La conquête de Gnomeregan

La bataille faisait rage dans les entrailles de Gnomeregan, entre les gnomes assistés de leurs mercenaires et les lépreux; et pour contenir l'arrivée constante d'ennemis depuis les profondeurs de la ville, quelques escouades d'infanterie gnome ont décidé de rester en arrière. Et pendant que le Grand Bricoleur et ses alliés arrivent au dépôt de trains, l'arrière-garde se démènent pour tenir la ligne.
"Ne reculez pas ! Pour Gnomeregan, ne leur cédez rien !"

Le sergent Durécrou, en position sur un monticule de débris mécaniques, donnait de la voix pour encourager ses soldats avec des formules patriotiques et lâchait salve après salve de fusil arcagnétique sur les ennemis qui approchaient.

Djigzyx, en contrebas se battait comme un diable pour cette ville qu'il avait si longtemps considérée comme un dépotoir. L'ultrapatriotisme gnome lui était tant monté à la tête ses dernières semaines que les lépreux n'étaient plus des frères à sauver mais des ennemis qu'il convenait d'abattre, au même titre que les troggs.
Robby était parti depuis quelques temps maintenant, son attitude vis-à-vis de ceux qui aimaient leur patrie étant jugée trop malsaine ici, et peut-être aussi qu'il boudait parce que les gnomes se comportaient plus comme des machines que lui ne le faisait...

Cela faisait déjà un moment que les soldats tenaient leur position; le marteau-tonnerre de Djigzyx crépitait furieusement d'électricité et son épée coupe-os n'avait presque plus de batterie. Sa combinaison antiradiation étaient plus que tâchée de sang, trogg ou gnome, mais toujours irradié et son scaphandre était marqué par les coups ennemis. Le gnome ne tournait plus qu'à l'adrénaline maintenant, et lorsque les premiers lépreux commencèrent à battre en retraite, il voulut les poursuivre.
"Ils se retirent, ne bougez pas ! Restez en position ! s'époumona le sergent. J'ai dit : restez en position !"

Les lépreux continuaient de filer en arrière et les gnomes se regroupèrent près du monticule. Djigzyx, qui s'était quelque peu laissé emporter, mis un peu plus de temps à les rejoindre.

"Amenez les blessés et ramassez les morceaux qu'ils ont pu perdre. On sécurise l'endroit et on attend les ordres de Mekkatorque"

Après le désordre de la bataille, le calme qui retombait était plus que bienvenu. On entendait plus que les gémissements des blessés et les halètements des gnomes éreintés. Quelques cris de troggs résonnaient au loin, mais il semblait bien que l'ennemi s'était définitivement retiré.

"_Ha ! On les a fait fuir ! Par Gnomeregan, ils ont eu peur de nous ! s'écria un des soldats, mais Durécrou semblait perplexe.
_Messieurs, annonça-t-il en retirant son scaphandre et en sortant un cigare d'une de ses poches. De deux choses l'une : ou bien notre victoire est assurée, ou bien notre défaite est inéluctable. Mais si l'ennemi est parti la queue entre les jambes c'est qu'on arrive à un tournant de cette guerre."

Le sergent alluma son cigare et en tira une bouffée qu'il cracha en l'air. Le vieux gnome avait le visage buriné et glabre. Les rumeurs disaient qu'il avait perdu sa pilosité et bien plus encore dans la catastrophe de Gnomeregan et que depuis, il collectionnait les fourrures de troggs... Mais ce n'étaient que des rumeurs.

"Le pire est peut-être encore à venir..." dit-il sombrement.

Le silence qui suivit se fit gênant mais il ne dura pas, car une voix, hystérique et furieuse, tonna à travers la cité, et fit sursauter les gnomes :

"DIX MINUTES ?! Vous avez laissé les réglages d'usine ?! Donnez moi cette télécommande imbécile !"

Les soldats n'eurent même pas le temps de s'interroger qu'une deuxième voix, mécanique suivit la première :

*BIP* "Attention, attention. Vous avez maintenant 10 secondes pour atteindre la distance minimum de sécurité"

Tous tournèrent la tête vers l'origine du bruit, inquiétés par l'annonce de la machine.

10...

"_Sergent...? demanda un des soldats
_Ça commence à craindre... dit Djigzyx"

9...

Durécrou, autant en quête de réponses que les autres, malmenait son communicateur pour obtenir une explication de la part de sa hiérarchie.

"…Non, Lanforge nous n'avons pas été téléporté. Qu'est-ce qui se passe ici ?

8...

Quoi ?! Un irradiateur ? Thermojoncteur en a produit un autre ?!" s'écria le sergent qui sentit les regards se rivaient sur lui et les respirations se stopper.

7...

Il jura en refermant son communicateur et fixa les gnomes devant lui, avec l'air de réfléchir furieusement.

6...

"_Sergent... Qu'est-ce qu'on fait ? redemanda le soldat dont l'interrogation commençait à devenir de la peur.
_Ça craint vraiment..." dit encore Djigzyx, pas plus rassuré

5...

Durécrou sembla réfléchir encore une éternité, ses traits burinés soudainement tendus.

4...

"On avance ! hurla le gradé d'une voix qui couvrait le compteur. Enfoncez vous dans la ville ! Au pas de course !"


Les gnomes ne se le firent pas répéter et tous prirent la fuite, suivant la direction que leurs ennemis avaient prise quelques instants auparavant. Certains avaient lâchés leurs armes, d'autres non, mais tous eurent le réflexe d'actionner leur bottes-fusées. Ils dominaient leur panique avec peine, avançant sans un mot ou jurant tout bas et préféraient se concentrer sur leur course dans les entrailles de la ville.

2...

Ils avaient beau courir, ils ne voyaient pas d'abri et pire encore, ils n'avaient aucune idée de la mesure de la distance de sécurité.

"Galère, galère, galère.." souffla Djigzyx en sprintant comme il ne l'avait jamais fait auparavant.

1...

"Continuez ! Continuez ! Ne vous arrêtez pas ! s'époumonait le sergent. Par les boulons des Titans je vous paye un kébab à tous si on sort d'ici vivants !"

0...
Ravi d'avoir fait votre connaissance.

Il y eut un grand bruit sourd. Une secousse faillit faire trébucher les fuyards, puis ce fut comme si une énorme vague avait décidé de les prendre en chasse et on entendit bientôt plus que le souffle de l'explosion radioactive.

Djigzyx se retourna et ne vit qu'un gigantesque mur vert qui avançait derrière eux à une vitesse folle. La panique gagna complètement les gnomes qui se mirent à piailler en agitant les bras de façon désordonnée.

Ils furent réduits au silence lorsque la vague les engloutit.

Tout était vert et sens dessus dessous à l'extérieur du scaphandre de Djigzyx qui se sentit soulevé du sol et cabrioler dans la mer radioactive. Beuglant et s'agitant, il distingua dans son envol des silhouettes qui passaient près de lui, ballottées par la marée, mais il n'aurait sût dire si elles étaient vivantes ou s'il s'agissait de cadavres emportés.

Il lui sembla être porté de cette façon durant une éternité, au point qu'il s'arrêta même de crier. Puis il percuta quelque chose, un mur peut-être, et la vague qui l'avait transporté jusque là se mit à l'écraser, exerçant sur son petit corps une pression qui se révéla vite insoutenable.
Sa vision se brouilla alors qu'il luttait pour accéder à l'oxygène que sa combinaison lui offrait, il ne pouvait plus bouger un membre et son cœur battait follement.

Pire encore, de petites craquelures apparurent bientôt sur la vitre de son scaphandre et des sonneries d'alarmes bourdonnèrent à ses oreilles. Djigzyx n'entraperçut cela que brièvement avant que sa vision ne s'assombrisse et qu'il ne tombe inconscient...
Sa dernière pensée fut qu'au moins s'il était désintégré, il ne serait pas une tâche sur le sol, comme son père l'avait souhaité