Profession : éclaireur - Nature : chiendent.
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Profession : éclaireur - Nature : chiendent.
La poussière soulevée formait un halo rougeâtre autour des deux combattants, mystifiant un peu plus l’instant : les gestes étaient rapides et déchaînés, mais les secondes se faisaient éternelles et impassibles, moments d’égarement pur entre deux souffles haletants. Les corps se battaient, les esprits tentaient de réagir aussi rapidement que possible, mais la plupart des efforts ne venaient que de réflexes instantanés défiant toute stratégie.
Haletants, les dents serrées et les regards flamboyants, les combattants n’existaient plus que l’un pour l’autre. Leur univers se résumait à eux-mêmes et s’était fait cornélien : attaquer ou défendre. Pas d’autre choix possible quand on lisait la rage dans les yeux de l’autre et les jurons à même ses lèvres, la voix emportée par la rapidité de l’instant. Renversement de situation, elle bascula sur la terre rouge et il attrapa sa jambe. Elle se défendit, son pied s’agitant jusqu’à pouvoir lui donner des coups suffisamment forts et il l’abandonna, considérant qu’il aurait plus de chance sûrement avec le haut de son corps.
Son bras autour de sa taille, la soulevant et elle, se débattant de plus belle avec la colère comme seul carburant.
Autant de rage que d’estime de l’autre, capable de vous terrasser, de vous faire souffrir et de vous atteindre dans un corps-à-corps qui prenait des allures d’épopée mythique pour les deux esprits échauffés.
Jusqu’à ce que sa main puisse enfin atteindre sa dague cachée dans sa botte : elle la tira avec vivacité, remonta son bras pour se donner de l’élan et frappa en plein cœur. Tuant net la bestiole enragée dont le regard hébété se posa un instant sur le visage de la jeune femme, à peine adulte, comme s’il était impossible qu’elle fut finalement venue à bout d’elle. Puis le corps massif s’effondra, capitulant dans ses bras : ses mains agrippèrent le harnais de cuir miteux qu’il portait comme pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une ruse, mais la lueur de vie s’éteignait déjà dans les yeux du gnoll.
C’est alors qu’elle releva la tête et les aperçut. Tous. Humains et gnolls s’affrontant parfois à l’épée, parfois à même le sol, redevenus plus sauvage que la terre qu’ils foulaient et qu’ils noyaient de leur propre sang. Ses camarades de l’escouade tenaient encore, mais pour combien de temps ? L’attaque avait été rapide, comme toujours avec ces gredins poilus : ils ne réfléchissaient pas et fonçaient, avec l’art des grandes stratégies militaires foireuses. Comme si la bulle qui l’avait entouré venait d’éclater, le bruit des combats, le frottement des corps et les chocs du métal vinrent exploser à ses oreilles, la réveillant totalement. Elle cligna des yeux, reprenant difficilement son souffle, et faillit hurler quand une main attrapa son bras vivement :
- Gamin, file chercher des renforts !
La plaie à sa tête laissait s’écouler un liquide carmin qui n’augurait rien de bon pour le soldat, mais ses yeux reflétaient toute l’urgence de la situation : les Carmines ne pouvaient se passer de l’intégralité d’une escouade, et quelques renforts suffiraient à faire fuir les gnolls, à condition qu’ils arrivent à temps. Il secoua son bras avec autorité comme s’il avait affaire à une idiote finie, secouant la gamine de 19 ans qui avait cru que le monde s’effondrait autour d’elle.
- FONCE !
Elle déglutit, se reprit et hocha la tête, se dégageant du poids mort du gnoll pour se relever, trébuchant à moitié, son pied glissant sur le sang qui se mélangeait déjà à la terre rouge. Elle réussit à reprendre appui et courut sans demander son reste, à moitié penchée pour éviter d’être trop remarquer dans la cohue. Une épée siffla près d’elle, elle perçut des jurons qui n’avaient rien d’humains… Entendit un cri étouffé… Refusa de regarder derrière elle et courut. Aussi vite qu’elle en était capable, cette petite gigue à peine formée, sorte d’herbe sauvage que personne n’avait encore osé piétiner et qui ne donnerait probablement rien de bon. Elle ressemblait plus à un garçon qu’à une femme et elle disparut de la mêlée comme elle y était entrée : sans être réellement remarquée par quiconque.
Son esprit était en vrac, encore abasourdi par l’horreur du combat, mais ses pieds étaient fermement ancrés dans le sol et savaient où se diriger. Si jamais Joan Haynes avait eu un quelconque talent pour la course, il se révéla en cet instant même, lui donnant des allures de folle furieuse alors qu’elle dévalait déjà la côte que son escouade avait gravit pour se diriger vers le gros de la troupe, resté en arrière. Elle tomba, ne s’en rendit même pas compte, son corps dévalant la pente dans un nuage rouge qui ne fit que s’épaissir avant de subitement de retrouver debout grâce au dénivellement : elle continua de courir, sa tenue de cuir légère facilitant ses mouvements.
Les gardes aperçurent la poussière qu’elle soulevait avant même de la voir débarquer, haletante et alarmée. Et il suffit d’un regard sur le sang sur sa joue, ses cheveux ébouriffés et ses jambes flageolantes pour comprendre ce qu’il se passait : en quelques minutes, les plus rapides furent rassemblés et partirent, empruntant le chemin qu’elle avait pris.
L’escouade perdit trois hommes ce jour-là.
Joan comprit qu’elle n’était décidément rien dans ce monde-là.
Haletants, les dents serrées et les regards flamboyants, les combattants n’existaient plus que l’un pour l’autre. Leur univers se résumait à eux-mêmes et s’était fait cornélien : attaquer ou défendre. Pas d’autre choix possible quand on lisait la rage dans les yeux de l’autre et les jurons à même ses lèvres, la voix emportée par la rapidité de l’instant. Renversement de situation, elle bascula sur la terre rouge et il attrapa sa jambe. Elle se défendit, son pied s’agitant jusqu’à pouvoir lui donner des coups suffisamment forts et il l’abandonna, considérant qu’il aurait plus de chance sûrement avec le haut de son corps.
Son bras autour de sa taille, la soulevant et elle, se débattant de plus belle avec la colère comme seul carburant.
Autant de rage que d’estime de l’autre, capable de vous terrasser, de vous faire souffrir et de vous atteindre dans un corps-à-corps qui prenait des allures d’épopée mythique pour les deux esprits échauffés.
Jusqu’à ce que sa main puisse enfin atteindre sa dague cachée dans sa botte : elle la tira avec vivacité, remonta son bras pour se donner de l’élan et frappa en plein cœur. Tuant net la bestiole enragée dont le regard hébété se posa un instant sur le visage de la jeune femme, à peine adulte, comme s’il était impossible qu’elle fut finalement venue à bout d’elle. Puis le corps massif s’effondra, capitulant dans ses bras : ses mains agrippèrent le harnais de cuir miteux qu’il portait comme pour vérifier qu’il ne s’agissait pas d’une ruse, mais la lueur de vie s’éteignait déjà dans les yeux du gnoll.
C’est alors qu’elle releva la tête et les aperçut. Tous. Humains et gnolls s’affrontant parfois à l’épée, parfois à même le sol, redevenus plus sauvage que la terre qu’ils foulaient et qu’ils noyaient de leur propre sang. Ses camarades de l’escouade tenaient encore, mais pour combien de temps ? L’attaque avait été rapide, comme toujours avec ces gredins poilus : ils ne réfléchissaient pas et fonçaient, avec l’art des grandes stratégies militaires foireuses. Comme si la bulle qui l’avait entouré venait d’éclater, le bruit des combats, le frottement des corps et les chocs du métal vinrent exploser à ses oreilles, la réveillant totalement. Elle cligna des yeux, reprenant difficilement son souffle, et faillit hurler quand une main attrapa son bras vivement :
- Gamin, file chercher des renforts !
La plaie à sa tête laissait s’écouler un liquide carmin qui n’augurait rien de bon pour le soldat, mais ses yeux reflétaient toute l’urgence de la situation : les Carmines ne pouvaient se passer de l’intégralité d’une escouade, et quelques renforts suffiraient à faire fuir les gnolls, à condition qu’ils arrivent à temps. Il secoua son bras avec autorité comme s’il avait affaire à une idiote finie, secouant la gamine de 19 ans qui avait cru que le monde s’effondrait autour d’elle.
- FONCE !
Elle déglutit, se reprit et hocha la tête, se dégageant du poids mort du gnoll pour se relever, trébuchant à moitié, son pied glissant sur le sang qui se mélangeait déjà à la terre rouge. Elle réussit à reprendre appui et courut sans demander son reste, à moitié penchée pour éviter d’être trop remarquer dans la cohue. Une épée siffla près d’elle, elle perçut des jurons qui n’avaient rien d’humains… Entendit un cri étouffé… Refusa de regarder derrière elle et courut. Aussi vite qu’elle en était capable, cette petite gigue à peine formée, sorte d’herbe sauvage que personne n’avait encore osé piétiner et qui ne donnerait probablement rien de bon. Elle ressemblait plus à un garçon qu’à une femme et elle disparut de la mêlée comme elle y était entrée : sans être réellement remarquée par quiconque.
Son esprit était en vrac, encore abasourdi par l’horreur du combat, mais ses pieds étaient fermement ancrés dans le sol et savaient où se diriger. Si jamais Joan Haynes avait eu un quelconque talent pour la course, il se révéla en cet instant même, lui donnant des allures de folle furieuse alors qu’elle dévalait déjà la côte que son escouade avait gravit pour se diriger vers le gros de la troupe, resté en arrière. Elle tomba, ne s’en rendit même pas compte, son corps dévalant la pente dans un nuage rouge qui ne fit que s’épaissir avant de subitement de retrouver debout grâce au dénivellement : elle continua de courir, sa tenue de cuir légère facilitant ses mouvements.
Les gardes aperçurent la poussière qu’elle soulevait avant même de la voir débarquer, haletante et alarmée. Et il suffit d’un regard sur le sang sur sa joue, ses cheveux ébouriffés et ses jambes flageolantes pour comprendre ce qu’il se passait : en quelques minutes, les plus rapides furent rassemblés et partirent, empruntant le chemin qu’elle avait pris.
L’escouade perdit trois hommes ce jour-là.
Joan comprit qu’elle n’était décidément rien dans ce monde-là.
Dernière édition par Joan Haynes le Ven 29 Sep 2017 - 11:00, édité 2 fois
Joan Haynes- Citoyen
- Nombre de messages : 666
Lieu de naissance : Comté du Lac
Age : 26 ans
Date d'inscription : 18/03/2017
Re: Profession : éclaireur - Nature : chiendent.
La troupe est bruyante ce soir : les feux sont allumés un peu partout et tels de gros moustiques, les hommes se sont agglutinés autour. Les voix montent, les rires aussi même si encore maintenant, alors que la nuit est bien avancée, le bruit des armures qu'on astique et des armes qu'on aiguise domine largement. Rappel aigu que le temps n'est pas à la paix.
- Va me chercher de l'eau gamin, dépêche !
La bourrade a beau être neutre, tu as l'impression qu'il vient de t'arracher l'épaule et ton petit corps est propulsé en avant avec une facilité déconcertante. Il ne t'en faut guère plus pour filer à toute vitesse attraper un seau et te diriger vers la rivière : Fred n'aime pas attendre. Et toi, tu détestes encore plus lorsqu'il te hurle dessus et braque les projecteurs sur toi : tu ne sais pas combien de temps encore toute cette comédie va durer mais pour l'instant, elle t'arrange et tu n'as pas envie de tomber le masque.
Tu te faufiles habilement entre les tabourets, les chevaux déjà somnolents et les grands corps bâtis pour la guerre lacérés de partout et titubants eux aussi de fatigue. La journée a été longue et les orcs n'ont pas faiblis : personne ne sait combien de temps tout cela durera mais les poings tiennent toujours les armes avec ardeur et détermination. L'un d'eux te bouscule sans faire exprès, tu manques tomber et te rattrapes d'un mouvement du poignet au sol, repartant de plus belle vers le lac. C'est à peine s'il t'a remarqué de toute évidence : les rires derrière toi en témoignent. Au pire, ils se moquent de tes quelques pirouettes habituelles. Dans un régiment comme celui-ci, ta jeunesse et ton corps frêle t'ont automatiquement rabaissé au rang de larbin : souffre-douleur si on te prenait en grippe, clown si on t'appréciait. Par chance, tu savais te faire tellement discrète qu'ils ne faisaient preuve avec toi que d'une franche camaraderie teintée d'une sorte de tendresse parfois presque fraternelle : tu avais compris où était ta place et ils t'en étaient presque reconnaissants, ces hommes dont la hiérarchie dictait leurs vies.
Une main se tend sur ton passage, on t'attrape méchamment le bras et tu valdingues, tes pieds décollant quasiment du sol alors qu'il te ramène à lui. Le seau t'est arraché et il te pousse en avant en maugréant :
- J'm'en occupe.
Le temps de te remettre de la surprise et tu lui décoches un immense sourire, un de ceux qui illuminent ton minois barbouillé de terre rouge : il en rougit presque, maugrée de plus belle et détourne le regard, comme pris en faute d'avoir un instant succombé à ton innocence.
- T'es en vie Jack...
- J'vois pas pourquoi j'laisserai un de ces salopards d'orc me faire la peau.
Ce serait contraire à tous ses principes, qui veulent qu'un homme bon soit debout, et un orc bon soit couché mort à ses pieds. Il est plus rustre et ruffian que le dernier des garçons d'écurie de Comté du Lac, mais il est l'un des hommes les plus droits que tu connaisses, et le seul à avoir tout compris.
Il n'y avait que ta mère pour t'appeler Johann autrefois : elle avait cette voix douce, ce regard empreint d'une fierté maternelle qui t'arrachait parfois quelques frissons de joie. Mais quand tu t'étais présentée, quand tu t'étais enrôlé pour quitter ce nid familial étouffant, c'était «Joan » que tu avais dit à l'instructeur. Joan, qui résonnait comme John, qui semblait tellement plus masculin que féminin. Avec ton corps nubile, ton absence de poitrine et tes traits un peu trop anguleux, tu avais donné le change. Personne n'avait jamais réellement fait attention à toi alors ils t'avaient tous pris pour un garçon : c'était plus commode. Moins dangereux aussi parce que tu n'avais pas le caractère de ces créatures fières et indomptables que tu croisais parmi la troupe. Toi, ils t'auraient mangé toute crue et n'en auraient rien laissé. A défaut d'être forte, tu avais été maligne.
Seul Jack avait compris. Jack et son regard perçant, Jack et sa grosse voix bourrue qui t'avait fait sursauté quand il t'avait demandé, la première fois, à quoi tu jouais. Mais il était finaud, peut-être davantage que toi, et n'avait pas insisté quand tu avais relevé le menton avec provocation : la place d'une femme dans l'armée était difficile à tailler, et encore plus à conserver. Un brin de fille comme toi aurait mal fini.
Il ne t'avait jamais dénoncé aux autres. Sans doute parce qu'à ses yeux, ce que tu faisais était juste. Mais peu à peu, son ombre s'était imbriquée dans tes pas, sa silhouette avait protégé la tienne : peu à peu, il avait guetté tes regards curieux et tes sourires fugaces. Ces sourires que tu n'arrivais jamais à retenir, ce mélange encore puéril de malice et d’ingéniosité.... Cela semblait réchauffer son cœur sec et lui redonner un peu espoir, même si tu ne savais pas en quoi.
Sa grosse main tient le seau et tu marches à côté de lui, continuant de sourire même si le cœur n'y est plus vraiment : toi aussi tu es épuisée d'avoir couru, de t'être battu, d'avoir aidé, d'avoir soigné... Tes mains sont calleuses, tes paumes pleines d'ampoules et tu as une brûlure qui court sur tout ton avant-bras droit, souvenir d'une rencontre avec un orc qu'un de tes compagnon d'arme a abrégé en te poussant sur le côté. Tu avais à peine eu le temps de le voir arriver que déjà, ils avaient pris la décision pour toi que tu n'arriverais pas à t'en sortir vivante. Ce qui ne cessait de te décourager : tu avais beau savoir qu'ils agissaient ainsi pour te protéger et parce qu'ils t'appréciaient, c'était toujours aussi dépitant d'être ainsi sous-estimée. Et le pire dans tout ça, c'est qu'ils ne te protégeaient pas parce que tu étais une fille, puisque tous pensaient avoir affaire à un garçon !
- Et toi, t'as tous tes os en place ?
Tu hoches la tête en soupirant : il ne lui en faut pas plus pour te coller une bonne tape amicale dans le dos qui te fait de nouveau décoller du sol comme si tu ne pesais rien. Tu te demandes parfois comment tu fais pour tenir debout avec tous ces lourdauds, pourtant son geste t'arrache un ricanement fatigué.
Le lac se dessine, scintillant sous la lumière de la lune : tout semble toujours irréel quand on approche ce grand Seigneur imposant, comme si le temps s'arrêtait pour laisser l'homme admirer ce que la nature était capable de faire. En d'autres temps, d'autres moments, tu t'abandonnerais volontiers à sa contemplation mais ce soir, tes oreilles sont grandes ouvertes et tes yeux furètent partout, à la recherche d'un mouvement suspect dans les joncs qui bordent l'eau. Les murlocs sont friands de ces temps de guerre et des idiots isolés, et c'est aussi pour cela que Jack est venu se mettre à tes côtés, sans aucun doute. Les feux s'éloignent, les voix s'estompent et la nuit vous enveloppe, apportant à la fois calme et frayeur : tu as autant envie de rester là éternellement que de t'enfuir en courant. La silhouette de Jack est à tes côtés et te rassure mais quand il se penche pour récupérer de l'eau, tu ne peux t'empêcher de serrer le pommeau de ton épée, sur le qui-vive.
- Détends-toi gamin, la nuit est tranquille.
Il a beau savoir que tu es une fille, presque une femme, il veille toujours à protéger ton secret : les oreilles indiscrètes étaient partout.
Sa grande carcasse se redresse et il soupire, observant les eaux briller sous la lumière blafarde : la magie semble présente, comme toujours dans les Carmines. Le Lac se livre, se laisse observer, tyran se complaisant de ses spectateurs et imperceptiblement, tes doigts relâchent ton arme.
- Le sergent recherche quelques hommes pour partir devant en reconnaissance. J'vais me proposer, Jack.
Tu entends sa poitrine se soulever alors qu'il inspire bruyamment : c'est sa façon à lui d'encaisser. Il n'aime pas te savoir trop loin de lui mais il sait aussi qu'il n'y pourra rien.
- T'es né ici, tu connais bien les sentiers, c'est sûr que tu seras utile.
- Je ne sers à rien ici, on ne me laisse pas me battre !
C'est comme si tu cherchais à te défendre, à vaincre une bataille déjà gagnée et un sourire discret s'affiche sur sa mine patibulaire. Il a la vingtaine bien entamée et le regard d'un vieillard pourtant : la sagesse faite homme.
- J't'ai jamais caché qu'il te faudrait faire tes preuves. Mais peut-être pas sur le champ de bataille, t'as raison. Peut-être ailleurs, peut-être à vadrouiller en sauvage dans les herbes hautes.... C'est p'têt une bonne idée.
Tu lui décoches ton immuable sourire d'effrontée et il éclate d'un rire gras avant d'ébouriffer tes cheveux en un geste presque tendre :
- Tu vas m'manquer.
Lui aussi et il le sait, alors la conversation s'éteint d'elle-même parce que vous ne savez pas, ni l'un ni l'autre, comment parler de ce que vous avez sur le cœur. Ce serait trop impudique, quelque chose qui ne vous correspondrait pas.
Le seau rempli, vous rentrez. La contemplation du lac t'as étrangement redonné foi, même si tu ne sais pas en quoi : peut-être est-ce l'approbation de Jack que tu voulais obtenir avant tout, la certitude de ne pas te planter et d'avoir son soutien.
Quelques silhouettes se dessinent sur le côté du camp : furtives, elles s'approchent avec discrétion, se faufilant entre les tentes et les feux. Jack ne réagit même pas mais toi, tu les regardes avec curiosité parce qu'elles sont de cette espèce qui te fascine et te dégoûte en même temps. Tu voudrais les croire esclaves, les penser perdues et misérables, mais quand tu entrevois leurs sourires amusés, quand tu vois leurs corps se coller lascivement à ceux des soldats, tu as l'impression que parfois, la vérité dépasse leurs jeux d'actrices.
Quelques rires féminins se mêlent bientôt à ceux des hommes. Tu aperçois une silhouette perchée sur les genoux d'un des soldats, autour du feu, et une autre qui déjà entraîne sa proie sous une tente. Jack fait mine de les ignorer mais tu sais qu'il n'est pas indifférent, que comme tout homme, il a des besoins et des désirs.
Toi, tu ne vois que leurs sourires à elles. Ces petites dents blanches qui se dévoilent et semblent croquer la vie comme si être une femme et l'affirmer ne les dérangeait pas le moins du monde. C'est quelque chose qui te dépasse...
Le seau atterrit dans ta main et il grogne :
- File donner ça. Dépêche-toi, Joan.
Tu hoches la tête et disparais dans le camp, pressée de finir cette journée qui ne semble pas vouloir en finir. Pressée d'aller te réfugier sur ta paillasse...
- Va me chercher de l'eau gamin, dépêche !
La bourrade a beau être neutre, tu as l'impression qu'il vient de t'arracher l'épaule et ton petit corps est propulsé en avant avec une facilité déconcertante. Il ne t'en faut guère plus pour filer à toute vitesse attraper un seau et te diriger vers la rivière : Fred n'aime pas attendre. Et toi, tu détestes encore plus lorsqu'il te hurle dessus et braque les projecteurs sur toi : tu ne sais pas combien de temps encore toute cette comédie va durer mais pour l'instant, elle t'arrange et tu n'as pas envie de tomber le masque.
Tu te faufiles habilement entre les tabourets, les chevaux déjà somnolents et les grands corps bâtis pour la guerre lacérés de partout et titubants eux aussi de fatigue. La journée a été longue et les orcs n'ont pas faiblis : personne ne sait combien de temps tout cela durera mais les poings tiennent toujours les armes avec ardeur et détermination. L'un d'eux te bouscule sans faire exprès, tu manques tomber et te rattrapes d'un mouvement du poignet au sol, repartant de plus belle vers le lac. C'est à peine s'il t'a remarqué de toute évidence : les rires derrière toi en témoignent. Au pire, ils se moquent de tes quelques pirouettes habituelles. Dans un régiment comme celui-ci, ta jeunesse et ton corps frêle t'ont automatiquement rabaissé au rang de larbin : souffre-douleur si on te prenait en grippe, clown si on t'appréciait. Par chance, tu savais te faire tellement discrète qu'ils ne faisaient preuve avec toi que d'une franche camaraderie teintée d'une sorte de tendresse parfois presque fraternelle : tu avais compris où était ta place et ils t'en étaient presque reconnaissants, ces hommes dont la hiérarchie dictait leurs vies.
Une main se tend sur ton passage, on t'attrape méchamment le bras et tu valdingues, tes pieds décollant quasiment du sol alors qu'il te ramène à lui. Le seau t'est arraché et il te pousse en avant en maugréant :
- J'm'en occupe.
Le temps de te remettre de la surprise et tu lui décoches un immense sourire, un de ceux qui illuminent ton minois barbouillé de terre rouge : il en rougit presque, maugrée de plus belle et détourne le regard, comme pris en faute d'avoir un instant succombé à ton innocence.
- T'es en vie Jack...
- J'vois pas pourquoi j'laisserai un de ces salopards d'orc me faire la peau.
Ce serait contraire à tous ses principes, qui veulent qu'un homme bon soit debout, et un orc bon soit couché mort à ses pieds. Il est plus rustre et ruffian que le dernier des garçons d'écurie de Comté du Lac, mais il est l'un des hommes les plus droits que tu connaisses, et le seul à avoir tout compris.
Il n'y avait que ta mère pour t'appeler Johann autrefois : elle avait cette voix douce, ce regard empreint d'une fierté maternelle qui t'arrachait parfois quelques frissons de joie. Mais quand tu t'étais présentée, quand tu t'étais enrôlé pour quitter ce nid familial étouffant, c'était «Joan » que tu avais dit à l'instructeur. Joan, qui résonnait comme John, qui semblait tellement plus masculin que féminin. Avec ton corps nubile, ton absence de poitrine et tes traits un peu trop anguleux, tu avais donné le change. Personne n'avait jamais réellement fait attention à toi alors ils t'avaient tous pris pour un garçon : c'était plus commode. Moins dangereux aussi parce que tu n'avais pas le caractère de ces créatures fières et indomptables que tu croisais parmi la troupe. Toi, ils t'auraient mangé toute crue et n'en auraient rien laissé. A défaut d'être forte, tu avais été maligne.
Seul Jack avait compris. Jack et son regard perçant, Jack et sa grosse voix bourrue qui t'avait fait sursauté quand il t'avait demandé, la première fois, à quoi tu jouais. Mais il était finaud, peut-être davantage que toi, et n'avait pas insisté quand tu avais relevé le menton avec provocation : la place d'une femme dans l'armée était difficile à tailler, et encore plus à conserver. Un brin de fille comme toi aurait mal fini.
Il ne t'avait jamais dénoncé aux autres. Sans doute parce qu'à ses yeux, ce que tu faisais était juste. Mais peu à peu, son ombre s'était imbriquée dans tes pas, sa silhouette avait protégé la tienne : peu à peu, il avait guetté tes regards curieux et tes sourires fugaces. Ces sourires que tu n'arrivais jamais à retenir, ce mélange encore puéril de malice et d’ingéniosité.... Cela semblait réchauffer son cœur sec et lui redonner un peu espoir, même si tu ne savais pas en quoi.
Sa grosse main tient le seau et tu marches à côté de lui, continuant de sourire même si le cœur n'y est plus vraiment : toi aussi tu es épuisée d'avoir couru, de t'être battu, d'avoir aidé, d'avoir soigné... Tes mains sont calleuses, tes paumes pleines d'ampoules et tu as une brûlure qui court sur tout ton avant-bras droit, souvenir d'une rencontre avec un orc qu'un de tes compagnon d'arme a abrégé en te poussant sur le côté. Tu avais à peine eu le temps de le voir arriver que déjà, ils avaient pris la décision pour toi que tu n'arriverais pas à t'en sortir vivante. Ce qui ne cessait de te décourager : tu avais beau savoir qu'ils agissaient ainsi pour te protéger et parce qu'ils t'appréciaient, c'était toujours aussi dépitant d'être ainsi sous-estimée. Et le pire dans tout ça, c'est qu'ils ne te protégeaient pas parce que tu étais une fille, puisque tous pensaient avoir affaire à un garçon !
- Et toi, t'as tous tes os en place ?
Tu hoches la tête en soupirant : il ne lui en faut pas plus pour te coller une bonne tape amicale dans le dos qui te fait de nouveau décoller du sol comme si tu ne pesais rien. Tu te demandes parfois comment tu fais pour tenir debout avec tous ces lourdauds, pourtant son geste t'arrache un ricanement fatigué.
Le lac se dessine, scintillant sous la lumière de la lune : tout semble toujours irréel quand on approche ce grand Seigneur imposant, comme si le temps s'arrêtait pour laisser l'homme admirer ce que la nature était capable de faire. En d'autres temps, d'autres moments, tu t'abandonnerais volontiers à sa contemplation mais ce soir, tes oreilles sont grandes ouvertes et tes yeux furètent partout, à la recherche d'un mouvement suspect dans les joncs qui bordent l'eau. Les murlocs sont friands de ces temps de guerre et des idiots isolés, et c'est aussi pour cela que Jack est venu se mettre à tes côtés, sans aucun doute. Les feux s'éloignent, les voix s'estompent et la nuit vous enveloppe, apportant à la fois calme et frayeur : tu as autant envie de rester là éternellement que de t'enfuir en courant. La silhouette de Jack est à tes côtés et te rassure mais quand il se penche pour récupérer de l'eau, tu ne peux t'empêcher de serrer le pommeau de ton épée, sur le qui-vive.
- Détends-toi gamin, la nuit est tranquille.
Il a beau savoir que tu es une fille, presque une femme, il veille toujours à protéger ton secret : les oreilles indiscrètes étaient partout.
Sa grande carcasse se redresse et il soupire, observant les eaux briller sous la lumière blafarde : la magie semble présente, comme toujours dans les Carmines. Le Lac se livre, se laisse observer, tyran se complaisant de ses spectateurs et imperceptiblement, tes doigts relâchent ton arme.
- Le sergent recherche quelques hommes pour partir devant en reconnaissance. J'vais me proposer, Jack.
Tu entends sa poitrine se soulever alors qu'il inspire bruyamment : c'est sa façon à lui d'encaisser. Il n'aime pas te savoir trop loin de lui mais il sait aussi qu'il n'y pourra rien.
- T'es né ici, tu connais bien les sentiers, c'est sûr que tu seras utile.
- Je ne sers à rien ici, on ne me laisse pas me battre !
C'est comme si tu cherchais à te défendre, à vaincre une bataille déjà gagnée et un sourire discret s'affiche sur sa mine patibulaire. Il a la vingtaine bien entamée et le regard d'un vieillard pourtant : la sagesse faite homme.
- J't'ai jamais caché qu'il te faudrait faire tes preuves. Mais peut-être pas sur le champ de bataille, t'as raison. Peut-être ailleurs, peut-être à vadrouiller en sauvage dans les herbes hautes.... C'est p'têt une bonne idée.
Tu lui décoches ton immuable sourire d'effrontée et il éclate d'un rire gras avant d'ébouriffer tes cheveux en un geste presque tendre :
- Tu vas m'manquer.
Lui aussi et il le sait, alors la conversation s'éteint d'elle-même parce que vous ne savez pas, ni l'un ni l'autre, comment parler de ce que vous avez sur le cœur. Ce serait trop impudique, quelque chose qui ne vous correspondrait pas.
Le seau rempli, vous rentrez. La contemplation du lac t'as étrangement redonné foi, même si tu ne sais pas en quoi : peut-être est-ce l'approbation de Jack que tu voulais obtenir avant tout, la certitude de ne pas te planter et d'avoir son soutien.
Quelques silhouettes se dessinent sur le côté du camp : furtives, elles s'approchent avec discrétion, se faufilant entre les tentes et les feux. Jack ne réagit même pas mais toi, tu les regardes avec curiosité parce qu'elles sont de cette espèce qui te fascine et te dégoûte en même temps. Tu voudrais les croire esclaves, les penser perdues et misérables, mais quand tu entrevois leurs sourires amusés, quand tu vois leurs corps se coller lascivement à ceux des soldats, tu as l'impression que parfois, la vérité dépasse leurs jeux d'actrices.
Quelques rires féminins se mêlent bientôt à ceux des hommes. Tu aperçois une silhouette perchée sur les genoux d'un des soldats, autour du feu, et une autre qui déjà entraîne sa proie sous une tente. Jack fait mine de les ignorer mais tu sais qu'il n'est pas indifférent, que comme tout homme, il a des besoins et des désirs.
Toi, tu ne vois que leurs sourires à elles. Ces petites dents blanches qui se dévoilent et semblent croquer la vie comme si être une femme et l'affirmer ne les dérangeait pas le moins du monde. C'est quelque chose qui te dépasse...
Le seau atterrit dans ta main et il grogne :
- File donner ça. Dépêche-toi, Joan.
Tu hoches la tête et disparais dans le camp, pressée de finir cette journée qui ne semble pas vouloir en finir. Pressée d'aller te réfugier sur ta paillasse...
Joan Haynes- Citoyen
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Lieu de naissance : Comté du Lac
Age : 26 ans
Date d'inscription : 18/03/2017
Re: Profession : éclaireur - Nature : chiendent.
Le tempo est lourd, exempt de toute sophistication. Repris par des dizaines de mains, il devient presque solennel, comme si la danse était soudain une affaire d'état. Les yeux sont rivés sur le corps souple qui ondule, ploie et jamais ne casse : elle est belle mais ne semble pas s'en rendre compte, toute entière absorbée par ses mouvements. Seul son art compte en cet instant, dévoyé pour de simples soldats sans titre ni gloire : peu lui en chaut, elle danse. Danse et tourbillonne, ses reins se creusant et sa taille fine envoûtant les hommes. Au milieu d'un mouvement, son haut en tissu se soulève légèrement, dévoile la peau hâlée de sa hanche : c'est fugitif et laisse à peine le temps d'imaginer la douceur de ce grain, mais cela leur suffit amplement. Déjà les murmures se taisent et les mains applaudissent de plus en plus lourdement : les voilà conquis, les voilà amoureux. Ils sont siens et toi, tu n'arrives plus à décoller tes yeux de ce dos semblable au tien et pourtant capable de se courber en arrière comme s'il allait se briser. Toi aussi, te voilà envoûtée, subjuguée : elle respire une sensualité qui réussit à émouvoir même un garçon manqué comme toi. Les ombres des flammes lèchent son corps, dessinent en relief des mouvements osés et semblent renforcer le mysticisme de la scène.
Il suffit d'une femme et déjà, les prières s'éteignent, les besoins reviennent à la réalité.
Une femme et ils seraient prêts à oublier la guerre, ou au contraire la relancer pour ses beaux yeux.
Toi tu ne vois que ce corps féminin qui s'octroie des libertés interdites devant cette assemblée de mâles, cette beauté née de l'instant et de la danse, qui redeviendra sans doute banale dès que le rythme s'arrêtera. Elle est tout ce que tu ne seras jamais : belle, libre et sensuelle. Plus femme que tu n'aurais jamais osé l'imaginer, toi dont la tunique bien trop ample dissimule les courbes plates.
Dans la troupe, le puritanisme urbain n'a plus lieu d'être : les besoins redeviennent primaires et les pensées jouent la carte du pragmatisme, on apprécie ces quelques instants volés aux combats et à l'horreur. La mort s'efface doucement, balayée par cette flamme de vie qui ne durera pas mais permet de garder espoir malgré tout. C'est incroyable même de constater à quel point ces filles honnies par la bonne société sont capables – elles seules – de ramener un peu de chaleur dans le cœur des hommes du régiment : même le prêtre le plus chevronné n'y arriverait pas. Bien sûr, il y a le courrier des familles, les rires des amis et le soutien des camarades d'armes, mais ils gardent tous en eux cette ombre mortelle, comme si l'on savait qu'il s'agissait de la dernière fois, peut-être, qu'on sera capable d'écrire ou de sourire. Cette fille n'apporte pas cette amertume, bien au contraire : c'est là que réside tout son pouvoir.
Ta main sert un peu plus la lettre que tu viens de recevoir, le sang pulsant à tes oreilles presque aussi fort que le rythme de la danse. Il n'y a pas d’inquiétude dans ces quelques mots, peu de réconfort et quasiment pas d'amour : elle t'informe du bon fonctionnement de leur commerce, quelques nouvelle de cette voisine malade dont elle s'était rapprochée par la force des choses. Elle te susurre un quotidien qui t'échappe, toi qui a tendance à l'oublier au milieu du sang et de la précipitation. Et puis, il y a cette visite : « ton père doit venir proposer ses marchandises à l'armée, je sais qu'il doit voir un de tes supérieurs, un homme de bon sens qui.... ». La suite n'est là que pour vanter les qualités dudit supérieur comme si elle espérait qu'à travers sa lettre, elle avait quelques chances d'atteindre cet homme qui signera le contrat de réapprovisionnement. Elle ne s'inquiète pas pour sa fille, elle ne pense qu'à son argent. Même les formules de politesse à la fin sonnent un peu faux : elle a beau être ta mère, elle ne sait toujours pas comment se placer avec toi, ni comment agir sans avoir l'impression de trahir son époux. Elle l'avait tellement déçu il y avait 20 ans de cela en lui donnant une fille qu'elle se sentait coupable depuis, de tout et de rien : ta présence le lui rappelait constamment. Au moins avec l'éloignement, elle n'avait plus à jouer les faux-semblants.
Ton père était donc venu. Et il n'avait pas cherché à te voir. Ni demander de tes nouvelles. Les mots de cette lettre sont vides mais réussissent pourtant à te blesser, une fois de plus. Tu ne sauras jamais être ce qu'il attend ni ce qu'il voudrait et tu devrais t'en faire une raison, mais.... l'espoir est humain. Et le besoin de se sentir aimé également.
Tu sers les dents et ton regard perd de cette admiration que tu avais pour la danseuse : tu te fermes, tu t'oublies dans ce flot amer qui monte dans ta gorge. Ton estomac n'est plus qu'une boule de colère, une rage acide qui te consume depuis des années... Tu luttes contre le vent, cet homme ne te reconnaîtra jamais et toi, tu n'arriveras jamais à atteindre ses espérances : il voulait un garçon et tu as eu le tort de naître fille. Que tu sois un véritable garçon manqué et que tous tes compagnons d'armes pensent que tu es un vrai petit mec n'y changera jamais rien.
Presque instinctivement, tes doigts chiffonnent le feuillet et en font une boule de papier que tu jettes dans le feu de camp proche de toi.
Tant mieux, leur commerce se porte comme un charme.
Tant pis pour toi.
Elle danse toujours, ses mouvements de plus en plus rapides, de plus en plus érotiques aussi alors qu'elle sait pertinemment comment capter le regard. Elle a perdu le tien depuis quelques secondes et tu n'arrives plus à revenir à ses charmes féminins avec la même fascination. Elle est ce que tu ne seras jamais.... et n'aurait jamais voulu être.
Il suffit d'une femme et déjà, les prières s'éteignent, les besoins reviennent à la réalité.
Une femme et ils seraient prêts à oublier la guerre, ou au contraire la relancer pour ses beaux yeux.
Toi tu ne vois que ce corps féminin qui s'octroie des libertés interdites devant cette assemblée de mâles, cette beauté née de l'instant et de la danse, qui redeviendra sans doute banale dès que le rythme s'arrêtera. Elle est tout ce que tu ne seras jamais : belle, libre et sensuelle. Plus femme que tu n'aurais jamais osé l'imaginer, toi dont la tunique bien trop ample dissimule les courbes plates.
Dans la troupe, le puritanisme urbain n'a plus lieu d'être : les besoins redeviennent primaires et les pensées jouent la carte du pragmatisme, on apprécie ces quelques instants volés aux combats et à l'horreur. La mort s'efface doucement, balayée par cette flamme de vie qui ne durera pas mais permet de garder espoir malgré tout. C'est incroyable même de constater à quel point ces filles honnies par la bonne société sont capables – elles seules – de ramener un peu de chaleur dans le cœur des hommes du régiment : même le prêtre le plus chevronné n'y arriverait pas. Bien sûr, il y a le courrier des familles, les rires des amis et le soutien des camarades d'armes, mais ils gardent tous en eux cette ombre mortelle, comme si l'on savait qu'il s'agissait de la dernière fois, peut-être, qu'on sera capable d'écrire ou de sourire. Cette fille n'apporte pas cette amertume, bien au contraire : c'est là que réside tout son pouvoir.
Ta main sert un peu plus la lettre que tu viens de recevoir, le sang pulsant à tes oreilles presque aussi fort que le rythme de la danse. Il n'y a pas d’inquiétude dans ces quelques mots, peu de réconfort et quasiment pas d'amour : elle t'informe du bon fonctionnement de leur commerce, quelques nouvelle de cette voisine malade dont elle s'était rapprochée par la force des choses. Elle te susurre un quotidien qui t'échappe, toi qui a tendance à l'oublier au milieu du sang et de la précipitation. Et puis, il y a cette visite : « ton père doit venir proposer ses marchandises à l'armée, je sais qu'il doit voir un de tes supérieurs, un homme de bon sens qui.... ». La suite n'est là que pour vanter les qualités dudit supérieur comme si elle espérait qu'à travers sa lettre, elle avait quelques chances d'atteindre cet homme qui signera le contrat de réapprovisionnement. Elle ne s'inquiète pas pour sa fille, elle ne pense qu'à son argent. Même les formules de politesse à la fin sonnent un peu faux : elle a beau être ta mère, elle ne sait toujours pas comment se placer avec toi, ni comment agir sans avoir l'impression de trahir son époux. Elle l'avait tellement déçu il y avait 20 ans de cela en lui donnant une fille qu'elle se sentait coupable depuis, de tout et de rien : ta présence le lui rappelait constamment. Au moins avec l'éloignement, elle n'avait plus à jouer les faux-semblants.
Ton père était donc venu. Et il n'avait pas cherché à te voir. Ni demander de tes nouvelles. Les mots de cette lettre sont vides mais réussissent pourtant à te blesser, une fois de plus. Tu ne sauras jamais être ce qu'il attend ni ce qu'il voudrait et tu devrais t'en faire une raison, mais.... l'espoir est humain. Et le besoin de se sentir aimé également.
Tu sers les dents et ton regard perd de cette admiration que tu avais pour la danseuse : tu te fermes, tu t'oublies dans ce flot amer qui monte dans ta gorge. Ton estomac n'est plus qu'une boule de colère, une rage acide qui te consume depuis des années... Tu luttes contre le vent, cet homme ne te reconnaîtra jamais et toi, tu n'arriveras jamais à atteindre ses espérances : il voulait un garçon et tu as eu le tort de naître fille. Que tu sois un véritable garçon manqué et que tous tes compagnons d'armes pensent que tu es un vrai petit mec n'y changera jamais rien.
Presque instinctivement, tes doigts chiffonnent le feuillet et en font une boule de papier que tu jettes dans le feu de camp proche de toi.
Tant mieux, leur commerce se porte comme un charme.
Tant pis pour toi.
Elle danse toujours, ses mouvements de plus en plus rapides, de plus en plus érotiques aussi alors qu'elle sait pertinemment comment capter le regard. Elle a perdu le tien depuis quelques secondes et tu n'arrives plus à revenir à ses charmes féminins avec la même fascination. Elle est ce que tu ne seras jamais.... et n'aurait jamais voulu être.
Joan Haynes- Citoyen
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Lieu de naissance : Comté du Lac
Age : 26 ans
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