Sons, lumières et sentiments.

"Je suis là." lui susurra Cled, embrassant sa tempe du bout des lèvres.
La jeune femme acquiesça, levant vers lui un regard encore un brin apeuré.

Tout autour d'eux n'était que bruits, rires, explosions de joie ou de pyrotechnie. Les fumets salés des viandes grillées se mêlaient aux parfums sucrés des stands de bonbon, dans une valse olfactive entêtante.

Iris se laissait ainsi guider, sa petite main blanche et frêle délicatement mais fermement tenue dans celle, assurée, du Paladin. Il avait pour l'occasion, délaissé les apparats étincelants de ses armures habituelles pour une tenue de ville somme plus classique. Son front était ceint d'un bandeau, mais cela n'empêchait pas quelques mèches, blondes et rebelles, de tendre à mordre ses joues.

Lorsque les yeux bleus de la Prêtresse rencontraient ne serait-ce que le profil quasi-parfait du blond, c'était comme si elle perdait pied, l'espace d'un instant. Un sentiment de vertige, et elle s'efforçait de concentrer son attention sur autre chose.

Pour l'heure, il était détaché mais non moins concentré à leur frayer un chemin parmi la foule dense et effervescente qui grouillait à la Foire. Il écartait les festivaliers d'un mouvement de bras, et surveillait attentivement les arrières de sa compagne. Nul doute que si un homme avait attenté au bien-être de sa blonde, par une bousculade involontaire ou un geste sciemment déplacé, il l'aurait aussitôt amèrement regretté.

On ne touchait pas son Iris. Il restait parfois songeur, à la contempler lorsqu'elle ne le regardait pas. Il admirait sa façon de s'émerveiller de tout, ce soir. Les enclos à animaux exotiques ? Elle voulait les voir, ce serait stupéfiant. Les badauds occupés à se distraire aux différents stands ? "Oh, regarde-donc celui-ci, il n'a décidément pas de chance! "

Les gerbes de flammes qui saluaient parfois l'avancée des visiteurs le long de l'allée principale déclenchaient ses cris admiratifs bien qu'encore un peu teintés d'appréhension.

Les deux amoureux s'arrêtèrent devant le terrain de jeu réservé au Cogne-Gnoll. Ils se firent face un moment, se souriant sans arriver à se lâcher la main pour l'instant. Cette virée à Sombrelune était l'idée d'Iris. L'initiative de s'y rendre si tôt après qu'elle en ait formulé le désir était une qualité de Cled. Il lui offrait le meilleur, comme toujours, et les désirs de la blonde étaient ses plaisirs.

Tout avait commencé quelques heures auparavant, en début d'après-midi.  Un petit bout de papier échangé, sans même un regard, pendant qu'ils vaquaient à leurs obligations respectives, et la machine etait lancée. Un défi. Relevé.

C'est ainsi qu'en cette début de soirée, Iris et Cled se jaugeaient tendrement du regard sous les yeux désabusés du forain qui en avait sûrement vu d'autres.

Le blond échangea deux jetons contre des maillets, et en tendit un à sa douce au visage résolu. En chemin, ils n'avaient eu de cesse de se railler, en vue de cette compétition somme toute enfantine qui les attendait. Le sifflet retentit, et ils s'élancèrent.

Cled semblait nettement plus à l'aise, courant avec agilité entre les différents tonneaux afin de toucher les cibles qui rapportaient le plus de points. Sa complice, elle, avait plus de mal. Elle hésitait, courrait vers une cible mais changeait d'avis pour une autre et se prenait parfois les pieds dans sa cape.

Ils riaient, les yeux brillants. Parfois ils se gênaient l'un l'autre, se poussant à qui mieux-mieux, tentant de dévier les coups de maillet de l'adversaire. Âgés de vingt-quatre ans, ils en paraissaient dix, enjoués et insouciants qu'ils étaient. Netty et Claermoore étaient restés aux vestiaire, avec leurs uniformes respectifs. Cled et Iris étaient de sortie, avec tout ce que cela impliquait. Le jeu.

Elle savait parfaitement qu'aucune excuse ne pourrait remettre en question la victoire écrasante de son homme. Aussi se garda-t-elle de les formuler, se contentant d'avouer sa défaite.

"Je...tu...as gagné." dit-elle, les mains posées à plat sur ses genoux tandis qu'elle reprenait son souffle, penchée.
"Évidemment." fut la seule réponse qu'elle obtint de lui.

Il s'éloigna après lui avoir de nouveau saisi la main, comme s'il s'était agit d'un accessoire indispensable au moindre de ses déplacements.

Le blond avait une idée derrière la tête, car il s'orientait avec assurance parmi les allées encombrées de la Foire. La blonde suivait docilement, confiante et souriante.

Il grimpa à la volée quelques marches jusqu'à atteindre l'entrée pourtant barrée d'un gigantesque chapiteau de toile violette.  Lui lâchant à contrecœur la main, Cled enjamba la barrière dont un panneau portait pourtant l'inscription "INTERDIT AU PUBLIC."

Avec un sourire encourageant, il fit signe à Iris de le rejoindre, ce qu'elle s'employa immédiatement à faire. Elle accepta volontiers son aide, s'appuyant sur le bras qu'il lui offrait afin de passer l'obstacle légitime. Ils pénétrèrent ensemble, l'une au bras de l'autre, sous ce chapiteau.

Iris en eut aussitôt le souffle coupé. C'était gigantesque. Désespérément vide mais tellement grand. La blonde leva les yeux et avisa de la hauteur, impressionnante. Elle testa la résonance des lieux en poussant quelques vocalises enfantines et brèves.

Puis, sans crier gare, elle se défit de sa cape qu'elle laissa négligemment tomber au sol. Virevoltante, ravie, la blonde s'avança au centre du chapiteau, ses petits pieds évoluant avec aisance sur le parquet quelque peu glissant.

Cled la suivait des yeux, un brin perplexe. Il attendait simplement de voir la suite que lui réservait celle qui partageait désormais sa vie et, depuis plus longtemps, quelques-unes de ses nuits. Trop peu nombreuses encore, hélas.

Ses sourcils s'arquèrent et un fin sourire amusé pris possession de sa bouche cerclée d'une petite barbe entretenue, lorsqu'il la vit le saluer, d'une courbette élégante avant de lui tendre la main.

"Qu'attendez-vous pour m'inviter à danser?" lui lança-t-elle, malicieuse, de là où elle était.

C'est avec une satisfaction teintée de complicité qu'elle le regarda se délester d'Absolution, qu'il déposa avec précaution contre une poutre avant de s'avancer, ajustant sa tunique au niveau de ses épaules.

Il lui pris la main. Elle sourit. En posa une autre sur ses hanches. Elle frémit. Et c'est à l'unisson de cœur et d'esprit qu'ils valsèrent ainsi sous le chapiteau, virant et virevoltant au rythme d'une musique qu'ils étaient les seuls à entendre.

Leurs jambes se touchaient parfois, leurs nez se frôlaient, ils se souriaient. Iris appuya sa tête contre l'épaule de Cled alors qu'il la collait un peu plus à lui, d'une main dans le creux de son dos pour l'entraîner dans une danse plus près du corps.  

Leurs cheveux d'un blond quasi identiques se mêlaient et s'entremêlaient tandis qu'il continuait de la presser contre lui. Le bout de ses doigts effleurèrent le cou d'Iris, qui renversa instinctivement la tête en arrière. Le Paladin ne rata pas l'occasion de coller ses lèvres à la gorge de la blonde, dans de petits baisers, furtifs, tièdes, et empreints d'une gourmandise qui ne demandait qu'à croître.

Elle le gratifia, pour toute réponse, de caresses le long de ses épaules puis sur sa nuque, pour enfin perdre ses doigts dans la chevelure de Cled.

La mélodie de leurs âmes cessa petit-à-petit pour laisser place à une mélopée plus intime. Ils soufflaient, soupiraient de concert, sans jamais cesser de tournoyer. Il la fit doucement pivoter pour plaquer le dos de sa partenaire à son buste savamment taillé. Une main sur son ventre, l'autre se chargeant de défaire un à un les boutons de sa tunique, le blond ne cessait de lui baiser les cheveux, la tempe et la joue.

Iris lui glissa une œillade mièvre et quémandeuse, ourlant ses lèvres en un sourire encourageant, dans un écho d'appel à continuer. Cled ne se fit pas prier. Bien au contraire.

C'est avec mille attentions tendres l'un envers l'autre qu'ils s'aimerent ainsi, à même le parquet rugueux d'un chapiteau qui vit bientôt son silence rompu par les témoignages d'amour qu'ils se portaient mutuellement.

À l'extérieur, le festival battait son plein. Mais nul feu d'artifice, nul tour de force ne pût égaler les sensations qu'ils éprouvèrent à se perdre l'un dans l'autre ce soir-là.

Encerclés mais si seuls à la fois. Isolés du monde extérieur, protégés par les murailles qu'ils s'étaient construit au fil des années. Une complicité inégalable, un amour inexorable et une confiance inébranlable.

Iris et Cled.
Netty.
Bientôt.