Bon sang ne saurait mentir

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Message par L'Autre Mer 26 Aoû 2015 - 5:24

I - Douce enfance


« Messieurs, du silence que diable ! »

La règle de fer s’abattit brusquement sur le bureau du précepteur. Immédiatement, les deux jeunes garçons se redressèrent, le dos bien droit derrière leur pupitre. Et même leur air faussement concentré et studieux ne parvint pas à effacer le léger sourire en coin qu’ils partageaient.
Ce n’était d’ailleurs pas la seule chose qu’ils avaient en commun. Identiques en tout point, chaque esprit faisant échos à l’autre. Tout deux étaient nés la même journée du solstice d’été, faisant l’honneur et la fierté du duc et de la duchesse. Deux perles semblables, que les années passés n’avaient pas réussi à discerner. Le même visage aux traits aquilins, le même regard téméraire et ambitieux, la même voix claire et forte, faite pour embrigader les foules.

La seule différence notable, sans laquelle même leurs propres parents n’auraient su faire la différence, venait d’une large cicatrice barrant la gorge du cadet. Leg d’un malencontreux accident aux circonstances brumeuses, ou celui-ci avait échappé de peu à la mort.

Le Maester reprit sa leçon – une énumération aussi longue que somnolente des différents niveau de juridiction exercés sous le règne de Adamant Wrynn. Mais les deux garçons n’avaient clairement pas la tête à écouter les tirades interminables du vieux professeur engagé par leur père. Ils reprirent leurs bavardages, observant par la fenêtre du donjon les jardins royaux qui s’étendaient en contrebas.

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La complicité des deux jeunes Edenblow était presque fusionnel. Leurs pensées s’agençaient avec facilités, et rares étaient les jours où les jumeaux en venaient à se disputer. Ils étaient les joyaux de leurs parents, l’héritage bicéphale de cette noble famille d’Hurlevent, dont les racines plongeaient profondément dans le cœur du royaume, et dont les feuilles jouissaient de l’éclatante lumière du Souverain.

Leur père, qu’ils appelaient « Monsieur le Duc », bien que la formulation fusse étonnée, se trouvait être un homme d’une grande rigueur, un diplomate chevronné, et un patriote des plus zélés. Sa renommée n’était égalée que par son ambition, pour lui-même, et sa famille. Déjà à l’époque, il inculqua à ses jeunes fils la valeur de la loyauté, du savoir, et de la force d’âme. Même les coups de ceintures infligés sur leurs épaules chétives n’avaient selon ses dires que le but de les renforcer. Leur inculquer par la plus franche des manières la devise familiale. « Sous Son regard, tous égaux »

Bien vite, l’innocence des jeux prit fin, pour laisser place au monde cruel des intrigues, du mensonge, et des actes de sacrifice. A l’image d’un acier trop tendre, le Duc les forgea dans les braises de la convoitise et du pouvoir. Et la complicité des frères laissa bientôt place à une rivalité plus acerbe, dont le but n’était autre que de jouir des faveurs du père. Ce fut durant cette époque sombre que le cadet eut son « malheureux accident », et les choses ne firent qu’empirer, au fil des ans.

Bien des années après la leçon du Maester, alors que les garçons atteignaient l’un et l’autre la vingtaine, les affaires de la famille furent en crise. Plusieurs membres de celle-ci, travaillant comme la majorité des Edenblow pour la couronne, furent inculpés de corruptions, ou pire. Le blason autrefois honorable s’en retrouvé irrémédiablement souillé, sans que le Duc ne parvint à endiguer l’affaire.

L’ainé de ses fils, le moins patient des deux, entra dans une rage noir. Lui qui ne rêvait que d’un avenir radieux, fait de grandeur, de postérité, voyait le chemin s’assombrir avant même de mettre un pied dans le monde houleux de la politique. Vivement rabroué par son géniteur, il ne trouva ni soutien chez sa mère, ni chez son jeune frère. Et face à l’inaction des Edenblow, leur Maison s’enfonça toujours un peu plus dans les méandres de la décadence.

Ce ne fut que cinq ans après, que le changement arriva. Ce ne fut ni grâce au courage du Duc, ni par la piété de la Duchesse, et encore moins par un heureux retournement du destin. Mais par l’endeuillement.

Le patriarche fut le premier à décédé subitement d’un arrêt du cœur, à l’âge de cinquante deux ans. A l’époque, personne ne se posa trop de question quand à la disparition soudaine d’un homme qu’on disait de robuste constitution. L’indifférence n’était que le premier prix à payer, de la chute de son nom.
Le mois suivant, son épouse le rejoignit dans la Lumière , morte de chagrin d’après l’intendant. La pauvre femme fut enterrée à ses cotés, laissant les titres et ce qui restait des honneurs à ses fils, jusque là absent de la scène politique.

La plupart des observateurs voyaient là la fin d’une époque, et le début d’une nouvelle ère. Un renouveau, pour la famille de Edenblow, placée sous le signe des deux jeunes hommes pleins de vigueur et d’esprit, promettant de redorer un blason trop longtemps poussiéreux.

Toutefois, le deuil et la purge ne s’arrêtèrent pas là.

Le cadet fut perdu en mer, durant un voyage entre Lordaeron et Hurlevent, ainsi que trois de ses cousins. Tempête, ou pirates, la cause ne fut jamais découverte. Entre temps, des oncles, des tantes, des parents proches et moins proches disparurent au fil du temps, pleurés avec hypocrisie. Au cours des dix années qui passèrent, l’arbre généalogique de la prestigieuse famille fut littéralement décimé. Les racines arrachées, les branches coupées. Si bien qu’au début de la trentième année, ne subsistait que l’ainée des Edenblow, et quelques vagues cousins éloignés de plusieurs générations.

Entretemps, le Duc Amon de Edenblow s’était taillé une véritable part du lion au cœur des institutions législatives et politiques du royaume. Passant entre les mailles du filet lors de la crise des maçons, il rebâtit le puissant réseau laissé à l’abandon par son défunt père, et égala rapidement celui-ci en prestige. Procureur, chancelier, intriguant aux amitiés aussi nombreuses qu’hypocrites, dont les méthodes parfois houleuses lui valurent mépris ou crainte.

A l’apogée de sa carrière, le Haut-Chancelier noua des amitiés discutables, se rapprochant des groupuscules les plus zélés, dont les ambitions radicales le poussèrent trop loin sur la dangereuse ligne qui sépare les monstres de ceux qui les affrontent. Ses rêves de grandeur et de renom pour le Royaume s’éteignirent en même temps que lui, laissant dans son sillage un nom adulé ou maudit, une veuve noire, et une famille en lambeaux dont les fantômes hantaient avec aigreur les recoins oubliés du monde, dans l’attente de jours meilleurs.


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Message par L'Autre Jeu 27 Aoû 2015 - 3:09

II - De vieux amis


La nervosité de Luther rendait échos à celle de Faust, tout deux jouant machinalement avec leurs couteaux dentelés ; vestiges de leur période au sein de l’armée régulière. Les deux hommes, vêtus comme des bretteurs, observaient d’un œil nerveux le mendiant qui leur faisait face, dans la ruelle du coupe-gorge. Le genre de lieu tout à fait approprié pour une rencontre dangereuse à l’issue incertaine.

Malgré leur stature menaçante, leurs armes à la ceinture, et leur supériorité numérique, les coupe-jarret n’en menaient pas large. Le premier évitait soigneusement de regarder vers le visage scarifié du vagabond, crachant régulièrement au sol un molard disgracieux, comme pour exprimer son dégout. Il n’avait pas dit un mot depuis le début de l’entretient, laissant Faust échanger à voix basse avec l’Autre, gardant un œil sur sa lame.

« Vous n’avez rien à prétendre » La voix sifflante de Faust était chargée d’aigreur, pleine de reproches. « Vous n’êtes qu’une pâle copie, au pire, un grotesque.. . canular »

Le mendiant haussa faiblement les épaules, sans perdre son maigre sourire, attristé, presque compatissant.

« Vous vous méprenez, Faust. Nous sommes tous uniques, chacun à notre manière. Je ne cherche pas à porter de couronne ensanglantée. »

Le timbre de l’Autre leur rappelèrent pourtant d’autres sonorités, calme, mesuré, et à la fois impérieux. La voix d’un homme ne doutant pas de la véracité de ses paroles, ni de la justesse de ses convictions. Il reprit, avec la tendresse d’un père expliquant à un enfant turbulent.

« Ecumez donc les tripots, si c’est là votre destin. Vous n’êtes, monsieur Faust, qu’une lame émoussée. Au mieux, un pauvre hère dénué de tout avenir. Vous aussi, vous êtes vous jeté sur ses restes, avare et faussement endeuillé ? »

Le malandrin tira son épée, et fut sur le prétendu vagabond en un battement de cil. Le premier coup d’estoc fut dévié in extremis par un coutelas habilement dissimulé sous ses frusques. Le second ne vint jamais, la courte lame s’enfonça profondément dans sa gorge, cisaillant sa trachée. Faust écarquilla les yeux et porta une main à la plaie béante, ou s’écoulait des flots d’hémoglobines. Se noyant dans son propre sang, il s’effondra à genoux. Ses yeux devinrent vitreux tandis que la vie s’échappait de lui à gros bouillons. Une de ses mains poisseuse chercha à se retenir aux robes de son assassin, mais il fut reçu par un violent coup de genoux qui lui brisa le nez.

« Faust ! »

Luther chargea dans la foulée, une chaine dans la main. Il fit tournoyer son arme au dessus de sa tête, cherchant à cingler mortellement son adversaire. Il était poussé par la rage, ainsi que des années d’expérience dans les combats de rue, les assassinas sordides, les mise à mort violente au service du Duc. Il fit toutefois la même erreur que son comparse, sous-estimant la silhouette élancée de l’Autre.
La chaine siffla au dessus de sa tête et percuta un mur, envoyant des éclats de pierre dans le caniveau. Avant qu’il ne puisse relever son arme, la dague déjà souillée de sang s’enfonça sans un bruit dans son ventre, glissant presque élégamment entre deux plaques de cuir. L’acier fendit la chair et les muscles, et d’une violente torsion du poignet, ouvrit une large plaie béante dans le ventre de l’homme.

Luther grogna, cherchant à administrer plusieurs coups de poings au visage du faux mendiant, faisant mouche plusieurs fois. Cela suffit à le faire reculer, mais le mal était déjà fait. L’homme de main désavoué s’écroula à genoux, ses entrailles se rependant au sol. Il chercha un bref instant à les retenir entre ses doigts, en vain. Le souffle froid de la mort remontait déjà le long de son échine quand l’Autre s’agenouilla face à lui, la lèvre inferieur ouverte. Même les marques de son visage et la grossière cicatrice sur sa gorge ne pouvaient dénaturer la beauté de ses traits, la prestance de son regard émeraude. Le vagabond posa une main sur son épaule, paternel, et lui parla lentement, détachant soigneusement chaque syllabe.

« Vous avez bien servi ma famille, Luther. Mais les temps changent, et nul n’est à l’écart de la justice. Sous Son regard, nous sommes tous égaux. »

L’homme de main essaya de répondre, du moins cracher au visage de son meurtrier. Mais seul un flot de sang jaillit de ses lèvres, et il s’écroula, mort avant d’avoir touché le sol.

L’Autre se releva, humectant machinalement ses lèvres sèches. Au fond de lui, il était sincèrement navré. La vision des deux corps sans vie lui rappelèrent des souvenirs d’enfance, quand le limier de son père avait dut abattre le vieux chien de chasse, loyal jusqu’au bout, mais trop vieux pour être utile au domaine. Il sentit presque son cœur se serrer, l’espace d’un bref instant, mais la sensation disparu aussi vite qu’elle était venu.

Le mendiant disparu dans la rue, s’évanouissant rapidement au milieu des gens de basse extraction, ses pas le menant aux belles demeures du quartier de la Lumière. C’est empreint de nostalgie, que l’Autre marcha à la rencontre de ce qu’il restait de sa famille.

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