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L'homme et la Bête : Instinct

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Message par Angron Manus Jeu 16 Fév 2012 - 10:06

L'homme et la Bête : Instinct Forets10


Chose rare, il avait délaissé le chapelet et la lourde armure. Le premier dans la sacoche derrière lui, la seconde dans son casier, soigneusement rangée et couverte d'un drap blanc, comme l'on cache un mort à la vue des vivants.
Sur ses épaules, une cape en peau de loups aux tons gris d'un ciel morne. Contre sa peau une simple tenue en cuir, dont les lacets usés pendaient mollement, ballotant contre le plastron sans fioriture ou ornement quel qu’on que. Ses mains gantés du même matériau n'étreignait qu'un simple bracelet en cuir, frottant la pulpe de ses pouces contre les entrelacs complexes à un rythme lent, bercé par les murmures qui franchissaient la barrière mi-close de ses lèvres.

Ce n'était pas une prière. Voila ce que le Chevalier se répétait, encore et encore. Ce n'était pas une prière. Il n'aspirait pas à communiquer ou s'élever par delà son corps de mortel, a porter à une entité supérieur louanges ou grâces, suppliques et remerciements, non. Et même si dans la posture, bien des choses le rappelait : genoux au sol, épaules voutés, mains liées devant lui et tête incliné en signe de déférence, non, ce n'était pas une prière.
Oui, il murmurait, oui, il s'entretenait presque cérémonieusement, avec ces êtres à peine conscients qui peuplent l'imaginaire des hommes. Mais la ou s'opérait ce changement presque imperceptible, cet infime brise qui faisait tourner les voiles d'un navire passant de travers au près, se discernait par l'absence de piété, de zèle, de dogme. Car malgré les apparences que pouvait noter un œil averti, il n'y avait aucune logique, aucune préparation. C'était la un rituel bien plus simple, instinctif, presque sauvage. Quelque chose de naturel et de barbare, d'incivilisé et pourtant en rien violent. Comme un enfant jouant pour la première fois avec des pierres et des bâtons, découvrant ou redécouvrant les formes simples, le toucher et la matière.

Non, ce n'était pas une prière. Le Chevalier en était convaincu lui même, il le savait, il le sentait. Peut être faisait-il cela par mimétisme, ou par instinct. Peut être se contentait-il de reproduire inconsciemment ce que son esprit vagabond percevait parfois à demi-éveillé ? Même de cela, il n'en n'était pas certain. Il se contentait d'avancer à tâtons, presque aveugle, effectuant certains gestes avec naturel, d'autre avec des mouvements plus saccadés, le front barré quelques instants d'un pli pensif. Puis, après coup, il terminait ce qu'il avait commencé, lentement, achevant chaque chose qu'il avait entreprit. De ce rituel sans queue ni tête, rien ne transparaissait, comme s'il agissait sous le coup de la folie, et pourtant, son regard restait serein, posé, ressentant plus qu’il n’analysait, se fiant non à sa raison, mais à ses sens, le frottement d’une pierre sur sa paume, l’odeur de la terre mouillée, le bruit du clapotis des vagues sur la berge de galets.

Mais si une chose semblait certaine à ses yeux, c’était l’impérieuse nécessité de faire cela. Le besoin viscéral, instinctif, régit non par la Loi ou le Désir, mais par quelque chose de plus primitif, de plus profondément enfoui. Que ce fut sa propre tombe qu’il creusa, ou l’unique sortie d’un cachot, cela n’importait pas. Il fallait le faire, comprendre, ressentir. Se contenter de ces choses simples, si simples qu’elles pouvaient paraitre risible et dénué d’intérêt.


Pas pour lui. En cet instant, rien n’avait plus d’importance que cela, ce rituel, de comprendre et ressentir ces choses jusque la fermé à son esprit formaté. Et si une chose pouvait le conforter dans cette idée, une seule et unique chose capable de soutenir et d’exalter ce sentiment grisant, c’était ce regard de citrine, planté sur sa nuque, le fixant depuis un fourré touffu à quelques mètres derrière lui ; accompagnant l’étrange cérémonial d’un son de gorge sourd, à la frontière entre grondement sauvage et ronronnement.


La Bête n’est plus seule.
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Message par Heliven Ven 17 Fév 2012 - 22:43

A l'écart de la scène, seule une vibration sourde de fond de gorge accompagnait le Chevalier. L’animal qu’était Heliven-Bête scrutait avec attention son époux, ses gestes, la moindre de ses inspirations jusqu’aux battements feutrés de son cœur.

Angron procédait à une introspection qui n'aurait pas été possible quelques mois auparavant. Il n'émanait plus de lui ni peine ni crainte, seulement un calme placide.
L'homme se resituait dans son environnement, ici la pierre, ici la végétation représentée par le brin d'herbe, ici le cuir travaillé par la main de l'homme. Il se préparait.

Il lui était difficile de décrire à quel point Angron était magnifique sans fard, plus noble dans sa stature que dans n'importe quelle armure d'Eidolon.
Pourtant il n'était plus Chevalier. Ce masque légué par feu Sheppard mourrait avec le titre, dissipé par le courant de l'eau et le souffle tiède d'un vent hivernal.
Heliven en ressenti un bref moment de doute. Était-ce le mieux pour lui ? N'aurait-il pas été plus épanoui en persévérant dans la voie des valeurs morales ? Était-ce un abandon, une fuite ?

La Bête en son esprit ronronna doucement, se fiant à ses sens plutôt qu'à ses raisonnements.

~Vois comme il est en accord avec lui même... Ton compagnon ne meurt pas, il renaît.~
Une onde la fit frissonner comme sous l’effet d’une caresse sensuelle, pourtant intangible. Une présence tâtonnait en aveugle, l'équivalent d'une main tendue. Heliven n'eut aucune hésitation, se fondit dans le lien qui se tissait avec son compagnon. Il y eut comme un écho, un accord simple et chaleureux, l'impression d'être aimée et choyée, entière. Femme ou Bête. Habile ou non. En retour Angron reçu l'amour, le soutient indéfectible qu'elle lui portait, l'assurance qu'elle était sienne.

Heliven se dressa sur ses pattes, vint à pas feutrés frotter son museau contre l'autre moitié de son âme, imprégnant à nouveau de cuir du parfum boisé, musqué de son pelage.

~Désormais, nous chasserons ensemble, avec la lune pleine et les étoiles pour témoins.~
La Bête n'était plus seule, elle gagnait un compagnon, une famille, une meute.

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Message par Angron Manus Dim 19 Fév 2012 - 18:09

L'homme et la Bête : Instinct Bra-m-10


Certaines histoires s’écrivent avec l’encre ou le sang des vaincus, noircissant en lignes serrées le parchemin jaunis d’ouvrage reliés de cuir. Avec les mots, leurs auteurs nous font découvrir et partager leur esprit, leurs pensées. Mais hélas, quand les mois deviennent des années, puis des décennies, et enfin des siècles, les vélins s’effritent, tombent en poussière, et avec eux s’éteint la trace de leur maitre, et leurs paroles disparaissent de la mémoire des hommes.


D’autres récits sont sculptés à même la pierre, prenant source dans de titanesques blocs de granit, de marbre ou d’onyx, puis taillés par des mains habiles, en deviennent des bustes d’illustres généraux, des fresques héroïques ou s’étalent les haut fait d’arme et les conseils de grandes gens. Ces représentations faites de pierre trônent dans de somptueux palais, devant les parcs luxuriants des plus riches citées, dans les appartements privés des puissants de ce monde. Ils sont la marque du passé, un coup de burin figeant le temps à l’apogée du modèle, pour le faire entrer dans la trame intemporel des légendes.
Rarement leurs auteurs ne pensent que même leurs plus beaux chef d’œuvre finissent par perdre de leur éclat face à la caresse du vent, au flot des années et à l’usure du monde des hommes. Et le buste du plus noble guerrier se fissure alors, tel un lépreux au plus fort de son affliction. Et finalement, ne reste d’eux que gravats et poussières.


L’histoire que je dois conter ne peut être couchée sur le papier ou sculptée dans un bloc de pierre. Ce n’est ni un témoignage, ni un récit structuré, cela n’a rien d’élogieux ou de calomnieux. A dire vrai je ne suis qu’un catalyseur, que la voix et la main par lesquelles cet ensemble va se lié et s’inscrire parmis nous.


Entre mon pouce et mon index, je tiens un outil en os, une sorte de petite pointe effilée, taillée avec soin. D’une demi paume de longueur, je gratte lentement le brassard en cuir posé sur mes genoux. Ce travail de gravure est long, fastidieux. Les muscles engourdis de ma nuque et de mes épaules voutées me lancent des signaux de douleur, que je tente d’apaiser en m’agitant régulièrement. Non loin de nous, la forge crache une épaisse fumée noire dans les cieux, chargeant l’air de relents d’acier chaud et de scories ardents.

Heliven reste assise sur ses talons, oscillant lentement d’avant en arrière, les mains à plat sur le sol. Ses cheveux jamais coiffés tombent en cascade de chaque côté de son visage, sans masquer son regard de citrine. Ce n’est que maintenant que je prend conscience de ces deux yeux, qui même lorsque l’humaine domine, restent si étranges, si inhumains. Il y a quelques mois, j’en aurai vu une étrangeté, une mutation; peut être même la marque du sorcier.
Mais à présent m’apparait pleinement le contraste entre les traits du visage gracieux, et ces deux pierres orangés fendus de ténèbres, hypnotisant. Une déviance qui l’éloigne du monde des hommes, un bien si précieux que de contempler par ce regard sauvage, que j’en viens à l’envier, la désirer. Elle ne remarque pas mon trouble, ou elle ne le montre pas, fixant toujours ma main qui grave sur le bracelet en cuir des entrelacs complexes.


C'est le tout premier chapitre, les premiers balbutiements de cet art nouveau, les plus difficiles. L’erreur n’est pas permise, aussi, je ne compte pas les heures qui me séparent du commencement. D’une simple boucle, j’ai fait succédé les motifs, du plus simple au plus élaborés. L’Œil attentif d’Heliven discerne l’esquisse de la bête, tenant entre ses crocs l’un des arabesques, qui se termine par la gueule d’un serpent. Ses lèvres s’étirent dans un sourire ravi, avant d’éclater de rire.
Elle me complimente pour ce travail, que je trouve grossier et incomplet. Mais je repasse le brassard autours de mon poignet, observant le résultat. La profusion de symboles jurerait presque avec le reste de ma tenue, sobre au possible. Mais je rejoins ma compagne dans ses éclats de rire communicatif. S’y mêlent ronronnement et bruit de gorge, quand nous roulons sur l’herbe en nous enlaçant.


Nous n’avons plus besoin de parler. Du moins, plus à l’aide du langage parlé. Nos gestes et nos bruits de gorges évoquent plus aisément notre communion que n’importe quelles paroles. Et peu à peu, alors que le soleil se couche sur la citée du Lion, les Bêtes s’éveillent, succédant aux hommes comme la nuit succède au jour.
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Message par Angron Manus Jeu 23 Fév 2012 - 7:06


L'homme et la Bête : Instinct Et-sou10



C’était une nuit sans lune.


Les bois de l’imposant cervidé raclait la terre meuble, déterrant les succulentes racines de laurier et de feuillages, qu’il broutait paisiblement. Le cerf mâle releva un instant la gueule, tournant son majestueux poitrail vers sa droite, fixant de son regard brillant les fourrés toutes proches. Ses oreilles bougeaient indépendamment l’une de l’autre, couvrant son champs auditif, à la recherche de bruit suspect d’un quelconque prédateur terré non loin. Après de longs instants, il secoua la gueule, son pelage aux tons sombre luisant à peine sous la faible lueur des étoiles.


La forêt était calme, en cette fin d’hiver. Les neiges commençaient à fondre, et le sol dégelait, offrant aux diverses créatures des bois la nourriture qui avait pu manquer durant ces longues semaines de disette. Même s’il ne faisait pas encore assez doux pour que la plupart des prédateurs sortent de leur hibernation, tels les ours, les herbivores restaient sur leur garde, car le plus grand des dangers venait des hommes, qui ne cessaient jamais de chasser, en plein été ou au cœur de l’hiver.

Heureusement pour eux, les hommes étaient patauds, et maladroits. Ils faisaient du bruit, et sentaient fort, et bien souvent, leurs proies les avait détecté bien avant qu’ils ne remarquent leur présence.



Tournant autour d’un conifère imposant, l’orneval raclât ses bois contre l’écorce, marquant son territoire, en prévision de la saison des amours. D’une hauteur d’homme au niveau du garrot, la bête était large, en pleine force de l’âge. Ses hanches larges, la croupe haute, et ses bois de plus d’un mètre d’envergure, le déclinait comme l’une des plus belle créature de la région, qui avait vu passer plus d’hiver que nombre de ses congénères, et survécu à une multitude de prédateurs en tout genre.

Ses sabots raclaient la terre meuble, à la recherche de touffe d’herbe épargnée par la saison froide. De ses nasaux s’échappaient une épaisse buée, l’herbivore renâclant et secouant la tête, cherchant à faire circuler le sang dans ses muscles engourdis. Ses mâchoires puissantes arrachaient d’épaisses touffes verdâtre du sol, les mastiquant lentement, se redressant de temps à autre pour contempler les alentours avec majesté.



Tout commença avec un craquement. Celui d’une branche morte se brisant, sous la pression d’un coussinet. Le poids d’une lourde patte se rétractant, le frémissement d’un muscle sous le pelage.

Le grondement.


Le battement de cœur suivant, le cervidé s’élança, esquivant d’un souffle l’éclair de ténèbres se jetant sur lui, les griffes d’ivoire et les crocs tranchants. La Bête retomba sur ses pattes, faisant voler la terre, et se jeta à la suite du Cerf en fuite. Les sabots de l’herbivore frappaient le sol à un rythme effréné, dans une course folle, sachant la mort à ses trousses. Il bondissait par-dessus les pierres et les racines, louvoyant entre les arbres, ses muscles puissants le projetant toujours plus rapidement vers l’avant.
Le prédateur n’était pas en reste. Bien que moins longues, ses foulés étaient rapides, ses griffes trouvant dans le sol gelé l’accroche qui manquait au sabot de sa proie. Feulant et rugissant, oreilles rabattus en arrière, le félidé bondissait à la suite de l’orneval avec une agilité sans pareil, esquivant les obstacles, se riant des entraves.


Chacun de ses bonds souples la rapprochait de l’herbivore en fuite, le cervidé pouvant presque sentir le souffle brulant de la Bête derrière lui. L’adrénaline lui donnant tout juste la force d’échapper à la gueule ouverte qui tentait de lui enfoncer ses crocs dans la croupe. Mais soudain, le carnivore sembla décélérer, ralentissant légèrement, à bout de souffle. La distance entre eux s’agrandit, alors qu’au loin s’achevait la forêt, et derrière, les plaines dégarnies de l’est, qui en cette saison ressemblait à une toundra comme on en trouve au nord du kazh modan. Plus qu’une cinquantaine de mettre, et ensuite, le félin n’aurait plus aucune chance de rattraper sa proie en terrain dégagé.


Le second rugissement referma le piège. L’impact sur le flanc gauche brisa une côte du cerf, et le fit lourdement chuter, brisant l’un de ses bois, alors qu’il s’effondrait au sol dans un mugissement de douleur. L’homme avait bondit depuis une branche basse, enfonçant dans l’encolure ses haches comme un alpiniste plante ses piolets dans une paroi rocheuse. Ses genoux repliés et la vitesse de l’animal avait fait le reste, mettant au sol la proie rabattue par la bête, qui se jeta à son tour sur l’herbivore au sol.

L’orneval tenta de se relever, ses sabots s’agitant vainement sur le sol gelé, alors que l’homme retirait ses haches d’un mouvement sec, pour frapper à nouveau, comme deux crocs acérés qui mordaient encore et encore le cuir épais, faisant gicler le sang chaud sur la neige et le pelage.
Les griffes de la bête se joignirent à lui, le félidé bondissant sur la croupe de sa proie, tailladant et mordant, déchirant les muscles et tranchant les tendons.


Les derniers beuglements de douleurs se perdirent dans un gargouillis de sang, alors qu’une des haches du belluaire ouvrit une profonde plaie dans la gorge de l’animal, dont la lourde tête retomba au sol dans un bruit sourd, alors que la vie le quittait lentement sous la hargne des chasseurs. L’homme cessa de frapper, le souffle court, maculé de sang, la vision brouillé. La Bête, elle, continua par instinct, s’assurant plus qu’il ne fallait du décès de l’herbivore. Son pelage d’ébène maculé de sang luisait sous l’aurore naissante, alors que déjà quelques corbeaux volaient en cercle au dessus d’eux.


La main de l’homme vint frotter à la truffe de la Bête, alors que ses contours se floutaient, laissant place à la jeune femme en tenue de lin, le regard de citrine passant de la proie à son compagnon, le bas du visage maculé de sang. De sa gorge s’échappait un léger ronronnement, ronflement sourd d’un bruit inhumain, contentement d’une chasse sauvage et réussit, communiquant à son compagnon les prémices du délice de la chair du cervidé.
Bien moins à l’aise, encore sonné comme après sa première bataille, Angron glissa sa main dans celle de sa compagne, cherchant un instant ses esprits, fixant sous ses genoux le flanc humide de sang de leur proie, presque choqué. Finalement, ce fut un sourire qui orna son visage, une légère vapeur s’échappant de ses lèvres, la chevelure collée à la nuque par le sang de l’animal.
De sa gorge, s’échappa le même bruit sourd, la même note à peine modulée, un grondement continu, de contentement, se mêlant à celui de sa compagne, dans une symphonie primale.


Ce fut une belle chasse.
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Message par Angron Manus Mar 4 Mar 2014 - 12:24

Le sifflement de la hache de guerre s'interrompit soudainement, lorsque le mordant de fer s’enfonça dans l’écorce de l’arbre, dans un craquement lugubre. Le tronc se fendit en deux, pratiquement tranché d’un bord à l’autre, mais son poids sur le plat de la lame empêcha l’orc de la retirer pour frapper à nouveau. De frustration et de rage, il rugit vers le worgen qui bondit de côté, ayant frôlé de peu la mort par décapitation nette et précise.

Angron ne mit qu’un instant à riposter. La conscience voilée par la présence de la Bête, comme spectateur de ses propres mouvements, observés au travers d’une brume épaisse, nébuleuse. Son arme mordit le flanc de son adversaire, qui poussa un cri de douleur. Le sang épais de l’orc coula sur le sol, tandis que dans sa colère il se jeta contre le worgen à mains nues, cherchant à agripper sa gorge.
Les deux adversaires s’empoignèrent, luttant à la seule force de leurs bras, rugissement contre rugissement. Tout autour d’eux, les combats se calmaient peu à peu, par manque de combattant valide. A chaque soldat paré de bleu et d’or qui s’écroulait dans la vase du marais des chagrins, un grunt le rejoignait peu après. Les eaux peu profondes, au naturel verdâtres, avaient pris une teinte d’un rouge sombre.

La Bête se démenait, frappant et griffant l’imposant grunt, qui ripostait par de violents coups de poings. S’empoignant l’un contre l’autre, avec dans le regard la seule rage de vaincre et de tuer. Au-delà de l’esprit de la Bête, le Belluaire parvenait tout juste à se remémorer les fragments épars de sa conscience. Il se souvenait d’une chasse, d’un long chemin dans les collines puis le marais. Les cris, les bruits de l’acier et du métal, et l’odeur du sang. L’envie, non, le besoin de se joindre à la curée, de charger sans même savoir ce qu’il en était de l’affrontement, pour se jeter dans la mêlée et prélever son tribut de sang et de chair.
C’est quand sa hache avait tranchée la première gorge verte qu’il ne…

"Ton petit esprit s’égard, homme. Te voilà perdu, loin, bien loin de ton doux foyer." La voix était à peine compréhensible, et pourtant si familière. Un grognement guttural, dont les syllabes se détachaient à peine les unes des autres entre deux grondements. "Laisses-m’en plus. Laisses m’en encore, ne me retiens pas. Libères moi, et tuons, plongeons nos crocs dans leur chair, nos griffes contre leurs os. Ils te haïssent, et pourtant, peu de choses vous différencient. Mais c’est toi, le chasseur, et eux sont les proies. Tues, tues, tues…"

Le worgen senti le poing de son adversaire frapper son flanc, et une de ses côtes se fissurer sous l’impact. Jappant de douleur, ses pattes griffues empoignèrent la gorge un instant découverte, et se mirent à serrer, de toutes les forces bestiales qui habitaient son corps difforme et démesuré. Ses griffes plongèrent dans la chair verte, cisaillant artères et muscles dans un bouillonnement de sang épais. L’orc lança comme il le put quelques insultes à la créature tandis que ses forces le quittaient au fur et à mesure que la vie s’échappait de lui par flots sanguinolants. Il lui fallut près d’une minute entière pour mourir, le cou réduit à l’état de lambeaux de chair, mais le worgen avait déjà récupérer son arme, et bondissait vers un nouvel adversaire.

La Bête ne s’arrêterait pas, pas tant que sa soif de sang ne serait pas assouvis. Et loin, très loin derrière cette conscience bestiale à présent Reine en son domaine, l’esprit de l’homme se tenait là. Il ne cherchait pas à la mesurer, la contrôler, ou bien encore à la juguler, non.

Il l’encourageait, et rugissait en échos, savourant leur danse mortelle et sauvage.


||||||



Le silence était retombé. Faute de proie, il n’y avait plus de chasseur. Juste les râles des mourrants, les gémissements des blessés. Çà et là, quelques silhouettes allaient et venaient dans la brume marécageuse, l’air hagard. La tension des combats n’était plus qu’un vague souvenir, remplacé par le harassement, l’épuisement des corps et des esprits. Angron tenait contre lui son bras blessé, sentant le sang chaud dégouliner le long du biceps et couler sur sa main. La douleur était supportable, car la Bête, repue, se terrait à présent dans un recoin de son esprit. Imposante créature au pelage sombre, roulé en boule quelque part au-delà de sa conscience.

L’homme aurait ressenti un certain dégout, il y a quelques années, à voir ce champs de bataille jonché de morts, ces cadavres emmêlés, brisés, cette débauche de mort et de souffrance. Mais ce n’était plus le cas aujourd’hui. Il ne voyait là que le tribut d’un instant de sauvagerie, un intermède de fureur primale, durant lequel hommes et orcs avaient bien plus en commun qu’il ne l’auraient avoués. Dans ces instants où ils se déchiraient, ils devenaient aussi proches que des frères, éprouvant la même colère, et la même hargne du combat.


Angron fut tiré de ses pensées par un jappement de douleur. Il se mit à chercher la source de ce bruit singulier, pataugeant dans la vase qui lui arrivait parfois jusqu’aux cuisses, mût par une étrange sensation d’empressement. Son odorat ne pouvait guère l’aider, l’air chargé des fragrances acres et métalliques du sang. Aussi, s’en remettant à sa vue et son ouïe, il se démenât plusieurs minutes, avant de trouver le responsable de l’appel au secours.


Il était allongé contre un démolisseur brisé. Un mâle au pelage sombre, de ceux que les orcs montaient au combat. Des crocs comme des poignards, un regard d’or sauvage, et des oreilles en pointe dont l’une était déchirée.  Autrefois, il aurait sans doute représenté une noblesse farouche et menaçante, un animal guerrier aussi dangereux que son cavalier. Mais lorsqu’Angron le vit ainsi, prostré et blessé, il n’éprouva qu’un profond sentiment de pitié, et d’empathie. Il n’avait pas sourcillé face à la détresse des humains et des orcs couchés dans le marais, sans même une seule fois ralentir le pas pour s’enquérir de leur état. Mais de voir ce loup brisé, les babines souillés par une écume sanguinolente, le Belluaire sentit son ventre se nouer.


Son cavalier était sans doute mort, allongé quelque part aux alentours. Même blessé, et vulnérable, le loup grognait vers l’homme qui approchait d’un pas lent. Bien que celui-ci ne ressemblait pas à ceux qu’il avait l’habitude d’affronter, dans son armure de cuir et de maille aux tons automnales, il n’en restait pas moins un homme. Mais lorsque le loup le huma, il cessa de montrer les crocs. Autant qu’il pouvait l’être, il se trouvait interloqué, car l’humain n’en n’était clairement pas un. Son odeur lui rappelait celle des autres, ceux avec qui il vivait dans les enclos des orcs. Une odeur sensiblement identique à la sienne, couverte par le sang.


Les deux êtres s’échangèrent un long regard, deux paires d’yeux similaires, billes d’or fendues de ténèbres, comme s’ils se jaugeaient l’un l’autre. Plus que se voir, ils se reconnaissaient, comme si chacun se fixait dans un miroir brisé. Une même manière de marcher, d’un pas lent, une même façon de humer l’air en levant le visage, et le même réflexe de montrer légèrement les crocs.

Angron s’avança encore, et finit par se mettre à genoux, à moins d’un mètre du loup. La patte avant gauche de ce dernier était en sang, sans doute brisée par le coup d’une arme contendante. Même s’il n’était pas médecin, le Belluaire comprit qu’il avait besoin de soins, au risque de ne plus pouvoir marcher. Mais il ne fit pas preuve d’empressement, se contentant de rester face à face, laissant au loup le temps de le juger.


Ils restèrent ainsi, plusieurs minutes. Plusieurs heures, peut-être, impossible à dire. Dans ces instants-là, le temps n’était qu’une notion vague, sans valeur ni intérêt. Il n’y avait que ces deux êtres, si différents et pourtant si proches, similaires. Chacun découvrant sans cesse en l’autre une facette de lui-même. Angron finit par poser la main sur le pelage sombre, et la truffe du loup vint fureter sur le gantelet de l’homme, dans une conversation silencieuse.


Puis soudain, le loup recula la gueule et se mit à grogner, ses oreilles se rabattant derrière sa tête. Il ne regardait pas le belluaire, mais fixait un point par-dessus son épaule. Angron se retourna au moment où tonna la voix de stentor.


« Ecartez-vous de ce monstre, laissez-moi l’achever. »


Celui qui avait prononcé ses paroles portait une lourde armure faite d’un agencement de plaques ou brillaient des runes sacrés. Dans son bras gauche, il tenait un imposant livre relié de cuir, accroché par une chaine de bronze à sa ceinture, et sa main droite empoignait la hampe d’un marteau de guerre dont la tête reposait sur son épaule. Dans son dos battait une cape d’un bleu Roy somptueux, bien que tachée de vase et de sang.
Sa chevelure tirait entre le jaune des blés et le cuivre, et la noblesse de ses traits n’était égalée que par la richesse de son armure ornementée, dans une escalade à la grandeur et à la beauté. Les liserés d’or s’entrelaçaient les uns aux autres, brillant d’une Lumière qui semblait émaner de lui.


Mais son regard, lui, n’était que méprit. Il fixait le loup avec dédain et dégout, quant au belluaire, c’était à peine mieux. Il s’était avancé d’un pas certain, comme s’il était le grand vainqueur de cette bataille, le héros dont la gloire était le trophée incontestable. Il fit un geste vers le loup qui restait tapis contre le démolisseur détruit, conscient des intentions du guerrier de la Lumière.


« Je vous ai dit de vous écarter, qui que vous soyez. »


Et sur ces paroles, il laissa pendre son libram, pour empoigner à deux mains le manche de son arme. Il fit encore deux pas en avant, jusqu’à se retrouver à portée de l’homme et du loup, une faible aura illuminant sa silhouette.

Angron se crispa, la main valide enfoncée dans la vase. Sa chevelure défaite tombait autour de son visage déformé par une grimace de colère et de rage. Il avait entendu les paroles du paladin, et vu son geste. Il savait ce qui allait se passer, et il comprenait sans peine que jamais il ne pourrait le convaincre de suspendre son geste. Les trois âmes vivantes se toisaient, sans qu’une seule ne fasse un geste. Le soldat de la lumière observa l’homme en armure de maille, puis la créature velue, et même lui sembla trouver une similitude révoltante entre ces deux êtres. Ce fut sans doute ce qui le poussa à armer son marteau, qu’il leva au-dessus de son épaule. Il fit un pas en avant, le regard illuminé de Lumière, avec la ferme intention d’écraser la gueule de l’animal d’un seul geste.


Et c’est exactement cette Sainte Colère, qui l’aveugla, si bien qu’il n’eut pas le temps de voir bondir une quatrième silhouette dans son dos.

Le félin planta ses griffes dans la cape accrochée à ses épaules, et il enfonça ses crocs dans la gorge dénudée de l’homme. De surprise et de douleur, il lâcha son marteau, cherchant à attraper de son lourd gantelet la chose qui l’avait frappé par surprise. Mais ce faisant, il découvrit son torse, et l’homme agenouillé s’élança vers lui. Angron ne pouvait pas espérer percer cette armure, mais lorsqu’il atteignit sa cible, sa main s’était changée en une patte  bestiale, et ses griffes balafrèrent le visage hurlant du chevalier.
Le paladin tomba à genoux, continuant d’hurler et se débattre, la Lumière frappant aveuglement les alentours tandis qu’il cherchait à se débarrasser de ses agresseurs, en vain. Il continua de crier lorsque sa gorge fut déchirée par les crocs du félin couleur de nuit sans lune, et que les multiples coups de griffes du worgen parvinrent à trouver une faille dans l’armure. Le guerrier de la Lumière s’écroula, et mourut noyé dans son propre sang, avachi dans la vase puante du marais, à demi dévoré par les Bêtes acharnés.



|||||



Quelque part en Elwynn


Le loup venait de terminer d’avaler la viande de cerf déposée devant lui. Léchant ses babines, il lapa ensuite sa patte blessée dont la lente cicatrisation le faisait encore japper de douleur de temps en temps.
Dans le petit renflement de la colline, l’air était frais, et la quiétude des lieux à peine troublée par le piaillement des rouges-gorges au dehors. Bien sûr, il n’avait qu’une envie, c’était d’aller courir dans la forêt, observer ses étranges cousins lupin d’Elwynn qu’il entendait parfois hurler la nuit. Mais il devait se remettre de ses blessures, l’autre et sa femelle l’en avait convaincu.


Celle-ci dormait, d’ailleurs, roulée en boule. Elle agitait parfois la queue dans son sommeil, ou roulait sur le dos en agitant les pattes. L’homme qui n’était pas un homme, lui, terminait de désosser leur repas, et découpait soigneusement le cuir, en échangeant parfois quelques regards avec le loup.
Rogal. Il l’avait appelé ainsi, même si le loup se moquait un peu de la manière dont on parlait de lui. Il était ce qu’il était, et il ne lui fallait rien d’autre. Il ne grognait plus, à présent, et pour la première fois depuis des années, il n’éprouvait plus cette quotidienne sensation d’oppression et de violence qu’il avait connu dans les enclos, avec les autres.
Son caparaçon en ruine avait été laissé dans le marais. Mais l’homme qui n’était pas un homme semblait en fabriquer un autre, du moins il travaillait le cuir pour lui, c’était certain.


Il avait fallu plusieurs jours à Rogal pour s’en convaincre mais à présent, il savait que si l’homme qui n’était pas un homme cherchait à grimper sur son dos pour s’élancer dans la forêt, il aurait plaisir à le mener jusque loin à l’horizon, et même si la femelle avait tendance à venir lui chercher des poux par jeu.


Car lorsque leurs regards ambrés se croisaient, le loup ne voyait pas un maitre, un humain, un orc, ou un donneur d’ordre. Ni même un rival, ou un prétendant.
Tout au fond de ce regard d’or, de ces pupilles inhumaines et farouche, il se voyait lui, son propre reflet en tout point identique.
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Message par Angron Manus Mar 1 Juil 2014 - 19:26

Songes inhumains


Le mâle dormait d’un sommeil profond, à peine agité par quelques soubresauts nés de ses songes. Son esprit revivait l’intense chasse aux Klaaxi, la fureur du combat, la tension de la traque. La peur et la douleur, autrefois maitresses impérieuses de sa destinée, étaient à présent chassé d’un bref revers de la main. Relayées  au rang de détail sans importance. Car si l’homme gardait en lui la sensibilité de sa race originelle, la Bête, elle, ne souffrait plus de ses tracasseries.
Bien au contraire, le danger, l’odeur du sang, la frayeur, étaient les moteurs de la chose qui partageait l’esprit de l’homme.

Nombreux étaient ceux qui avaient cherché à la comprendre, communiquer avec elle. La dompter, l’enchainer, ou la classifier comme un vulgaire spécimen de la forêt d’Elwynn.

Mais aucun ne comprenaient. Ils ne parvenaient en rien à saisir l’essence même de la Bête. Car ce n’était pas quelque chose à laquelle on pouvait aspirer à saisir le cœur sans payer un lourd tribut.
La souffrance pour se libérer des chaines de la souffrance.

Celui qui devenait une Bête se libérait de la douleur d’être un homme, avait un jour dit un penseur de Lordaeron la disparue. Celui qui avait prononcé ces mots n’avait sans doute jamais senti « le passage ». Ce moment ou l’esprit s’étiole, se déchire, qu’un voile rouge s’abat devant les yeux et que le corps vous trahit. Que votre propre âme n’est plus qu’un morceau d’épave balloté par la plus furieuse des tempêtes.

Qu’une chose sombre, intrinsèquement sauvage et brutale s’emparait de vous, entrant dans une frénésie libératrice, inaliénable.
Et que plutôt que de lui résister, en lui opposant toutes vos forces, vous succombiez avec délice, chaque parcelle de votre corps se déchirant pour laisser la Bête s’élever depuis son royaume des songes jusqu’à vous.

C’était cela, être une Bête. Pas juste l’un de ses louveteaux perdus arborant avec fierté leur forme animale. Où donc est la fierté d’être une demi-chose, un maudit, rejeté par sa race, mis au banc des damnés ? Il n’y a ni fierté, ni honte. Car les créatures de la nuit ne souffrent pas de ces formalités. Elles sont, sans autre état que celui d’Être.

Et si certains osaient porter sur ces créatures un mépris moqueurs, alors ces fous n’avaient jamais contemplé la fureur d’un tel mâle, lorsque résonne la fureur des combats. Quand l’acier frappe l’acier, que les flèches fauchent les vies, que les hurlements répondent aux cris guerriers.


Pourtant, malgré cela, il ne s’agitait que faiblement. A peine le frémissement d’un muscle, et rien de plus.

Car peu importe homme ou bête, le sommeil d’un Gron était chose sacrée.
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Message par Angron Manus Ven 22 Aoû 2014 - 19:05

L’orage grondait. Menaçant. Il roulait au loin avec fracas, se rapprochant à chaque coup de tonnerre. Sous la pluie drue, les deux silhouettes en robe s’activaient, traçant au sol les runes complexes de leurs incantations. Le premier, l’homme, n’avait pas pris la peine de rabattre sa capuche, et sa chevelure rousse collaient à son crâne, lui donnant l’air d’un revenant détrempé. Les mâchoires crispés, il maniait une pelle en invectivant sa comparse, pour qu’elle se presse à mettre le rituel en place. A ses doigts, une véritable collection de chevalières se disputaient  la place, toutes plus riches et clinquantes les unes que les autres.

Le noble reposa son outil de fortune, pour ouvrir le grimoire sur la pierre plate, au centre de leur installation. L’autre silhouette, plus petite, et encapuchonnée, leva les yeux vers lui.



« Alors, Mikeos ? Est-ce bon ? Avons-nous ce qu’il faut ? » L’impatience se trahissait dans les paroles de la femme. Son fard à paupière et son fond de teint s’étaient mis à couler, malgré sa capuche, de par l’humidité de la forêt. Les boucles d’oreille d’or et de pierre précieuses qui encadraient son visage trahissait la même noble souche que l’homme, et l’observateur attentif aurait sans peine déceler chez l’un comme l’autre des similitudes des traits.



« Je n’en sais rien, Isniale. Un peu de temps, il faut que nous parvenions à convertir la puissance tellurique ambiante, pour créer une dérive du néant et… »

« Je n’ai que faire de tes théorie, mon frère ! Dépêche-toi ! Je ne veux pas qu’un de ces maudits paysans nous surprenne dans son champ miteux… »



Rabrouée par sa  sœur, Mikeos serra les poings. Cette idiote se permettait de lui parler d’un ton qu’il supportait de moins en moins. Il la tolérait encore pour l’instant, mais bientôt, les pouvoirs du néant seraient à lui. Et à ce moment-là..



Une odeur de soufre le tira de ses pensées. Le grimoire se mettait à vibrer, auréolé d’un voile brumeux écarlate. Le sourire du noble s’étira sur son visage pâle. Enfin, après des années de recherches, d’études, d’échecs et de remise en question, il touchait enfin au but. La fin justifie les moyens. L’homme et sa sœur fixèrent en silence le rituel qui s’opérait sous leur yeux. Tendus et crispés par les enjeux qui se dessinaient sous leurs yeux, l’un et l’autre n’osaient prononcer le moindre mot.



« Ca y est… je vois.. je vois quelque chose… »



L’espace se déchirait sous leur yeux. La réalité se fissurait, pour laisser place à un tourbillon de couleurs impossibles, de visages hurlants, de mains crochues. Une porte vers le néant, le chaos le plus total. Le noble entama alors l’incantation, afin de stabiliser le portail.  Sa voix fut rejointe par celle de sa sœur, les syllabes se mélangeant les unes aux autres, pour créer un ballet de sonorités vaporeuses et inaudibles. A chaque mot d’Eredun prononcé, le portail prenait en consistance et en taille, grandissant de plus en plus rapidement. Bientôt, un bras couvert d’écaille s’agita au dehors. Puis une queue fourchu. Comme si les êtres de l’autre monde se pressaient à cette porte trop petite pour que tous la franchissent en même temps.



La femme s’arrêta d’incanter, la voix tremblante de bonheur, serrant la main sur l’avant-bras de son compère.



« Mon frère.. c’est magnifique.. ils sont là, ils.. »



Le bruit de la corde qui claqua fut couverte par les grognements monstrueux qui s’échappaient de la porte démoniaque. Mikeos resta quelques secondes à attendre la suite, concentré, avant de tourner le visage vers sa sœur soudain silencieuse.



« Mais qu’est ce qu’il y a enc.. »



Il s’arrêta, stupéfait, et ses yeux s’écarquillèrent de surprise.



L’avant d’une épaisse flèche à la pointe dentelée dépassait grossièrement de l’orbite sanguinolente de sa sœur. A l’arrière de sa tête, le reste du projectile qui venait de lui traverser le crâne de part en part, était hampennée de plumes de corbeau. Le visage de sa sœur, du moins ce qu’il en restait, était figé dans une expression d’étonnement. La bouche ouverte, un filet de sang dégoulinait lentement sur son nez , jusqu’à son menton. Un instant elle sembla sur le point de dire quelque chose, mais elle s’écroula, morte avant d’avoir touché le sol.



« Nooon ! » Le noble se jeta au sol. Non pas pour rattraper sa sœur, mais par crainte, et bien lui en prit car une seconde flèche passa au-dessus de lui, s’enfonçant dans le portail tremblant. Un cri de douleur provint de l’autre côté, et les créatures s’agitèrent, cherchant à passer cette porte pour s’engouffrer dans la forêt. Mikeos rampa péniblement, à moitié caché derrière le cadavre de sa sœur. Il pleurait et geignait, incapable de contrôler la frayeur qui venait de s’emparer de lui. A quatre patte, il chercha à s’éloigner du tireur, se trainant vers la direction opposée et les buissons les plus proches.



Le noble leva les yeux, un instant avant de mourir. La dernière chose qu’il vit fut deux immenses yeux de citrine, fendus de ténèbres, et la gueule d’un gigantesque félin au pelage si sombre qu’il se fondait à la perfection dans la pénombre. Deux immenses crocs d’ivoires, long comme des glaives, et l’instant d’après tout fut terminé. Le prédateur bondit, l’attrapant à la gorge qu’il brisa d’une torsion. Sans un bruit ou presque, le temps d’un battement de paupière. Une mise à mort simple, brutale, et sans concession.



Au milieu de la clairière, le portail commença à décroitre, privé de ses architectes. Les démons s’agitèrent d’autant plus, et l’un d’eux parvint à prendre l’ascendant, franchissant finalement la barrière des mondes.



C’était un colosse de chair rouge, couvert de plaque de bronze. Son casque à pointe lui donnait un air étrange d’encorneur, et sa bouche immense dépourvus de lèvres laissait ses dents en pointes constamment découvertes. Une chaine de bronze se trouvait planter dans son avant-bras, dragonne d’une hache gigantesque, coulant d’un sang si sombre qu’il semblait noir. C’était le soldat. Pas un simple combattant, mais une créature faite pour la guerre, un légionnaire de mort, donc chaque aspect avait été pensé par ses sombres maitre pour un seul but : tuer.



Le soldat tomba lourdement dans l’herbe. Au contact de ses bottes fumantes, l’herbe aux alentours se mit à se décomposer rapidement.  Il leva sa hache vers les lunes jumelles, répondant à l’orage et la pluie d’un rugissement conquérant.

Derrière lui, un second démon parvint à passer le portail. Une bête quadrupède, bardée de crocs et de tentacules gluantes. Des cornes capables d’embrocher un bœuf se trouvaient de part et d’autre de sa gueule malsaine, étirée dans un sourire malsain.



Le portail continuait de rétrécir, rendant impossible la traversée de leurs semblables. Mais les deux êtres de l’autre-monde semblèrent se réjouirent de sentir toute cette vie autour d’eux. Ces promesses de carnage, un buffet qui venait de leur être servit. Et la mort des deux nobles n’était finalement pour eux qu’une douce nouvelle.



Cependant, les deux démons  se retrouvèrent paradoxalement confronté à une situation qu’ils n’avaient jamais rencontrés, en tous ces siècles d’existence. Alors qu’ils se tournèrent vers l’origine du grondement, ils tombèrent face au félin au moins aussi massif que le gangrechien. Et eux qui avaient toujours vu leurs victimes trembler et fuir sous leur avance implacable, furent presque figé  de se rendre compte de la controverse à laquelle ils étaient soudainement opposés.





Ils étaient les proies.





Une nouvelle flèche fendit l’air, se plantant dans l’épaule massive du gangregarde. Loin de ressentir la douleur, celui-ci en fut pourtant déséquilibré, et il manqua de chuter en avant. C’était là tout ce qu’attendait le chasseur pour frapper.

Le worgen impacta de plein fouet le démon, pourtant bien plus haut que lui. Les deux êtres roulèrent dans l’herbe dans un bruit sourd, sous les grondements de colère du Soldat, et les rugissements de fureur de la Bête. Les crocs et les griffent fendirent la chair, ouvrant de profondes plaies dans la musculature écarlate. Un sang verdâtre et  poisseux gicla au sol, faisant fumer la terre corrompue. Les adversaire cherchèrent à se renverser l’un l’autre, roulant dans la vase sous la pluie battante, rendant coup pour coup.



Le gangrechien hérissa son épiderme crochue et ses tentacules, bondissant vers le worgen enragé. Mais désorienté, il encaissa sur son flanc la contre-attaque du félin, qui arracha d’un coup de patte une de ses antennes visqueuses.



Fou de colère, le gangregarde chercha à se redresser, tirant sur sa dragonne pour récupérer son arme et frapper vers son assaillant. Mais le worgen n’avait pas attendu pour bondir, et il semblait fuir la fureur du démon, courant ventre à terre en direction de l’arbre le plus proche. Sa rage exacerbée par cette preuve évidente de lâcheté, le Soldat chargea, écrasant sous ses bottes la carcasse de l’un des nobles qui l’avait invoqué. Il n’était plus qu’une masse de muscle à feu et à sang, la vision brouillée par le désir brutal d’écharper ce misérable qui avait osé le blesser.



Juste avant de toucher l’arbre, le worgen bifurqua, contournant le tronc. Ce que ne fit pas le démon, brisant le chêne et passant au travers, pour poursuivre le belluaire.





Dans la clairière, le gangrechien amoché et le félin au pelage d’ébène se tournaient autour, comme des gladiateurs dans l’arène. Les oreilles basses, le pelage hérissé, la galeanthrope feulait vers le démon, ses griffes raclant le sol. La pluie glissait sur le pelage qu’elle n’accrochait presque pas, sa silhouette agile prête à bondir, les crocs luisants. Bien moins gracieux, le gangrechien se trainait lourdement. Il perdait déjà du sang verdâtre par plusieurs plaies, et son instinct basique ne parvenait pas à enregistrer le fait qu’il n’était pas le chasseur, mais que c’était bel et bien lui qui se retrouvait acculé et traqué comme un rongeur. Il feignit une charge sur le flanc, avant de sauter à la gorge de l’immense félin. Mais Heliven ne se trouvait déjà plus là, glissant dans les ombres, sautant sur ses appuis. Plus vive que le regard de sa proie, le gangrechien ne parvenait plus à suivre ses mouvements. Dépassé en vitesse, il se mit à claquer des mâchoires et fouetter l’air de son tentacule restant, dans le vain espoir de chasser la Bête.



Lorsqu’il découvrit son flanc pour chercher à mordre une ombre fuyante, la féline lui sauta à la gorge. Ses crocs effilés plongèrent sans difficulté dans la chair caoutchouteuse, sectionnant ses veines et ses tendons. Le démon se mit à battre des pattes, sans trouver de prise dans la vase. Sa tentacule cessa peu à peu de fouetter l’air pour chasser Heliven, mais il ne fit que s’égorger lui-même sur la puissante mâchoire.



Les derniers soubresauts du démon cessèrent finalement, et sa carcasse s’écroula après que la galeanthrope lui brise la nuque, pour s’assurer de la mort de sa proie.





Plus loin dans la forêt, le soldat-démon continuait sa course au travers des arbres, suivant la silhouette du worgen. Plus le temps passait, plus sa rage s’accumulait, et il ne laissait derrière lui que des troncs brisés, des pierres renversés.



« VIENS ICI, MISERABLE VERMISSEAU ! »



La puissante injonction couvrit à peine le tonnerre. Il contourna un flanc de colline, et repéra enfin son adversaire.



Le belluaire se tenait de l’autre côté d’un petit espace dégagé d’arbre. Debout, dans son armure de cuir et de maille, le pelage trempé par la pluie abondante.  Il grognait et montrait les crocs, l’arc en main, sans chercher à fuir. Le gangregarde vit là la reddition du worgen, du moins la fin de sa fuite. Il allait enfin l’affronter, et périr, le premier d’un millier d’âme qu’il enverrait directement à ses maitres. Le soldat leva sa hache, poussant un cri de haine, auquel le chasseur répondit d’un rugissement bestial. Sa main gantée se referma sur le manche de son arme, et il se mit à charger avec une vitesse impressionnante, pour une créature de sa taille.



Durant les premières secondes, le worgen n’eut pas un geste. Il resta figé, fixant cette masse de haine et de noirceur qui s’élançait vers lui. Puis il encocha une flèche et bandit son arc, décochant d’un geste assuré.

Le projectile fila sous la pluie, mais manqua d’un bon mètre le gangregarde pourtant immense. Celui-ci poussa un râle moqueur en accélérant sa course, bien décidé à en finir avec cette perte de temps.



Mais si la flèche avait manqué le démon, elle toucha bel et bien son but. La pointe dentela trancha un cordage enroulé autour d’une pierre proche, déclenchant le mécanisme du piège en place.



Le soldat ne vit que qu’un bref mouvement sur son flanc, alors que l’immense épieux de bois accroché en balancier vint l’embrocher par le flanc. Il le propulsa sur le coté, en brisant l’armure à l’endroit où elle était le plus vulnérable, sous l’épaule, et traversa de part en part le légionnaire qui roula sur lui-même, mortellement blessé.





L’orage continuait de tonner. La tempête ne semblait pas vouloir s’achever, noyant la forêt sous des trombes d’eau. Loin des regards, des foules compactes de la ville, de l’activité citadine. Même les fermiers et les paysans s’étaient retranchés dans leurs chaumières, rassemblant leur famille autour du feu dans l’attente que le tonnerre passe.

Le bois n’était plus qu’un lieu déserté. En proie aux flots des rivières déchainés, des torrents de boues qui s’écoulaient paresseusement.



Le soldat agonisait. Vautré sur le flanc, ne pouvant plus qu’agiter les doigts. Il sentait ses os brisés, sa chair meurtrie, la douleur qui se calmait alors que la fin approchait. Au-dessus de lui, quelques branches secouées par les rafales, et les nuages noirs dans le ciel.



« Soyez … maudits… » Ses paroles s’adressèrent aux deux silhouettes. Un instant, c’était le worgen et le félin qui avançaient vers lui d’un pas calme, et la seconde d’après, un simple humain à la chevelure poivre et sol, et une humaine nue, le sang qu’elle avait fait coulé peu à peu effacé par l’eau qui coulait sur eux. Il s’approchèrent jusqu’aux pieds du gangregarde brisé, dont l’épieu traversait le torse, et faisait couler des flots de sang par ses plaies béantes. Il chercha de nouveau à maudire ses assassins, mais l’homme se pencha vers lui, et enfonça à la main une flèche dans l’œil du démon, le privant de ce dernier plaisir.



Le belluaire se redressa en grimaçant. La force de la Bête lui faisait prendre conscience de la faiblesse de son humanité. Déjà, les courbatures de ses épaules le lançait, et une de ses cotes devait été fêlé par le corps à corps violent. Il serra la main sur son arc, bien trop grand pour un homme, mais se détendit en sentant les bras nue de sa compagne s’enrouler autour de son cou. Elle se colla dans son dos, et se hissa sur la pointe des pieds pour l’embrasser sur sa nuque. Son nez frotta sa chevelure, comme pour se cacher le visage de la pluie.



Angron frémit. Il se retourna, et prit la jeune femme dans ses bras. Et ni la mort de ces deux éminents nobles de Hurlevent, ni la violence de la chasse de ce soir n’aurait pu effacer le sourire de son visage lorsqu’il entraina sa compagne à l’abri d’un buisson.
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