Fractions de réflexion en entière solitude

L'abbaye de Comté du Nord, relativement peu éloignée peu de la capitale particulièrement animée du royaume Wrynn est nichée dans une clairière par delà les sous-bois dans une alvéole de paix qu'est le Comté du Nord. Des murs blanchâtres auréolés de tuiles rouge alizarine s'érigent au centre de cette clairière ensoleillée et parsemée ci et là d'arbres anciens mais encore verdoyants. Les briques blanches et entretenues des murs épais du sanctuaire encadrent des vitraux colorés et même si l'on ne peut dire qu'ils fussent d'un rare raffinement, ils n'en restent pas moins seyants.

Ces vitraux à dominante bleu saphir guident à l’intérieur de l’édifice une douce lumière bleutée qui accentue d’autant plus la dimension solennelle. Cette langueur océane se promène sur les grands murs blancs de l’abbaye jusqu’aux voûtes en ogives haut placées dans la nef circulaire. Les bustes en pierre grise des plus pieux se retrouvent eux-mêmes habillés de bleu sombre et seuls quelques carreaux carmin du carrelage élégant échappent au linceul bleu qui semble avoir recouvert tout l’intérieur.
Au centre même du sanctuaire, dans la nef circulaire drapée d’azur, les sons résonnent lourdement à travers les murs épais et s’en vont ci et là à travers les multiples couloirs qui s’échappent inexorables et interminables aux autres coins de l’édifice. Chaque pas dans l’enceinte de l’abbaye résonne solennellement comme une cantilène lente accompagnée de la douce mélopée de chaque maille de l’armure du chevalier en mouvement quand enfin, celui-ci finit par poser son genou sur le carrelage afin de se recueillir. L’atmosphère entier recouvre enfin le chevalier, lui aussi enveloppé de bleu et immobile comme les statues des plus pieux disposées en cercle tout autour de lui.

La prière enfin commence…
La prière enfin file jusqu’au vertigineux plafond en voûte,
Jusqu’aux longs couloirs droits de l’abbaye,
La prière enfin vient embuer les vitraux qui, de par l’heure tardive, se teintent de bleu nuit
La prière enfin résonne, enfin s’enfuit…

Les yeux étaient fixés vers les étoiles, ces perles scintillantes si loin dans l'immensité bleu sombre dans la nuit. le Seigneur de Castellange garde le regard rivé sur cette toile bleu nuit qui s'étend à perte de vue, trouée ci et là par ces étoiles flamboyantes mais ses songes obscurcit sa vue. Il n'était pas là pour fixer, compter, interpréter les signes astraux. Non, il était là pour méditer à ces élections pour le nouveau chancelier. Il n'y avait nul doute quant au fait que le Chevalier de Castellange participerait à ces élections, le Destin du grand Royaume de Wrynn lui tenait à coeur et à corps et ce n'était aujourd'hui plus un secret pour personne.
Il s'agissait de donner sa voix à celui ou celle qui représenterait le mieux ses propres idéaux.
Leyland avait commis des erreurs, il avait maintes fois participé à des mascarades souvent involontairement, souvent par manque de réflexion. Maintenant, il avait plus de temps qu'il n'en voulait pour réfléchir, pour ne pas reproduire les erreurs d'une fougue trop impatiente.
Il secoue la tête en fermant les yeux puis détache son visage du ciel sombre. En ouvrant à nouveau les yeux, ses pensées reprirent.

Le Seigneur retire sa lance du sol, reprend bouclier contre lui, et se dirige vers sa tendre Abbaye. La seule amie qu'il avait en ces heures de solitude volontaire. Cet amas de pierres, de verre et de tuiles qui fut, pour lui, son sanctuaire d'exil. Ses pas lents l'amènent encore à cette nef où encore il priera, où encore il songera à ces tourments que la civilisation peut infliger à l'esprit et au coeur.

HRP:

Leyland avait saisi un papier propre et plat.
Plat, oui.
Si le Seigneur de Castellange haïssait l'hypocrisie, le mensonge, la violence gratuite, la magie noire, la cupidité, l'injustice... il n'en restait pas un homme avec des dégoûts simples et parmi ces dégoûts, il y avait le papier froissé.
Quand il attrapait un parchemin pour écrire dessus et que ce dernier, pendard, était froissé, le Chevalier tressaillait. Remis dans un contexte de guerres, de crimes odieux, de danger permanent, voir le Seigneur de Castellange irrité par le pli d'un parchemin vierge était pour le moins désopilant.
De fait, il avait saisi un papier propre et plat et une plume encrée. Le Chevalier allait se mettre à répondre comme l'imposait la bonne conduite quand il constata que la lettre qu'il venait de recevoir ne contenait aucun nom -hormis celui du candidat - ni même d'adresse.
Indisposé de ne pas pouvoir répondre poliment au courrier, il avait rangé sa plume dans le plumeau dédié et,

en rangeant le parchemin,

il en fripa le coin....

« Ça c’est peut être un vrai chevalier. »

Ces mots durs résonnaient inlassablement dans la tête légendairement couverte d’un heaume à crête bleuâtre de Leyland, ils martelaient son esprit à chaque seconde.

« Reconnais que tu as tort, tout le monde est d’accord sur ça, t’es un idiot. »

Ils ne parlaient pas de la même chose, comment pouvaient-ils alors être d’accord ?

Trias avait frappé une innocente fillette parce que la capitaine avait vu en elle, à tort, un potentiel danger. Tout le monde semblait vouloir lui reprocher cette bévue. Toute cette belle assistance qui n’a évidemment rien eu de toute sa vie à se reprocher. Les gens ont-ils si peu de mémoire ?

A chaque jour qui passe, à chaque heure qui s’écoule le souvenir tendre et dramatique d’Ana Reeds hante l’esprit du Seigneur de Castellange. Cette gamine qui court dans une ruelle, se retourne soudain et observe le chevalier, les yeux pétillants d’une malice mêlée à une joie nouvelle et son sourire, c’était nouveau pour elle, empli d’une rare gratitude à l’égard de Leyland ; plus qu’une éducation, le Seigneur lui donnait un avenir. Nul besoin de voler, de mentir, de tromper, elle pourrait enfin vivre ses rêves.
Mais en avait-on décidé autrement aux hautes sphères de la société, Ana Reeds n’aurait pas le droit à ce bonheur.
Le Chevalier de Castellange avait laissé sa protégée quelques minutes sans surveillance, il n’avait pas fallu plus de temps pour lui faire du mal. Tellement de mal…
Il l’avait retrouvée, couchée au sol, la gorge ouverte par une lame fine. Alors qu’elle se vidait de son sang qui coulait incessamment et, discipliné, suivait les rainures des pavés grisâtre de la cité, elle posa son regard effrayé et sa mine éteinte sur Castellange.

« Pourquoi… ? Pourquoi m’as-tu abandonnée ?… »

Edenblow avait fait assassiner la meilleure –même la seule en vérité- amie du Chevalier de Castellange sans aucun scrupule, misérable et corrompu mégalomane perfide qu’il était.
Pourtant rare étaient ceux, ensuite, qui avaient activement participé à sa chute : Ozrik, Husserl……Trias.

Trias aurait-elle du mourir pour se couvrir, elle aussi, d’une gloire éternelle ?
Trias avait fait l’erreur de vivre et aujourd’hui, son nom était trainé dans la boue.
Alors non, Castellange n’était pas idiot mais lui, contrairement à tous, il n’oubliait pas. Tout le temps, le regard suppliant d’Ana Reeds qui ne demandait qu’à vivre lui rappelait ce que Trias avait accompli pour cette cité au nom de la Justice. Tout ce qu’elle avait sacrifié pour traquer la corruption comme un gibier jusque dans ses propres rangs.

« Ça c’est peut-être un chevalier. »

Non Alieg, non. Pousser un symbole de Justice, de Droiture et de Loyauté dans un canal insalubre et malodorant ne fait pas d’un homme digne de ce nom un chevalier. Désolé.

Aussi facilement qu’il jugea Trias, le monde semblait bien décider à juger le Seigneur.

Edelweiss, la fidèle jument d’un blanc immaculé, filait à travers la cité, montée par son cavalier. Les heurts tenaces des sabots de la jument à un rythme soutenu voire effreiné résonnaient entre les murs des maisons qui formaient des ruelles étroites dans cette ville qui ne suintait pas de gratitude et même si la lumière perçait difficilement, la silhouette liliale du destrier se détachait nettement.
A nouveau, Leyland quittait la capitale Hurlevent. A nouveau, excédé, il disparaissait dans le sous-bois clairsemé d’Elwynn mais ses yeux, c’est certain, continueraient à veiller ici bas…