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A l'approche de la fête des morts.

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Message par Dustin G Jeu 27 Oct 2011 - 14:52

Alexander Gray était ce genre d'homme qui ne se séparait jamais de sa montre à gousset. Un homme simple, de grandes valeurs et aux principes qui ont régi l'éducation sérieuse et modeste de ses enfants. Un homme discrêt, si mystérieux que même sa femme ignorait la moindre de ses pensées, que seul un très fin sourire presque imperceptible pouvait trahir. Maître dans l'art de parler avec les yeux, c'est ainsi que le fils apprit à communiquer, de non-dit pourtant exprimés de bien des façons, mais il devait s'en contenter.

Ce lieu magique, éblouissait encore et toujours le jeune Dustin qui, les mains croisées dans le dos tel un enfant sage, avançait prudemment jusqu'au fauteuil raccomodé de son père. Des fioles remplies de solutions aux couleurs si différentes et aux teintes changeantes, des tubes à essai encore fumants et des alambics de verre qui donnaient le tourni tant ils envahissaient la gigantesque salle blanche. Les effluves si particulières au laboratoire qu'il admirait les yeux grands écarquillés, le faisait continuellement renifler, humer et sentir inconsciemment l'air, toujours à la recherche de ce qui l'intriguait sans pour autant en trouver l'auteur.

Tout près du siège, il se plaça en bout de table, d'où son regard pouvait à peine discerner la mine froncée et contrariée de son père penchées sur les parchemins usés d'une trop longue manipulation.

"Combien de fois t'ai-je dit de ne pas venir ici ?" Alexander posa la question d'un ton paisible mais autoritaire puis soupira sans même attendre une réponse, les yeux toujours rivés sur ses mains qui tremblotaient et laissaient la trace de sa faiblesse d'une encre noire sur le vieux papier.
"Je..." Dustin le savait, aucune autorisation ne lui donnait le droit d'entrer là, mais le plâtre qu'on lui avait posé au bras droit l'avoit cloîtré chez lui et dans la solitude, il s'ennuyait. Comment lui avouer sans qu'il ne réagisse mal une fois de plus et qu'il se mette à lui trouver un bouquin à lire ou une leçon à apprendre ? "Je..." mentir sur le fait de s'être perdu était grotesque, il s'efforçait donc de trouver quelque chose à dire au plus vite. "Je... voulais te parler, c'est... important." Alors, le jeune garçon se redressa et pris un air très sérieux en observant son père, soudainement déterminé d'avoir une information crutiale et indispensable au fait qu'il soit venu à sa rencontre.

"Et ça ne pouvait pas attendre ?" Le père répliqua d'abord sans vraiment y prêter attention, mais l'intonation et la réaction de son fils l'interpelèrent, le faisant presque immédiatement plonger son regard dans le sien. "...De quoi il s'agit ?" Il posa sa plume et tourna même le fauteuil vers son enfant, le regardant toujours avec insistance.

Le fils souriait de fierté d'avoir enfin toute l'attention de son père mais craignait du coup, que l'idée ne soit pas à la hauteur. C'est le coeur battant et le regard vif qu'il se lança, après une longue inspiration. "Est ce que tu m'aimes...?" En s'entendant poser la question comme un poids tombe du haut d'une falaise, Dustin commença déjà à regretter sa farce, déglutissant péniblement en se frottant le cou.
Alexander se figea, comme à l'annonce du décès d'un proche, se décomposant comme lors de la circonstance. Semblant passer par tous les états sans émettre le moindre son et fixant continuellement son fils dans les yeux. il finit, quelques secondes interminables plus tard, par ouvrir la bouche et répondre, ne laissant rien paraître de plus.

"Pourquoi me demandes tu cela fiston ?" l'homme, bien qu'incapable de lui faire une déclaration d'amour, n'était pas pour autant impassible et froid. Il aimait son fils, mais en silence et sans floriture.

Dustin s'animait un peu de voir combien son père s'employait à retourner la question sans lui donner de réponse. "Tu ne me l'as jamais dit, tu ne me prends jamais dans ses bras pour me faire un câlin, on joue si peu ensemble... même aux échecs, ton jeu favori... Et..." il prenait un ton boudeur et sa voix se mit à trembler par le flot de sanglots qui, dans sa montée, lui étranglait la gorge.

Il était loin d'imaginer qu'il appuyait sur une corde sensible, son père ne réagissait pas d'avantage, ni à son argumentation, ni à l'échappée d'émotions que lui offrait son fils mais inopinément, il posa la main sur la petite épaule secouée par les pleurs pour l'interrompre. Les doigts serrés et hésitants, il attira son fils à lui et l'étreint maladroitement par manque d'habitude, par manque d'aisance ou était-ce l'effusion d'un trop plein d'émotions jusqu'ici inavouées. Toujours est il que ce moment resta gravé dans la mémoire de Dustin comme étant la seule et unique fois où il a pu goûter au réconfort de l'épaule paternelle.
_________

Le laborantin travaillait sur les biens faits du venin de cobra. Ses découvertes l'ammenait à croire que celui-ci pourrait servir à traiter les maladies neurodégénératives, comme les maladies mémorielles, la dépendance à la feuillerêve et autres drogues ce qui lui avait vallu d'être connu mais aussi, avait attisé la jalousie de la concurrence. Sans qu'il ne s'en rende compte, l'inattention dûe à la présence de son fils avait permis à la rivalité de libérer les serpents après les avoir bien excités. Coulant ses quatre mètres cinquante jusqu'au sol, l'animal semblait déjà bien nerveux et frustré de sa captivité et c'est ainsi qu'il se dirigea vers Dustin, celui-ci encore accroché au cou de son père. Alexander redressa la tête et vit le serpent en position d'attaque, déployant sa « coiffe » et dressant verticalement sa tête et l'avant du corps comme pour les impressionner d'avantage.

Le moindre mouvement aurait été interprêté comme un signal d'agressivité mais il ne pouvait laisser son enfant subir une morsure mortelle. La peur lui vrilla les tripes alors qu'il serrait de plus en plus fort le gamin dans ses bras. L'amour qu'il lui portait se mit à parler de lui même d'une voix fébrile et douceureuse, lors d'un murmure soufflé à l'oreille, telle une confidence.

"Plus haut que les montagnes, plus profond que les océans."

N'avait-il pas déjà tout dit dans la force qu'il mettait à couvrir la chair de ses bras ? Le regard fixant toujours la bête, une pointe de détermination l'enflamma, et, dans un geste puissant d'affection, il projetta son fils sur le côté. Les crocs venimeux trouèrent la peau au niveau du bras et dans les premiers temps, Alexander chercha à venir à bout du serpent pour assurer la sécurité à son fils. La paralysie gangrénait son corps seconde après seconde, muscle après muscle, lui bloquant d'abord la motricité puis la respiration mais sa perte fût causée par les morsures successives et violentes qui perçaient sa peau à mille endroits.

Dustin, encore sous le choc de la bousculade, mit un certain temps à comprendre et à analyser la situation. La vue de son père gisant sans vie sur le sol et du serpent qui continuait d'attaquer violamment la dépouille l'avait soudé sur place, les yeux rougis. Malgré lui, il émit un cri strident qui interrompa le cobra. La proie de départ regagna tout son intérêt et, dans un élan vigoureusement agile, il s'élança sur le petit bras platré que présenta l'enfant pour se défendre.

Le bruit de craquement fût couvert par l'arrivée d'Andrew, alerté par les bruits et le cri de détresse, et si Dustin cria en voyant son père sans vie, la douleur de l'assaut ne lui vola qu'un faible soupire, perdant connaissance dans la foulée.
_________

Il se réveilla après avoir subit le traitement nécessaire pour soigner l'empoisonnement. La bouche sèche, la tête lourde, le corps endolori. Il lui fallut un moment pour reconnaître le lit, la chambre et referma les yeux pour mieux se souvenir.

Dans l'incapacité de se déplacer sous les ordres du médecin, on lui interdisait formellement d'assister à l'enterrement de son père mais, étant soigné dans le bâtiment qui comportait également le laboratoire où l'évênement tragique eut lieu, on lui permit d'approcher le corps de son père, avant qu'ils l'emportent à jamais.

Quelques étages séparaient la chambre de la morgue. La crainte que son cauchemar soit une réalité l'étreignait à chaque pas qui réduisait cette distance interminable. L'infirmière qui l'accompagnait jouait son rôle, gardant le silence intact et montrant sa présence l'espace d'un instant en effleurant son épaule d'une main hésitante. Soudain, l'éclat de la pièce effaca la noirceur des couloirs, mais l'air glacial saisissa son coeur et l'arrêta à l'entrée.
Là, allongé en grand seigneur, au milieu de tous, Alexander Gray fût présenté en costume, cravate et chaussures cirées. Une tenue impeccable. La dernière. La tension qui, déja s'imposait telle un secret que nul osait divulguer au nouveau venu, poussa les limites du supportable lorsque Dustin approcha du corps.
__________

"Je t'en prie, lève toi et dis moi que je fais un cauchemar. Prends moi dans tes bras et serre moi encore très fort. Pourquoi maintenant... pourquoi tu ne m'as pas laissé le temps ?"

Ses pensées résonnaient dans la pièce alors qu'il effleura la main froide tout en fixant le portrait d'un passé à venir. Aucune réponse ne vint apaiser la douleur qui lui brisait le coeur.

Sans trouver refuge et réconfort face à l'effroyable réalité, il s'effondra sur le torse inanimé. Le torrent de souffrance se déversant sur la toile comme du sang. Les vibrations dûes aux sanglots auraient pu donner l'illusion d'une tentative au défibrilateur ou d'un massage cardiaque.

"Je suis tell'ment désolé..." Dustin mit toute son énergie à lui dire ces mots, à maintes reprises. Une déclaration qui, aux yeux du monde n'avait aucun sens. La mort de son père n'était pas de son fait, un concours de circonstances qui ne le mettait qu'en partie en cause, mais il n'était pas le responsable. Tous, se dirent que le temps ferait son travail, il finirait par le comprendre. Il y avait dans sa voix, comme du regret, d'avoir manqué quelque chose. Manqué l'occasion de lui partager ce qui était devenu leur secret commun, inavoué mais crié dans le silence des regards qu'ils se donnaient. Comment tempérer la peine, la colère, le désarroi lorsque l'on se sent seul au monde ?

Depuis ce jour, il cherchait dans chaque regard perdu, l'étincelle qui lui mettrait le feu aux veines.

Papa, cela fait bien des années que tu es parti. Ce jour d'octobre est passé de la Lumière à l'Ombre et, par cet ascenceur émotionnel violent, j'ai cru sentir toute ma vie s'écrouler sous mes pieds. Nous laisser ainsi, comment as-tu osé ? Tu m'as toujours protégé de ce monde auquel je n'appartiens qu'à moitié, comme si tu savais combien cela pouvait être douloureux pour moi quelques fois de vivre. Alors ce départ, ces mots que je n'ai pas su comprendre. Si loin de toi, j'ai découvert la solitude malgré la présence de ces êtres si chers à mon coeur. Nos conversations sans mot me manquent. Nos échanges, on savait tout se dire avec les yeux.

Je ne me rendais pas compte de l'apaisement que cela me procurait. Grâce à toi, je me sentais en sécurité, rassuré d'être compris sans pour autant avoir à m'expliquer.

Quant à maman, elle n'a su agir que d'une manière, celle que tu as connu. Elle a tant été déchirée par ta perte. Le contrôle de la situation, tout maîtriser et assurer avec force et la détermination d'être l'épaule protectrice qui essuyerait nos larmes. Tout pour sa famille, son mari et ses enfants, toute sa vie, si bien qu'elle était perdue sans toi. Elle aussi a vu toutes ses habitudes prises pendant vos années de vie commune réduites à néant. A tes yeux, aucune femme ne lui arrivait à la cheville. Une femme forte, qui a une volonté de fer de porter haut sa famille, devant elle et non sur le même pallier ou derière. Elle a joué ce rôle que tu lui laissais prendre pour le simple plaisir de la voir heureuse, par amour.

Andrew lui, s'en est voulu d'arriver trop tard pour sauver son père et protéger son petit frère, être à la hauteur. Il a vécu tout ça comme un échec de plus, s'est longtemps senti responsable aussi. Il ignore combien tu pouvais parfois être fier de lui car vos querelles destructrices et vos disputes interminables ont eu raison de lui. A tes yeux, il portait l'espoir, il deviendrait celui qui réaliserait tes rêves et même s'il n'a pas accepté ce fardeau trop lourd pour son dos meurtri des coups de ceinture répétés, ton amour inconditionnel le couvrait, restant caché dans la pénombre de ton âme.

Oui, je t'en ai voulu. Le chagrin m'a assaillit bien trop brûtalement que je n'ai pas su faire autrement mais ne t'en fais plus, j'ai purgé ma peine.
Aujourd'hui j'ai compris, il n'y a jamais eu de hasard. Il n'y a pas de regret à avoir d'un passé qui, s'il devait être revécu, ne serait en rien changé. J'ai longtemps saigné. Il me semble même que cette plaie s'est vidée continuellement jusqu'à présent, déversant le flot de mon déserpoir sur mon entourage. Serais-tu fier de voir que je me suis finalement relevé ? Tu vibrais si fort lorsque l'émotion engloutissait ton corps qu'aucun mot ne trouvait grâce à tes yeux. Tu te perdais joyeusement dans ce brevage perfide, de trop forte gaïété, ou de trop forte colère.

Tout est fini, j'ai pris la décision d'assumer le passé, le bon et le mauvais, pour mieux acceuillir le présent, mieux rêver du futur prometteur que me réserve la vie. Tu sais que je ne t'oublierai jamais, et cette leçon que je retiendrai de toi est sans doute celle qui dirigera mes pas le reste de mon existance.

A tes yeux, j'étais l'enfant salvateur. Je suis venu à ton secours pour effacer la solitude. Les ondes traversaient les murs et frappaient là, où nul autre que moi pouvait ressentir ce que tu ressentais en silence, un amour sans visage.
A mes yeux, tu resteras le plus grand des artistes. Tu m'as appris à faire de ma vie un rêve. Tu m'as offert le regard que j'ai désormais sur le monde, celui qui m'aura dit un jour de la façon la plus anodine qui soit :

"Si tu ne vois pas la vie en rose, regardes mieux."

Ton enfant, ta chair, ton regard.
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