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James Draven et les actes manqués

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Message par James Draven Mer 20 Déc 2023 - 17:40



Chapitre 1






Gilnéas, des années avant la chute du Mur.


Les Draven formaient une famille dès plus commune. Issus de la petite noblesse d’épée, ils vivaient dans une rue pavillonnaire des beaux quartiers de Gilnéas, dans une de ces maisons où le lierre partage les façades à la pierre grise caractéristique du royaume. Tout, chez eux, était parfaitement ordonné, à commencer par un jardin soigné, à la symétrie frappante. Les arbustes étaient taillés de manière pyramidale, la pelouse tondue de près et d’un vert si étincelant – dans ces lieux où la pluie était plus une amante qu’une amie - qu’il poussait les mauvaises langues des quelques voisins jaloux à dire que la maîtresse de maison faisait secrètement appel à un sorcier des moissons. La vérité était pourtant bien loin : le jardin ne reflétait que la rigueur – rigidité serait sans doute plus juste – de Nicolas Draven. A croire que les plantes elles-mêmes craignaient de ne pas pousser droit.

Chez les Draven, le quotidien était réglé comme du papier à musique. On se levait aux aurores, pour assister aux premières prières du matin.

Monsieur rejoignait ensuite la garde de Gilnéas, dans laquelle il était officier. Pas le genre de Garde que l’on imagine solitaire, empreint de vague à l’âme, à se tourmenter sur sa dernière enquête, consommant du café comme de l’eau et du whisky comme du café. Non, Nicolas Draven était plutôt de ceux à mener à la baguette ses recrues. L’intransigeance de l’instructeur, mais la justesse de l’officier, ce qui lui permettait d’échapper – de peu – au titre de tyran. Il menait à la baguette son petit monde – au pas de course, s’il vous plait – aussi bien à la caserne qu’à la maison.

Madame, elle, menait une vie plus paisible mais non pas moins gratifiante. Fille d’homme d’Eglise, elle avait, à défaut d’embrasser pleinement une vie de prêtrise, gardé une foi inébranlable dans la Sainte. Sans doute fallait-il cela pour supporter son tempétueux époux. Professeur, elle enseignait les lettres aux jeunes enfants gilnéens, et maniait parfaitement l’art délicat de la carotte et du bâton – ou, dans ce cas précis, de la douceur des gâteaux maisons tout juste sortis du four et de la brutalité du martinet. Là encore, la justice se trouvait sans doute quelque part entre les deux.

Une seule et unique chose entachait ce tableau ordinaire, source de messes-basses et de taquineries. Une tache minuscule sur une toile blanche. Anodine, qui aurait été considérée avec légèreté par une majorité de gens, mais les Draven étaient incapables de faire preuve de légèreté, encore moins face aux qu’en dira-t-on.  Cette anomalie reposait sur le fait que la Sainte avait accordé à Nicolas Draven quatre filles. Quatre filles, et pas un seul fils. Si l’homme autoritaire tâchait de faire bonne figure, d’autant plus que ses filles s’avéraient toutes irréprochables, il désespérait de ne pas avoir ce fils tant attendu, celui qui lui donnerait des descendants à son nom, qui pourrait mener une carrière dans l’armée – ou mieux – dans la garde, sans qu’elle ne soit entachée par des pensées de « bonnes femmes ». A savoir, se marier et faire des enfants.

Le sujet travaillait tellement Monsieur, que lorsqu’Angelina Draven tomba pour la cinquième fois enceinte, elle fit appeler discrètement une de ces sorcières des moissons connues pour leurs liens à la terre, de cette magie païenne dont elle n’aurait osé toucher mot à l’Eglise, lors du service du matin. « Une magie de bonne femme » aurait jugé son cartésien de mari. Mais Angelina n’avait plus rien à perdre - et si cela lui permettait d’enfin apaiser son époux – elle était prête à se plier à tous les bons conseils, mêmes ceux des charlatans. Elle passa donc des mois à se convaincre elle-même. Elle but toutes sortes de tisanes, et alla même jusqu’à manger un cœur de porc saignant. Tous les remèdes de grand-mère y passèrent, de ceux qui malgré les frontières se ressemblent tous par leur absurdité. On lui aurait dit de dormir la tête en bas et les pieds en l’air qu’elle l’aurait fait, tant l’idée d’avoir un fils avait pris le pas sur sa rationalité. Au fil des mois, sa conviction vint déteindre sur Nicolas Draven, si bien que quelques semaines avant l’accouchement, il était le premier à clamer haut et fort, tant dans sa garnison qu’au comptoir de sa taverne favorite, que son enfant à venir serait un fils. Et pas n’importe lequel. LE fils. Celui dont rêve peut-être secrètement tous les pères. Gage d’ascension sociale et de fierté toute masculine. A l’entendre, il excellait déjà à l’épée, à la monte, à la chasse. Lettré. Juste. Courageux, avec un petit côté tête brulée, et un sacré tempérament. N’était-ce pas ce qu’on attendait de tous les petits garçons ? Mieux, il avait déjà choisi de lui donner le nom de son propre père, Feu James Draven. Quoi de mieux que de porter le nom d’un aïeux, lorsqu’on représente l’avenir – le seul tangible à ses yeux – de sa famille ?

Le reste, vous le devinez aisément. Au début du mois de juin, Angelina donna naissance à une fille. Un accouchement difficile, quelques semaines en avance sur la date. Un bébé chétif, menu voir maigrelet, aux antipodes de ce qu’imaginait Nicolas.

Celui-ci tomba d’aussi haut qu’il était monté dans les tours. De très haut donc. Mais face à ce bébé, cette cinquième fille qui anéantissait tous ses espoirs, il décida, coûte que coûte, à l’appeler James. Si la nature n’avait pas voulu exaucer ses prières, alors il le ferait à la seule force de sa détermination et de ses bras, transformant sa fille en le meilleur fils possible.

Evidemment, il n’y parvint pas. Car comme l'avait murmuré la sorcière des moissons convoquée à minuit un soir de pleine lune par Angelina Draven en quittant ce foyer de fous : "la nature reprend toujours ses droits".




Dernière édition par James Draven le Mar 2 Jan 2024 - 13:43, édité 1 fois
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Message par James Draven Mar 2 Jan 2024 - 12:30

Chapitre 2










Onze ans plus tard.





James Draven courrait aussi vite que le pouvait une gamine de onze ans, alors que les cloches de la Cathédrale de Gilnéas retentissaient pour la troisième fois. Le soleil venait de dépasser son zénith, dans une journée étonnamment printanière pour la fin du mois de mars. Le quatrième carillon lui rappela à quel point elle était en retard, et à quel point, surtout, le châtiment serait douloureux. « La punition est toujours proportionnelle à la faute » aimait rappeler Nicolas Draven. Dans ce cas précis, chaque minute de retard serait corrigée par un coup de martinet.

En arrivant sur la place du marché, la gamine sauta par-dessus une échoppe, en contourna une autre, sans pour autant freiner sa course. Maudite soit sa sœur ainée, avec ses bottines à talons qui raisonnaient sur les pavés, et la faisait avancer à la vitesse d’une tortue de mer qui tente de rejoindre l’océan. Maudites soient ses fiançailles avec le fils du Comte de Roncebois, ce bellâtre qui n’était rien d’autre qu’une coquille vide, caractéristique de tous les clichés liés aux petits barons de province. Maudite soit sa mère, pour lui avoir ordonné de servir de page lors des achats de ses sœurs le matin même, ce qui l’avait mise en retard pour son entrainement. Maudite soit la foire des artisans du troisième samedi du mois, qui bloquait les rues par ses afflux de passants.

Elle tourna à gauche après la boulangerie, s’enfonça dans une ruelle, et entrepris d’escalader la façade du cordonnier pour rejoindre les toitures basses. Elle gagnerait au moins deux minutes – et s’éviterait deux coups de martinet – en favorisant les tuiles aux rues grouillantes de badauds.

James Draven aurait pu médire encore bien longtemps, sans pour autant raccourcir ses foulées. Elle ignorait que seulement quelques heures plus tard, elle se jurerait de ne plus jamais maudire quiconque, même son pire ennemi. Mais pour l’instant, elle était en retard, terrorisée à l’idée d’être punie, et déjà lasse d’un quotidien qui n’avait rien d’amusant. Depuis sa naissance, onze ans auparavant, son père n’avait jamais trahi sa promesse de faire d’elle le parfait fils. Elle avait eu accès a l’éducation qu’on réserve aux héritiers. Là où ses sœurs apprenaient les lettres et les arts, les bases du maniement des armes – ils restaient gilnéens, peuple de guerre – et surtout les travaux manuels, elle avait reçu une éducation complète : mathématiques, art de la guerre, lettres, géographie, cours de langues étrangères… et surtout un entrainement martial de pointe, qui recoupait l’escrime, la monte et la chasse. Bref, de quoi faire d’elle un parfait soldat.

Le problème restait cependant le même, alors qu’elle n’avait ne serait-ce qu’entamé son pic de croissance. Si à cet âge pré-adolescent, filles et garçons se ressemblent encore beaucoup, elle restait maigrelette, et bien plus petite que la moyenne. Avec ses cheveux noirs dont les boucles avaient été effacées par un rasage de près et ses vêtements de garçon toujours trop grand pour elle, elle ressemblait au mieux à un clown, au pire à une morte de faim. Une véritable déception qui faisait jaser les voisins, et s’exposait quotidiennement aux yeux de l’intransigeance qui lui servait de père.

Elle sauta habilement de toits en toits, un sentiment de liberté l’envahissant, éphémère. Se balader sur les tuiles vertes des maisons de maître lui donnait l’impression de prendre de la hauteur, de survoler la ville, loin des regards moqueurs et des sourires navrés. Peut-être était-ce le soleil qui caressait son visage, le souffle court engendré par sa course, la fraicheur piquante du vent libéré des odeurs de la ville, mais pendant un bref instant, elle ne se soucia plus de rien, oubliant même le compte pourtant croissant des coups de martinet qui l’attendaient.

Malgré un quotidien aussi ordonné que son lit était fait au carré, James Draven n’en restait pas moins une rêveuse. Elle n’excellait dans aucun des talents auxquels la destinait son père – elle faisait une escrimeuse convenable et une élève appliquée, mais les attentes demeuraient toujours trop hautes pour celui qui de toute façon, était déjà déçu dès sa naissance. Elle préférait mille fois les ombres, alors qu’on lui demandait d’être en permanence à la lumière. Capable de grimper à n’importe quel arbre et d’escalader toutes les façades de la ville – même le Mur de Grisetête – la où on l’entrainait à tenir une position et à charger des colosses. Agile, dans le maniement de la dague et du sabre. Futée, pour ce qui était d’attendre dans l’ombre et de guetter le bon moment pour agir, là ou on lui apprenait à combattre avec une épée qu’elle peinait à soulever, dans une armure qui l’engonçait, avec un bouclier qu’elle ne parvenait toujours pas à attacher dans son dos. Bref, fille ou garçon, l’erreur de casting était évidente, mais totalement invisible pour son buté de père.

Elle sauta, courut, bondit de toits en toits sur un demi-kilomètre, pour finalement atterrir dans une rue plus résidentielle. Les boutiques étaient moins nombreuses, la foule moins dense, et les maisons, elles, s’espaçaient de jardins coquets, dont les haies bien taillées et les noues qui bordaient la route aux pavés ordonnés donnaient un côté irréel à la rue, comme si elle demeurait inhabitée, dépourvue d’âme. James préférait de loin l’activité du centre-ville, mais la lisière de son quartier avec le bois parvenait toujours à adoucir son humeur. L’orée de la forêt était omniprésente où que l’on regarde, comme une vague rebelle qui vient se fracasser sur la falaise immaculée. Un appel à prendre le large, un souffle de liberté, un rappel que la nature sauvage n’est jamais loin, prête à ronger le territoire si fièrement domestiqué par les hommes. Sombre, presque opaque, on en devinait les ronces. Laissée à son état primaire, la disparité n’en était que plus nette avec les jardins policés qu’elle entourait.
Plongée dans sa course et à bout de souffle, James n’y prêta cependant aucune attention. Elle sauta d’un toit pour atterrir au milieu de la rue, et entrepris de se rendre plus présentable sur les derniers mètres qu’elle s’obligea à faire avec lenteur. Quitte à s’avancer vers ce qu’elle considérait comme son échafaud quotidien, autant le faire avec dignité.

Elle passa le portail en fer de la maison, traversa le jardin dans un calme qui lui mis la puce à l’oreille. Contournant la bâtisse, elle poussa la porte de la cuisine, courbant le dos dans un réflexe de ceux habitués à la violence, prête à encaisser le martinet – ou un lancer de savates – à peine franchirait-elle la porte. Rien d’autre ne l’accueillit que le silence. Les sens en alerte, elle s’empara de l’imposant couteau de chasse qui trônait sur l’un des murs de la cuisine, son pas se faisant aussi léger qu’une plume sur la pierre glacée qui servait de plancher. Elle entre-ouvrit la porte pour jeter un coup d’œil au couloir menant au salon. Rien. Là où ses sœurs se seraient sans doute précipitées à l’extérieur pour appeler à l’aide un voisin ou un passant, Draven se décida à inspecter la maison, sans ne serait-ce que l’idée de fuir ne l’effleure. A croire que onze ans de cette éducation stéréotypée commençaient à porter ses fruits, ou qu’elle n’avait simplement, aucune once de bon sens. Elle avança a pas mesurés dans le couloir, entre-ouvrant la porte de chaque pièce qu’elle dépassait. Personne. Le salon était désert. La salle à manger aussi. Le feu lui-même était éteint. Aucun domestique, aucun ami, aucune de ses si nombreuses sœurs.

Puis, elle entendit un sanglot étouffé, en provenance de l’étage. Elle grimpa les escaliers avec lenteur, tâchant de ne pas faire grincer les marches qu’elle connaissait par cœur. Guidée par la tristesse d’une autre, elle en vint à s’approcher de la chambre de sa sœur Anne, avant de la pousser, lame en avant, prête à en découdre, quelque soit le danger.

Aucun péril ne l’attendait, cependant. Uniquement du chagrin. En ouvrant la porte, elle découvrit sa famille au complet, accablée par un silence entrecoupé de délicats sanglots. Comme en chaque chose, les Draven étaient mesurés, et ce, même dans l’expression du deuil, au point de rendre la scène presque ridicule, comme un tableau qui serait une peinture morte, aux tons froids et aux regards figés dans le temps et dépourvus d’émotion, dans ces moments qui sont pourtant propre aux trop-pleins.
Ses trois sœurs étaient agenouillées, jupons froissés et yeux rouges, autour du lit d’Anne. Nicolas Draven se tenait plus loin, observant à travers la fenêtre qui donnait sur l’arrière-jardin, empreint de fureur contenue. James comprendrait vite que son courroux se dirigeait contre la forêt elle-même.

Seule Angelina Draven ne semblait pas s’être statufiée, alors qu’elle était secouée de sanglots qui revenaient par intermittence, comme si elle souffrait du hoquet. Ses larmes coulaient sans discontinuer, et à chaque geignement – le pire son qui puisse exister, celui du désarroi d’une mère – elle se penchait en avant, comme si son ventre de femme enceinte l’entrainait vers le sol pour qu’elle y repose en paix.

James Draven nota sans s’en rendre compte l’expression de chacun des membres de sa famille, alors que leurs yeux se tournaient finalement vers elle, les sortant brièvement de leur torpeur. Comme s’ils l’avaient oubliée. Elle prit le temps, alors qu’elle abaissait son arme de fortune, d’observer chacun d’entre eux, comme si ses yeux refusaient d’aller se poser sur l’objet de leur chagrin, pour retarder la réalité. Celle-ci était pourtant aussi tonitruante que le silence se faisait pesant. On ne pouvait la rater. Anne, fille aînée des Draven, trônait dans son lit comme une princesse endormie ou une poupée désarticulée. Elle portait la robe bleue qu’elle avait enfilé le matin même, et les petites bottines à talonnettes que James détestait tant. Ses longs cheveux noirs étaient parfaitement tressés, son maquillage délicat intact, et on aurait presque pu croire qu’elle dormait simplement d’un profond sommeil, si sa robe n’était pas tachée par une flaque de sang qui commençait à l’épaule et se terminait sous la poitrine. Le tissu était déchiré, presque laminé, réduit en charpie par des griffes ou des crocs. La plaie à son épaule était telle qu’elle avait dû mourir en quelques secondes à peine.

James n’eut même pas à poser la question, Nicolas Draven prenant la parole d’une voix aussi calme qu’accusatrice alors qu’il daignait finalement de poser son regard sur sa dernière fille.

- « Après vos achats dans les magasins, tu es rentrée seule par le centre-ville avec les paquets de ta sœur car tu étais pressée de retourner à ton entrainement. Anne a alors décidé, seule, de passer par les bois pour rejoindre la maison. Elle s’est faite attaquée par une de ces « bêtes ». Le facteur a retrouvé son corps au bord du chemin il y a une heure. Je n’arrive pas à croire que tu l’aies laissée rentrer seule, James. Vous savez bien toutes deux que les bois sont dangereux. Comment as-tu pu être aussi sotte ? »

Le ton était aussi indigné que James semblait indigne à ses yeux. Et si la très jeune fille n’y était pour rien, n’ayant fait que suivre l’intense programme de ses leçons quotidiennes, obéissant aux demandes de sa mères et aux requêtes de ses sœurs (Anne lui ayant expressément demandé de rentrer par un autre chemin, pour qu’elle puisse avoir du temps seule avec son Comte) elle compris qu’elle allait être tenue partiellement responsable. Elle n’osa même pas dire à son père que, si elle avait accompagné Anne, vu la sauvagerie des marques sur le corps de sa sœur, ce n’est pas un seul cadavre que le facteur aurait retrouvé, mais deux. Peut-être aurait-il préféré qu’il en soit ainsi. Il était toujours plus aisé de faire porter aux autres ses propres défaillances. Ainsi, James se contenta d’écouter son père, sans réagir, déverser sa détresse dans une avalanche de propos colériques. Elle ne démenti pas quand il lui cria sa déception. Elle demeura parfaitement immobile lorsqu’il l’a pris par les épaules pour la secouer. Elle n’essuya pas sa joue lorsqu’il lui cracha son dédain au visage. Elle ne tendit pas l’autre non plus. Non, elle avisa simplement le visage en cœur de sa sœur, son corps raidit par la mort, imprégnant sa rétine de sa silhouette. Puis, lorsque la source de la colère paternelle se tarit face au puit sans fond que semblait être sa fille, elle se permis enfin de relever les yeux pour poser la seule question qui lui taraudait l’esprit.

- « Où est l’héritier du Comte de Roncebois ? »

- « Que veux-tu que j’en saches ? Lui répondit son père, décontenancé par cette question. Il ne doit pas être encore au courant. J’ai envoyé un coursier prévenir leur famille. Quelle ignominie, à deux semaines du mariage… »

James n’écoutait plus alors que son père s’enfonçait dans ses plus grands travers, ceux de ne parvenir à distinguer l’important (le décès de sa fille ainée à l’âge de dix-neuf ans) du secondaire (les qu’en dira-t-on face à l’annulation des noces avec les Roncebois).

Elle n’écoutait plus, car elle savait que le coursier ne trouverait pas le jeune comte. Anne et lui étaient supposés rentrer secrètement ensemble. Au fond, elle espérait qu’ils découvrent que Roncebois était mort. C’était un sort plus enviable qu’être transformé en ces hommes bêtes qui se multipliaient dans les bois et s’avançaient de plus en plus proches des maisons. Pire, si elle apprenait qu’il était bel et bien vivant – et qu’il avait donc abandonné sa sœur à son triste sort pour prendre les jambes à son cou – alors, elle promettrait à Anne de réserver à son fiancé un sort bien plus funeste que ce qui aurait dû l’emporter dans les bois ce jour-là.

C’est le cri de douleur qu’émit Angelina entre deux hoquets de désespoir qui sortit la famille Draven de sa torpeur. La pauvre femme, accablée de tristesse et sonnée par le choc, perdit les eaux dans la chambre même ou reposait le cadavre de sa fille aînée dans un spectacle qui, d’accablant, devint franchement grotesque. Ses filles réagirent au quart de tour, transportant Angelina dans sa propre chambre. On appela en urgence la sage-femme de la famille, et le docteur. Nicolas Draven, lui, préféra rester planté derrière la fenêtre de la chambre de sa fille Anne plutôt que d’aller au chevet de sa femme.

Ce n’est qu’à l’annonce de la naissance de son dernier – ce fils qu’il n’espérait plus – qu’il daigna quitter son aînée. Ce qui aurait dû être un moment de joie intense, de celles liées à la sensation d’accomplissement tant attendu, se transforma donc en souvenir en demi-teinte dans l’esprit pourtant si cartésien et dénué d’émotions de Nicolas Draven.

Le jour de la naissance de son fils était le jour de la mort de sa fille.

Entre joie et tristesse, alégresse et peine, la seule chose tangible à ses yeux demeura finalement la déception que lui procurait sa fille qui n’était pas un fils et qui portait si mal le prénom de son défunt père.
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