même, du reste, il s'était réveillé.

Alaba,

Je ne te raconterai pas tout, tu n'aimerais rien. Sache juste que la chasse avance, que je suis bien sage, c'est à dire pas trop, et que j'apprends beaucoup. Je te reviendrai pleine de savoirs, et je te montrerai tout. Même toi, tu seras impressionné.

Tienne.

Elle rangea le livre sous son oreiller, et non plus dans son casier, bailla, et s'endormit avec bonheur, et la satisfaction d'avoir fait quelque chose de bien et de bon. Sans doute.


Dernière édition par Vespérale le Mer 16 Juin 2010 - 19:27, édité 1 fois

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Message par Saig Segondell Mer 16 Juin 2010 - 13:02

-- Entre deux eaux --
VAS - In the Garden of Souls



D'abord, les cris. Ce fut le point d'entrée de la douleur, les cris. L'ennemi braillait, hurlait sous son crâne et cela se sentait qu'il se plaisait à tout briser en lui. L'attaque dura longtemps. Il eut beau se débattre, gémir, tenter de repousser, le voile de sang s'abattit sur sa vision. Puis sur sa raison. Puis sur tout le reste. Alors, l'eau vint. Pas pour le noyer cette fois ; elle vint comme une vague vive et conquérante, lécha les plaies infligées à son esprit, le recouvrit et s'installa. Sans plus résister, il bascula. Et sombra.

Il sentit qu'on posait des mains sur son crâne pour apaiser la douleur et les plaies vives, il sentit qu'on soulevait et emmenait son corps inerte. On le déshabilla comme un enfant et on le coucha dans des draps qui sentaient le lys frais. Mais il ne s'éveilla pas.

Il faisait tellement plus doux à l'intérieur, loin, loin à l'intérieur de lui-même. Blotti dans sa petite mer personnelle, à croiser des souvenirs en bancs de poissons. Là, il était en sécurité. Protégé. Oui ; mais des assauts de l'extérieur. Pas de ce qui attendait, depuis longtemps tapi dans ses ténèbres, et qui guettait le bon moment pour jaillir entre deux creux de récifs. Son autre lui-même, celui qu'il était avant et qu'il n'avait fait que nier sans jamais cesser d'être, depuis des années. A travers l'eau trouble, il nagea furieusement à sa rencontre. Et tandis que Saig Segondell, Caporal, Garde de Hurlevent, créature paisible et presque timide, sombrait, Llinyn Rhaff, Ficelle, File-Murène émergeait. Ils se croisèrent à mi-chemin. Murène sourit ; Saig détourna la tête.

- Tu as failli. Encore.
- Nous n'avons rien pour nous protéger contre ça.
- Toi non, car tu es faible à force de vouloir être un homme. Moi je le peux. J'ai gardé Sa bénédiction.
- Tu n'es qu'un petit animal. Tu pourrais nous blesser tous deux.
- Allons.
Murène rit. Laisse-moi faire, à présent. Je nous protégerai. Je dévorerai tous ceux qui voudront encore nous déranger.
- Tu es orgueilleux, Llinyn Rhaff... Souviens-toi de ce que cela nous a coûté. Prends garde.
- Fais silence et dors ! Ici je suis chez moi."


Alors, tandis que Murène allait et venait comme un prince en son domaine, Saig se blottit au centre de l'eau et attendit. Trois fut le nombre de ceux qui vinrent à sa rencontre.

La première passa les portes, se glissa dans les écoutilles et s'immergea doucement, comme un plongeur qui n'a pas encore appris les secrets de l'apnée. Elle était douce. Elle était inquiète. Elle était maladroite. Murène vint à elle, la renifla puis claqua des crocs. Elle s'enfuit. Revint. Appela. Nul ne répondit.

Le second, plus prudent, tissa d'abord des cordes pour s'amarrer. Nagea en lui. Fendit l'eau jusqu'au centre et le trouva. Saig le reconnut vite, fouilla les environs des yeux et, n'apercevant pas Murène, fut pris de peur. Celui-là, il ne laisserait pas Rhaff le dévorer ou le noyer. Aux sollicitudes de Lanniey il répondit en le rassurant, lui dit d'attendre, que tout irait bien, qu'il suffisait de lui laisser le temps mais que lui devait remonter, vite, et partir, très vite. Il fut soulagé de voir son ami crever la surface et sortir vers l'Eveil avant que son autre lui-même ne puisse le saisir.

La troisième ne le cherchait pas. C'est Murène qui vint à elle.

La voir ici fut comme un choc. Une gifle. Un camouflet. C'était son territoire et elle le savait. C'était son domaine et elle en riait. Murène approcha de Vipère, et sa colère en s'éveillant fut telle que les eaux tout autour bouillonnèrent, et que son corps endormi, laissé à l'abandon du coma, en frissonna.

- Comment oses-tu ?"

Elle siffla et lui rit au nez. Le frôla. Il se braqua, s'inventa des griffes et des crochets pour la saisir ; elle se lova contre lui, renifla son cou. "Petit garçon", l'appela-t-elle, et la fureur fouetta son sang. Murène tendit la gorge pour mordre ; leurs crocs s'entrechoquèrent comme des lames, comme les andouillers de deux cerfs au combat.

Je vais te déchirer.

Il clama, féroce, sa toute-puissance. L'appela Sorcière, catin, la traita de tous les noms.

- Idiote. Je te pensais plus perspicace. Tu es chez moi, ici. L'eau est mon alliée. Tu parles à tous ; je ne parle qu'à Elle, et Elle aime l'exclusivité. Qui crois-tu qu'elle écoutera ? Toi ? Ou moi ?"

Elle répondit d'un rire de gorge et d'une nouvelle reptation, déroula ses anneaux pour l'enserrer. Il l'emmêla en retour. Lorsqu'elle mordit son épaule, son sang s'éleva dans l'eau battue comme une libation.

Je vais te déchirer.

C'était une promesse, et c'était une supplique. Ils s'affrontèrent comme deux amants. S'embrassèrent et se mordirent surtout, se prirent et se possédèrent. Ce fut brutal et féroce, sans fard, sans merci. Plus il cherchait à l'entraîner dans ses abysses, plus elle frappait, vive comme la tempête. Et entre les coups, regard contre regard, ils se chuchotaient des menaces, grondaient leur haine.

- Je vais te déchirer. Je vais disperser tes membres aux quatre vents. Je vais te noyer.
- Me noyer ? En toi ? C'est toi qui t'es perdu en moi. Je t'ai plu. Je t'ai marqué. Viens donc, viens encore.
- Ose me dire que tu n'as pas ressenti la même chose, Sorcière. A courir ta vengeance au point de venir me chercher ici, dans mes gouffres, dans ma prison.
- Jamais dit le contraire. Jamais promis l'inverse."


Elle souriait, provocante, l'attisa d'avantage, l'amena à se débattre tout autant qu'à combattre, et à désirer la vaincre il se mit à désirer tout court. C'est cet instant qu'elle choisit pour s'échapper comme une anguille d'eau, glissant hors de ses griffes, roulant des hanches dans l'eau troublée par leur étreinte alors qu'il nageait, vif et puissant, juste derrière elle, à la talonner.

- Reste ! Reste encore. Nous n'en avons pas terminé."

Malgré tous les efforts de Murène, Vipère fut plus vive. Elle s'échappa finalement, quitta son domaine et le laissa meurtri, la colère au ventre avec, en guise de miettes et d'apaisement pour sa frustration, de nouveaux serments. Juste ce qu'il désirait entendre. Elle l'attendrait. Elle l'affronterait à nouveau. Ce serait entier, cette fois. Ce serait sublime.

Il plongea. Trouva Saig endormi, le saisit à bras-le-corps. Le Garde lui rendit un regard étonné et, apercevant ses yeux et les griffures sur son visage, comprit que Murène avait été blessé dans ce qu'il possédait de plus précieux : son orgueil.

- Va maintenant. Tu as assez dormi. Va : on nous attend dehors. "

Propulsé vers l'Eveil, Saig creva la surface de l'eau. L'air lui brûla les poumons. Il hoqueta, happa comme un poisson au bord de l'asphyxie.

Et s'éveilla.


--
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Message par Petits tracas Ven 2 Juil 2010 - 23:00

    « Qu'est-ce que tu me veux, Corps-Sans-âme ? »


Elle était devant l'épouse de son père, qui elle était étendue sur sa couche. Elle lui dardait un regard mauvais, hostile, tandis que l'enfant que celle qu'on appelait Corps-Sans-âme lissait des doigts un présent dans son dos, qu'elle ne tarda pas à lui brandir. L'épouse s'en redressa d'effroi.

    « Quoi ? Qu'est-ce que c'est !
    _C'est un scorpion, Mamine, c'est pour toi.
    _Ne m'appelle pas comme ça, je t'ai dit -Et éloigne cette chose ! Tu veux me tuer ?
    _Il m'a dit qu'il était bon pour toi.
    _Arrête, pour la dernière fois, avec tes histoires ! C'est la folle qui t'a encore mis ces trucs dans la tête ?
    _Non, il m'a parlé, et il m'a dit qu'il serait bon pour ton ventre. Parce que t'y arriveras pas toute seule. »


L'enfant recula pour éviter la lourde lampe qu'elle voulu lui jeter au visage, plissa les yeux sous les cris avec une mine agacée, lèvres pincées, comme un tout petit et très sévère maître d'école. Elle soupira quand la femme l'invectiva. L'interrompit.

    « C'est ça où Alaba te renie. Alors tu prends et tu te fais engrosser. »


L'épouse resta muette de stupeur. Un instant. Sortit d'entre ses draps pour agripper l'enfant, la gifler à toute volée. Elle hurla, encore.

    « Peste ! Maudite chose ! Maladie ! Tu veux me crever, c'est ça ! C'est toi qui m'a rendue stérile ! Va mourir avec ton scorpion, va mourir comme les bêtes que tu es ! »


L'enfant fronça les sourcils, quand bien même elle n'avait pas bronché sous la gifle. Elle souleva son présent par la queue, agrippa le corps dans sa main fine, et mordit, sectionnant net le dard. Fourrant le corps gigotant dans les plis des vêtements de l'épouse de son père.

    « Et comme ça, tu le veux bien ?
    _Tu me dégoutes... Tu me dégoutes ! »


Les yeux gris de Saig étaient brûlants de colère. Il venait de lui cracher ces mots, ce mensonge, il s'en faisait un bouclier entre eux deux, comme il s'était fait un bouclier des gens, du tabard, de la ville; maintenant qu'il n'y avait presque qu'eux deux, il feulait et grondait comme un animal acculé.

Ce qu'il était.

Elle répéta, il affirma. Tendu, paré à frapper. Comme cette fois, au bord des canaux, devant une autre Garde. Cette fois où il avait tenu sa gorge dans sa main, sans même parvenir à serrer. Un animal vêtu d'une peau d'homme arrachée, voilà ce qu'il était, voilà ce qu'elle lui avait dit, et elle rôdait autour de lui avec ce sentiment étrange et partagé de très bien tenir sa proie, et de ne pas être satisfaite une seule fois de sa chasse. Elle le voulait entier, elle le voulait sublime, elle ne voulait pas de cette chose lisse et domestiquée qu'il s'efforçait, mal, d'incarner. Elle voulait le faire sortir de ses gonds. Elle voulait qu'il fracasse les barreaux qu'il avait posé lui même autour de sa nature.

Ce qu'il ferait.

Proche de lui. A portée de dents, de coups. Les souffles entremêlés. Elle n'aimait rien de ce qu'il se passait. Elle n'aimait pas ce qui les avait conduits à être seuls, à devoir forger ensemble -Mais les Esprits réclamaient un ouvrage qui exigeait une trêve. Et une trêve était un danger qu'elle n'avait jamais soupçonné. Dont elle se méfiait seulement à retard. Elle n'avait pas coutume de concéder, encore moins d'être frustrée. Et elle l'était, face à lui. Il était un mystère dans la clarté de son désert.

    « Tu me ressembles trop, oui. »


Un rival, c'était ce qu'elle voyait en lui, un rival, pas un égal. Elle avait envie de le déchirer, soudain, de le déchirer et de le dévorer, mais trainait encore ce sentiment d'inachevé, de besoin hurlant mais qui ne savait pas dire son nom. Et les noms étaient importants, sur les choses. Ils les dominent.

    « N'importe qui reculerait, sachant ce que tu es.
    _Ce que je suis ?
    _Tu m'entends bien.
    _Dis-le.
    _Tu es un serpent. Et tu es une sorcière.
    _Et je te dégoute.
    _Et tu me plais, oui, puisque c'est ce que tu veux entendre. »


Elle avait faim. Elle salivait. Elle avait envie de sentir son odeur, encore, de planter ses ongles dans sa peau, de sentir la vie palpiter entre ses doigts comme elle l'avait fait de tant de coeurs. Elle se cherchait à travers ses mots. Et elle comprit qu'elle se cherchait. Trop semblables, oui. Trop proches. Trop blessés l'un contre l'autre. Tout un étendard rouge dans le passé, et l'écarlate autour de leur présent. On en revenait toujours au sang.

Elle avait envie de lui comme elle avait envie d'une vengeance, d'une redite, d'une réécriture d'une trame passée sur un navire grinçant. Elle lui dit, s'approcha, puisqu'elle le voulait. Il recula.

    « Je devine ce que je risque en ta présence, je devine ton envie de vengeance. Je n'irai pas m'offrir à ton venin. »


Elle n'aimait pas. Elle n'aimait rien de ce qu'il se passait. Elle n'aimait pas découvrir cette eau trouble en elle-même, cette variation à sa ligne tracée. Cette écorchure à sa promesse.

    « Ca ne serait pas un coup dans l'eau. Tu en attendrais plus. Des lendemains.
    _Comment tu peux dire à ma place ?
    _Parce que nous nous ressemblons.
    _C'est ce que tu attendrais ?
    _Oui.
    _Je ne me cache pas, tu sais. Et quand je veux, je prends.
    _ Moi aussi. Je te veux aussi. Suffisamment pour m'en faire mal. Mais je n'irai pas. Tu entends ? Je n'irai pas. »


Elle ne pensait pas aux lendemains. D'ordinaire, elle oubliait très vite, quand les autres étaient marqués. Il n'y aurait pas eu son père, elle n'aurait sans doute même jamais chassé les hommes de la Voile Sanglante. Même si elle se serait rappelée de la Murène, à la revoir. Ca l'aurait amusée, sans doute.

    « Je t'obsède ? »


Le lendemain, pourtant, elle regardait le sol face à elle, l'éternel sourire du fauve ayant quitté ses lèvres. Des mots tournaient dans son esprit, qui refusait d'oublier. Des paroles, un parfum, une blessure à la lèvre et une autre à l'épaule. D'autres, plus anciennes, au dos. Elle se prit à vouloir parler à un vieil esprit-arbre, qui lui raconterait combien d'autres avaient été cruels, et combien en avait ri. Elle en rirait avec lui. Et ça serait apaisant.

Alaba,

Je ferai ce que je t'ai promis. Et ça sera beau, sauvage, et ça sera un sacrifice si grand que beaucoup seront forcés d'admettre leur admiration, et tu seras fier de moi. Oui, tu seras fier de moi.

Tienne.

Elle n'aimait rien de ce qu'il se passait. Mais les Esprits étaient des maîtres injustes et cruels, et elle l'était au moins autant qu'eux.

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Message par Saig Segondell Mer 14 Juil 2010 - 12:01

***
~ Trobar de Morte - Tempus Fugit ~
***


Cinq.
Six.
Sept.



Tandis qu'il décomptait la cadence, il se prit à réfléchir, et se dit que tout ceci était tout de même un beau gâchis. Certes prévisible, mais un gâchis quand même.

Il replia une jambe contre lui, assis contre le mât, haussa un peu le cou sans grand enthousiasme pour tenter de voir au-delà des corps serrés, du cercle étroit des matelots fermé sur le spectacle, sur la proie. Ils se tenaient tout de même à distance, et cela le fit rire en silence. Ils ne disaient plus rien, et cela lui parut une bonne chose. Qu'ils contemplent. Qu'ils admirent. Qu'ils s'apaisent. Le bras de l'affligeant se levait et s'abattait avec une régularité de métronome, hypnotisant tous les regards.


Onze.
Douze.
Treize.



Quand ils les avaient traînées sur le pont comme de belles prises de pêche, il avait d'abord souri. De leur jeunesse, de leur beauté, et des prétextes. Témoins gênants, avait-on dit. Leurs yeux de femme devaient certes présenter quelque danger, mais pas pour ce que les lèvres des marins affirmaient ; plutôt pour le brasier qu'ils avaient tous dans le ventre. Ils leur avaient donné la chasse, et le Capitaine avait applaudi leur succès. Et lui, l'âme damnée du navire, l'oiseau de mauvais augure que l'on apprivoise pour se porter chance, il avait souri. Puis, à mi-voix, il avait mis en garde, car tel était son rôle. Elles étaient femmes. L'Eau est une maîtresse jalouse, elle risquerait d'en prendre ombrage si les faveurs de ses enfants se tournaient vers des femelles mortelles. Ils l'écoutèrent, mais enchaînèrent tout de même leurs prises à fond de cale, et se promirent de s'en repaître jusqu'à ce qu'elles se fanent.

Et lui, comme il était homme avant d'être conseiller et sorcier, il promit aussi.


Quatorze.
Quinze.
Seize.



Ils furent cruels. Ils furent sans merci. Ils en avaient tous les droits. Et lui, étant ce qu'il était, il se devait d'être plus dur et plus impitoyable que tous les autres. Pour que chacun, sur le navire, se souvienne qu'il portait le malheur sur lui, en lui ; pour que chacun reconnaisse Son empreinte dans ce qu'elle a de plus noir et de plus terrible. Le respect dû ne tenait qu'à cela.

Alors, il joua. Il s'accroupissait parfois devant l'une d'elles et la regardait, en silence, sans la toucher. Certaines suppliaient. D'autres pleuraient. Les plus fortes l'insultaient, mais tout glissait sur lui sans altérer son indifférence. Au bout de quelques minutes - tout dépendait des sujets - elles finissaient par ne plus supporter son regard. Il guettait alors la faille, cette petite hésitation frêle entre l'espoir et la folie, avant de s'abattre sur elles. Celles qui avaient tenu tête étaient domptées. Celles qui avaient espéré étaient brisées.

Il était cruel. Il était sans merci. Il était à l'image de ce qu'on attendait de lui.


Dix-huit.
Dix-neuf.
Vingt.



La dernière qu'ils avaient prise était belle et cuivrée. Une silhouette faite pour la danse ou la guerre. Pour l'amour aussi, bien sûr, mais ce n'était, au fond, pas bien différent. Ce serait plaisant de la plier aussi, s'était-il dit. Il y avait les dents, cependant. Ces petites dents aigues qui avaient tant effrayé le premier à avoir tenté de la toucher, au-delà des accords du Capitaine. Il tiqua. Prévint dans un murmure. Tint son rôle de sorcier, qui sait voir les choses derrière les choses. Mais au-delà du monstre, elle était femme. Désirable. Et enchaînée. En somme, inoffensive, et tout l'équipage se le tint pour dit.

Il fut parmi les premiers à venir à elle, comme le souhaitait l'ordre hiérarchique établi pour la curée. S'installa avant de prendre. Regarda avant de toucher. Voulut jouer avant de briser, ainsi qu'il avait l'habitude de le faire. Il s'était demandé si elle allait supplier, pleurer, ou jurer, et la réponse le frustra d'avantage encore : elle fut plus indifférente que lui. Renversée comme un patin sans maître, les yeux ouverts sans voir. Immobile, mais pas inerte. Vivante, mais l'âme ailleurs. Il en conçut de la curiosité, puis de l'inquiétude, puis de la colère. Prit son dû sans ménagement, et longuement. Jusqu'à ce qu'il se décourage devant l'absence de sa victime. Jusqu'à ce qu'il ne puisse plus supporter le regard qui le perçait.


Vingt-trois.


Quittant un instant ses songes, il se redressa, sautant sur ses pieds avec vélocité. Autour de la suppliciée, les marins s'étaient écartés, répugnant à toucher le sang versé sur le pont, le sang du monstre, le sang de la sorcière. Elle s'était enfin effondrée sous les coups de fouet, seul son corps réagissait encore, à peine, par petits sursauts. Implacable, la sentence continuait de s'appliquer, et la lourde lanière de cuir se levait, s'abattait, se levait, s'abattait à nouveau, avec une rage régulière, comme si le bourreau se flagellait lui-même, comme si c'était à eux tous, et non à la victime, d'expier la faute. Elle avait rongé la cheville d'une autre prisonnière, compagne d'infortune, elle avait bu son sang. Elle avait ri, quand ils étaient venus, et s'était défendue avant qu'ils ne la saisissent. C'était un monstre, comme il l'était lui-même. Mais il n'y a la place que pour un seul monstre sur un navire, et il tenait fermement à garder la sienne.

Fort de toute sa science, il les avait grondés. Leur rappela qu'il l'avait dit, pourtant, et qu'il était satisfait de voir que le voile devant leurs yeux était enfin retombé. Il l'accusa, et de toute sa frustration la condamna. Chassa le souvenir de sa chaleur et de sa peau, fit taire le désir dans son ventre. Et le Capitaine approuva.


Cinquante.


Tremblant légèrement sous l'effort, le bras du bourreau retomba pour ne plus se relever. Le dos de la sorcière n'était plus qu'une plaie.

Il fendit le cercle des matelots, qui s'écartèrent. Aucun d'entre eux ne la toucherait, même maintenant, alors qu'elle gisait au sol dans son propre sang, immobile, sans connaissance. Aucun d'entre eux n'irait se risquer à se souiller d'avantage à son contact. Seul lui le pouvait. Seuls les monstres touchent les monstres.

Il la prit, la souleva. Elle était poisseuse. Il huma l'odeur de ses cheveux, de sa peau, et celle du sang, omniprésente, écoeurante. Il se dit, une fois de plus, que c'était du gâchis, mais se souvint des yeux qui le regardaient sans voir, au fond de la cale, et se dit que c'était mieux ainsi.

Le corps de la sorcière bascula, creva enfin l'eau bouillonnante loin en-dessous. Flotta un peu puis, avalé par une vague, ne reparut plus. C'était bien. L'ordre des choses était rétabli. Afin de laver totalement l'offense, il pria, et ordonna aux autres de prier avec lui. La ferveur fit taire la frustration de ses sens. Il chassa la sorcière de son esprit, chassa les souvenirs de sa chaleur et de sa peau, et de l'obstacle infranchissable qu'elle avait posé sur sa route. Et il oublia.


Jusqu'à maintenant.



Elle avançait vers lui. Il aurait tellement préféré les cris, les menaces. Les promesses de vengeance. Des "tu paieras", des "je n'ai rien oublié", des "je te tuerai". Ou même des larmes, pourquoi pas, même si cela ne lui ressemblait pas. Tout, tout sauf cette espèce de demi-sourire, un peu moqueur, un peu goguenard ; un sourire de vipère. Le genre de sourire qu'on adresse à sa proie en la regardant, avant de la faire sienne. Sauf que, cette fois, il était du mauvais côté de la cage.

Il recula encore. C'était vraiment une vengeance de la sorcière, mais cette vengeance ne prenait pas la forme qu'il aurait espérée, ou préférée. Elle prenait son temps, elle attendait qu'il cède. Elle jouait de ses atouts avec une aisance qui lui faisait peur, et lui, de son côté, et malgré tous ses efforts, se voyait y répondre avec une assiduité qui l'effrayait d'avantage. Il se connaissait trop bien, à ne jamais lâcher ses proies. Celle-ci, dans le temps, lui avait résisté ; de fait il la voulait plus encore, attiré par le défi. Mais cette proie-là était parfaitement capable de le mordre à la gorge en pleine étreinte, et il le savait.

- Je sais ce que tu es ", avait-il dit. Et, plus tard, " Je n'irai pas. "

Au fond de lui, il doutait d'être capable de résister longtemps.


Pour se défendre, il avait invoqué le lieu, la trêve. Le mal fait au Sanctuaire par les fanatiques Ecarlates, celui, accidentel, provoqué par les Gardes, et le long travail qu'ils avaient dû accomplir tous les deux pour rétablir l'équilibre, sorcier et sorcière, ennemis jurés, liés cependant par l'urgence et la Foi. Il avait chanté ; elle avait dansé. Il lui avait offert des onguents, elle avait léché ses plaies. Maintenant, elle en voulait d'avantage. Il persistait à reculer, craignant la faille, craignant le piège, tout en sachant qu'il allait finir par céder.

- Je t'obsède ? "

Elle était toute proche quand tombèrent ses dernières défenses. Elle était aussi empressée et furieuse que lui, et il se demanda, un court instant, si elle aussi s'était souvenue de sa chaleur et de sa peau, de l'odeur de ses cheveux, et si elle cherchait maintenant celle de son sang. Il songea aussi, encore plus brièvement, qu'il était peut-être dépendant à ce point de toutes ses proies, et que les autres avaient raison : à force de courir, il ne faisait plus la différence entre chasser et être chassé.


Puis il ne songea plus à rien.



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Message par Petits tracas Mer 14 Juil 2010 - 15:50

    « Viens par là. »


Avait dit sa sorcière de tante, et elle avait couru vers elle, puisque c'était rare, et puisqu'elle aimait pouvoir entrer dans ce refuge interdit à tant de personne en y étant invitée. Même si elle aurait préféré pouvoir s'y glisser par surprise. Sans rien demander. Elle s'assit en tailleur alors que sa tante refermait le drapé lourd derrière elles, et s'accroupit face à elle. Elle fit brûler un encens, la contemplant longuement en silence. Ce regard ne la gênait pas. Il gênait tous les autres, mais pas elle. On disait volontiers que cette femme était maudite, capable de maudire davantage encore, mais elle était pire que tout à la fois, alors c'était sans risque. Elle finit par parler, la main sur la joue, le coude sur le genou, en équilibre d'oiseau.

    « Tu as fait ce que je t'avais demandé ?
    _Oui, tiens. »


L'enfant fouilla les replis de ses vêtements, cherchant la petite bague faite d'un dard de scorpion qu'elle avait patiemment creusée pour y laisser passer un doigt fin. Sa tante la prit, la passa, hocha la tête en guise d'acceptation. La récompense allait venir, aussi l'enfant restait assise, patiente, l'oeil vif.

    « Dis-moi, Quenotte, ton père t'a donné un nom ?
    _Non, mentit-elle, et malgré l'évidence du mensonge, elle ne releva pas.
    _Il t'a raconté pourquoi les autres t'ont donné celui-là ?
    _Non, répéta l'enfant, et cette fois ça n'était pas un mensonge.
    _Déshabille-toi d'abord. »


Elle s'exécuta, dévoilant son corps malingre et déjà nerveux, vif. La femme lui fit signe d'approcher encore, posa ses main sur son torse, la fit tourner, avisa sa taille, son ventre. La fit rassoir.

    « Comment ton père t'appelle devant les autres ?
    _Y m'appelle pas, ou il me fait signe. Sinon, des fois, il dit fils.
    _Tu sais pourquoi ?
    _Non plus.
    _Il t'apprend quoi ?
    _A me battre et à chasser. Comment sont les choses dedans, et à prier. »


Elle claqua de la langue, et s'assit tout à fait à son tour. L'enfant se laissa admirer la sorcière, toute en courbes et en douleurs, toute en suggestion et en danger. Elle était belle, vraiment, comme une lame sans garde. Elle reprit.

    « Ca ne devrait plus trop tarder, pour toi.
    _Quoi, Hyène ?
    _Finir par être une femme. Tu sais que tu es une femme ?
    _Je sais que je ne suis pas un homme et qu'il faut que je le cache.
    _Tu sais pourquoi ?
    _Alaba a dit que s'ils apprennent, ils me sépareront de lui, et ils chercheront à me tuer.
    _Tu as peur ?
    _Non. J'attends. J'apprends. Quand je pourrai en tuer deux ils hésiteront et ils me laisseront.
    _C'est bien. Tu vas saigner de là, fit-elle en désignant son ventre d'un doigt, et quand ça viendra il faudra que tu reviennes, je t'apprendrai à t'en servir. »


Elle sourit, alors que sa tante remettait de l'encens dans sa coupelle. L'odeur devenait entêtante.

    « Je vais te raconter l'origine de ton nom. Faut que tu saches que les noms sont importants.
    _Oui, ils donnent une terre sur laquelle les idées peuvent marcher.
    _C'est bien. Allez, écoute, je le dirai qu'une fois. »


Elle agita la main, brassant l'air grevé de volutes, dessinant des silhouettes de ce seul geste. L'enfant regardait. Sans fascination. Avec habitude et attention.

    « Ton père a la même mère et le même père que moi. Notre mère était une captive. C'est d'elle que viennent les dents, et la malédiction. Les deux sont liés. Mais, nous sommes des femmes, et la malédiction est une arme pour nous, un danger pour eux. Ton père aime autant les femmes que le poison, mais il en a aimé une, beaucoup plus que la raison. Quand un homme aime, ça fait grossir le ventre, et la chair enfante. Mais elle n'avait pas les dents, elle, et le mélange des chairs a rendu son poison. La chair à l'intérieur avait les dents, elle, et au moment de sortir, de naître, la femme est morte, rendant son sang au Père la Terre. Ton père était furieux, les hommes soulagés, quand il est revenu des chasses. Elle était morte et son amour avec lui, et apprends-le, les colères des hommes blessés sont plus grandes que toutes. Il a pris un couteau, il a ouvert le corps, et il a sorti la chair. On l'a dit fou, on lui a dit que l'enfant était mort, deux fois maudit par son sang et celui de sa mère versé, mais il n'a pas écouté. Et à force d'appeler la Flamme, la chair sortie a fini par hurler. Ca a fait un grand silence, dans le camp. Cette chair, c'était devenu toi. »


Sa tante l'avisa longuement, cherchant une réaction. N'en trouvant aucune, elle reprit, plus sèche.

    « Tu comprends ton nom, maintenant ?
    _Les choses nées des morts n'ont pas d'âme.
    _C'est ce qu'ils disent, mais ce n'est pas vrai. Les corps vides sont des jarres offertes aux esprits, et ils s'y installent. Les esprits des morts le peuvent aussi, mais la mort fait changer. C'est ce que ton père croit, en tous cas. Tu comprends ?
    _Oui.
    _Et ça ne te fait rien ? »


L'enfant haussa les épaules, et la femme rit, à gorge déployée, découvrant ses jolies dents. Ca fit sourire la gosse.

    « Tu auras un autre nom, quand tu l'auras mérité. Il faudra que tu fasses mieux, et que tu fasses bien tout ce que je dis. Tu es mon sang, c'est pour ça que je t'ai gardée. Mais ne me coûte pas plus que tu ne me donnes, ou je te fiche au feu.
    _Je le sais déjà.
    _Tu es mignon, Quenotte, va. Reprends tes vêtements. File de mes pattes ! »


Elle se releva, et alla courir dans le désert, entre les scorpions et les vipères. Toutes ces choses minuscules qui pouvaient vaincre des hommes, parmi lesquelles elle se sentait bien. Aussi bien qu'une cheffe de meute. Assise, elle caressait un scorpion dont elle avait arraché la queue, quand elle entendit siffler une vipère.

Assise, elle l'était, aux côtés du Porte-Flamme dont elle avait demandé les conseils. Il l'avait fait entrer dans la Cathédrale sans l'ombre d'une hésitation, elle avait suivi avec une méfiance de chat en territoire de loups. Elle lui portait la confiance qu'elle donnait à tous ceux qui avaient la marque de la vie sur les sables, moins mous, moins pourrissants, moins gâtés. C'était une confiance de verre, qui autorisait le retrait, le recul et le calcul, mais il y avait du respect.

    « Alors, il convient de le mettre à l'épreuve, pour vérifier s'il est ce même homme qui a blessé ou s'il en est un autre. S'il n'est plus cet homme qui a blessé, la vengeance n'a plus lieu d'être. »


Elle se dit qu'il valait mieux taire que le blessé n'était pas elle, mais bien son père, qui avait juré et réclamé. Elle se dit qu'il valait mieux le taire, parce que peu comprendraient, et que ça serait retirer l'un de ses voiles qui lui permettait de marcher parmi les hommes comme une femme, pas comme un monstre. Un monstre est terrible caché, dévoilé il est une proie et un trophée. Il parlait, elle écoutait, comme elle savait faire, et quand il se quittèrent, il lui dit.

    « Je pense cependant que la meilleure des vengeances reste le pardon. »


Elle avait rit, alors. Ce même rire qui avait tant fait frémir. Un foulard avait été noué sur un verrou de casier, un simple petit foulard rouge, sur lequel il y avait un sang versé il y a des années. Ca serait long, ça serait magnifique, se dit-elle, et l'errance comme le doute avaient fuit ses pensées. Elle portait de nouveau l'azur sur le front, le poison sur les lèvres, le pas léger pour séduire les vents. Ca serait beau, ça serait sublime. Ca serait sanglant.

Parce qu'il n'avait pas changé, et qu'elle en avait la preuve au creux du ventre.

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Message par Petits tracas Ven 13 Aoû 2010 - 19:23

[HRP]Âme sensible, détourne toi de ce récit.[HRP]


    « C'est de la faute de cette chose ! De cette chose ! C'est elle la maudite ! »


Il y avait du sang sur la couche, il y avait son père en colère, le visage déformé. Il y avait l'épouse de son père, les jambes en sang, les yeux pleins de larmes. Et il y avait elle, Corps-sans-Âme, qu'elle pointait, pour tenter de dévier vers elle la lame du père. Et qui riait. Qui riait à n'en plus finir. Encore et encore. L'épouse de son père avait finit par avoir le ventre rond. Mais elle était incapable, et elle avait repoussé l'aide que l'enfant avait proposé, encore et encore, avec la même insistance, et elle l'avait perdu. Elle avait voulu le cacher, mettre du tissu sous ses robes pour camoufler le vide de ses entrailles, mais elle avait oublié combien l'enfant savait l'odeur du sang. Une hyène avait senti, elle aussi, et elle avait peiné à la chasser. A interdire qu'on touche à la viande de son petit frère. Elle avait appelé son père, elle avait montré, il avait remonté avec elle la piste du sang.

Combien il avait frappé ce ventre, ensuite. Combien il avait hurlé contre le mensonge. Combien elle avait ri des suppliques de cette femme trop faible pour contenir la vie de son père. Les gens s'étaient amassés. Ils murmuraient. Contre le mensonge eux aussi, et contre les rires de la chose sans âme. Ils répétaient que ce gosse était maudit. Qu'il fallait l'arracher d'entre eux. Le bannir. L'enlever. De rares voix s'élevaient pour souffler que l'enfant avait peut être quelque chose, pour avoir osé dénoncer.

Blessée, seule, la femme de son père ne l'était plus le soir-même. Répudiée, condamnée à errer au loin. Elle serait sans doute dévorée par les hyènes, ou mordue par les scorpions. D'autant que Corps-Sans-Âme avait quelques faveurs à leur rendre. Un bon repas facile, voilà qui devrait leur amadouer. Elle ne riait plus. Mais elle souriait largement. Devant la colère du père, dont l'épée ne demandait qu'à trancher, on se tut, on ne chercha pas à lui prendre l'enfant. On s'éloigna.

Elle était contre son père, dans sa couche. Ca faisait des années, depuis qu'il avait repris femme, qu'elle n'y avait plus eu droit, aussi était-elle toute heureuse. Elle l'embrassait, à petites touches, elle le cajolait, domptait sa colère avec la même prudence que celle dont elle caressait les scorpions. Il avait grogné, d'abord, à présent il se laissait faire. Avait refermé ses bras sur elle. Avait surpris les bandages à sa poitrine, et les avait retirés d'autorité.

    « Tu grandis, tu ne m'avais pas dit.
    _Tout pousse, pas besoin de mot.
    _Ne réponds pas comme ça.
    _Pardon, Papa.
    _Ca ira.
    _C'est bien qu'elle soit partie.
    _Tu ne l'aimais pas.
    _Toi non plus.
    _Elle était pratique.
    _Moi je t'aime.
    _Je sais.
    _Pour mon petit frère ?
    _Quoi ?
    _Il est tout seul dans le désert. Il faut faire quelque chose.
    _... Trouve lui une belle tombe. Tu feras ça demain. Montre-moi comment tu as grandi, d'abord. »


Elle se releva, pour se déployer, tourner sur elle-même. Il s'assit pour la regarder, posant ses mains sur elle pour mesurer la taille qui se creusait, les hanches qui se courbaient, la poitrine qui se dessinait. Il grogna de contentement, et l'attira contre elle pour la bousculer, jouer aux sauvages comme il le faisait quand elle était encore toute enfant. Elle riait tant qu'elle grognait, rendant les morsures en se débattant faussement sous ce grand corps qui l'écrasait avec ravissement. Elle était heureuse. Heureuse et troublée. Avec un nouveau feu à caresser du bout des doigts, au creux de sa chair. Sans âme.

Au lendemain, son père était reparti, après lui avoir ordonné de bien se cacher, comme elle le faisait déjà. Elle galopait parmi les fauves et les dangers du désert, soeur des bêtes et crainte d'eux, pour retrouver la place de son petit frère. Des vautours tournaient au dessus, elle les chassa d'un feulement, pour creuser de ses mains. Il n'était pas loin, petite tache rose et noire, couverte de sable. Elle l'en débarrassa au mieux, avant de lui sourire, de le bercer. Elle sourit davantage, quand elle se figura la tombe idéale pour lui. Puisque le ventre de la répudiée avait été trop faible pour le garder, il devait avoir froid, et elle devait être assez forte pour remplacer la mère.

Quand elle eut finit, elle se redressa, essuyant ses lèvres et caressant son ventre.

    « On sera bien, tous les trois. Tu verras. »


Et elle retourna chasser.





Elle sortait de la Cathédrale, pensive, le visage voilé. Discrète, personne ne l'avaient reconnue, hormis celui qu'elle était venu voir. Ils avaient parlé, peu, mais suffisamment. Son pied était léger, mais son ventre lui pesait. Elle y laissa la main droite, l'autre tenant ce qu'elle avait fabriqué sans vraiment un songer. Un jouet. Un jouet inoffensif. Un truc pour les gosses. Quelque chose qui les ferait rire.

Sa tante l'avait prévenue. Elle changeait. Comme le vent tourne et comme les flammes se cambrent. Comme la mer est furie et abondance. Les chasses étaient dangereuses. Elle aimait le danger. Mais elle ne pouvait chasser comme elle le faisait qu'à condition d'être seule. Elle ne l'était plus. Et Ils regardaient. Ils veillaient. S'Ils se laissaient prendre, c'est bien parce qu'elle savait séduire. Si elle se comportait comme ceux qui étaient aveugles, elle déplairait à coup sûr. Elle s'éloigna de la ville, sans rentrer à la Garde. Encore besoin de songer. Encore besoin de se mêler à Eux. Encore besoin de se détacher pour voir clair. Elle alluma un grand feu, et dansa longtemps.

Alaba,

Je t'ai promis une chose, et je ne reprendrai pas. Mais toi qui sert la Flamme, si je fais en ton nom quelque chose qui l'insulte, je te déshonorerais. J'apprends à connaître la Flamme, mieux. Et je vois plus clair. Je reviens sur mes pas. J'aurai le Vent, j'aurai la Flamme, je garderai ton honneur. Et quand tu seras de nouveau face à moi, nous parlerons. Toi seul peux défaire. Alors je te chercherai. Toujours et encore. Encore et encore.

Tienne.

Elle se dit qu'elle devrait rentrer. Pour dire, pour justifier. Pour prévenir la Murène, aussi. Et qu'ensuite, elle partirait.

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Message par Petits tracas Mar 24 Aoû 2010 - 19:03

Le mal et le poison touchaient à leur paroxysme. Elle était épuisée, les muscles tendus au delà de la douleur, même ses os la faisaient souffrir. Mais elle La tenait, et elle La caressait, dans le creux de sa paume.

    « Ils m'appellent Corps-Sans-Âme, mais mon nom est Anissa. En ce jour je te fais mienne.
    _ Je suis la Vipère, répondit l'Esprit, et je suis tienne autant que tu es à moi. Il y a longtemps que je te guette, Anissa. »


Les marques que la passion de son père avait laissée à sa peau cuisaient, en son ventre, à ses hanches, à sa gorge, mais l'Esprit passait sa langue bifide et irréelle sur celles-ci, comme pour les approuver -C'était sans doute le cas- et il n'y avait plus que son poison engourdissant. Elle se laissa aller à s'allonger sur le sable humide de l'oasis moribond où elle l'avait poussée. Souffle court, âme déployée.

    « Dis-moi ce que tu voyais, à me chercher, alors.
    _ Tu me diras ce que tu sentais, à me chasser, en échange.
    _ C'est d'accord.
    _ Écoute-bien. »


L'Esprit-Vipère fila entre ses doigt sans qu'elle ne la relâche, formant des boucles sur ses anneaux de ses doigts fins, possessifs, marquant l'impérieux lien. La Vipère se laissa à demi faire, tendant parfois de s'évader. Glissa à son épaule, sifflant sur l'une des marques du fouet en son dos. L'humeur du poison la rendait maintenant plus sensible qu'endolorie, et le contact lui tira un frisson.

    « Ce que j'ai vu, vois-tu, c'est un vase prometteur, des jambes qui savent courir deux mondes, un esprit endurci et pas pleureur -C'est ce que j'aime, moi. Je ne sais pas pleurer. Je suis une servante exigeante, retorse, et mauvaise, et je suis bien pire en maitresse. Sois ma soeur, sois moi, nous irons loin. Sois faible, tu seras soumise, et je t'aurais dévorée au matin. Parle.
    _ Je sentais, moi, à te chasser, que tu m'attendais. Que tu te laissais approcher. Je sentais que la Hyène me jalousait. Pourquoi ?
    _ Si elle ne t'a pas raconté, ce n'est pas à moi de le faire, mais sache juste que la hyène jalouse la place du lion, et qu'il n'y aurait pas eu le vieux poison, les hyènes seraient plus belles et honorées qu'eux, et seraient reines, quand ils seraient souvenirs.
    _ Ils ont une dette, tous deux.
    _ Oui, tu en sais une part, l'autre explique pourquoi les crocs ne se sont pas refermés sur le corps de la Vipère que je suis. Silence à ce propos, je ne me livre pas sans prix, mais tu apprendras à prendre, à rester entre jour et nuit, à ne jamais appartenir tout à fait ni à l'un, ni à l'autre, pour dominer vraiment, sans avoir besoin de trône. Les rois sont des pantins, les vrais maîtres sont ceux qu'on ne sait voir.
    _ Je le saurai, alors.
    _ Parle encore !
    _ Je n'ai jamais vraiment songé à dominer ou régner, mais, à te chasser, j'avais faim. Faim de toi, faim de tes promesses, faim, surtout, de tes propres désirs. Je suis née comme un vase vide. Avec toi, je suis emplie d'envies. Et c'est d'avoir fait céder le Lion aux miennes, que je t'ai charmé. Je le sais.
    _ Oui, rit l'Esprit, sifflant de contentement. Oui, et on t'en voudra sans doute, d'ici ou de là où tu marches souvent. Mais tu m'as bien un peu méritée, nous irons ensemble, je serai ta Gardienne liée. »


L'accord était scellé. Elle apprit à vaincre le poison, puis, au delà de le vaincre, à le forger en elle-même, à s'en faire une arme. Elle apprit à siffler pour plaire, pas toujours pour tromper, mais pour savoir se glisser entre les valeurs et les doutes. Elle apprit à prendre sans revendiquer, elle apprit à dompter sans caresse. Elle n'apprit jamais, ni à pardonner, ni à offrir, ni à laisser.



Pourtant il le fallait. Elle revenait vers la Caserne -Une toute dernière fois. Son communicateur était éteint, sa décision était posée, elle savait quoi prendre encore une fois, quel message laisser pour expliquer brièvement son départ, elle était déterminée. Sa gorge était sèche, pourtant, et Vipère y rodait avec frustration. Depuis le temps qu'elles étaient compagnes, celle qu'ils avaient appelée Vespérale savait combien l'Esprit-Vipère était, finalement, jaloux de la chair, jaloux de ses passions, de ses feux, de ses drames, jaloux des existences éphémères et pleines et des jambes qui allaient. Elle s'y était faite, elle s'en était forgée, mais ça lui semblait d'autant plus vrai qu'Elle lui avait sifflé, avec aigreur.

    « Tu seras mère. »


Vipère ne l'aimait pas, la Murène. Elle ne l'aimait pas, parce qu'elle l'enviait, tout en considérant qu'il se gâchait à se refuser à ses envies. A s'enfermer lui-même dans sa pauvre cage de principes et d'idiotie. Elle l'aimait d'autant moins qu'une partie de lui envahissait son territoire à Elle. Qu'elle était trop liée à la mère, qu'elle savait cette dernière trop attentive pour se couler dans l'enfant, et tuer son esprit pour le devenir. Et qu'elle devait l'observer pousser sans pouvoir le régenter.

Anissa ne savait plus comment se tenir. Elle ne reconnaissait pas les frontières, les maîtres ni les pouvoirs. Elle ne savait pas faire, elle ne savait pas voir. De cette indifférence joueuse d'un serpent envers celui qui avait cru le blesser, s'étaient greffés d'autres fils, d'autres attaches, d'autres enjeux plus compliqués. Et elle avait relevé chacun des défis, de la proximité à la trêve, du fiel au désir, mais elle qui ne se savait pas être une femme allait devenir mère. Et elle ne savait pas faire.

Elles avaient été prises au dépourvu, toutes deux, à le voir devant la porte de la Caserne. Pas de fuite sans le voir, pas de prétexte pour lui échapper. Ils s'approchèrent, Vipère se tut et s'enfonça dans son domaine loin de la conscience, ils parlèrent, enfin, rien que tous deux, pour la première fois.

    « Pars, maintenant.
    _Oui. »


Elle ne savait pas pleurer. Elle savait hurler et mordre, mais elle ne savait pas pleurer. Il y avait des sanglots loin dans sa gorge, qui dérangeaient Vipère, quand elle courait enfin. Le casier était vide, le sac était plein, la lettre avait été jetée -Leur expliquer ? Pourquoi faire, pourquoi dire qu'ils comprendraient ?- et les pas étaient légers. Le coeur était lourd. Le pas était léger, alors ça irait. Elle courait dans l'herbe d'Elwynn, puis sa rivière, courait jusqu'aux champs pour trouver le sable rude, puis la roche brûlée, elle courait encore qu'elle voulait toujours pleurer. Ce n'étaient que quelques mois de sa vie, une étape vers les Vents qui s'approchaient, elle le sentait. Elle grandissait sur la voix des Esprits. Avec le souvenir d'un baiser sur les lèvres. Celui d'une tendresse qui n'aurait pas dû être. D'une main sur son ventre. D'un autre baiser. D'une ordre qui était presque une supplique, de lui dire où elle serait. De laisser des marques qu'il puisse retrouver. D'une promesse d'aller chasser, pour eux deux, elle, et leur petit. Leur petit. Ce "notre" qui voulait s'imprimer. Cette étrange peine à se détacher. Ce vide, maintenant, alors qu'elle courait pourtant.

Elle n'avait jamais su pleurer. Alors, les mains sur son ventre, la douleur au coeur, elle rit.

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