Brides de vie d'un troupier

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Et ce jour là, cet après-midi là, la chasse avait été infructueuse dans la forêt silencieuse. Pas si silencieuse que cela pour les oreilles les plus entrainées. Ainsi, la forêt bruissait ci et là et aux chants des oiseaux s'ajoutaient les craquements des feuilles tombées et du bois mort sous les pas d'un homme couvert d'une épaisse cape en peau, tenant un fusil à double canon et accompagné d'un enfant d'âge tendre, son fils vraisemblablement.
"- Ah fils, je crois que notre vaillant Denzen se fait vieux."annonça l'adulte avant d'éclater d'un rire gras et chaleureux dont seuls les anciens ont le secret.

Il ne fallut pas longtemps pour que le petit garçon aux cheveux marrons cendrés coupés au bol pose ses yeux vert clair sur le chien qui les accompagnait. Il s'agissait d'un chien moyen, plutôt long dont la robe était d'un marron dépeint par quelques zones blanches à travers le corps. Bien que le chien semblait encore solide, il n'en demeurait pas moins dans la forge de l'âge. Le petit enfant releva finalement le regard vers son père. L'homme en question n'était pas particulièrement grand mais il n'en restait pas moins trappu et en imposait par sa simple carrure. Le visage strié par l'age renforcait les traits plissés autour de ses yeux bleus figés dans une expression sévère. Sa tête recouverte d'un beret à carreaux laissait échapper une épaisse chevelure grisonnante. Il finit par passer la main dans sa barbe drue et tourna à son tour les yeux vers le petit garçon et se pencha doucement vers lui.

"- Qu'en penses-tu, fils ? "demanda-t-il enfin, en lui souriant, affable.
"- Vous devez avoir raison, père, sa truffe n'est plus ce qu'elle a été."
Il se releva en hochant la tête mollement puis posa son regard au loin, les yeux plissés s'il eut été possible de les plisser plus, la main passant dans sa barbe dans un mouvement répétitif.

Puis un long silence suivit ces quelques mots échangés, le père réfléchissait et mettait tant de coeur à l'ouvrage que son fils ne semblait guère avoir l'audace de le déranger. Toutefois, l'homme mûr reprit :
"- Sais-tu ce que l'on fait aux chiens de chasse qui ne chassent plus, fils ?
- Je ne sais guère, père, on les laisse à la maison ?
- On les laisse dans la forêt, fils, on les abat et on les laisse dans la forêt."

L'enfant eut une expression de surprise puis l'effroi se lut dans ses yeux clairs qui commençaient déjà à s'humecter.
"- QUOI ?! N...NON !" s'écria-t-il.
- Fils, il en va de même pour les chiens que pour les vrais hommes : Quand ils ne sont plus capables de tenir le rôle qui est le leur, il est préférable de partir. Jeasceran, tu es un fils de Stromgarde et si moi aussi, un jour, je ne puis plus avancer, il te faudra m'abattre. Ne me laisse pas périr lentement, ne me laisse pas sombrer...Aucun homme ne devrait se voir se flétrir.


Et, ce jour là, cet après midi là, un coup de feu retentit dans la forêt silencieuse. Un seul coup de feu.

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Jeasceran passait le râteau sur le petit lopin de terre qui appartenait à son père. Évidemment, ce râteau était beaucoup trop grand pour ce petit garçon de six ans à peine et à chaque passage de l'outil, Jeasceran poussait un gémissement de fatigue. Néanmoins, il était têtu et le lopin de terre se recouvrait, quoi que lentement, de stries fertiles. Le petit garçon transpirait beaucoup mais, heureusement pour lui, le soleil se cachait derrière d'épais nuages cotonneux.
Alors qu'il contemplait le résultat de son fastidieux travail, le puissant cor de Stromgarde résonna contre toutes les remparts du grand bastion et tantôt, le rateau tomba par terre, le petit garçon filait déjà vers la porte gigantesque de la cité.

Cela faisait déjà quelques semaines que l'affrontement entre les orcs et les Sept Royaumes Humains rassemblés par Lothar battait son plein. Cet affrontement que les historiens appelleront plus tard "Deuxième Guerre". Thoras Trollemort avait refusé de laisser son Royaume fléchir devant ses chiens et chaque soldat de Stromgarde avait été envoyé au combat. Mais, évidemment, à Stromgarde, chaque homme valide était un soldat. Chaque fils de Stromgarde suivait un rigoureux entrainement martial sur plusieurs années et même Jeasceran ne tarderait pas à le suivre.
Tantôt les roulottes contenant les blessés de la guerre entrèrent dans la ville. Des cris effroyables de douleur s'échappaient ci et là mais, pire encore, des hurlements de désolation s'y mêlèrent aussi quand la caravane qui ramenait les morts de Stromgarde entra à son tour dans la ville.
Jeasceran surveillait tout du pont devant le Sanctum de Stromgarde mais si ses yeux se posaient sur chaque chariot qui passait en dessous, il lui fut impossible de trouver son paternel dans ces foules de blessés ou de morts.
Néanmoins, il aperçut vite une tête qui lui était familière.
- "Kyorin !" cria le petit garçon en agitant les bras.

L'homme ne tarda pas à lever les yeux et à sourire. Il s'agissait d'un homme aux longs cheveux d'un marron Alezan qui tombaient jusqu'en bas de son dos. Il s'appuyait sur un long bâton orné d'un cristal bleu outremer mais le petit garçon avait surtout remarqué l'ample robe du concerné, ample et gingeoline; nul doute qu'il s'agissait là d'un mage de Dalaran. Jeasceran ne tarda pas à le rejoindre et l'homme en question ébouriffa la crinière du petit garçon en souriant (avant de grimacer et de frotter sa main de fait humide de sueur dans sa propre robe).
-"Kyorin Kyorin, où est père ? Je...Je...Je ne l'ai pas vu."
-"Ton père va bien, jeune Astellin, il se dirige avec le roi Thoras vers Lordaeron"
"- Vers Lordaeron ? La guerre est finie ?"
"- Non, ils vont y surprendre les orcs."
"- LES ORCS ? A LORDAERON ?"
Kyorin hocha la tête lentement puis repris.
"- Perenolde a trahi l'Alliance de Lordaeron, il a laissé les orcs pénètrer sur ses terres pour se rendre à Lordaeron. Le Roi Thoras a imposé la loi martiale en Alterac, les Alteraciens ont repris le combat et se dirigent, eux aussi, sur Lordaeron."
"-Mais...Pourquoi il les a laissé ? Après avoir pris Lordaeron et Stromgarde, les orcs auraient de toute façon saccagé Alterac non ?"
"- C'est vrai, jeune Astellin, et, pour Perenolde, il aurait mieux fallu affronter la sauvagerie des orcs que la féroce vengeance de Trollemort" répondit le mage en souriant. "Tu apprendras que certains hommes sont lâches et préfèrent fuir le danger que de l'affronter. N'oublie jamais une chose, jeune Astellin : Il vaut mieux toujours mourir pour une cause juste que de ne vivre pour rien, c'est de ce bois là que sont faits les héros."

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"Vous avez dit avoir fait abattre des hommes au nom d'une discipline de fer à Stromgarde et ici vous ne respectez pas la discipline, vous n'êtes pas logique Astellin."

Astellin avait écouté Ventis avec son flegme habituel, sans doute avait-elle même pensé qu'il n'en avait rien à foutre. Ce n'était pas le cas, pourtant.

Pourquoi un homme qui a fait tuer autant d'êtres humains pour l'exemple avait-il couvert Stessia au mépris du codex de la Garde ?

Parce qu'Astellin voyait chaque jour les visages de ceux qu'il avait fait condamner à mort. Il ne passait pas une nuit sans que les cris de souffrance et les yeux larmoyants de la fin ne le hantent. Les affres de la guerre ont marqué à vie nombre de vétérans, à l'instar de Shi'Atomb ou d'Hellenlicht. Certes.
Mais Shi'Atomb et Hellenlicht avait combattu contre des ennemis, Astellin aussi mais lui, en plus, avait fait abattre ses propres frères Stromgardiens, fussent-ils déserteurs.

Depuis peu encore plus que d'accoutumée, Astellin n'arrivait plus à trouver le sommeil, il passait plusieurs heures sur sa natte, les yeux grand ouvert striés par des vaisseaux sanguins éclatés. Même les yeux ouverts, Astellin voyait les visages... Un... Par... Un...

"Jea'...Mon frère...Pourquoi ? Nous étions du même sang...J'avais une femme et un enfant...N'avais-tu donc aucun coeur, mon cher frère ?"

Astellin répétait souvent "Pardon, je t'en prie, pardonne-moi".
Si d'aventure, quelqu'un l'avait écouté durant son sommeil, il aurait compris qu'Astellin avait poussé son devoir à l'extrême tel qu'il fit abattre son propre frère. Pas seulement un frère d'armes, non, son frère de sang.
Depuis, chaque nuit Astellin voit le visage couvert de sang lui parler, les yeux entre la pitié, la souffrance et la déception en même temps "Jea'...Mon frère...Pourquoi ?..."

Il ne dormait donc plus et, de journée, les cernes -que dis-je ?- les valises sous ses yeux creusés et rouges en témoignaient.