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7 rue des Trois-Tabourets

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7 rue des Trois-Tabourets  Empty 7 rue des Trois-Tabourets

Message par Jake Harper Mer 17 Aoû 2016 - 21:22

- Pourquoi on reste là ?
- Je te l’ai déjà expliqué, marmonna Arsin.

Les premiers rayons du jour peinaient à filtrer à travers les volets fermés de la cuisine, laissant la pièce dans la pénombre. Plusieurs bols et des couverts sales trônaient dans un fond d’eau de l’évier de pierre. Il y avait au milieu de la pièce une table autour de laquelle étaient assises Stacy et Galhy ; Arsin se tenait debout à côté d’elles, le regard rivé sur la porte d’entrée de leur appartement.

Pas bien haute du haut de ses quatre ans, il avait fallu rajouter plusieurs livres épais sur le tabouret de Stacy pour la hisser au même niveau que la table. Plusieurs feuilles et des pastels de couleurs étaient éparpillés sur la nappe en tissu. La plupart des copies étaient couvertes de dessins mais Stacy semblait avoir épuisé tout son intérêt pour cette activité. Elle posa sa joue contre son petit poing tâché de cire colorée et poussa un soupire.

- Mais j’m’ennuie… C’est quand qu’il revient Jake ?

Arsin jeta un coup d’œil à son épouse. Galhy, qui avait dépassé la quarantaine, était une femme forte d’esprit comme de corps. Elle portait un tablier bleu par dessus une robe simple et nouait toujours ses cheveux bouclés à l’aide d’un foulard couleur pêche. Tout comme son mari, elle était bien en chair. D’allure pataude mais pourtant très débrouillarde, elle était d’une douceur et d’une patience sans commune mesure, loin du cliché de la matrone au caractère de cochon. Stacy était persuadée qu’à force de préparer des pâtisseries pour Arsin, son cœur avait finit par se transformer en un gros chou à la crème. Du moins c’était tout ce qu’avait trouvé la petite fille pour expliquer sa gentillesse et sa silhouette.

Galhy se pencha un peu vers Stacy et lui sourit.

- Ne t’en fais pas, il ne devrait plus tarder. Montre moi ce que tu as dessiné ?
- Ouais mais pourquoi on attends ici, rétorqua la jeune fille sans se soucier de la demande de Galhy, pourquoi on va pas chez nous hein ?
- Et bien…

Galhy réfléchit et son regard se posa une nouvelle fois sur Arsin. Il portait son armure de garde. Le plastron avait dû être refait sur mesure pour s’adapter à son embonpoint. Un sourire fugace se dessina sur les lèvres de la femme : elle l’avait toujours trouvé séduisant dans cette armure ; mais la vue de sa main droite, qu’il tenait fermée autour du manche de son épée, la ramena à la réalité, effaçant son sourire.

Elle sentit le poids de la tension alourdir ses épaules. Elle secoua la tête, chassant les mauvaises pensées, et posa une main sur celles de la petite fille. Stacy releva la tête, scrutant Galhy de ses grands yeux bleus.

- Et bien, repris Galhy, tu n’es pas bien ici ? D’habitude, c’est toi qui réclame à venir !
- D’habitude t’as fais des biscuits… ronchonna Stacy avant de pouffer de rire lorsque son interlocutrice lui pinça légèrement le bout du nez.
- Alors comme ça, tu ne viens que pour mes biscuits ?
- Meuh non ! C’est chouette ici aussi !

Arsin ne bougeait pas. A cette heure-ci, lorsque le soleil commençait sa lente ascension dans le ciel, les oiseaux se mettaient à chanter et le bâtiment s’éveillait, chacun des appartements s’animant de sa vie propre. Aujourd’hui il n’y avait rien d’autre que le silence. Un silence lourd et pesant ; un silence de mort.


*
* *


Jake courrait à travers les rues de Hurlevent. La ville était en émoi depuis que la Marche de l’Ouest était prise d’assaut par les démons.

D’étranges structures faites d’un métal vert et sombre étaient apparues dans le ciel à l’horizon à peine une heure plus tôt. Une brise légère avait soufflé entre les bâtiments de la ville et une série de flashs émeraudes avait illuminé le ciel et les nuages au-dessus de la campagne.

Personne n’avait compris. Personne n’aurait pu comprendre. Puis vinrent les premiers hurlements et un vent de panique souffla sur la ville. Tandis que les auspices s’époumonaient de joies et acclamaient la venue de la Légion Ardente, les travailleurs de l’aube et les couche-tards  commençaient à se bousculer et courir en tout sens. Les cloches de la cathédrale retentirent dans tout Hurlevent, sonnant l’alerte.

Jake travaillait au port lorsqu’il vit les premières lueurs vertes éclairer l’horizon, loin vers les campagnes arides de la Marche. Après plusieurs jours de recherches et d’âpres négociations, il avait été engagé comme débardeur, un travail qu’il effectuait médiocrement ; compte tenu de sa carrure, il se débrouillait pour porter les chargements les plus légers. Il se démenait de jour comme de nuit. C’était difficile mais il était content de pouvoir ramener un peu d’argent à l’appartement, autre que la pension que lui versaient ses parents archéologues pour compenser leur absence dû aux nombreux voyages.

Il n’avait pas attendu les cloches pour abandonner son poste et se mettre à courir entre les caisses et les coffres du port. Si la Marche de l’Ouest était attaquée, Hurlevent n’était pas en sécurité. Qu’allait faire le roi ? Des ennemis allaient-ils attaquer la ville ? Est-ce que la Marche avait été rayé de la carte ? Stacy ! Il devait retourner auprès de Stacy et la mettre en sécurité ! Il accéléra sa course, bousculant au passage un mage qui perdit son chapeau violet, mais ne s’arrêta pas : il filait vers sa seule priorité.


*
* *


- Et là, il va arriver ?
- Pas encore ma chérie.
- Mh… Et maintenant ?

Stacy avait abandonné son perchoir et trottinait autour de la table.  Galhy soupira et, prenant son mal en patience, murmura un nouveau « non, pas encore ».

D’ordinaire, les adultes sous-estimaient la petite fille à la chevelure blonde. Ils s’arrêtaient à son visage de chérubin et fondaient, ce qui arrangeait bien la concernée. Cependant, Arsin et sa femme côtoyaient les Harper – et donc Stacy – depuis plusieurs années maintenant, et ils n’étaient plus dupes. Derrière ce visage d’ange se cachait un véritable diablotin.

Pourtant, cette fois, parce que son esprit était accablé d’inquiétude, Galhy ne remarquait pas que Stacy ne faisait pas que tourner autour de la table. Elle profitait de poser la même question encore et encore pour mieux distraire sa geôlière tandis qu’elle parcourait le mobilier de la cuisine de son regard affûté en quête d’un nouveau centre d’intérêt, à savoir : tout ce qui pouvait briller, être pointu, coloré,  posséder des dents ou contenir une quantité non négligeable de sucre.

Tout à sa tâche, elle ne remarqua pas les lueurs vertes qui se reflétaient contre la vitre de la cuisine, ni la main de Galhy qui serra nerveusement son tablier.

Arsin prit une profonde inspiration et son armure grinça discrètement. Cela faisait un moment que le son des cloches les avaient tiré, lui et sa femme, du lit. Ils avaient à peine eu le temps d’aller récupérer Stacy dans l’appartement d’en face puis Galhy avait aidé tant bien que mal son mari à enfiler son armure. Quelques flashs avaient éclairé le ciel au-delà de Hurlevent puis plus rien. Le silence.

La rue des Trois-Tabourets dans laquelle se situait le bâtiment – qui n’avait de rue que le nom étant donné qu’il s’agissait plutôt d’une ruelle qui s’articulait comme un serpent cassé et jouxtait la taverne du Cochon Siffleur – se trouvait sommes toute à l’écart du centre de la ville. Arsin imaginait sans peine la situation dans le quartier commerçant, les cries et la débâcle, la satisfaction des auspices...

Il renifla. Même s’il n’en donnait pas l’air, la situation le préoccupait. Il savait qu’il aurait dû se trouver avec les autres gardes, à surveiller les remparts ou à calmer les citoyens inquiets mais il n’avait pas pu se résoudre à abandonner sa femme et la petite Stacy. Quelque chose ne tournait pas rond et le prenait au tripe, un mauvais pressentiment. Et puis il y avait Jake qu’il savait encore dehors à cette heure. Piégé, il avait opté pour le choix le plus simple : rester ici et attendre.

C’est alors qu’il entendit un bruit derrière la porte. Quelqu’un montait les escaliers.


*
* *


Jake sauta par dessus un muret et manqua de trébucher sur la racine d’un des pommiers qui décoraient le quartier de la cathédrale. Il bifurqua et s’engouffra sous l’arche qui menait au pont qui séparait ce quartier de celui des nains, laissant derrière lui le spectacle des paladins et des prêtres qui se rassemblaient avec leurs chevaux sur la grande place devant la cathédrale.  D’ordinaire, il se serait arrêté pour baver d’admiration devant ses fiers serviteurs de la Lumière, allant même jusqu’à demander un autographe à celui qu’il jugeait le plus impressionnant. Mais cette fois, pas de plaisanterie, pas d’admiration, pas de naïveté : l’heure était grave.

Comme pour abonder dans le sens de ses pensées, il croisa le cadavre d’un sans-abris qui baignait dans son propre sang au pied d’un mur, à côté d’un tonneau de poissons. Il ralentit sa course et dû lutter pour réprimer un haut-le-cœur. Il continua son chemin, la peur et l’inquiétude au ventre. Il sentait le sang battre à ses tempes. Ses poumons étaient en feu et les muscles de ses jambes suppliaient qu’il s’arrête, mais il savait qu’il n’était plus très loin. Il voyait déjà les toits de tuiles rouges de la vieille ville qui s’élevaient à côté du donjon.

Quelques minutes plus tard, il arriva dans la rue des Trois-Tabourets, devant le bâtiment 7bis. La porte était à moitié ouverte, comme à l’ordinaire. Il grimpa les deux marches qui le séparait de l’entrée et dû marquer une pause, à bout de souffle. Il avait du mal à déglutir et toussa. Son regard croisa alors la porte de l’appartement de Mugg, l’ingénieur qui s’était établit au rez-de-chaussé de la bâtisse.
Les habitants du quartier avaient pris l’habitude de confier leurs problèmes de plomberie et leurs appareils défectueux au gnome. Il lui arrivait même parfois de s’enfoncer dans les égouts de Hurlevent sur demande des autorités. Avec le temps, il était devenu une sorte de gnome à tout faire et son appartement s’était transformé en boutique de petite-ingénierie (c’est ainsi qu’il qualifiait les appareils vendus au grand public par les ingénieurs et qui étaient souvent utilisés par les non-initiés).

Une pancarte était suspendue à la poignée de la porte : « absence prolongée, motif : vacances ». Jake se souvenait pourtant avoir croisé le gnome hier mais il ne posa pas plus de questions et monta quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait au premier étage, là où se trouvait son appartement et celui de Arsin et Galhy Rempard.


*
* *


Le plancher s’arrêta de grincer. Arsin fronça légèrement les sourcils et s’approcha d’un pas lourd de la porte. Il marqua une pause avant de saisir la poignée, puis :

- Jake, si c’est toi, dépêche toi de rentrer ! J’ai pas le temps de jouer aujourd’hui !

Il ouvrit la porte et au même moment une silhouette sombre l’arracha de ses gonds. Le bois vola en éclat dans la pièce. Galhy poussa un cri de surprise et Stacy, qui avait réussi à tirer le tabouret sans se faire voir pour atteindre une étagère fixée au mur, s’immobilisa sur le plan de travail, sa main à quelques centimètres d’une louche en cuivre. Elle ouvrit grand les yeux, tétanisée.

Arsin poussa un juron. Le démon qui venait de défoncer la porte agrippa un coin du mur et se redressa. Il mesurait deux mètres, peut être un peu plus, et la hauteur du plafond le contraignait à rester voûté. Sa peau oscillait entre l’ocre et le beige. Des filets d’énergie verdâtres s’échappaient de ses yeux gorgés de corruption. Deux longues canines dépassaient de ses lèvres inférieures et des griffes remplaçaient ses ongles. Il portait pour seule protection un casque cornue et une cuirasse d’un métal inconnu enserrait son bras. Un kilt en cuir pendait autour de sa taille; il était armé d’une épée déformée.

Galhy plaqua une main sur sa bouche devant cette créature tout droit venue de ses cauchemars les plus sombres. Stacy poussa un hurlement strident, terrorisée. C’est tout ce qu’il fallut à Arsin pour sortir de sa tétanie.

Le gros guerrier poussa un hurlement et chargea d’un coup d’épaule le démon qui encaissa l’assaut en poussant un râle de contentement. Arsin empoigna son épée avec ses deux mains et donna un coup de taille. Sa lame rencontra celle du démon qui la repoussa avec facilité avant de décocher un coup de griffe qui entailla la joue de son adversaire.

Arsin ne se laissa pas démonter et enchaîna sur un nouvelle assaut. Il voulait profiter de la faible marge de manœuvre de son adversaire dans cette pièce qui limitait ses mouvements pour prendre l’ascendant sur lui.

Alors que son mari luttait face au démon, Galhy réunit tout le courage dont elle disposait et se tourna vers Stacy. Cette dernière n’avait pas bougé d’un pouce, incapable de comprendre la scène qui se déroulait sous ses yeux. Galhy se précipita vers elle et l’attrapa dans ses bras. Désespérée, elle s’arma au passage de la louche et recula le plus possible vers le fond de la pièce.

Le démon envoya Arsin percuter le vaisselier. Plusieurs assiettes se brisèrent sur le plancher tandis que le garde se relevait tant bien que mal. Son front ruisselait de sueur et plusieurs gouttes perlaient le long de son nez pour venir disparaître dans sa grosse moustache. Il plissa les yeux, n’accordant qu’un bref regard à sa femme et Stacy – assez pour les savoir à l’écart – avant de pousser un hurlement en chargeant de nouveau le démon.

Bien que des années à patrouiller dans la ville l’aient rouillé, Arsin avait participé à quelques batailles dans sa jeunesse. Grâce à une feinte subtile, il parvint à outrepasser la défense du monstre pour le blesser au flanc gauche. La pointe de son épée creusa une estafilade sur la peau orange du démon et un sang noir et épais suinta. Un sourire fugace éclaira le visage de l’homme tandis que le regard courroucé du démon se posa sur lui.


*
* *


Jake était enfin arrivée. Il remarqua que la porte de son appartement était à moitié ouverte. La plaque au nom de Harper pendait lamentablement par un clou. Rien de particulier en sommes. Il fit un pas en avant, quittant pour de bon l’escalier, et perçu des sanglots étouffés. Il crut d’abord que le bruit venait de chez lui mais les sanglots redoublèrent et il reconnut la voix de Stacy du côté de l’appartement des Rempard.

- C’est bon Stacy ! Je suis là ! Arsin, Gal’ ? Je suis rentré ! Tout va bien ?

Il s’avança un peu plus et se figea. L’entrée de l’habitation était dépourvue de porte. Plus surprenant encore, une masse difforme gisait au sol, entre le couloir et la cuisine. Jake s’approcha encore, le pas mal assuré.

Il s’arrêta devant l’entrée. La cuisine était en désordre, comme si un ouragan l’avait traversé. Le mobilier était brisé, les chaises renversées et de la vaisselle cassée jonchait le plancher. Un courant d’air soulevait les rideaux déchirés au-dessus de l’évier de pierre, s’infiltrant par un trou de la vitre.

Il aperçu, terré au fond de la pièce, la silhouette secouée de sanglot de Galhy et celle de Stacy, recroquevillée dans ses bras, qui ne bougeait pas. La petite fille leva les yeux et croisa le regard de Jake. Elle était prisonnière de l’étreinte de Galhy mais ne semblait pas vouloir quitter la sécurité de ses bras épais. La femme, elle, ne l’avait pas encore remarqué.

Jake soupira. Elles étaient en vie.

- Arsin ?

Son pied heurta la masse qui se trouvait au sol. Il baissa les yeux et recula d’un bond en poussant un cri de surprise. Arsin était allongé sur le cadavre d’un démon sans vie. De la bave verte moussait entre les crocs de la gueule ouverte du monstre tandis qu’il se vidait d’un sang noir et épais. Finalement, Arsin était victorieux. Allongé sur le démon, l’écrasant de tout son poids, il paraissait à bout de forces.

C’est alors que Jake vit la lame démoniaque qui avait transpercé le torse du guerrier et qui se dressait dans son dos, couverte du sang du garde.
Jake Harper
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