Cycle
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Cycle
Les volutes de poussières tournoyaient ça et là autour de lui, ballotées au gré du vent qui balayait les plaines dorées en cette fin de journée ; le soleil, déjà au bout de sa course, amorçait sa lente descente jusqu’à la ligne d’horizon pour se noyer dans l’azur coloré de tâches orangées. D’ici quelques minutes, l’océan l’aurait englouti, pour plonger la Marche dans la noirceur d’une nuit sans étoiles.
Il n’avait pas de lanterne sur lui, mais il connaissait trop bien le chemin pour s’en inquiéter réellement. Un Cataclysme et près de dix années de troubles divers aux quatre coins du royaume n’avaient pas réussi à changer d’un pouce ce sentier qu’empruntait le sergent, perché sur sa monture, avançant au pas le long des pavés. Les gens mal intentionnés avaient appris avec le temps que rien ne les attendait au bout de ce chemin ; les bandes de gnolls du coin avaient choisi de suivre d’autres pistes où il faisait bon fouiner. Même les coyotes avaient déserté l’endroit.
Son regard se posa sur la petite bâtisse dressée au bout du chemin au moment exact où il quittait l’océan des yeux. Perchée au sommet d’une butte surplombant la plage en contrebas, la masure ne payait pas de mine : la façade abîmée par les vents chargés d’embruns marins et la toiture dégarnie par endroit étaient soutenus par une charpente usée par le temps, si bien que le bâtiment menaçait de s’écrouler pour peu que l'on s’appuie un peu trop contre l’un de ses murs. On pouvait distinguer à cette distance le chemin de planches qui dévalait la colline pour accéder au ponton branlant planté au-dessus des vagues poussées sur la plage par la marée en mouvement. Aucun bateau ne se trouvait amarré au ponton en question.
Cornelius procédait à l’examen des lieux pendant sa lente ascension vers la cabane de pêcheur, comme à son habitude. Pas un rat, pas un bruit en dehors du clapotis des vagues, mais rien de tout cela n’importait dès lors qu’il pouvait distinguer une lueur à travers les fenêtres de la maisonnée : c’était le cas ce soir-là. Tout était en ordre. Posant pieds à terre une fois arrivé au sommet de la butte, il déchargea sa monture, laissant cette dernière se ruer vers le baquet d’eau installé sous l’appentis qui jouxtait la bâtisse pendant qu’il transportait sa selle pour la ranger à l’abri.
Le grincement d’une porte qui s’ouvre résonna à son oreille alors qu’il se redressait pour s’assurer que la bête ne manquait de rien, ses fontes callées à son épaule. Le vieillard l’attendait déjà sur le pas de la porte au moment où il se dirigea vers celle-ci.
« -Salut, fils. » Malgré son timbre rocailleux, un certain soulagement transparaissait dans sa voix. La main campée sur une canne et le dos voûté, le simple fait que l’homme puisse être ainsi devant lui semblait tenir de l’exploit tant il paraissait dans un état de santé fragile ; vieux et rabougrit, de lourdes poches sous ses yeux, luttant eux-mêmes pour rester ouverts. « Je ne t’attendais pas si tôt. »
« -J’ai pris de l’avance Carl, tu ne m’en voudras pas ? »
« -Rien de nouveau, si j’ai bien compris. » Le vieillard était en train de fouiller dans un placard, probablement à la recherche d’une bouteille, à en juger par les deux verres qu’il avait aligné sur la table devant laquelle se tenait assis Cornelius. Il ne lui avait pas proposé son aide. Carl l’aurait aussitôt refusée, il le savait bien.
« -Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit.
-Et bien, qu’est-ce qu’il y a de nouveau, alors ? » Il avait finît par mettre la main sur la bouteille, qu’il déposa sans douceur sous le nez de Cornelius, avant de prendre place en face de lui, scrutant son regard d’un œil attentif.
« -Écoute, ça prendra le temps qu’il faudra… J’ai fait ce que j’avais à faire, il ne reste plus qu’à attendre, pour le moment. » Le sergent saisit la bouteille pour en faire sauter le bouchon, avant d’en approcher le goulot des deux verres qu’il remplit généreusement. Au fil des années, c’était devenu un rituel pour les deux hommes, aussitôt que le vent se levait de nouveau sur la Marche et que l’automne pointait le bout de son nez. Il fit glisser son verre en direction du vieillard.
« -J’ai compris, ça va. Pas envie d’en parler. Je peux comprendre ça. » Il haussa les épaules, levant son verre en fixant son invité, qui lui rendit la pareille en levant le sien en retour. Une gorgée plus tard, son regard se perdit quelques instants dans le vide dans un moment de silence que ne vint pas troubler Cornelius. « Comment vont les choses, du côté de la capitale ? », finit-il par demander.
Une question aussi simple n’aurait probablement pas dû le plonger dans un tel mutisme, et pourtant Cornelius ne parvint pas à formuler la moindre réponse. Les choses allaient bien, sûrement. L’ordre, la paix et la tranquillité régnaient dans les rues de Hurlevent, les soldats revenaient chaque jour du front avec leur lot d’horreurs à raconter sur ce qu’ils avaient pu y voir là-bas, et les choses reprenaient leur cours normal, peu à peu. Mais le problème résidait dans le fait qu’il savait bien que Carl se fichait de tout cela, que ce n’était pas là le sens de cette question. Non, tout n’allait pas bien dans l’esprit de Cornelius. Sa mémoire s’était permit de lui jouer des tours ces derniers jours, alors que les fantômes du passé revenaient le hanter.
« -Écoute, gamin, si t’as pas envie de causer, je peux aussi le comprendre. Je sais bien ce qui te tracasse. Mais... La seule solution que j’ai pour toi, ici, c’est une bouteille de scotch. » Un sourire peiné vint malgré tout se ficher sur ses lèvres, son regard toujours posé sur le soldat qui lui faisait face.
« -Je suis pas là pour t’embêter avec mes histoires, Carl. T’as déjà assez de soucis comme ça.
-Tu t’occupe suffisamment de moi pour que je puisse prendre le temps d’écouter un peu ce que t’as à baragouiner, fils. Ça fait longtemps que je serais canné sans toi.
-Elle aurait pas supporté que je laisse crever son paternel comme ça, tu le sais bien.
-Tu sais aussi qu’elle a toujours détesté ça. » marmonna le vieillard dans un léger soupir.
« -Quoi donc ?
-Recevoir de l’aide. Se retrouver à mendier pour survivre.
-J’aime autant m’en tenir à mes principes pour ce genre de questions » conclût-il finalement, en replongeant le nez dans son verre, ses pensées le ramenant quelques jours plus tôt.
L’atmosphère était pesante dans le luxueux bureau situé à l’étage du centre de commandement de Hurlevent. Cela faisait près de cinq minutes qu’aucun mot ne s’était échappé de la bouche des deux hommes se faisant face dans la petite pièce mal éclairée. Assis sur sa chaise, Cornelius se racla légèrement la gorge.
« -Alors ? », finit-il par lâcher.
Derrière le bureau, l’homme qui se trouvait en face de lui releva le nez du dossier qu’il était en train de consulter. Il avait tout du bureaucrate dans son uniforme d’officier tiré à quatre épingles passé d’un tabard aux couleurs du roi. Reposant son dossier dans un froncement de sourcils, il se laissa aller contre sa chaise en croisant les jambes, joignant ses mains devant lui.
« -Tu es si pressé que ça ? J’ai cru comprendre que tu avais tout ton temps devant toi, aujourd’hui » glissa-t-il d’un sourire goguenard.
La nouvelle de sa mise à pied était parvenue jusqu’aux oreilles de cette petite fouine. Cela importait peu à Cornelius, guère plus que cela ne l’étonnait qu’il soit au courant.
« -Je ne suis pas venu ici pour que tu te foute de moi, Rupert. C’est oui, ou c’est non. Pas de nouvelles de lui ?
-Ce serait me sous-estimer que d’imaginer que je puisse perdre la trace d’un type comme Calagan aussi facilement, MacLane. J’ai des yeux et des oreilles partout en Azeroth, tu devrais le savoir, non ? »
Cornelius inspira une longue goulée d’air. C’était ce qu’il détestait le plus chez les hommes de la trempe du Major Rupert Toole : à l’instant même où ils réalisaient qu’ils disposaient de quelque chose dont vous aviez besoin, ils en profitaient pour prendre un malin plaisir à vous mener en bateau jusqu’au dernier moment avant de vous le donner. Ce genre de personnes qui auraient tout donné ne serait-ce que pour obtenir la plus infime once de pouvoir sur leurs semblables. Avec l’opportunisme comme seul mot d’ordre.
« -Contente toi de me dire où. Quand. Et comment » grogna le sergent.
-Je vais faire comme si tu avais demandé poliment. » L’officier se saisit à nouveau du dossier qu’il avait laissé de côté tout à l’heure, comme pour vérifier une dernière fois ce dont il était probablement déjà sûr et certain, uniquement pour mettre un peu plus à mal la patience du sergent. « Menethil, il y a un mois de ça. » finit-il par annoncer. « Un incendie, plusieurs morts. Au passage, il semblerait qu’il se soit trouvé de nouveaux compagnons de route, après que tu te sois occupé des précédents. » L’officier fixa un instant son interlocuteur, les yeux plissés.
« -De la Confrérie ? » s’enquit Cornelius, ne relevant pas le reproche qu’il lui adressait là.
« -Non, tout ça ressemblait d’avantage à une vulgaire bande de pillards. Ils n’ont pas pu être identifiés.
-Et depuis ? Plus rien ?
-Je fais ce que je peux pour me renseigner. En attendant le prochain massacre, j’en ai bien peur.» lâcha-t-il en esquissant une moue peinée qui aurait presque pu paraître sincère aux yeux de quelqu’un d’autre.
« -Moi qui croyais que tu avais des yeux et des oreilles partout. Un mois, ça fait long. J’ai bien l’impression que tu as paumé sa trace.
-Et quand bien même je l’aurais perdu ? Ce n’est pas comme si je faisais ça uniquement pour toi Cornelius, hein ? J’ai d’autres préoccupations que de suivre ce dégénéré à la trace, figure toi. » marmonna-t-il dans un froncement de sourcils.
-Tu te défile ? Tu m’as fait une promesse, Rupert.
-Et je compte la tenir. Tu auras la tête de ce salopard. » Se levant de son fauteuil, le major commença à se diriger vers la porte de son bureau. «Mais tu comprends bien que ce type est loin d’être une priorité aux yeux de mes supérieurs. Le temps passe et le monde autour de nous avance. Et pour être honnête, c’est un miracle qu’il ne se soit pas déjà débrouillé pour se tuer tout seul.
-Leurs priorités, tu sais où tu peux te les coller, Rupert. » Cornelius s’était levé pour le rejoindre, faisant face à la porte fermée. Il connaissait ce genre de discours par cœur à force d’avoir eu à côtoyer le major et ses « supérieurs ».
-Il faut bien que certains s’occupent du sale boulot, Cornelius, tu sais bien… »
Ce dernier prit le temps de fixer son interlocuteur d’un air mauvais, soufflant d’une narine. L’attrapant par le col, il plaqua l’officier contre la porte avec fracas. « Que tu prennes ton pied en accomplissant ta part de "sale boulot", je m’en cogne, mais si tu oses insinuer de nouveau que je n’ai pas eu à remplir la mienne, je te promets que tu passeras un sale quart d’heure, "Major"» cracha-t-il au visage de ce dernier, la mâchoire serrée. L’expression sur le visage du major était restée froide et impassible.
« -J’en prends bonne note, Sergent » se contenta-t-il de rétorquer une fois défait de l’emprise de Cornelius. Il sembla hésiter pendant quelques secondes à ajouter quelque chose, mais finit par lui ouvrir la porte d’un geste mécanique, toute malice ayant disparue de son regard.
Le sergent ne prit pas la peine de le saluer. Ils n’avaient plus rien à se dire, et il n’était pas d’humeur à forcer les choses aujourd’hui, et certainement pas avec ce type. Il fila sans dire un mot.
« Je ferais mon devoir, Lieutenant. »
Ses jambes peinaient à le soutenir. Il avait tenu bon jusque-là, tant qu’il n’avait pas eu à confronter son regard à celui de la jeune femme, mais au moment de faire volte-face pour lever son fusil, quelque chose dérailla en lui. Un mouvement de recul tout d'abord, avant d'agripper un peu plus fermement son arme entre ses mains.
Y arriverait-il seulement ? Toute certitude avait disparue de son regard. S’agissait-il vraiment de cette gamine à qui il avait promis qu’il ferait tout pour éviter qu’elle ne se retrouve face à un peloton d’exécution, il y a une semaine de cela ? A cet instant précis, il n’en avait plus aucune idée.
« Vingt-trois ans, c’est trop tôt pour mourir. »
Vingt-trois ans, ou trente-et-un, la nuance lui semblait bien trop floue à cet instant. Mensonge. Cela se saurait s’il y avait un âge pour mourir. Il lui avait mentit, comme il avait déjà mentit à celle qu’il aimait, dix ans plus tôt. Il n’avait que ça pour lui, finalement. De belles promesses, qui ne valaient plus rien face à la lame d’un couteau ou devant un peloton d’exécution.
Son regard croisa celui de la rouquine à l’instant où il arma son fusil dans un geste mal assuré, le bout de ses doigts tremblotant sur la crosse de son arme. La mâchoire crispée, il sentit sa gorge se nouer alors qu’elle terminait de réciter ses dernières paroles. Il était temps d’assumer. Les choses se seraient passées autrement si Cornelius avait décidé d’assumer ses responsabilités envers cette gamine dès le début. A présent, tout cela ne dépendait plus que d’une giclée de plombs.
Il n’avait pas entendu l’ordre du Commandant, et pourtant, il avait pressé la détente. Comme si rien de cela ne dépendait de lui, en fin de compte. Tout est cycle. Ce monde dans lequel il se trouvait ne dérogeait pas à la règle. C’est cet amer constat qu’il dressa alors qu’il abaissait son fusil pour poser son regard sur le cadavre qui gisait quelques mètres plus loin, un goût de cendre dans la bouche.
Et face à cette règle immuable, il était impuissant.
Il n’avait pas de lanterne sur lui, mais il connaissait trop bien le chemin pour s’en inquiéter réellement. Un Cataclysme et près de dix années de troubles divers aux quatre coins du royaume n’avaient pas réussi à changer d’un pouce ce sentier qu’empruntait le sergent, perché sur sa monture, avançant au pas le long des pavés. Les gens mal intentionnés avaient appris avec le temps que rien ne les attendait au bout de ce chemin ; les bandes de gnolls du coin avaient choisi de suivre d’autres pistes où il faisait bon fouiner. Même les coyotes avaient déserté l’endroit.
Son regard se posa sur la petite bâtisse dressée au bout du chemin au moment exact où il quittait l’océan des yeux. Perchée au sommet d’une butte surplombant la plage en contrebas, la masure ne payait pas de mine : la façade abîmée par les vents chargés d’embruns marins et la toiture dégarnie par endroit étaient soutenus par une charpente usée par le temps, si bien que le bâtiment menaçait de s’écrouler pour peu que l'on s’appuie un peu trop contre l’un de ses murs. On pouvait distinguer à cette distance le chemin de planches qui dévalait la colline pour accéder au ponton branlant planté au-dessus des vagues poussées sur la plage par la marée en mouvement. Aucun bateau ne se trouvait amarré au ponton en question.
Cornelius procédait à l’examen des lieux pendant sa lente ascension vers la cabane de pêcheur, comme à son habitude. Pas un rat, pas un bruit en dehors du clapotis des vagues, mais rien de tout cela n’importait dès lors qu’il pouvait distinguer une lueur à travers les fenêtres de la maisonnée : c’était le cas ce soir-là. Tout était en ordre. Posant pieds à terre une fois arrivé au sommet de la butte, il déchargea sa monture, laissant cette dernière se ruer vers le baquet d’eau installé sous l’appentis qui jouxtait la bâtisse pendant qu’il transportait sa selle pour la ranger à l’abri.
Le grincement d’une porte qui s’ouvre résonna à son oreille alors qu’il se redressait pour s’assurer que la bête ne manquait de rien, ses fontes callées à son épaule. Le vieillard l’attendait déjà sur le pas de la porte au moment où il se dirigea vers celle-ci.
« -Salut, fils. » Malgré son timbre rocailleux, un certain soulagement transparaissait dans sa voix. La main campée sur une canne et le dos voûté, le simple fait que l’homme puisse être ainsi devant lui semblait tenir de l’exploit tant il paraissait dans un état de santé fragile ; vieux et rabougrit, de lourdes poches sous ses yeux, luttant eux-mêmes pour rester ouverts. « Je ne t’attendais pas si tôt. »
« -J’ai pris de l’avance Carl, tu ne m’en voudras pas ? »
*
« -Rien de nouveau, si j’ai bien compris. » Le vieillard était en train de fouiller dans un placard, probablement à la recherche d’une bouteille, à en juger par les deux verres qu’il avait aligné sur la table devant laquelle se tenait assis Cornelius. Il ne lui avait pas proposé son aide. Carl l’aurait aussitôt refusée, il le savait bien.
« -Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit.
-Et bien, qu’est-ce qu’il y a de nouveau, alors ? » Il avait finît par mettre la main sur la bouteille, qu’il déposa sans douceur sous le nez de Cornelius, avant de prendre place en face de lui, scrutant son regard d’un œil attentif.
« -Écoute, ça prendra le temps qu’il faudra… J’ai fait ce que j’avais à faire, il ne reste plus qu’à attendre, pour le moment. » Le sergent saisit la bouteille pour en faire sauter le bouchon, avant d’en approcher le goulot des deux verres qu’il remplit généreusement. Au fil des années, c’était devenu un rituel pour les deux hommes, aussitôt que le vent se levait de nouveau sur la Marche et que l’automne pointait le bout de son nez. Il fit glisser son verre en direction du vieillard.
« -J’ai compris, ça va. Pas envie d’en parler. Je peux comprendre ça. » Il haussa les épaules, levant son verre en fixant son invité, qui lui rendit la pareille en levant le sien en retour. Une gorgée plus tard, son regard se perdit quelques instants dans le vide dans un moment de silence que ne vint pas troubler Cornelius. « Comment vont les choses, du côté de la capitale ? », finit-il par demander.
Une question aussi simple n’aurait probablement pas dû le plonger dans un tel mutisme, et pourtant Cornelius ne parvint pas à formuler la moindre réponse. Les choses allaient bien, sûrement. L’ordre, la paix et la tranquillité régnaient dans les rues de Hurlevent, les soldats revenaient chaque jour du front avec leur lot d’horreurs à raconter sur ce qu’ils avaient pu y voir là-bas, et les choses reprenaient leur cours normal, peu à peu. Mais le problème résidait dans le fait qu’il savait bien que Carl se fichait de tout cela, que ce n’était pas là le sens de cette question. Non, tout n’allait pas bien dans l’esprit de Cornelius. Sa mémoire s’était permit de lui jouer des tours ces derniers jours, alors que les fantômes du passé revenaient le hanter.
« -Écoute, gamin, si t’as pas envie de causer, je peux aussi le comprendre. Je sais bien ce qui te tracasse. Mais... La seule solution que j’ai pour toi, ici, c’est une bouteille de scotch. » Un sourire peiné vint malgré tout se ficher sur ses lèvres, son regard toujours posé sur le soldat qui lui faisait face.
« -Je suis pas là pour t’embêter avec mes histoires, Carl. T’as déjà assez de soucis comme ça.
-Tu t’occupe suffisamment de moi pour que je puisse prendre le temps d’écouter un peu ce que t’as à baragouiner, fils. Ça fait longtemps que je serais canné sans toi.
-Elle aurait pas supporté que je laisse crever son paternel comme ça, tu le sais bien.
-Tu sais aussi qu’elle a toujours détesté ça. » marmonna le vieillard dans un léger soupir.
« -Quoi donc ?
-Recevoir de l’aide. Se retrouver à mendier pour survivre.
-J’aime autant m’en tenir à mes principes pour ce genre de questions » conclût-il finalement, en replongeant le nez dans son verre, ses pensées le ramenant quelques jours plus tôt.
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L’atmosphère était pesante dans le luxueux bureau situé à l’étage du centre de commandement de Hurlevent. Cela faisait près de cinq minutes qu’aucun mot ne s’était échappé de la bouche des deux hommes se faisant face dans la petite pièce mal éclairée. Assis sur sa chaise, Cornelius se racla légèrement la gorge.
« -Alors ? », finit-il par lâcher.
Derrière le bureau, l’homme qui se trouvait en face de lui releva le nez du dossier qu’il était en train de consulter. Il avait tout du bureaucrate dans son uniforme d’officier tiré à quatre épingles passé d’un tabard aux couleurs du roi. Reposant son dossier dans un froncement de sourcils, il se laissa aller contre sa chaise en croisant les jambes, joignant ses mains devant lui.
« -Tu es si pressé que ça ? J’ai cru comprendre que tu avais tout ton temps devant toi, aujourd’hui » glissa-t-il d’un sourire goguenard.
La nouvelle de sa mise à pied était parvenue jusqu’aux oreilles de cette petite fouine. Cela importait peu à Cornelius, guère plus que cela ne l’étonnait qu’il soit au courant.
« -Je ne suis pas venu ici pour que tu te foute de moi, Rupert. C’est oui, ou c’est non. Pas de nouvelles de lui ?
-Ce serait me sous-estimer que d’imaginer que je puisse perdre la trace d’un type comme Calagan aussi facilement, MacLane. J’ai des yeux et des oreilles partout en Azeroth, tu devrais le savoir, non ? »
Cornelius inspira une longue goulée d’air. C’était ce qu’il détestait le plus chez les hommes de la trempe du Major Rupert Toole : à l’instant même où ils réalisaient qu’ils disposaient de quelque chose dont vous aviez besoin, ils en profitaient pour prendre un malin plaisir à vous mener en bateau jusqu’au dernier moment avant de vous le donner. Ce genre de personnes qui auraient tout donné ne serait-ce que pour obtenir la plus infime once de pouvoir sur leurs semblables. Avec l’opportunisme comme seul mot d’ordre.
« -Contente toi de me dire où. Quand. Et comment » grogna le sergent.
-Je vais faire comme si tu avais demandé poliment. » L’officier se saisit à nouveau du dossier qu’il avait laissé de côté tout à l’heure, comme pour vérifier une dernière fois ce dont il était probablement déjà sûr et certain, uniquement pour mettre un peu plus à mal la patience du sergent. « Menethil, il y a un mois de ça. » finit-il par annoncer. « Un incendie, plusieurs morts. Au passage, il semblerait qu’il se soit trouvé de nouveaux compagnons de route, après que tu te sois occupé des précédents. » L’officier fixa un instant son interlocuteur, les yeux plissés.
« -De la Confrérie ? » s’enquit Cornelius, ne relevant pas le reproche qu’il lui adressait là.
« -Non, tout ça ressemblait d’avantage à une vulgaire bande de pillards. Ils n’ont pas pu être identifiés.
-Et depuis ? Plus rien ?
-Je fais ce que je peux pour me renseigner. En attendant le prochain massacre, j’en ai bien peur.» lâcha-t-il en esquissant une moue peinée qui aurait presque pu paraître sincère aux yeux de quelqu’un d’autre.
« -Moi qui croyais que tu avais des yeux et des oreilles partout. Un mois, ça fait long. J’ai bien l’impression que tu as paumé sa trace.
-Et quand bien même je l’aurais perdu ? Ce n’est pas comme si je faisais ça uniquement pour toi Cornelius, hein ? J’ai d’autres préoccupations que de suivre ce dégénéré à la trace, figure toi. » marmonna-t-il dans un froncement de sourcils.
-Tu te défile ? Tu m’as fait une promesse, Rupert.
-Et je compte la tenir. Tu auras la tête de ce salopard. » Se levant de son fauteuil, le major commença à se diriger vers la porte de son bureau. «Mais tu comprends bien que ce type est loin d’être une priorité aux yeux de mes supérieurs. Le temps passe et le monde autour de nous avance. Et pour être honnête, c’est un miracle qu’il ne se soit pas déjà débrouillé pour se tuer tout seul.
-Leurs priorités, tu sais où tu peux te les coller, Rupert. » Cornelius s’était levé pour le rejoindre, faisant face à la porte fermée. Il connaissait ce genre de discours par cœur à force d’avoir eu à côtoyer le major et ses « supérieurs ».
-Il faut bien que certains s’occupent du sale boulot, Cornelius, tu sais bien… »
Ce dernier prit le temps de fixer son interlocuteur d’un air mauvais, soufflant d’une narine. L’attrapant par le col, il plaqua l’officier contre la porte avec fracas. « Que tu prennes ton pied en accomplissant ta part de "sale boulot", je m’en cogne, mais si tu oses insinuer de nouveau que je n’ai pas eu à remplir la mienne, je te promets que tu passeras un sale quart d’heure, "Major"» cracha-t-il au visage de ce dernier, la mâchoire serrée. L’expression sur le visage du major était restée froide et impassible.
« -J’en prends bonne note, Sergent » se contenta-t-il de rétorquer une fois défait de l’emprise de Cornelius. Il sembla hésiter pendant quelques secondes à ajouter quelque chose, mais finit par lui ouvrir la porte d’un geste mécanique, toute malice ayant disparue de son regard.
Le sergent ne prit pas la peine de le saluer. Ils n’avaient plus rien à se dire, et il n’était pas d’humeur à forcer les choses aujourd’hui, et certainement pas avec ce type. Il fila sans dire un mot.
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« Je ferais mon devoir, Lieutenant. »
Ses jambes peinaient à le soutenir. Il avait tenu bon jusque-là, tant qu’il n’avait pas eu à confronter son regard à celui de la jeune femme, mais au moment de faire volte-face pour lever son fusil, quelque chose dérailla en lui. Un mouvement de recul tout d'abord, avant d'agripper un peu plus fermement son arme entre ses mains.
Y arriverait-il seulement ? Toute certitude avait disparue de son regard. S’agissait-il vraiment de cette gamine à qui il avait promis qu’il ferait tout pour éviter qu’elle ne se retrouve face à un peloton d’exécution, il y a une semaine de cela ? A cet instant précis, il n’en avait plus aucune idée.
« Vingt-trois ans, c’est trop tôt pour mourir. »
Vingt-trois ans, ou trente-et-un, la nuance lui semblait bien trop floue à cet instant. Mensonge. Cela se saurait s’il y avait un âge pour mourir. Il lui avait mentit, comme il avait déjà mentit à celle qu’il aimait, dix ans plus tôt. Il n’avait que ça pour lui, finalement. De belles promesses, qui ne valaient plus rien face à la lame d’un couteau ou devant un peloton d’exécution.
Son regard croisa celui de la rouquine à l’instant où il arma son fusil dans un geste mal assuré, le bout de ses doigts tremblotant sur la crosse de son arme. La mâchoire crispée, il sentit sa gorge se nouer alors qu’elle terminait de réciter ses dernières paroles. Il était temps d’assumer. Les choses se seraient passées autrement si Cornelius avait décidé d’assumer ses responsabilités envers cette gamine dès le début. A présent, tout cela ne dépendait plus que d’une giclée de plombs.
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Il n’avait pas entendu l’ordre du Commandant, et pourtant, il avait pressé la détente. Comme si rien de cela ne dépendait de lui, en fin de compte. Tout est cycle. Ce monde dans lequel il se trouvait ne dérogeait pas à la règle. C’est cet amer constat qu’il dressa alors qu’il abaissait son fusil pour poser son regard sur le cadavre qui gisait quelques mètres plus loin, un goût de cendre dans la bouche.
Et face à cette règle immuable, il était impuissant.
Cornelius MacLane- Officier de la Garde
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