Aubiane Montagüe

Cher Torak et Sarha,

Ca va faire presqu'un mois que je suis dans la garde. Je sais que c'est pas très élégant comme expression mais j'en chie.

J'ai fait des pompes, des tours de cour en courant en disant des trucs débile style "Je dois pas contester l'ordre d'un de mes supérieurs!", j'ai du écrire des lignes aussi, comme quand j'étais petite et que je me faisais choper à lancer des boulettes de papiers sur les autres à l'école.

Levée avant le soleil, souvent au son du cor, quoique ce matin y a eu une nouveauté, le sergent m'a fait l'immense honneur de me gueuler dans les oreilles pour me réveiller. Hier il était en train de creuver, on en a bavé la sergent Luneargent ou plutot la sergent "Mais-non-je-porte-pas-de-gaine-j'ai-la-taille-naturellement-fine-comme-ça-parce-que-je-fais-beaucoup-d'exercices-tiens-pendant-qu'on-y-est-faites-moi-quarante-fois-le-tour-de-la-cour-et-cinquante-pompes!" Doooooooonc, j'disais quoi déjà? Ah oui, donc elle et moi on en a bavé pour le ramener le gros dondon là et ce matin le voilà qui crapahute dans le dortoir des filles avec sa béquille rien que pour essayer de me donner une crise cardiaque! C'est un grand malade lui j'vous jure.

Non mais franchement, y a de drôles d'oiseaux à la caserne. Mon pote, c'est une elfe, elle s'appelle Leitan Soirétoile. Une elfe vraiment très bien, pas comme celles qui ont le cul en feu et qui traînent du côté d'Elwynn, non Leitan, elle est bien, elle rit dès que je fais une connerie.

Y a le lieutenant, enfin sous lieutenant, quoique je vois pas ce que ça change vu qu'on a pas de lieutenant. Elle me faisait vachement flipper au début et en fait, vous allez pas m'croire, mais qu'est ce qu'elle est porté sur le cul! Et en plus elle ronfle, quoique moi, ça m’empêche pas de dormir, c'est plutôt les elfes que ça embête.

Les plus humains dans les gradés c'est bizarre, mais c'est même pas des humains: un nain, le caporal Poing Marteau, je l'aime bien lui, sauf quand il m'envoies faire des lignes ou des tours de cours et le petit gnome au nom imprononçable, tiens vais l'appeler Dgigi, ça sera plus simple qui a un robot que je vais finir par démonter un jour surtout après la petite blague de ce matin.

Y a aussi le commandant, une naine, mais je sais pas trop quoi penser d'elle ou si j'ai même le droit de penser un truc, donc ben comme j'ai jamais vraiment bossé avec elle encore, je verrais bien.
Sinon, ben je suis passé soldat et ça c'est plutôt une bonne chose, vais pouvoir apprendre ce que je sais aux recrues.

Par contre, tout est pas à la rigolade à la garde. Y a eu des choses pas facile a vivre.
Déjà y a des gens qui aiment pas la garde, ils nous voient pas comme des gens là pour les protéger, ils nous voient comme des gens là pour venir mettre notre nez dans leurs affaires, ben oui mais désolée, si leurs affaires sont louches c'est un peu normal qu'on aille y fourrer notre nez aussi.
Puis y a ceux comme ce mec l'autre jour à la taverne un peu r raciste et misogyne sur les bords qui disait que c'était pas normal que la garde soit menée par une naine, ou que des non humains puissent être gradés. Moi je lui ai répondu que j'en avais rien à faire, du moment où j'avais du respect pour mon supérieur, j'en avais rien à faire qu'il soit une femme, un elfe, un gnome ou un nain, ou un géant un peu sadique sur les bords.

Le pire, c'est les pendaisons. Ça me remue les tripes à chaque fois. J'ai beau savoir que si on laisse le mec en vie il va en zigouiller d'autres et ça serait de notre faute à la garde et qu'on peut pas non plus les garder en prison parce que ça manque de place, mais je trouve ça triste que des humains en viennent à devoir tuer d'autres humains, comme si les guerres, les pestes et la horde suffisaient pas comme ça, fallait qu'on s'y mette aussi.

Bref, j'ai mal partout, on s'est tapé trois heures à courir dans les bois ce matin et ça n'a pas arrêté de défiler à la caserne encore une fois, Mais sinon ça va. Embrassez ma Jessie pour moi et oubliez pas de m'envoyer mon arc blanc que grand-père m'avait fabriqué.

Ah j'ai faillit oublier, dites à Tob qu'il avait raison. On m'a demandé de "soigner mon langage qui n'est pas approprié pour un garde qui représente le roi" ouais, enfin c'est un elfe qui dit ça. Bref vous direz à Tob que la prochaine fois qu'on se verra ça s'trouve je causerai "comme il faut".

Je vous ai envoyé un cadeau pour ma petite nièce, j'espère que ça lui plaira, dites lui que tatie Auby pense fort à elle!

Si vous avez des nouvelles des quatre autres affreux, embrassez les pour moi!

Vous me manquez tous,

Auby

Chers Torak et Sarah,

C'est dur là.

Des fois je me sens inutile et me demande à quoi on sert.
Une femme s'est faite assassiner par un défia sur sa ferme à Elwynn. Je ne la connaissait pas, je sais pas pourquoi ça m'a touché. C'était peut etre de voir la peine de son époux ou de l'imaginer quelques heures auparavant en train de rouspeter après son mari, de réfléchir à ce qu'elle allait bien pouvoir préparer pour le diner...à se dire qu'il faudrait qu'elle achète de la lessive pour le lendemain...je sais pas pourquoi j'ai pensé tout ça. C'était comme si mon esprit se refusait à voir cette femme comme un vulgaire morceau de viande froide. Par mes pensées, je pense que je lui redonnait un peu d'humanité, à défaut de pouvoir lui redonner vie.

Plus tard on est allé à Sombre-Comté, les Veilleurs ont pas aimé nous voir débarquer sur leur "territoire" sauf que Sombre-Comté c'est les terres du Roi, on avait tout a fait légitimité d'y aller surtout pour une mission.
Il y avait là une nécromante qui faisait des expériences interdites. Une ferme, un zoo, protégé par des animaux de sa "fabrication" j'ai faillit faire pipi dans ma culotte, tellement c'est pas passé loin une fois ou deux.
C'est drôle, mais même dans l'horreur de cet enfer, y a eu du comique.
Comme ce nouveau recrue, ce chevalier, de ceux qui défendent la veuve et l'orphelin, sauf que là, c'est lui que les filles du régiment s'affairaient à protéger. J'avais envie de leur crier "Mais bordel, foutez lui la paix, laisser le se démerder avec ce veau là, il est pas blessé, il peut s'en sortir tout seul, voulez qu'il lui fasse quoi ce veau? Il a même plus de tête, il va pas l'bouffer, et il va pas l'pietiner à mort, c'est pas comme si c'était un boeuf! Attaquez plutot ce worgen là, celui qui vient d'bouffer le cleps de Cleyam!" mais bon, je pouvais pas dire ça, je suis caporal, et c'est bien de voir les hommes qui s'entraident entre eux. En parlant de comique, notre commandante, une naine, c'est un sacré petit concentré de courage, j'ai beaucoup de respect pour ce petit bout de femme. Dans cet enfer, non seulement elle était efficace, mais en plus, elle apportait l'humour nécessaire pour nous donner ce qu'il fallait pour pas se faire dessus et attaquer.

Enfin bref, tout ça au moins m'a occupé l'esprit. C'est demain que Piercevan et moi devions nous marier. Mes cheveux sont devenus longs, de quoi faire ce superbe chignons aux longues mèches qu'il voulait que je fasse.
Demain, je sais que ce sera pas simple...mais ça passera une fois le soleil couché.

Il me manque terriblement...vous me manquez tous terriblement.

Aubiane

Cher Torak,

J'ai bien reçu ta lettre.

Oui, bien sur je viendrais, il est normale que je sois là.
C'est depuis que je suis loin de vous que je me rends compte à quel point j'ai de la chance d'avoir une famille comme la nôtre. Notre enfance fut heureuse dans l'ensemble et nous n'avons eu à souffrir. Est ce que cela fait de nous des gens bien? Aurions nous été différents si la vie avait semé son lot de traumatismes comme il semblerait qu'elle ait semé chez nos pairs?

Je suis désormais, sergent. Et je ne cesse de me poser toutes sortes de questions. Je n'ai aucune expérience de la guerre, on a toujours cherché à me protéger, à veiller à ce que rien ne m'arrive...je m'aperçois aujourd'hui que je n'ai rien vu, rien vécu. Je me sens si fade, si insipide. Mon histoire, somme toute, frise une banalité à faire mourir d'ennuie in ivrogne qu'on aurait enfermé pour la nuit.

Je suis là à commander à des hommes et des femmes qui en savent bien plus que moi. Pour combien de temps? Comment inspirer le respect chez des gens de qui je pourrais apprendre ...et à qui je n'ai rien à apprendre...ou si peu.

J'ai fait la connaissance d'une personne admirable. Il a tellement vu de choses, vécu des batailles, tant accomplis...je me plais à l'écouter, je pourrais l'écouter pendant des heures. Sa voix même a quelque chose de rassurant. Il porte l'uniforme aussi...et à la caserne c'est à peine si j'ose lui parler, à peine si j'ose croiser son regard. C'est lui qui devrait être à ma place et moi à la sienne, tout cela est si étrange et encore si ces choses ne se passaient que dans ma tête. Pas la peine de me demander si je compte vous le ramener à la maison, c'est non, j'aurais trop peur que vous me fassiez honte. Je serais toujours la petite dernière, la petite soeur sur qui il fallait veiller...mais voilà, la petite soeur est devenue une femme....bon j'espère que t'es pas en train de boire ton thé en lisant cette lettre car là, c'est sur en lisant le mot "femme" tu dois être en train de t'étouffer là parceque oui, je ne suis plus une petite fille, ni même une jeune femme, je suis une femmeuh! -Tu me le diras hein si tu t'es etouffée en lisant ma lettre, hein dis?

Femme oui, fallait bien que ça commence un jour, mais pas que. Soldat aussi, sous-officier même, avec la paperasse qui va avec et les hommes qui vous font des grimaces derrière votre dos à l'entrainement. Je fais semblant de pas voir, ça les soude entre eux d'avoir un "ennemi commun" moi.

J'ai peur Torak, ce métier est un métier difficile et les dangers sont partout. Et moi qu'est ce que je sais faire? Je sais chasser...des bêtes sauvages, petit ou grand gibier...des orcs aussi, mais ils bougent pas vite, je sais pas si ça compte...oh et puis oui j'ai tiré sur des bestioles crées par une espèce de nécromante ou nécromancienne - et oui je sais même pas comment ça s'appelle! Mais bon, à bien y regarder c'était que des bestioles aussi. Oui, je sais manier l'arc et la sarbacane comme me l'a appris grand-père, je suis même douée, très douée, il serait fier je pense de voir comment j'ai progressé. Mais quand on a tenté de m'entrainer à l'escrime, au milieu des couronnes, des portes, des fenêtres, des dames, des sangliers et des belettes -quoique pas sur pour les belettes- ben faut se faire une raison..je suis incapable de me retrouver une épée dans les mains, me suis retrouvée sur les fesses entraînée par le poids de l'épée devant tous mes hommes. Je ne me souviens plus avoir eu aussi honte de ma vie. Bref j'ai appris quelque chose: je suis nulle à l'épée. Lui par contre..il manie ça comme un dieu.

Je dois te laisser, de toute manière on se voit dans quelques jours. Je suis heureuse de venir et en même temps j'aime ma vie ici, et j'ai peur de revenir et que les choses soient changées.

Je t'embrasse, embrasse Sarah les enfants et les quatres idiots qui nous servent de frère.

Auby

Cher Torak,

Je sais que ça fait pas très longtemps que je vous ai quittés pour revenir à la capitale, mais j'avais besoin de vous écrire.

Mon retour a été loin d'être celui que j'avais imaginé. Je me rends compte de pas mal de choses, notamment que rien ne me préparais à la "vraie" vie.

C'est curieux, mais je commence à comprendre les propos de mon lieutenant quand elle parlait de manque d'expérience et je ne lui tiens plus grief ni à elle ni à ceux qui ont décidé de me rétrograder pour cette raison. Ils ont une expérience du terrain et de la nature humaine que je n'ai pas encore, mais d'après la commandant j'ai malgré mon âge une sagesse que certains plus âgés que moi n'ont pas et j'espère que cette sagesse m'aidera à combler mes lacunes.

Je vous en veux à toi Torak et aux autres, de m'avoir élevée protégée de tout en petite princesse. Je sais que vous avez voulu faire de votre mieux pour remplacer nos parents, mais il est une chose que vous devez savoir et je le dis pour les enfants que vous aurez à élever: c'est une chose que d'apprendre à manier l'arc, la sarbacane et le bâton pour chasser et combattre...mais vous avez omis de m'apprendre le maniement des armes les plus importants: ceux qui vous permettent d'avancer dans la vie avec ses lots d'incertitudes, de doutes et de peines.

Je me souviens d'un soir, je devais avoir quinze ans à l'époque. Je m'étais levée dans la nuit pour aller faire pipi et vous étiez encore debout avec grand-père et j'ai entendu les bribes d'une conversation portant sur la mort de nos parents. J'en ai jamais parlé avant, mais je vous ai entendu dire "Mieux vaut qu'Auby ne sache pas, cela ne ferait que la perturber et elle a le droit d'être heureuse". Peut être serait il temps de me dévoiler ce "secret de famille" que vous avez depuis tant d'années cherché à me cacher. Je sais qu'il y a quelque chose qui colle pas dans la mort de nos parents car je suis allée à la bibliothèque et j'y ai cherché les informations sur les différentes périodes de peste et les dates ne correspondent pas. J'ai besoin de savoir, cessez de vouloir me protéger, même si cela doit me faire de la peine, je dois apprendre à gérer la souffrance afin de comprendre celle des autres. Vous avez fait de moi une enfant gâtée, et trop sage...me laissant sans le savoir à la merci des loups. Je sais que vous avez voulu bien faire...je n'avais pas besoin de ces armes là vu que je devais passer ma vie avec Piercevan, mais voilà, il n'est plus là et ma vie n'est pas celle qu'elle aurait du être et il me manque des armes pour y faire face. Alors je te le demande...dis moi ce que je suis en droit de savoir, dis moi ce qui s'est passé la nuit où nos parents sont morts.

J'ai besoin de savoir qui je suis et d'où je viens...je ne me suis jamais sentie aussi perdue et malheureuse depuis la mort de Piercevan...je me suis jamais sentie aussi seule qu'aujourd'hui.

Aubiane

Cher Torak,

Si tu savais comment il est dur de garder l'espoir et la Foi quand on n'est plus que douleur et que vos forces vous abandonnent.

J'essuie échec après échec et j'essaie de trouver la force de continuer, pour eux... pour lui.

Pour ces femmes victimes d'un dangereux psychopathe qui sévit en ville. J'ai passé trois heures à arpenter la ville avec des talons et ça n'a rien changé...il a fait une autre victime cette nuit là.

Pour Lorgan, ce petit garçon qui en une matinée m'a expliqué les principes de la Lumière, une philosophie à laquelle je n'avais que prêté peu d'attention avant. Lorgan est en danger, je me bats pour trouver la force pour l'aider, je le dois, car il est innocence et il est en ce monde ce qui le rend meilleur.

Pour Angron, son père, il refuse l'aide que je voudrais lui apporter par mes mots, ma présence. Je crains qu'il ne se laisse envahir par le désespoir l'éloignant ainsi de la Lumière dont il est le défenseur...il était là pour moi dans mes moments de doutes et d'incertitudes, dans mes moments de douleurs y compris ceux dont il était à l'origine. Lui qui voulait apporter à son prochain l'amour et le pardon, comment y arriver quand il ne parvient à se pardonner lui même? Lui qui doit apporter les voies d'un bonheur à son prochain, comment y arriver quand lui même se laisse hanter par les fantômes de son passé?
Je voudrais qu'il garde espoir, je voudrais qu'il reste l'homme qu'il voulait devenir, le chevalier à l'esprit noble...ce monde a tant besoin de ce genre d'hommes...il y en a déjà tant qui en sont éloignés et de ceux et celles qui en voulant faire le bien, attisent le mal sans se douter...l'enfer est pavé de bonnes intentions ne dit-on pas?

Jour après jour je découvre ce monde dans lequel nous vivons, je me prends tout de plein fouet comme si j'avais été engloutie par une vague gigantesque et que je suis prise dans ses rouleaux...je sais que je dois me battre pour remonter à la surface, respirer l'air dont mes poumons sont privés...alors que je suis à bout de forces et que l'air ne semble n'être pour moi qu'un lointain souvenir...il serait si simple d'abandonner, de tout quitter... il est plus simple de régler un litige d'un coup de dague ou par la fuite plutôt que d'entamer un dialogue qui durerait des heures, des jours, des semaines ou de simplement accepter...tellement plus facile...et bien que l'esprit sait que les solutions ne sont pas dans la simplicité, le corps et le coeur y voient un échappatoire comme un autre.

Je me suis mise à prier, Torak...à prier pour garder courage, celui de venir en aide aux autres, celui de tenir jusqu'au bout, de ne pas fuir devant mes échecs, je puise dans ce qui me reste de forces et je prie...pour pouvoir tenir le temps qu'il faudra.

Aubiane