Alexandra Ivanovna, une petite bougie dans l'obscurité

Spoiler:

                  À la lueur des premiers rayons de soleil, la caserne était comme frappée par un bruit sourd. Au loin, un choc violent et répété, régulier, en colère, se faisait entendre. Curieux, certains regardèrent par la fenêtre du dortoir qui donnait sur la cours où les recrues reçoivent l'instruction.
Alexandra y était en armure, le visage encore pansé, tuméfié de l'horrible mission de la veille. Elle frappait les mannequins, encore et encore, portant son bouclier et son casque, répétant les gestes vu à l'entraînement. Elle enchaînait les attaques, suivant le schéma précis qui lui fut enseigné par les instructeurs. Dégoulinante de sueur, haletante, presque asphyxiée, elle continuait.

Elle voulait être plus forte.
Elle voulait pouvoir protéger ses camarades.  
Elle qui n'était qu'une jeune recrue, écrasée par sa naïveté.  
Elle qui était aveuglée par la pureté de son engagement militaire.
Elle qui avait juré de protéger les citoyens et de servir les autres.  
Elle qui s'était ordonné de suivre son Code et d'honorer la confiance portée en elle.  
Elle qui s'était crevé le cœur à adorer la Lumière et y répandre son Amour.
Elle qui n'avait jamais voulu tuer.
Elle avait trahi. Elle savait qu'un Garde doit parfois ôter la vie. Mais jamais elle n'aurait pensé que ce jour arriverait aussi rapidement, aussi brutalement.  

Aussi violemment.

Hier, elle avait changé.

Elle frappe le mannequin, les yeux fixés comme un automate sur sa cible, sans expression.

Elle revoit le combat. Le premier. Tremblante au milieu de ses camarades, la gorge sèche, les genoux rentrés, elle est frappée par un fléau d'arme avec une force inouïe sur son casque qui s'en retrouve enfoncé. Hébétée, elle prend conscience d'un principe qui va la terrifier pour les semaines à venir.
"J'ai tout donné à la Lumière. Malgré tout mon amour, mon innocence, mon jeune âge et ma bienveillance, il veut me tuer. Maintenant. Cet homme que je ne connais pas. Il veut que je meure."
Paniquée, elle se relève le souffle court. Sourde, subissant l'effet tunnel, elle assène en hurlant, machinalement, sauvagement, un coup transversal, serrant les dents au moment de l'impact.

Elle change de posture, et de la pointe de sa lame, elle transperce le mannequin, les yeux toujours fixés, le visage inexpressif.

La tête de l'ennemi est décapitée dans une gerbe de sang poisseux, projeté sur ses camarades et elle même, en plusieurs jets sous pression, suivant le rythme des battements du cœur de sa victime. Le corps toujours debout, donne des coups dans le vide avant de s'effondrer lourdement en un nuage de poussière.

Elle frappe le mannequin encore plus fort, encore plus vite. Elle enchaîne à une vitesse folle les combinaisons de coups, à bout de souffle.

La tête roule au sol et s'arrête entre ses pieds, les yeux parfaitement dans l'axe du regard d'Alexandra.

Le mannequin se déchire, laissant entrevoir le squelette de bois sous la toile. Il se met à pencher sous la fureur des coups.

La tête est encore vivante.

Il est encore conscient. "Il essayait de me parler, de hurler. Peut être qu'il regrettait. Peut être qu'il voulait revenir en arrière..." pense-t-elle dans une boucle infernale de pensée. Ecrasée par le remord.

Elle voit encore. Les lèves bougent et les yeux injectés de sang courent de gauche à droite. La tête veut parler, l'expression change, horrifiée, grimaçante.
Alexandra fixe le visage arraché à son corps.

Les yeux se fixe sur elle, les lèvres tremblent, la bouche s'ouvre et se ferme. Puis elle ralenti, doucement, prenant une expression triste. Les yeux se lèvent, ne laissant plus que le blanc. Baignant dans une marre de sang dégoutant, s'infiltrant sous les bottes d'Alexandra.

Elle observe, les yeux écarquillés. Figée. Glacée. La main de Kenway la tire de sa stupeur.

Le mannequin est arraché de son support. Elle lâche ses armes, et tombe à genoux. Elle reste immobile, les yeux fermés. Des larmes coulent le long de ses joues. Exténuée, à bout de souffle, elle cherche à assimiler ce qu'elle a vécu : elle tousse, et vomit pratiquement sans un bruit.

Elle repense à ceux qu'elle a perdu, sa famille massacrée. La violence perpétuelle de ce monde. Son appel de la Lumière, lui disant de s'engager dans la Garde de Hurlevent. Peut être est-ce un signe qu'elle doit évoluer, embrasser un nouveau chemin : car agir nécessite des sacrifices.

Elle repense également à cet étrange évènement qui, sans témoins, l'aurait faite passer pour une folle.

Pendant l'affrontement final contre les terroristes d'hier soir, sous la ville, sa prière fut exaucée. Lévitant, embaumée d'une aura aveuglante, la Lumière la protégea,  ainsi qu'Avriléis, Tallorpe et Kenway. Tous entourés d'une sorte de barrière salvatrice suite à son appel. Qu'est ce que tout cela signifiait ?

Elle se redressa, récupéra son équipement. Après les évènements d'hier, le repos d'aujourd'hui sera consacré à de multiples tâches.

Musique d'ambiance:

Maintenant promue au grade de Soldat, Alexandra était enhardie par cette nouvelle confiance accordée. Elle redoublait d'efforts, allant toujours plus loin dans l'éventail des possibilités, frôlant parfois l'extrême. Plongée dans ses lectures, dans ses rapports, dans les enquêtes, dans tous les documents dont elle pouvait prendre connaissance. Guidée par une foi inébranlable, il lui fallait tout.

Obsédée par l'idée de surpasser ses ennemis.
De protéger ses camarades.
De s'améliorer.
D'être plus forte.
De ne jamais être surprise.
De ne jamais être battue.

"On ne me volera plus jamais rien" disait elle souvent, dans ses moments de doute. La braise qui donnait naissance à sa colère intérieure, revenait petit à petit, chaque nouveau jour, plus intense, plus brûlante.
Son passé flou se clarifiait, doucement, par bribes d'images bouleversantes.

Elle s'entraînait sans relâche au combat. À mains nues, à l'épée, au bouclier ou d'autres armes, jusqu'à l'épuisement. Seule ou avec un maître d'arme privé qu'elle allait voir assidûment, faisant preuve d'une volonté et d'une persévérance incassable.

Son corps changeait, comme les traits de son visage : ils durcissaient. Plus lourde, plus solide, plus sûre d'elle.
Ses gestes étaient de plus en plus précis, ordonnés, conscients.
Ses muscles saillants surpassaient le reste.
Sa transformation avait bien commencé.

Et elle continuait, sans cesse. Sans jamais perdre de vue, sa Lumière.