[+18] Souvenirs d'un Chat
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[+18] Souvenirs d'un Chat
- Spoiler:
- Tag [+18] vu avec les officiers : les thèmes abordés dans ces textes peuvent choquer ou gêner en ce qu'ils auront parfois trait de manière explicite au sexe, à la violence gratuite, à la mort, etc.
Camille Chat a vingt ans. Il est videur au « Trou Margot », une taverne sordide du port de Hurlevent où les marins et les dockers suants viennent boire leur maigre paie. Ce soir le rade est plein à craquer, un vieux sans dents joue de l’accordéon dans un coin, ça chante ça danse ça se bagarre pendant que des putes vérolées passent de client en client avant de partir avec l’un d’eux vers les chambres du haut. Ces filles Camille il les aime bien. De pauvres nanas, orphelines ou vagabondes, qui échouent ici le temps de se refaire une santé ou de crever de la syphilis. Y’a Daisy la grosse blonde qui arrête pas de rigoler, y’a Céline qu’a un coquard parce qu’elle s’est battue avec Georgette pour une histoire de maquillage volé, et y’a la Goulue qui, pour une p’tite pièce en plus, vous met son pouce dans l’cul quand elle vous suce. Le matou l’aime bien, la Goulue. Elle est gentille, elle lui apporte à boire quand il se caille le derche dehors à filtrer les entrées et elle a un regard triste, parfois. Du coup il leur arrive de baiser avant le service, avant que tout l’monde y passe sur la Goulue.
Bon là ce soir l’ambiance chauffe un peu. Y’a une bande de petits cons, des fils de bourges qui viennent d’la ville haute pour s’encanailler au port et dépenser l’argent de leurs papas. Ils font beaucoup de bruit, ils salissent leurs habits chers avec notre mauvais grog, et en gros ils font tout pour faire les beaux et qu’on les remarque. Des petites merdes, ils sont plus jeunes que moi en plus. Nos habitués, des durs et des tatoués, ils grognent en voyant ça. Eux qu’ont rien et qui viennent chez nous pour oublier un temps leur misère ils aiment pas qu’les richous viennent jusqu’ici pour se la péter devant eux. Mais bon y disent rien. Parce que à Hurlevent faut faire attention à qui tu fais chier. Surtout quand t’es en bas d’l’échelle. Moi j’m’en fous. Bras croisés, j’reste dehors et j’fais mon boulot, c’est-à-dire que j’surveille le coin et que j’fais gaffe que les clodo y rentrent pas.
Sauf que là y’a la Pince qu’arrive. On l’appelle la Pince parce qu’il oublie toujours d’nous payer. Ce fils de pute a des putain d’oursins dans les poches. Et j’sais même pas c’est quoi son vrai nom. Et surtout je m’en branle. Tout le monde l’appelle la Pince, et c’est comme ça. Et donc la Pince qu’arrive et qui me dit.
- « Oh Salade.» On m'appelle comme ça. Les salades d'phalanges que j'envoie, 'voyez.« Y’a les blanc-becs qui font chier les filles. Ca commence à bien faire. Celui avec la barbichette là. Tu l’attrapes et tu le fous dehors avant que ça dégénère et qu’j’ai des problèmes. » qu’il me dit.
Alors moi je rentre. J’ai peut être que vingt piges mais j’suis déjà costaud. J’ai même des cheveux tu le crois. J’ai mis de la graisse de cochon pour faire des pics, c’est la mode à cette époque. Bref j’arrive, je rentre et là j’vois quoi : ces petits enculés qui entourent la Goulue et qui la poussent à droite-à gauche. Celui avec la barbichette il lui met une main au cul. Elle lui dit « arrête » et il lui colle une tarte.
Allez, c’est parti mon kiki. Je lui colle mon poing au coin de la gueule. Foudroyé. Ses copains ces tapettes ils disent rien. Je l’attrape une main sur la ceinture, une main dans son col, et je le tire vers la porte. Puis je le jette dehors, là où on vide les pots de chambre. Il tousse il se relève et il me regarde en me pointant du doigt.
- « Tu vas mourir. » qu’il me dit.
Et là il sort un couteau de son veston à dix pièces d’or couvert de merde de docker. Il sait pas que je viens du Val d’Est, ce petit con. La savate elwynienne il va la prendre dans sa gueule que même sa mère elle va pas le reconnaître. Je suis sur lui d’un bond, je le dérouille comme il faut il a même pas le temps de me couper avec son canif de salon. J’suis sur lui, il pleure il râle. Je lui colle un marron dans la gueule, un de plus, pour la forme.
- « Tu n’es qu’un moins que rien ! Un sous-être ! Un fils de catin ! » et là qu’il me dit !
Alors là je vois rouge. On insulte pas Môman. Je le laisse se relever, je l’enchaîne à nouveau. Là je retiens plus mes coups, je vois rien autour de moi. Je lui colle la main dans la gueule, le genou dans le bide, je lui tord l’oreille, il pleurniche je lui fais une clé de bras si fort que j’entends « clac » quand l’os casse. Et puis il continue de m’insulter alors je prends son canif de merde et je lui coupe le petit doigt. Ca lui apprendra. Il hurle comme un beau diable, je me relève et je lui envoie un coup de pied sur le groin si fort qu’il s’endort.
Là je me réveille, je regarde autour de moi. Y’a des clients qui sont sortis pour regarder. Y’a les copains du petit con, y’a la Pince, y’a la Goulue qui me fixe avec ses grands yeux tristes. Et puis y’a une putain de patrouille de Bleus. Là j’me dis merde. Ils arrivent vers moi, ils me menottent. Y’en a un qui s’occupe de celui qu’est par terre et qui dit qu’il faut faire venir un brancard. Le sergent il questionne la Pince.
- « C’est un de vos employés ? »
- « Euh non enfin oui mais il vient d’arriver c’était son jour d’essai, on le ne connait pas on ne savait pas que c’était un tel sauvage. » qu’il bafouille, la Pince. « Tenez, il s’appelle Camille Chat ! C’est un vaurien, je ne comprends pas comment on ne s’en est pas aperçu avant … »
Il essaie de se couvrir le con. Il se chie dessus. La Pince si je te recroise, je t’ouvre le ventre. Le sergent il regarde le bourge à mes pieds, il me regarde.
- « Tu t’es attaqué à la mauvaise personne, Monsieur le Chat. » il dit en montrant l’autre qu’est encore dans les pommes. « C’est le fils chéri du duc Van Derburg, chancelier de la Maison des Nobles et proche conseiller de Dame Katrana Prestor. Tu te balanceras au bout du corde d’ici la semaine prochaine. »
Ah. Bah merde alors.
Camille Chat- Citoyen
- Nombre de messages : 51
Lieu de naissance : Elwynn
Age : 32 ans
Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat marche sur la route de la forêt d’Elwynn, encadré par quatre soldats à la mine patibulaire portant le tabard au Lion. Le matou a la lèvre fendue, du sang plein la bouche et une arcade pétée qui commence déjà à gonfler de manière impressionnante. Il se tient les côtes et traîne de la patte mais reçoit de bons coups de pied au cul s’il n’avance pas assez vite. Plus tôt dans la journée, ces même soldats sont venus le chercher dans les geôles de la Garde de Hurlevent. Le sous-officier lui a alors offert un choix : la corde, ou dix ans de services dans la Division Pénitentiaire. Le Chat, vingt piges et animé par un irrépressible besoin de survivre, a choisi.
Et putain, dans quelle merde j’me suis fourré. A peine qu’ils m’ont enlevé les menottes et qu’on a passé les portes de cette putain de ville qu’ils m’ont tiré hors du chemin, derrière les arbres, et qu’ils m’ont passé à tabac. Jamais on m’avait éclaté comme ça. D’habitude c’est moi qui dérouille, bah là j’en menais pas large. J’ai essayé d’me protéger, de me rouler en boule mais ça pleuvait dans tous les sens. Les coups dans la gueule avec des gantelets ou des bottes à coque en fer je vous le dis ça fait pas du bien. Y me pètent des dents, l’autre m’éclate le front, et pis celui m’appuie le pif dans la terre que j’peux plus respirer. J’pense qu’ils vont me buter, que j’vais mourir et que c’est vraiment des enculés de m’enlever au gibet pour me faire mourir en me battant comme un chien. Mais en fait je meurs pas. Je suis cassé de partout mais ils me relèvent et on marche.
Alors là je réfléchis, quand même. Parce que j’ai beau voir plus qu’un d’un œil, là dedans ça tourne quand même. Quand j’étais en zonzon y’a la Goulue qu’est passée me voir. Elle m’a dit « gnagnagna j’suis enceinte, gnagnagna si c’est un garçon j’vais l’appeler Tomas si c’est une fille ce s’ra Bertille gnagnagna. » Merci la Goulue ça m’fait une belle jambe. Et pis je pensais au p’tit Baladinis, aussi, mon frangin. Le gosse a neuf ans, y’a plus Môman et il est bloqué avec Pôpa qu’est un putain d’escroc et d’ivrogne et qui vaut pas mieux qu’un putain de clochard. Et en plus il cogne fort ce con. Putain Bala, désolé mon vieux. Tu vas devoir te démerder sans moi. Je réfléchissais à tout ça, mais là j’y pense plus. C’est fini tout ça, rideau, au revoir, circulez y’a rien à voir. Là je pense surtout à pas me casser la gueule et à marcher assez vite pour arrêter de me prendre des coups de fourreau sur les arêtes. Et pis j’me dis qu’au final la corde au moins ça avait le mérite d’être plus rapide.
Je sais où on va, je connais le chemin. La garnison du Ruisseau de l’Ouest. On arrive. J’ai l’impression que j’vais tomber dans les pommes, même si je suis pas une tapette. Y a des tentes partout, des soldats qui s’entraînent, des types en rang. On me jette des regards que j’aime pas. Mes nouveaux copains me font rentrer dans le fort, je monte des escaliers, j’arrive devant un bureau et on me fait asseoir devant un type, une sorte d’officier.
- « Maintenant t’es un soldat, matricule E-XIV.» qu’il me dit et il me jette un tabard froissé dans la gueule. « Y’a pas beaucoup d’trucs que tu dois savoir, t’auras pas beaucoup à réfléchir. » qu’il continue. Il me prend clairement pour un con. « Déjà tu vas mourir en portant ce tabard. Demain, dans un mois, dans un an j’en sais rien, mais tu vas crever. » Génial. « D’ici là c’est simple : tu mouftes, on te tabasse. Tu re-mouftes, on te re-tabasse. Tu re-re-mouftes … »
- « On m’re-re-tabasse ? » que j’lui dis.
Je prends une droite comme j’en ai rarement prise. Je crache une molaire par terre en me concentrant fort pour rester conscient. Ca m’apprendra à avoir une grande gueule.
- « Non. On t’arrache les ongles pis on te pend. Maintenant dégage. »
Et c’est reparti. On m’lève par les épaules et on m’amène ailleurs. Un type louche prend mes mesures, puis on m’assoit sur un tabouret. Un mec me tond la tête et me rase comme un boucher. J’m’en rends pas trop compte, je suis un peu dans les vapes. J’prends deux-trois baffes sans trop comprendre pourquoi, j’crois que c’est juste pour la forme. Et allez, rebelotte, on me bourlingue jusqu’à un grand dortoir qui pue la sueur et la merde. Et là y’a des types. Du genre qui fait peur, même à moi. Des regards de tueur d’enfant, des gueules éclatées, des sourires de psychopathes. Et puis costauds les ânes.
- « Dis bonjour à tes nouveaux copains. » qu’il me dit le soldat avant de me pousser dans la cage aux fauves avec un grand coup de pied dans le derche.
Les autres ils se retournent vers moi et ils ricanent.
- « Oh bah teh une nouvelle tête. Tu sais comment qu’on dit bienvenue à la Pénitentiaire ? Non ? » qu’il me dit celui avec le regard le plus fou. « Viens là on va t'montrer ? Ca tombe bien, j’crois que Bebel il a fait tomber sa savonette. »
Oh putain. J’aurai p't'être du prendre la corde.
Et putain, dans quelle merde j’me suis fourré. A peine qu’ils m’ont enlevé les menottes et qu’on a passé les portes de cette putain de ville qu’ils m’ont tiré hors du chemin, derrière les arbres, et qu’ils m’ont passé à tabac. Jamais on m’avait éclaté comme ça. D’habitude c’est moi qui dérouille, bah là j’en menais pas large. J’ai essayé d’me protéger, de me rouler en boule mais ça pleuvait dans tous les sens. Les coups dans la gueule avec des gantelets ou des bottes à coque en fer je vous le dis ça fait pas du bien. Y me pètent des dents, l’autre m’éclate le front, et pis celui m’appuie le pif dans la terre que j’peux plus respirer. J’pense qu’ils vont me buter, que j’vais mourir et que c’est vraiment des enculés de m’enlever au gibet pour me faire mourir en me battant comme un chien. Mais en fait je meurs pas. Je suis cassé de partout mais ils me relèvent et on marche.
Alors là je réfléchis, quand même. Parce que j’ai beau voir plus qu’un d’un œil, là dedans ça tourne quand même. Quand j’étais en zonzon y’a la Goulue qu’est passée me voir. Elle m’a dit « gnagnagna j’suis enceinte, gnagnagna si c’est un garçon j’vais l’appeler Tomas si c’est une fille ce s’ra Bertille gnagnagna. » Merci la Goulue ça m’fait une belle jambe. Et pis je pensais au p’tit Baladinis, aussi, mon frangin. Le gosse a neuf ans, y’a plus Môman et il est bloqué avec Pôpa qu’est un putain d’escroc et d’ivrogne et qui vaut pas mieux qu’un putain de clochard. Et en plus il cogne fort ce con. Putain Bala, désolé mon vieux. Tu vas devoir te démerder sans moi. Je réfléchissais à tout ça, mais là j’y pense plus. C’est fini tout ça, rideau, au revoir, circulez y’a rien à voir. Là je pense surtout à pas me casser la gueule et à marcher assez vite pour arrêter de me prendre des coups de fourreau sur les arêtes. Et pis j’me dis qu’au final la corde au moins ça avait le mérite d’être plus rapide.
Je sais où on va, je connais le chemin. La garnison du Ruisseau de l’Ouest. On arrive. J’ai l’impression que j’vais tomber dans les pommes, même si je suis pas une tapette. Y a des tentes partout, des soldats qui s’entraînent, des types en rang. On me jette des regards que j’aime pas. Mes nouveaux copains me font rentrer dans le fort, je monte des escaliers, j’arrive devant un bureau et on me fait asseoir devant un type, une sorte d’officier.
- « Maintenant t’es un soldat, matricule E-XIV.» qu’il me dit et il me jette un tabard froissé dans la gueule. « Y’a pas beaucoup d’trucs que tu dois savoir, t’auras pas beaucoup à réfléchir. » qu’il continue. Il me prend clairement pour un con. « Déjà tu vas mourir en portant ce tabard. Demain, dans un mois, dans un an j’en sais rien, mais tu vas crever. » Génial. « D’ici là c’est simple : tu mouftes, on te tabasse. Tu re-mouftes, on te re-tabasse. Tu re-re-mouftes … »
- « On m’re-re-tabasse ? » que j’lui dis.
Je prends une droite comme j’en ai rarement prise. Je crache une molaire par terre en me concentrant fort pour rester conscient. Ca m’apprendra à avoir une grande gueule.
- « Non. On t’arrache les ongles pis on te pend. Maintenant dégage. »
Et c’est reparti. On m’lève par les épaules et on m’amène ailleurs. Un type louche prend mes mesures, puis on m’assoit sur un tabouret. Un mec me tond la tête et me rase comme un boucher. J’m’en rends pas trop compte, je suis un peu dans les vapes. J’prends deux-trois baffes sans trop comprendre pourquoi, j’crois que c’est juste pour la forme. Et allez, rebelotte, on me bourlingue jusqu’à un grand dortoir qui pue la sueur et la merde. Et là y’a des types. Du genre qui fait peur, même à moi. Des regards de tueur d’enfant, des gueules éclatées, des sourires de psychopathes. Et puis costauds les ânes.
- « Dis bonjour à tes nouveaux copains. » qu’il me dit le soldat avant de me pousser dans la cage aux fauves avec un grand coup de pied dans le derche.
Les autres ils se retournent vers moi et ils ricanent.
- « Oh bah teh une nouvelle tête. Tu sais comment qu’on dit bienvenue à la Pénitentiaire ? Non ? » qu’il me dit celui avec le regard le plus fou. « Viens là on va t'montrer ? Ca tombe bien, j’crois que Bebel il a fait tomber sa savonette. »
Oh putain. J’aurai p't'être du prendre la corde.
Camille Chat- Citoyen
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Lieu de naissance : Elwynn
Age : 32 ans
Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat s’est fait des copains. Il a trouvé des jeunes recrues qui viennent d’arriver, tout comme lui, et qui ont décidé de se serrer les coudes. Ils partagent le même dortoir et sont inséparables : pendant les entraînements interminables à ramper dans la boue, à la cantine, en corvée de chiottes ou de patate. Les seuls instants où on ne les voit pas ensemble sont ceux où l’un d’eux a fait une connerie et se retrouve à l’isolement. Les conditions de vie à la Division Pénitentiaire sont dures, les punitions pleuvent pour un oui ou pour un non et le rythme des exercices imposés aux nouveaux arrivants est effréné. Les officiers ne sont pas là pour former des militaires, mais pour briser des éléments récalcitrants. Ce monde hostile et violent est un terreau fertile pour créer des liens puissants comme des inimités meurtrières.
Déjà y’a le Gros Dédé. C’est un balourd dont la mère devait être une ogresse teh. Solide comme une souche et bien gras du bide, avec des paluches qui font ma tête. Il a l’air gentil et même con comme ça mais faut pas l’emmerder c’est moi qui vous l’dit. Entre nous ça a commencé avec une grande baffe dans ma gueule quand j’ai essayé de lui piquer son quignon de pain, c’est dire. Lui il vient d’Elwynn, comme moi. Il bossait pour un gang du Vieux Quartier et il s’est fait coffrer quand lui et ses potes sont allé fumer des types d’en face dans une ruelle sordide. Lui aussi, c’était la corde ou la Pénitentiaire.
Y’a aussi Félix, un p’tit nerveux des Carmines. Le genre teigneux, tout maigre, c’est que du nerf et de l’os. Féfé comme qu’on l’appelle c’est un sentimental dans l’fond, un poète, une âme sensible, une tapette comme moi j’dis. Il réfléchit tout l’temps, il a le regard qui saute et de longs doigts qu’on dirait qu’ils sont fait pour piquer des trucs. C’est c’qu’il faisait d’ailleurs, piquer des trucs. Sept ans au bagne pour avoir cambriolé un manoir du Quartier des Mages ou la Pénitentiaire.
Pis y’a Pine d’huître. Lui c’est un fils de marchand, un mec friqué à la base, et pis qui sait même lire et écrire. P’t’êt’ qu’il aurait pas dû, parce qu’il a pondu une sorte de billet contre le Roi et la Maison des Nobles, dans lequel il dit qu’les pauvres y doivent prendre le pouvoir et choisir eux-mêmes qui dirige, blablabla. L’exil à vie ou la Pénitentiaire. Le Pine d’huître il a la femme de son cœur à Hurlevent, alors il a choisi. D’ailleurs la femme de son cœur elle doit pas être jouasse, parce que Pine d’huître il a une toute petite bite. On le sait parce qu’on voit son p’tit machin quand on va se laver à la rivière. C’est pour ça qu’on l’appelle Pine d’huître, parce que si une huître ça a une pine ça doit pas êt’ glorieux. Bref.
Et l’dernier d’la bande c’est Maurice, que nous on dit Momo. Momo il est de la Marche, son plat préféré c’est donc la soupe au gravier. Solide, barbu, mais pas causant le Momo, il veut pas dire pourquoi qu’il est là. Il ressemble à une espèce de bête hirsute. Quand l’caporal l’a fait tenir deux jours d’affilé debout sous la pluie il a pas bronché. C’est un rustique. Si on crève tous il restera que lui, ça c’est sûr. Momo il parle pas beaucoup mais parfois il dessine avec du charbon, sur le bois d’son pieux. C’est joli c’qu’il fait. Il me montre parfois. Félix il dit que Momo il est là parce c’est un maçon. Un Défias, quoi. Moi j’en sais rien et puis j’m’en fous. Pour Momo, c’était on-sait-pas-quoi ou la Pénitentiaire.
Donc voilà ça c’est ma bande. Et c’qu’on fait avec ma bande, la plupart du temps, à par s’faire gueuler dessus par les matons et faire des pompes, c’est se cogner avec l’autre bande. Si si vous vous rappelez, mon comité de bienvenue, là. Bebel et ses enculés. Bah on se cogne dans les dortoirs, on se cogne à la rivière, on se cogne à la cantine et on se cogne à l’entraînement. Mais à l’entraînement on a le droit. Sauf que là ça commence à chauffer. Hier ils ont choppé Pine d’huître pendant que l’aut’ y devait astiquer les trucs de l’armurerie et ils l’ont tabassé et coupé une oreille avant de lui pisser dessus. Alors nous on a dit : faut se venger. Et ça tombe bien parce que demain on part en opération dans la Marche. On va attaquer un camp d’bandits. C’est là qu’on va s’venger, parce que Féfé il a pensé à un plan …
Donc le lendemain c’est trompette, tambour, tout l’monde en rang, on s’prend quelques claques et on met notre équipement pourri. Pis on marche, on traverse le pont et on va dérouiller les bandits. Rien d’bien méchant, les aut’ s’y attendaient pas et on les dégomme à cinq contre un. Pis après faut fouiller la zone. Alors nous on s’planque dans un coin et Féfé y dit bien fort :
- « Oh putain les gars, r’gardez ce magot ! Dépêchez-vous d’vous en mettre plein les poches avant qu’Bebel et ses gars arrivent. »
Et Bebel et ses gars y font quoi ? Bien vu l’aveugle, y z’arrivent. Et là putain, on leur tombe dessus. L’Gros Dédé il couche Bebel d’un coup de marteau dans la tronche. Moi j’prends mon canif et je surine le premier sur lequel j’atterris. Je frappe je frappe je frappe dans le mou le plus loin possible. L’autre y beugle je lui plaque la main sur la bouche. Je frappe je frappe je frappe. Y’a du sang partout, l’autre se débat plus. Je vois ses yeux vides qui me fixent. J’ai plus de souffle, je m’essuie le visage je me mets du sang partout. Et je regarde les autres. L’Gros Dédé, Féfé, Momo y m’regardent. Pis ils me relèvent et on s’tire. Au capo on dit qu’il restait des brigands là-bas, qu’on les a dérouillés mais que Bebel et ses gars y sont passés. Le capo il a l’air de s’en branler. On se rentre à la garnison et personne pose de questions.
J’avais jamais tué un type avant. Je revois ses yeux tout le temps, tout ronds, ternes, qui me regardent. Toutes les nuits il vient me voir, je peux plus dormir. J’mange pas parce qu’il me fixe. J’en peux plus. Je deviens fou, je vois l’autre gonze partout. Il est mort mais il me suit dans le dortoir, dans mon lit, tout le temps. Nique la Pénitentiaire, nique la Goulue, nique Bala. Je vais me pendre. Puis le capo y m’prend entre quatre yeux. Il est bien le capo, même si c’est un enculé d’ancien taulard qu’a purgé sa peine pour devenir maton. Il me dit :
- « T’as tué ton premier type. Tu dois t’saouler la gueule, baiser et te tatouer sa face. Et tu s’ras tranquille. »
Et là qu’y m’file une bouteille alors qu’on a pas l’droit de boire. Et d’m’amener de nuit à l’auberge de Comté-de-l’Or pour aller aux putes. Et d’trouver un gus louche pour me tatouer un monstre qui grimace sur l’épaule. Eh bah vous savez quoi. Ca a marché. L’autre y me fixait plus. J’sais pas pourquoi, j’sais pas comment, mais putain ça marche. Je vais pas me pendre en fait. Et l’autre enculé qu’j’ai suriné comme un sourd, j’y pense même plus. C’était le premier, mais pas le dernier.
Déjà y’a le Gros Dédé. C’est un balourd dont la mère devait être une ogresse teh. Solide comme une souche et bien gras du bide, avec des paluches qui font ma tête. Il a l’air gentil et même con comme ça mais faut pas l’emmerder c’est moi qui vous l’dit. Entre nous ça a commencé avec une grande baffe dans ma gueule quand j’ai essayé de lui piquer son quignon de pain, c’est dire. Lui il vient d’Elwynn, comme moi. Il bossait pour un gang du Vieux Quartier et il s’est fait coffrer quand lui et ses potes sont allé fumer des types d’en face dans une ruelle sordide. Lui aussi, c’était la corde ou la Pénitentiaire.
Y’a aussi Félix, un p’tit nerveux des Carmines. Le genre teigneux, tout maigre, c’est que du nerf et de l’os. Féfé comme qu’on l’appelle c’est un sentimental dans l’fond, un poète, une âme sensible, une tapette comme moi j’dis. Il réfléchit tout l’temps, il a le regard qui saute et de longs doigts qu’on dirait qu’ils sont fait pour piquer des trucs. C’est c’qu’il faisait d’ailleurs, piquer des trucs. Sept ans au bagne pour avoir cambriolé un manoir du Quartier des Mages ou la Pénitentiaire.
Pis y’a Pine d’huître. Lui c’est un fils de marchand, un mec friqué à la base, et pis qui sait même lire et écrire. P’t’êt’ qu’il aurait pas dû, parce qu’il a pondu une sorte de billet contre le Roi et la Maison des Nobles, dans lequel il dit qu’les pauvres y doivent prendre le pouvoir et choisir eux-mêmes qui dirige, blablabla. L’exil à vie ou la Pénitentiaire. Le Pine d’huître il a la femme de son cœur à Hurlevent, alors il a choisi. D’ailleurs la femme de son cœur elle doit pas être jouasse, parce que Pine d’huître il a une toute petite bite. On le sait parce qu’on voit son p’tit machin quand on va se laver à la rivière. C’est pour ça qu’on l’appelle Pine d’huître, parce que si une huître ça a une pine ça doit pas êt’ glorieux. Bref.
Et l’dernier d’la bande c’est Maurice, que nous on dit Momo. Momo il est de la Marche, son plat préféré c’est donc la soupe au gravier. Solide, barbu, mais pas causant le Momo, il veut pas dire pourquoi qu’il est là. Il ressemble à une espèce de bête hirsute. Quand l’caporal l’a fait tenir deux jours d’affilé debout sous la pluie il a pas bronché. C’est un rustique. Si on crève tous il restera que lui, ça c’est sûr. Momo il parle pas beaucoup mais parfois il dessine avec du charbon, sur le bois d’son pieux. C’est joli c’qu’il fait. Il me montre parfois. Félix il dit que Momo il est là parce c’est un maçon. Un Défias, quoi. Moi j’en sais rien et puis j’m’en fous. Pour Momo, c’était on-sait-pas-quoi ou la Pénitentiaire.
Donc voilà ça c’est ma bande. Et c’qu’on fait avec ma bande, la plupart du temps, à par s’faire gueuler dessus par les matons et faire des pompes, c’est se cogner avec l’autre bande. Si si vous vous rappelez, mon comité de bienvenue, là. Bebel et ses enculés. Bah on se cogne dans les dortoirs, on se cogne à la rivière, on se cogne à la cantine et on se cogne à l’entraînement. Mais à l’entraînement on a le droit. Sauf que là ça commence à chauffer. Hier ils ont choppé Pine d’huître pendant que l’aut’ y devait astiquer les trucs de l’armurerie et ils l’ont tabassé et coupé une oreille avant de lui pisser dessus. Alors nous on a dit : faut se venger. Et ça tombe bien parce que demain on part en opération dans la Marche. On va attaquer un camp d’bandits. C’est là qu’on va s’venger, parce que Féfé il a pensé à un plan …
Donc le lendemain c’est trompette, tambour, tout l’monde en rang, on s’prend quelques claques et on met notre équipement pourri. Pis on marche, on traverse le pont et on va dérouiller les bandits. Rien d’bien méchant, les aut’ s’y attendaient pas et on les dégomme à cinq contre un. Pis après faut fouiller la zone. Alors nous on s’planque dans un coin et Féfé y dit bien fort :
- « Oh putain les gars, r’gardez ce magot ! Dépêchez-vous d’vous en mettre plein les poches avant qu’Bebel et ses gars arrivent. »
Et Bebel et ses gars y font quoi ? Bien vu l’aveugle, y z’arrivent. Et là putain, on leur tombe dessus. L’Gros Dédé il couche Bebel d’un coup de marteau dans la tronche. Moi j’prends mon canif et je surine le premier sur lequel j’atterris. Je frappe je frappe je frappe dans le mou le plus loin possible. L’autre y beugle je lui plaque la main sur la bouche. Je frappe je frappe je frappe. Y’a du sang partout, l’autre se débat plus. Je vois ses yeux vides qui me fixent. J’ai plus de souffle, je m’essuie le visage je me mets du sang partout. Et je regarde les autres. L’Gros Dédé, Féfé, Momo y m’regardent. Pis ils me relèvent et on s’tire. Au capo on dit qu’il restait des brigands là-bas, qu’on les a dérouillés mais que Bebel et ses gars y sont passés. Le capo il a l’air de s’en branler. On se rentre à la garnison et personne pose de questions.
J’avais jamais tué un type avant. Je revois ses yeux tout le temps, tout ronds, ternes, qui me regardent. Toutes les nuits il vient me voir, je peux plus dormir. J’mange pas parce qu’il me fixe. J’en peux plus. Je deviens fou, je vois l’autre gonze partout. Il est mort mais il me suit dans le dortoir, dans mon lit, tout le temps. Nique la Pénitentiaire, nique la Goulue, nique Bala. Je vais me pendre. Puis le capo y m’prend entre quatre yeux. Il est bien le capo, même si c’est un enculé d’ancien taulard qu’a purgé sa peine pour devenir maton. Il me dit :
- « T’as tué ton premier type. Tu dois t’saouler la gueule, baiser et te tatouer sa face. Et tu s’ras tranquille. »
Et là qu’y m’file une bouteille alors qu’on a pas l’droit de boire. Et d’m’amener de nuit à l’auberge de Comté-de-l’Or pour aller aux putes. Et d’trouver un gus louche pour me tatouer un monstre qui grimace sur l’épaule. Eh bah vous savez quoi. Ca a marché. L’autre y me fixait plus. J’sais pas pourquoi, j’sais pas comment, mais putain ça marche. Je vais pas me pendre en fait. Et l’autre enculé qu’j’ai suriné comme un sourd, j’y pense même plus. C’était le premier, mais pas le dernier.
Camille Chat- Citoyen
- Nombre de messages : 51
Lieu de naissance : Elwynn
Age : 32 ans
Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat a vingt-deux ans. A cette époque, et pour la première fois, la Division Pénitentiaire est envoyée hors des Royaumes de l’Est pour participer à la terrible campagne du Norfendre. Les taulards, les soldats qui leurs servent de matons et les officiers de cette terrible bande s’entassent dans des navires en partance pour le Donjon de la Bravoure qui est encore en cours de construction dans la Toundra Boréenne. Là-bas, ils seront déployés sur les nombreux théâtres d’opération de la région. Ils combattront pendant de longs mois, mal équipé face au froid et aux ennemis, peu approvisionnés et servant principalement de chair à canon. En effet, qui se soucie de la mort de quelques bagnards, aussi sordide soit-elle ? Puis, à l’appel du Commandant des forces de l’Alliance Bolvar Fordragon, ils feront route vers l’Est et traverseront la Transborée pour retrouver le gros de l’armée devant les entrées de la cité souterraine d’Azjol-Nerub.
Et là putain, y’a tout un paquet d’monde autour de cette grande crevasse gelée dans l’sol. Y’a des chevaliers tout brillants, des contingents d’fantassins, y’a des nains en rang avec leurs fusils et leurs sales trognes, y’a des gnomes sur des grosses machines qui doivent dérouiller sévère, y’a des bonnasses de Darnassus avec leurs arcs et y’a même deux ou trois paladins draeneï dont une que j’vous jure elle me faisait d’l’œil. Si si c’est vrai. Et pis y’a tout un régiment des gars d’la 7ème aussi. Pas des rigolos ceux-là. D’accord ils ont l’air cons avec leurs casques mais j’préfère les avoir avec nous que contre nous. Y’a même l’Commandant Bolvar ! Sur un gros cheval avec une armure, qui fait un discours là-bas, de l’aut’ côté ! Bon bien sûr nous les taulards on a la place à la con et on est trop loin pour entendre qu’est-ce qu’il dit. A la place c’est not’ con d’colonel qui s’avance devant notre troupe pour baver ses conneries. J’peux pas le voir, celui-là. Un mec d’mon âge, tout fringuant dans son armure neuve, pas une cicatrice. Un putain d’blanc-bec qu’on voit que quand faut palabrer mais qu’j’ai jamais vu combattre. Il y a du en sucer des queues à Hurlevent pour avoir ce poste. Il a les dents qui rayent le parquet et des petites mains toutes blanches qu’il a jamais trempé dans l’sang.
- « Fiers soldats de la Division Pénitentiaire ! » qu’il dit, ce con. « Aujourd’hui vous est offerte la chance de votre vie ! Celle de racheter vos fautes passées. Combattez pour l’Alliance, et vos tords seront lavés ! Mourrez pour elle, et votre gloire sera éternelle ! Ce jour, vous n’êtes pas des prisonniers. Vous êtes des héros ! »
Gros blanc. Personne dit rien, on entend juste Bolvar brailler de l’autre côté et les gars de la 7ème qui l’acclament comme si c’était le Roi en personne. J’vous dis pas la gueule qu’il tire, ce con d’colonel. D’ailleurs il se renfrogne.
- « Vous avez l’immense honneur de descendre rencontrer l’ennemi les premiers. Le reste de l’armée suivra après vous. » Ca m’aurait étonné con. Lui il la veut sa médaille, pour le sale boulot qu’on va faire. « Soyez digne de votre tabard et remontez de cette fosse en vainqueurs ou les pieds devant. »
Bonjour l’ambiance. Les officiers nous disent d’allumer des torches, et pis on descend. C’est comme une grande grotte de glace, avec des ruines en pierre noire d’un truc comme une civilisation ancienne. Y’a pas d’lumière, que les flammes qu’on porte sur nous, il pèle sévère et on entend plus rien de c’qui se passe à l’extérieur. Y’a plein d’toiles d’araignées aussi. Tout d’un coup j’sursaute parce que j’entends un gros craquement. C’est Dédé qu’a marché sur un crâne. Tout le monde se chie dessus, on serre les rangs et on avance. On voit pas à trois pieds d’vant nous mais on rencontre rien. On passe de grandes portes, et des trucs comme des forts, et des ponts en pierre par-dessus le vide. Au-dessus d’nous, une voûte infinie. Y’a pas un bruit. J’entends le baudrier de Pine d’huître tinter tellement il tremble. Et putain il caille.
Y’a Momo à côté d’moi. Celui que j’vous ai dit qu’il sera le dernier d’entre nous à clamser. Eh bah il me regarde en marchant et tout d’un coup un truc l’tire en arrière et il disparait dans les ténèbres sans même grogner. Et là quequ’chose souffle toutes nos torches en même temps. On est dans le noir complet. Pine d’huître se met à pleurer. Et des dizaines d’petits points bleus s’allument dans la nuit, tout autour de nous. On serre encore les rangs, morts de trouille. Puis ils nous tombent dessus et c’est l’enfer.
On était deux cents de la Pénitentiaire à descendre. On sera trente-six à remonter.
Et là putain, y’a tout un paquet d’monde autour de cette grande crevasse gelée dans l’sol. Y’a des chevaliers tout brillants, des contingents d’fantassins, y’a des nains en rang avec leurs fusils et leurs sales trognes, y’a des gnomes sur des grosses machines qui doivent dérouiller sévère, y’a des bonnasses de Darnassus avec leurs arcs et y’a même deux ou trois paladins draeneï dont une que j’vous jure elle me faisait d’l’œil. Si si c’est vrai. Et pis y’a tout un régiment des gars d’la 7ème aussi. Pas des rigolos ceux-là. D’accord ils ont l’air cons avec leurs casques mais j’préfère les avoir avec nous que contre nous. Y’a même l’Commandant Bolvar ! Sur un gros cheval avec une armure, qui fait un discours là-bas, de l’aut’ côté ! Bon bien sûr nous les taulards on a la place à la con et on est trop loin pour entendre qu’est-ce qu’il dit. A la place c’est not’ con d’colonel qui s’avance devant notre troupe pour baver ses conneries. J’peux pas le voir, celui-là. Un mec d’mon âge, tout fringuant dans son armure neuve, pas une cicatrice. Un putain d’blanc-bec qu’on voit que quand faut palabrer mais qu’j’ai jamais vu combattre. Il y a du en sucer des queues à Hurlevent pour avoir ce poste. Il a les dents qui rayent le parquet et des petites mains toutes blanches qu’il a jamais trempé dans l’sang.
- « Fiers soldats de la Division Pénitentiaire ! » qu’il dit, ce con. « Aujourd’hui vous est offerte la chance de votre vie ! Celle de racheter vos fautes passées. Combattez pour l’Alliance, et vos tords seront lavés ! Mourrez pour elle, et votre gloire sera éternelle ! Ce jour, vous n’êtes pas des prisonniers. Vous êtes des héros ! »
Gros blanc. Personne dit rien, on entend juste Bolvar brailler de l’autre côté et les gars de la 7ème qui l’acclament comme si c’était le Roi en personne. J’vous dis pas la gueule qu’il tire, ce con d’colonel. D’ailleurs il se renfrogne.
- « Vous avez l’immense honneur de descendre rencontrer l’ennemi les premiers. Le reste de l’armée suivra après vous. » Ca m’aurait étonné con. Lui il la veut sa médaille, pour le sale boulot qu’on va faire. « Soyez digne de votre tabard et remontez de cette fosse en vainqueurs ou les pieds devant. »
Bonjour l’ambiance. Les officiers nous disent d’allumer des torches, et pis on descend. C’est comme une grande grotte de glace, avec des ruines en pierre noire d’un truc comme une civilisation ancienne. Y’a pas d’lumière, que les flammes qu’on porte sur nous, il pèle sévère et on entend plus rien de c’qui se passe à l’extérieur. Y’a plein d’toiles d’araignées aussi. Tout d’un coup j’sursaute parce que j’entends un gros craquement. C’est Dédé qu’a marché sur un crâne. Tout le monde se chie dessus, on serre les rangs et on avance. On voit pas à trois pieds d’vant nous mais on rencontre rien. On passe de grandes portes, et des trucs comme des forts, et des ponts en pierre par-dessus le vide. Au-dessus d’nous, une voûte infinie. Y’a pas un bruit. J’entends le baudrier de Pine d’huître tinter tellement il tremble. Et putain il caille.
Y’a Momo à côté d’moi. Celui que j’vous ai dit qu’il sera le dernier d’entre nous à clamser. Eh bah il me regarde en marchant et tout d’un coup un truc l’tire en arrière et il disparait dans les ténèbres sans même grogner. Et là quequ’chose souffle toutes nos torches en même temps. On est dans le noir complet. Pine d’huître se met à pleurer. Et des dizaines d’petits points bleus s’allument dans la nuit, tout autour de nous. On serre encore les rangs, morts de trouille. Puis ils nous tombent dessus et c’est l’enfer.
On était deux cents de la Pénitentiaire à descendre. On sera trente-six à remonter.
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat a vingt-cinq ans et va prendre part à la plus grande offensive menée par l’Alliance en Pandarie : l’Opération Bouclier. Il s’agit pour Varian Wrynn et ses alliés de contrecarrer les projets de domination de Garrosh Hurlenfer en empêchant la Horde de prendre pied sur la côte Sud de l’île-continent. Est ainsi orchestré un débarquement aux proportions formidables dont l’objectif est de repousser l’ennemi hors des plages, jusque dans les étendues sauvages de Krasarang, puis de prendre d’assaut ses bases arrière. Cependant les préparatifs de cette expédition colossale ne sont pas passés inaperçus aux yeux des espions d’Orgrimmar et les troupes de Hurlenfer se sont organisées pour faire face à l’assaut qui se prépare contre elles. Du temple de la Grue Rouge à la crique de Pao’don, la côte est truffée de positions fortifiées, de batteries d’artillerie et de pièges mortels. L’Alliance a mobilisé la quasi-totalité de ses forces pour cette opération. Il est trop tard pour faire marche arrière et la grande bataille éclate enfin. Les combats font déjà rage depuis le petit matin lorsque la Division Pénitentiaire est mobilisée.
J’pensais avoir vu l‘enfer à Azjol-Nerub. C’est parce que j’avais pas encore fait Krasarang. On est là entassés sur le pont du bateau et on voit le carnage qui nous attend. J’avais jamais vu autant de soldats, autant de galions. Tout autour de nous y’a des dizaines de navires qui canonnent tellement qu’on entend même plus c’que le colonel y dit. Y’a un déluge de feu qui tombe sur la jungle, là-bas. Ca répond, des boulets sifflent dans notre direction. Dans le ciel ça vrombit comme un nuage de mouches géantes, y’a des escadrilles de gyrocoptères et de griffons dans tous les sens qui se bastonnent avec les wyverns d’en face. Boum, explosion ! Une des machines à nous est touchée et s’écrase dans l’eau à côté de nous tellement fort que ça nous éclabousse. Là-bas sur la plage les gars de la 7ème ont déjà débarqué. C’est une boucherie, ils se sont fait canarder sec depuis les hauteurs pis y’a eu une charge des hordeux et ça a l’air d’être un putain d’bain de sang. Ca se cogne d’un bout à l’autre de l’horizon, j’sais même pas jusqu’où. Les soldats et même ceux d’en face c’est juste des petites figurines qui courent dans tous les sens et qui se percutent. Et y’a plein de figurines qui bougent pas, aussi. Puis loin au-dessus des arbres y’a le putain de Brise-Ciel qui tourne. Il lâche des grappes de petits champignons, c’est les parachutistes qui tombent doucement dans la forêt pour aller se faire buter derrière les lignes ennemis. Et en même temps ce bateau volant il tonne et il bombarde en manœuvrant parce que plus loin y’a un putain de double-dirigeable à tête de loup qui déboule en crachant du plomb par la gueule.
Là j’entends un cri, on lève tous la tête et on voit quoi ! Un zeppelin gobelin qui passe au-dessus de la flotte. Les gyrocoptères foncent dessus mais s’font tenir en respect. Y’a même une sentinelle qui tombe d’son hippogriffe et qui atterrit comme une crêpe à deux pas de moi. Je me prends une giclée de jus d’elfe dans la gueule et au même moment le zeppelin il largue ses bombes. BOUM BOUM BOUM. Le galion voisin s’fait réduire en miettes dans une explosion de flammes et de bitume. C’qu’il en reste coule et j’vois des marins hurler en sautant dans l’eau pour se faire bouffer par les requins. On se chie dessus putain. Pine d’huître il vomit. Bon au moins la canonnade fait moins d’bruit avec le bateau d’à côté en moins et on peut enfin entendre ce con de colonel.
- « Les forces spéciales du SI:7 sont en train de vous dégager la voie pour que vous puissiez atteindre l’objectif. Au signal, on monte dans les barges et on débarque. Le Roi veut que nous prenions cette colline. » Il pointa un truc vers la jungle, où ça pète sévère. Mais avec la fumée et le bordel ambiant on voit rien d’précis. « Là-bas se trouvent des batteries gobelines qui clouent deux régiments de la 7ème et les empêchent de progresser. Si nous voulons remporter cette bataille, nous devons prendre ces batteries et les neutraliser ! »
L’colonel y fait moins l’beau qu’avant. C’est parce que depuis la campagne des Hautes-Terres du Crépuscule il monte à la baston avec nous. J’sais pas trop si il a vraiment eu le choix. On dit qu’ça vient d’en haut, qu’il s’est pris un soufflon et que maintenant il doit se salir les mains aussi. Mais j’m’en branle un peu. Au moins il en bave comme nous. C’est toujours un connard que j’me ferais un plaisir d’suriner si j’en avais l’occasion, mais au moins il voit c’que c’est le vrai merdier. Et comme par hasard il nous prend un peu moins pour des cons depuis.
Et là BOUM on entend une grosse explosion vers là qu’on doit aller. Y’a un des grands arbres de la jungle qui tremble et qui s’écroule sur une tour et l’emporte avec elle dans un boucan pas possible. On entend encore de la pétarade puis une fusée rouge et très brillante file en ligne droite vers le ciel, loin-au-dessus de la jungle, et pète en vol. La canonnade de not’ flotte s’arrête, on entend plus que le bordel des combats sur la plage et les vrombissements dans le ciel. Pis le colonel siffle dans son sifflet et beugle.
- « AUX BARGES ! »
Et là c’est le branle-bas de combat. On a tous la trouille au ventre mais on se précipite sur les échelles en corde qui descendent à nos canots. Ils sont tout p’tis, ces canots, et sont complètement fermés à part la rampe devant et des écoutilles. On monte à vingt dedans, dans la mienne j’ai le Gros Dédé, Féfé et Pine d’huître et y’a le capo aussi. Pis on largue les amarres et c’est parti. Y’a des petites hélices gnomes derrière pour qu’on avance, et y’a pas d’gouvernail. Ca veut dire : tout droit, et rien que tout droit. Par les écoutilles je vois toutes nos autres barges de part et d’autre. On s’éloigne de notre flotte, on s’approche de la plage. Là-dedans c’est grosse ambiance. Pine d’huître il vomit, Dédé il prie d’revoir sa femme et ses gosses, et y’a une baltringue qui se chie dessus, littéralement. Moi je serre Titine, ma brave Titine. Titine c’est ma massue. J’l’ai prise à un orc dans les Hautes-Terres que j’ai tué à mains nues, en l’étranglant. C’est un peu ma meilleure amie, ma petite chérie. Entre elle et moi c’était le coup d’foudre. On s’est tout de suite plu et, depuis qu’on est ensemble, j’l’ai écrasée dans la gueule d’un paquet d’enculés.
Et là la canonnade reprend d’plus belle. Nos boulets sifflent au-dessus pour aller s’écraser dans la jungle. Et depuis la jungle ça pète aussi et ça siffle dans l’autre sens. J’regarde par l’écoutille et je vois les deux barges sur bâbord qui éclatent comme des coquilles de noix, avec des morceaux de prisonniers qui volent dans tous les sens. J’ai déjà la gerbe. Faut dire qu’y’a du roulis. Puis le bordel de la plage se rapproche. Cris, pleurs, choc de l’acier contre l’acier, mugissement de monstres, crépitements d’éclairs, cors de guerre, tambours ! Tout l’tintamarre d’une bonne grosse boucherie de merde.
Le capo il se retourne vers nous et il gueule pour couvrir le vacarme.
- « QUAND ON ACCOSTE JE BAISSE LA RAMPE ET VOUS FONCEZ. PAS D’RETARDATAIRES, VOUS FONCEZ DROIT DEVANT. COURREZ COMME SI VOUS AVIEZ LA PUTAIN DE GARDE AU CUL. LE PREMIER QUE JE VOIS TIRER AU FLANC JE LE PLANTE. » Ah ça crois moi mon pote, j’vais courir.
On s’approche, on s’approche.
- « VINGT SECONDES ! TENEZ VOUS PRÊTS. »
Les boulets tombent autour de nous, y’a de grands gerbes d’eau dans tous les sens. Pine d’huître me vomit dans l’dos, je lui colle une beigne pour le réveiller.
- « CINQ SECONDES ! RACAILLE UN JOUR … ! »
- « RACAILLE TOUJOURS !!! » qu’on gueule en chœur, et j’entends ça résonner dans les autres barges aussi.
C’est le cri d’guerre de la Pénitentiaire. C’est un peu con mais c’est pas nous qu’on la choisi, c’est les officiers qui nous disent de dire ça. BONK. Ma tête cogne celle de Dédé devant moi quand la barge s’arrête net dans le sable.
- « POUR LE ROI !!! » hurle le capo et il fait tomber la rampe.
Qu’on traîne ou pas, le capo il plantera plus personne. Parce qu’il est le premier à crever. A peine la rampe tombe que des flèches arrivent droit d’en face jusque dans la barge. Lui il tombe sans crier avec deux dans le buffet et une dans la gorge et moi j’en prends une qui se coince dans l’épaulière. On piétine son corps et on fonce.
Putain on est encore dans l’eau, on s’est échoué sur un banc de sable. J’ai d’la flotte jusqu’à la taille. L’écume est rouge, l’eau bouillonne et devant nous sur la plage c’est un bordel sans nom. Ca se bastonne dans tous les sens, y’a des types qui rampent en appelant leur mère, de ce côté y’a des chevaucheurs de loups qui chargent et là-bas y’a tout un contingent de gars d’la 7ème bloqué derrière un talus et qui s’font canarder depuis une position au-dessus de nous, au pied des premiers arbres.
Alors on patauge dans cette soupe chaude pour se tirer là et y a des flèches et des balles qui sifflent sur nous. Toutes nos barges se sont échouées pareil alors j’vois toute la Pénitentiaire dans la même merde. Le type à côté de moi c’est celui qui s’était chié dessus. Il marche en criant et tout d’un coup j’vois la panique dans ses yeux quand un truc sous l’eau le mord et le tire vers le fond. Il disparait, ça bouillonne rouge et moi j’me bouge le cul comme jamais. Y’en a un paquet qui tombent mais on arrive finalement sur la berge. Là y faut monter pour aller niquer les gobelins alors on se met tous à courir.
On galope on galope. Tout d’un coup le sable se dérobe sous mes pieds et deux trois autres gars, on tombe dans un trou. Je me relève au milieu des pieux, les autres ont pas eu de chance y se sont empalés. Y’en a un encore vivant il me regarde avec de grands yeux ahuris alors qu’il a les tripes qui sortent du bide, encore attachées à la pointe en bois qui le traverse. J’m’appuie sur le rebord, je sors de là et j’rejoins les autres qui courent sans me retourner.
Putain on a pris pied sur la plage, j’y crois pas. Là on se regroupe, y’en a quelques uns qui se battent contre des trolls des taurens et autres saloperies mais le gros d’entre nous on s’en fout on s’arrête pas et on se prépare à charger l’artillerie au-dessus. Mais là c’est quoi qui déboule : une brigade entière de kor’krons. Ouais, ceux bien énervés là. Et y’en a une autre qu’arrive de l’autre côté je sais même pas d’où ils sortent. Putain ils y tiennent à leurs putains de canons. Là on peut pas reculer, c’est parti pour la foire au bourre-pif.
Ca commence par un grand coup de gourdin dans ma tronche qui m’envoie voler. J’suis sonné complet, j’ai plus Titine dans les mains. Je tâtonne dans le sable je la cherche. Je trouve un truc, je l’attrape. Ah non c’est un bras. Je marche à quatre pattes dans les boyaux et le merdier, ce sable c’est juste de la boue rouge, ma tête siffle bordel. Je vomis, je rampe vers une carcasse de catapulte et je regarde un peu ce putain de bordel autour de moi. J’vois l’Gros Dédé à genou en train de ramasser ses intestins. Putain c’est con, c’était son dernier déploiement avant d’avoir purgé sa peine. Et puis c’était mon pote. Il a l’air ahuri, comme s’il était étonné de se retrouver là, sur cette plage, plutôt loin d’Elwynn. Et puis un troll arrive par derrière, l’égorge, et un kodo fou sans cavalier piétine le tout en chargeant dans le vide comme un sourd qui sait pas où qu’il est. J’dois retrouver mon arme. PUTAIN oui ! Titine ma chérie t’es là. Je la prends, je saute sur mes pieds et je tombe sur le premier orc qui passe. Titine vient lui rentrer la tête dans les épaules, la cervelle explose y’en a partout. J’vois plein de nos types tomber, ça s’annonce mal. Je vais au prochain orc et là j’entends une grande clameur. Puis y’a un éclair de lumière blanche, quatre kor’krons tombent en même temps et je vois une énorme boule de cristal qui se balance au-dessus de la mêlée. Les orcs refluent et je le vois : un putain de paladin draeneï, qui saute sur la foule des ennemis et qui les envoie au tapis comme qu’on fauche les blés. Son armure brille, son marteau scintille, et tous les taulards poussent derrière lui en gueulant comme des cinglés pendant que les orcs refluent. C’est beau putain, on dirait un dieu.
Il colle une sale dérouillée, les kor’kron sont en déroute. Le paladin se casse ailleurs sur la plage pour niquer des mères et nous on se regroupe à nouveau pour continuer à avancer. C’est même le colonel qui prend la tête du truc, épée à la main, qui achève un orc et qui beugle.
- « CHARGEZ TAS DE RACLURES ! »
Et nous les raclures on fait quoi ? Bah on gueule comme des ânes et on charge en montée. Là-haut y a des fusils et des nids de sulfateuses gobelines qui font tomber tout le premier rang. Mais faut bien qu’ils rechargent ces cons et nous on continue de courir. On saute les murs de sacs de sable, on est sur eux, ces petits enculés verts courent dans tous les sens, on ravage leur position, on les massacre, on les extermine. On en a bavé, ils payent. Y’en a pas un qui s’échappe, c’est pas beau à voir. On prend leurs canons, leurs mortiers, leurs fusils. C’est pour nous ! Mission accomplie bordel. L’aide de camp du colonel tire une fusée en l’air. Le contingent de la 7ème qu’était bloqué se met à avancer et s’enfonce dans la jungle. La flotte arrête de canonner et des chaloupes bourrées de fantassins sont mises à flots pour vomir toujours plus de troupes sur la plage. La moitié des bateaux met les voiles pour aller pilonner ailleurs. Cette section de la côte est à nous, mais il en reste d’autres et ça pète d’Est en Ouest tandis qu’dans l’ciel le combat continue. Au loin y’a le zeppelin de tout à l’heure qui tombe dans la jungle comme au ralenti, en feu. C’est beau.
- « ALLEZ ON SE REVEILLE. Il Y’EN A D’AUTRES QUI ARRIVENT. »
Quoi ?! Putain mais c’est pas possible, y peuvent pas admettre que c’est perdu là ? Bah non, y’a toute une troupe de kor’krons tout frais qui déboulent de la lisière et qui foncent sur nous.
- « SALADE ! AU CANON. »
Gnagnagna. J’saute sur une sulfateuse, Pine d’huître vient me tenir le ruban de munitions, et j’enclenche le manchin, puis feu ! TATATATATATATATATATATATATATA. J’vois rien tellement ça ébloui, cette merde. J’entends le colonel qui gueule « Chaaaaaaargez » et le bordel recommence sur fond d’explosions et d’éclairs magiques.
J’me dis qu’elle va être encore longue, cette journée. J’savais pas encore que Krasarang, pour moi, ça allait être dix mois.
J’pensais avoir vu l‘enfer à Azjol-Nerub. C’est parce que j’avais pas encore fait Krasarang. On est là entassés sur le pont du bateau et on voit le carnage qui nous attend. J’avais jamais vu autant de soldats, autant de galions. Tout autour de nous y’a des dizaines de navires qui canonnent tellement qu’on entend même plus c’que le colonel y dit. Y’a un déluge de feu qui tombe sur la jungle, là-bas. Ca répond, des boulets sifflent dans notre direction. Dans le ciel ça vrombit comme un nuage de mouches géantes, y’a des escadrilles de gyrocoptères et de griffons dans tous les sens qui se bastonnent avec les wyverns d’en face. Boum, explosion ! Une des machines à nous est touchée et s’écrase dans l’eau à côté de nous tellement fort que ça nous éclabousse. Là-bas sur la plage les gars de la 7ème ont déjà débarqué. C’est une boucherie, ils se sont fait canarder sec depuis les hauteurs pis y’a eu une charge des hordeux et ça a l’air d’être un putain d’bain de sang. Ca se cogne d’un bout à l’autre de l’horizon, j’sais même pas jusqu’où. Les soldats et même ceux d’en face c’est juste des petites figurines qui courent dans tous les sens et qui se percutent. Et y’a plein de figurines qui bougent pas, aussi. Puis loin au-dessus des arbres y’a le putain de Brise-Ciel qui tourne. Il lâche des grappes de petits champignons, c’est les parachutistes qui tombent doucement dans la forêt pour aller se faire buter derrière les lignes ennemis. Et en même temps ce bateau volant il tonne et il bombarde en manœuvrant parce que plus loin y’a un putain de double-dirigeable à tête de loup qui déboule en crachant du plomb par la gueule.
Là j’entends un cri, on lève tous la tête et on voit quoi ! Un zeppelin gobelin qui passe au-dessus de la flotte. Les gyrocoptères foncent dessus mais s’font tenir en respect. Y’a même une sentinelle qui tombe d’son hippogriffe et qui atterrit comme une crêpe à deux pas de moi. Je me prends une giclée de jus d’elfe dans la gueule et au même moment le zeppelin il largue ses bombes. BOUM BOUM BOUM. Le galion voisin s’fait réduire en miettes dans une explosion de flammes et de bitume. C’qu’il en reste coule et j’vois des marins hurler en sautant dans l’eau pour se faire bouffer par les requins. On se chie dessus putain. Pine d’huître il vomit. Bon au moins la canonnade fait moins d’bruit avec le bateau d’à côté en moins et on peut enfin entendre ce con de colonel.
- « Les forces spéciales du SI:7 sont en train de vous dégager la voie pour que vous puissiez atteindre l’objectif. Au signal, on monte dans les barges et on débarque. Le Roi veut que nous prenions cette colline. » Il pointa un truc vers la jungle, où ça pète sévère. Mais avec la fumée et le bordel ambiant on voit rien d’précis. « Là-bas se trouvent des batteries gobelines qui clouent deux régiments de la 7ème et les empêchent de progresser. Si nous voulons remporter cette bataille, nous devons prendre ces batteries et les neutraliser ! »
L’colonel y fait moins l’beau qu’avant. C’est parce que depuis la campagne des Hautes-Terres du Crépuscule il monte à la baston avec nous. J’sais pas trop si il a vraiment eu le choix. On dit qu’ça vient d’en haut, qu’il s’est pris un soufflon et que maintenant il doit se salir les mains aussi. Mais j’m’en branle un peu. Au moins il en bave comme nous. C’est toujours un connard que j’me ferais un plaisir d’suriner si j’en avais l’occasion, mais au moins il voit c’que c’est le vrai merdier. Et comme par hasard il nous prend un peu moins pour des cons depuis.
Et là BOUM on entend une grosse explosion vers là qu’on doit aller. Y’a un des grands arbres de la jungle qui tremble et qui s’écroule sur une tour et l’emporte avec elle dans un boucan pas possible. On entend encore de la pétarade puis une fusée rouge et très brillante file en ligne droite vers le ciel, loin-au-dessus de la jungle, et pète en vol. La canonnade de not’ flotte s’arrête, on entend plus que le bordel des combats sur la plage et les vrombissements dans le ciel. Pis le colonel siffle dans son sifflet et beugle.
- « AUX BARGES ! »
Et là c’est le branle-bas de combat. On a tous la trouille au ventre mais on se précipite sur les échelles en corde qui descendent à nos canots. Ils sont tout p’tis, ces canots, et sont complètement fermés à part la rampe devant et des écoutilles. On monte à vingt dedans, dans la mienne j’ai le Gros Dédé, Féfé et Pine d’huître et y’a le capo aussi. Pis on largue les amarres et c’est parti. Y’a des petites hélices gnomes derrière pour qu’on avance, et y’a pas d’gouvernail. Ca veut dire : tout droit, et rien que tout droit. Par les écoutilles je vois toutes nos autres barges de part et d’autre. On s’éloigne de notre flotte, on s’approche de la plage. Là-dedans c’est grosse ambiance. Pine d’huître il vomit, Dédé il prie d’revoir sa femme et ses gosses, et y’a une baltringue qui se chie dessus, littéralement. Moi je serre Titine, ma brave Titine. Titine c’est ma massue. J’l’ai prise à un orc dans les Hautes-Terres que j’ai tué à mains nues, en l’étranglant. C’est un peu ma meilleure amie, ma petite chérie. Entre elle et moi c’était le coup d’foudre. On s’est tout de suite plu et, depuis qu’on est ensemble, j’l’ai écrasée dans la gueule d’un paquet d’enculés.
Et là la canonnade reprend d’plus belle. Nos boulets sifflent au-dessus pour aller s’écraser dans la jungle. Et depuis la jungle ça pète aussi et ça siffle dans l’autre sens. J’regarde par l’écoutille et je vois les deux barges sur bâbord qui éclatent comme des coquilles de noix, avec des morceaux de prisonniers qui volent dans tous les sens. J’ai déjà la gerbe. Faut dire qu’y’a du roulis. Puis le bordel de la plage se rapproche. Cris, pleurs, choc de l’acier contre l’acier, mugissement de monstres, crépitements d’éclairs, cors de guerre, tambours ! Tout l’tintamarre d’une bonne grosse boucherie de merde.
Le capo il se retourne vers nous et il gueule pour couvrir le vacarme.
- « QUAND ON ACCOSTE JE BAISSE LA RAMPE ET VOUS FONCEZ. PAS D’RETARDATAIRES, VOUS FONCEZ DROIT DEVANT. COURREZ COMME SI VOUS AVIEZ LA PUTAIN DE GARDE AU CUL. LE PREMIER QUE JE VOIS TIRER AU FLANC JE LE PLANTE. » Ah ça crois moi mon pote, j’vais courir.
On s’approche, on s’approche.
- « VINGT SECONDES ! TENEZ VOUS PRÊTS. »
Les boulets tombent autour de nous, y’a de grands gerbes d’eau dans tous les sens. Pine d’huître me vomit dans l’dos, je lui colle une beigne pour le réveiller.
- « CINQ SECONDES ! RACAILLE UN JOUR … ! »
- « RACAILLE TOUJOURS !!! » qu’on gueule en chœur, et j’entends ça résonner dans les autres barges aussi.
C’est le cri d’guerre de la Pénitentiaire. C’est un peu con mais c’est pas nous qu’on la choisi, c’est les officiers qui nous disent de dire ça. BONK. Ma tête cogne celle de Dédé devant moi quand la barge s’arrête net dans le sable.
- « POUR LE ROI !!! » hurle le capo et il fait tomber la rampe.
Qu’on traîne ou pas, le capo il plantera plus personne. Parce qu’il est le premier à crever. A peine la rampe tombe que des flèches arrivent droit d’en face jusque dans la barge. Lui il tombe sans crier avec deux dans le buffet et une dans la gorge et moi j’en prends une qui se coince dans l’épaulière. On piétine son corps et on fonce.
Putain on est encore dans l’eau, on s’est échoué sur un banc de sable. J’ai d’la flotte jusqu’à la taille. L’écume est rouge, l’eau bouillonne et devant nous sur la plage c’est un bordel sans nom. Ca se bastonne dans tous les sens, y’a des types qui rampent en appelant leur mère, de ce côté y’a des chevaucheurs de loups qui chargent et là-bas y’a tout un contingent de gars d’la 7ème bloqué derrière un talus et qui s’font canarder depuis une position au-dessus de nous, au pied des premiers arbres.
Alors on patauge dans cette soupe chaude pour se tirer là et y a des flèches et des balles qui sifflent sur nous. Toutes nos barges se sont échouées pareil alors j’vois toute la Pénitentiaire dans la même merde. Le type à côté de moi c’est celui qui s’était chié dessus. Il marche en criant et tout d’un coup j’vois la panique dans ses yeux quand un truc sous l’eau le mord et le tire vers le fond. Il disparait, ça bouillonne rouge et moi j’me bouge le cul comme jamais. Y’en a un paquet qui tombent mais on arrive finalement sur la berge. Là y faut monter pour aller niquer les gobelins alors on se met tous à courir.
On galope on galope. Tout d’un coup le sable se dérobe sous mes pieds et deux trois autres gars, on tombe dans un trou. Je me relève au milieu des pieux, les autres ont pas eu de chance y se sont empalés. Y’en a un encore vivant il me regarde avec de grands yeux ahuris alors qu’il a les tripes qui sortent du bide, encore attachées à la pointe en bois qui le traverse. J’m’appuie sur le rebord, je sors de là et j’rejoins les autres qui courent sans me retourner.
Putain on a pris pied sur la plage, j’y crois pas. Là on se regroupe, y’en a quelques uns qui se battent contre des trolls des taurens et autres saloperies mais le gros d’entre nous on s’en fout on s’arrête pas et on se prépare à charger l’artillerie au-dessus. Mais là c’est quoi qui déboule : une brigade entière de kor’krons. Ouais, ceux bien énervés là. Et y’en a une autre qu’arrive de l’autre côté je sais même pas d’où ils sortent. Putain ils y tiennent à leurs putains de canons. Là on peut pas reculer, c’est parti pour la foire au bourre-pif.
Ca commence par un grand coup de gourdin dans ma tronche qui m’envoie voler. J’suis sonné complet, j’ai plus Titine dans les mains. Je tâtonne dans le sable je la cherche. Je trouve un truc, je l’attrape. Ah non c’est un bras. Je marche à quatre pattes dans les boyaux et le merdier, ce sable c’est juste de la boue rouge, ma tête siffle bordel. Je vomis, je rampe vers une carcasse de catapulte et je regarde un peu ce putain de bordel autour de moi. J’vois l’Gros Dédé à genou en train de ramasser ses intestins. Putain c’est con, c’était son dernier déploiement avant d’avoir purgé sa peine. Et puis c’était mon pote. Il a l’air ahuri, comme s’il était étonné de se retrouver là, sur cette plage, plutôt loin d’Elwynn. Et puis un troll arrive par derrière, l’égorge, et un kodo fou sans cavalier piétine le tout en chargeant dans le vide comme un sourd qui sait pas où qu’il est. J’dois retrouver mon arme. PUTAIN oui ! Titine ma chérie t’es là. Je la prends, je saute sur mes pieds et je tombe sur le premier orc qui passe. Titine vient lui rentrer la tête dans les épaules, la cervelle explose y’en a partout. J’vois plein de nos types tomber, ça s’annonce mal. Je vais au prochain orc et là j’entends une grande clameur. Puis y’a un éclair de lumière blanche, quatre kor’krons tombent en même temps et je vois une énorme boule de cristal qui se balance au-dessus de la mêlée. Les orcs refluent et je le vois : un putain de paladin draeneï, qui saute sur la foule des ennemis et qui les envoie au tapis comme qu’on fauche les blés. Son armure brille, son marteau scintille, et tous les taulards poussent derrière lui en gueulant comme des cinglés pendant que les orcs refluent. C’est beau putain, on dirait un dieu.
Il colle une sale dérouillée, les kor’kron sont en déroute. Le paladin se casse ailleurs sur la plage pour niquer des mères et nous on se regroupe à nouveau pour continuer à avancer. C’est même le colonel qui prend la tête du truc, épée à la main, qui achève un orc et qui beugle.
- « CHARGEZ TAS DE RACLURES ! »
Et nous les raclures on fait quoi ? Bah on gueule comme des ânes et on charge en montée. Là-haut y a des fusils et des nids de sulfateuses gobelines qui font tomber tout le premier rang. Mais faut bien qu’ils rechargent ces cons et nous on continue de courir. On saute les murs de sacs de sable, on est sur eux, ces petits enculés verts courent dans tous les sens, on ravage leur position, on les massacre, on les extermine. On en a bavé, ils payent. Y’en a pas un qui s’échappe, c’est pas beau à voir. On prend leurs canons, leurs mortiers, leurs fusils. C’est pour nous ! Mission accomplie bordel. L’aide de camp du colonel tire une fusée en l’air. Le contingent de la 7ème qu’était bloqué se met à avancer et s’enfonce dans la jungle. La flotte arrête de canonner et des chaloupes bourrées de fantassins sont mises à flots pour vomir toujours plus de troupes sur la plage. La moitié des bateaux met les voiles pour aller pilonner ailleurs. Cette section de la côte est à nous, mais il en reste d’autres et ça pète d’Est en Ouest tandis qu’dans l’ciel le combat continue. Au loin y’a le zeppelin de tout à l’heure qui tombe dans la jungle comme au ralenti, en feu. C’est beau.
- « ALLEZ ON SE REVEILLE. Il Y’EN A D’AUTRES QUI ARRIVENT. »
Quoi ?! Putain mais c’est pas possible, y peuvent pas admettre que c’est perdu là ? Bah non, y’a toute une troupe de kor’krons tout frais qui déboulent de la lisière et qui foncent sur nous.
- « SALADE ! AU CANON. »
Gnagnagna. J’saute sur une sulfateuse, Pine d’huître vient me tenir le ruban de munitions, et j’enclenche le manchin, puis feu ! TATATATATATATATATATATATATATA. J’vois rien tellement ça ébloui, cette merde. J’entends le colonel qui gueule « Chaaaaaaargez » et le bordel recommence sur fond d’explosions et d’éclairs magiques.
J’me dis qu’elle va être encore longue, cette journée. J’savais pas encore que Krasarang, pour moi, ça allait être dix mois.
Camille Chat- Citoyen
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Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
- Spoiler:
- Attention : propos extrêmement crus et violents.
Camille Chat s’essuie le front avec le col de son tabard qui est déjà trempé de sueur. Le soleil tape sans pitié sur son crâne rasé, si fort que l’on pourrait y faire cuire un œuf. Les mouches vrombissent autour du prisonnier comme autour d’une charogne, et le matou n’a même plus l’énergie de les chasser de son visage. Il se contente de regarder droit devant lui, la gorge sèche et la peau brûlante, se concentrant fort pour rester debout malgré l’insupportable chaleur, l’épuisement et la déshydratation.
Voilà un mois que la Division Pénitentiaire est déployée dans les Tarides. La situation dans la région est tout à fait instable depuis que la révolte des trolls Sombrelance contre Garrosh Hurlenfer a dégénéré en véritable guerre civile. L’Alliance, en position de force, décide alors de presser son avantage en mobilisant des troupes dans le secteur afin de prêter main forte aux rebelles et de préparer le terrain pour un assaut en bonne et due forme sur Orgrimmar. Le climat est ingrat, les conditions de la mission sont particulièrement difficiles et la chaîne d’approvisionnement inexistante. Les gars de la Pénitentiaire se retrouvent livrés à eux-mêmes dans la savane, sous un soleil de plomb et la menace constante que font peser les patrouilles kor’kron. Bientôt la grogne monte dans les rangs de ces hommes pourtant endurcis par les horreurs de la guerre. Assoiffés, sans cesse pourchassés et moribonds, les prisonniers ont besoin d’un défouloir. Et ils vont en trouver un.
On est planqués dans les hautes herbes de la brousse, à l’ombre d’une longue ligne d’acacias, comme une putain de meute de fauves. Là-bas, là où la chaleur fait trembler la vue, y’a un village. Pas un fort, pas un camp retranché, pas un dépôt d’munitions ou une tour de guet. Un village tout simple, avec une vingtaine de huttes et de bâtiments de pierre et d’os comme en font les orcs, avec de grands pans en tissu rouge pour faire de l’ombre. En même temps il fait chaud, putain. Ça tape. J’ai l’impression d’avoir la cervelle qui bouillonne. On est là comme des vautours en plein cagnard, à fixer des orcs qui font tranquillement leur vie dans ce village comme si de rien n’était. Eux ils savent pas qu’on est là. On dirait même qu’ils savent même pas qu’y a la guerre chez eux. Là y’a deux orcquesses qui tirent l’eau du puits, là y’a un type qui charge un kodo comme si tout était normal, et pis y’a même des p’tits orcquillons qui jouent dans la poussière. Tous ces gens font leur p’tit train-train tranquillement. Moi ça fait cinq ans que j’fais la guerre, alors ces orcs là tout d’un coup j’crois que j’les envie un peu. Ils font leur putain de vie quoi, comme que les gens ils font sûrement chez nous, à Elwynn. Tout pareil.
Sauf que nous on est pas venus pour trier les lentilles. On a enfin semé les brigades des autres tarés mais ça faisait une semaine qu’on les avait aux basques. Pour qu’on s’en sorte, l’colonel il nous a divisé en deux groupes différents. Les kor’kron ils ont suivi les autres. Ca fait d’nous les chanceux tandis qu’nos copains y doivent plus avoir mal aux dents. Mais bon ce qui reste ferai pas la fierté de not’ bon Roi. On ressemble à des putains de clodos. Des pouilleux, des crèves-la-faim. J’ai plus de semelle aux bottes, j’ai pas bu une goutte d’eau depuis la veille et je commence à voir double. Ce matin j’en ai vu un en train de mâchouiller la sangle en cuir de son bouclier pour oublier qu’il avait la dalle. Et y a aussi cet abruti de Klaus qu’a mangé des baies sauvages et qu’est mort dans la nuit en chiant ses tripes liquides par le cul. On l’a laissé aux hyènes. D’ailleurs c’est ça, on ressemble à des hyènes. Tout à l’heure j’ai dit qu’on était une meute de fauves. Non non, on est une bande de charognards galeux, bien remontés et qui perdent la boule. Putain je sue d’la raie. J’vous ai dit qu’il faisait chaud ?
Bon. Ca commence à s’agiter. On halète comme des putains de clébard. L’colonel lève le poing, on se réunit autour de lui comme une horde d’affamés, pendus à ses lèvres. L’colonel il a pris un coup d’vieux. Il a son cache-œil depuis un méchant coup de surin à Krasarang, sa barbe sale lui bouffe la gueule et il a un bandage tâché autour du crâne. Il a même laissé tomber ses épaulières dorées. Là il ressemble à un brigand. Et nous aussi, tous pleins d’poussière et de puces qu’on est, débraillés et qu’on pue la sueur et la mort. Et surtout l’colonel, il a l’air d’avoir autant les crocs que nous. Dans le dernier œil qu’il lui reste je vois l’envie de boire, de manger, de baiser, de tuer. C’qu’il reste quand on enlève tout l'superflu. C’est ça qui fait un vrai humain. Et rien d’aut’.
- « Les gars c’est le moment. » qu’il dit. Il a un air de chien fou. Il veut se venger, il veut du sang, le p’tit colonel. Il va en avoir. « On crapahute depuis des semaines, tout ça pour quoi, pour se faire pourchasser comme de la vermine par ces salauds. »
Y’a comme une rumeur énervée qui courre dans les rangs de bêtes puantes qu’on est. Il fait chaud, la tension monte.
- « Ce village, nous allons l’attaquer. Et vous aller tout prendre. Tout. C’est à vous. Ce que vous ne pouvez pas prendre, vous le brûlerez. Ce sera ça en moins entre les mains de l’ennemi. »
Là tout l’monde s’agite. Moi mon sang ne fait qu’un tour, j’ai les mains qui tremblent sur Titine. Mais y’a quand même un connard de sous-off pour dire quelque chose.
- « Mais mon colonel, et les villageois ? Ce ne sont que des civils, pas des soldats. »
- « Tuez-les tous. » qu’il lâche l’autre. Chaud le type.
Ça f’rait presque froid dans l’dos si j’étais pas si sonné par la chaleur et la soif. Le soleil nous tape dessus, les gars sont comme électrisés. Ça se propage, les yeux s’écarquillent, les veines battent. Olala, si ils savaient ce qui arrivent sur leur gueule ces pauvres orcs.
Il fait chaud. L’colonel il fait tourner son index et on se déploie comme un seul homme pour encercler le village. J’ai Féfé et Pine d’huître avec moi. Féfé il a pas l’air serein, j’pense que l’idée de buter du civil ça lui plait moyen. Pine d’huître a un bras en écharpe et est tellement à l’ouest qu’on dirait un mort-vivant. Et moi j’m’en branle de tout ça. J’ai soif, si soif que j’pourrai boire ma pisse. Ou d’l’eau croupie. Ou du sang. Il fait chaud. Alors on est là, couchés dans l’herbe jaune. Le soleil tape. On attend l’signal. J’entends les grillons, et les p’tits orcquillons qui rient dans l’village. Il se passe rien. J’ai les jambes qui tremblent, j’ai les dents qui claquent. Mon bide se tord. IL FAIT CHAUD. Je deviens taré. On attend dans la poussière, encore et encore. PAM PAM. Deux coups de feu et un cri de femme. C’est pas l’signal mais je m’en branle, je fonce ! Féfé et Pine d’huître ils courent sur mes talons et les autres aussi. En fait tout l’monde court et le cercle il se referme sur le village et ceux qui sont dedans.
Concentré Camille, concentré. J’suis pas l’premier arrivé et ça s’bastonne déjà. Ça court dans tous les sens. Un orcquillon m’passe entre les pattes en pleurant, je le calcule même pas et je rentre dans la première hutte. Vide. Je saute sur une cruche en terre. De l’eau putain ! DE L’EAU ! Je me la vide sur la gueule, je bois tellement de grosses gorgées que je m’escanne et je tousse comme un démon. AAAaaaaaah bordel ça fait du bien. Et puis là, un cuissot d’gros dindon. Je me jette dessus comme un rat et j’y plante les crocs. Putain j’suis malin, y’a personne dans ma hutte j’ai pas besoin de me battre pour bouffer. Dehors ça fracasse, ça hurle, ça pleure. Ca sent déjà le brûlé. Mais moi j’m’en branle, je bouffe comme un crève-la-main, comme un animal en cage.
Je ressors au soleil. Y’a déjà des corps étendus par terre. Y’a les deux orcquesses qui tiraient l’eau du puits. Le sang fait comme de grosses flaques brillantes dans la poussière, jusqu’à ce qu’on le piétine et que ça fasse de la boue. Il fait chaud putain. D’autant plus chaud qu’y déjà une hutte en train de cramer. Putain l’isolation en paille ça brûle bien. Et là j’vois mes gars qui courent dans tous les sens. Y’en a ils bouffent des trucs, d’autres ils boivent dans des outres. J’en vois trois s’acharner sur le kodo, trancher de belles entrecôtes dedans alors qu’la bête elle beugle toujours. Et j’en vois d’autres qui passent avec des trucs dans les mains, des fourrures, des bijoux en cuivre, de l’ivoire. Les salauds ! Ils laissent rien pour les autres !
- « Oh Salade viens là ! Y’a tout c’qui faut ! » qu’il me gueule le Féfé !
Moi j’attends pas je cours avec Féfé et Pine d’huître jusqu’à une autre hutte. On est comme fous, c’est l’hystérie générale. Autour c'est le chaos. Tout l’monde s’en donne à cœur joie, partout où tu poses les yeux y’a un corps d’orc qui rampe. Nous on arrive dans la hutte et on prend tout c’qu’on peut. On a les bras chargés de babioles, on regarde même pas on rafle large. On pourra trier plus tard, là faut juste prendre le plus possible. Et juste au moment où on va sortir y’a un truc qui cogne sur un panneau en bois, dans la hutte. Féfé il pose son butin, il arrache une espèce de porte de placard qu’on avait pas vu et là y’a une orcquesse. Elle nous regarde, elle a l’air paniquée. J’ai le sang qui bat aux tempes. Pine d’huître y regarde Féfé, Féfé il m’regarde. Et moi j’dis.
- « Chopez-la. »
Féfé et Pine d’huître y s’jettent dessus. Elle hurle et elle se débat mais Féfé il lui écrase un pot en terre sur la tête, ça la sonne, on lui attache ses poignets aux poteaux de la hutte. Il fait chaud bordel, j’ai la tête qui tourne. J’ai les mains moites. Mais je bande comme un putain de tauren.
- « Pute borgne, tenez-la cette furie ! » que j’gueule en débouclant ma ceinture.
Ils l’attrapent, ils l’immobilisent et lui écartent les jambes de force. Elle feule comme une tigresse, Féfé lui met une énorme patate dans le pif et lui fourre un torchon roulé en boule dans la bouche. Ils la tiennent bien, elle essaie de se débattre mais je lui file des coups puis j’arrive, froc aux chevilles et trique monstrueuse en main. J’lui fais son affaire, j'la besogne comme un buffle, les autres ils regardent et dès qu’elle bouge BIM châtaigne dans sa truffe. Ca vaut pas mieux qu’une bête ! Puis j’me relève, j’ai chaud, j’lui crache dessus. J’y vais pour prendre mes affaires mais Féfé il dit :
- « Attends j’y passe aussi oh ! »
Alors il y passe aussi. Elle bouge déjà presque plus, j’vois des larmes couler sur sa gueule d’orcquesse. J’m’en fous, je surveille nos bibelots pour pas qu’on nous les pique si y’a quelqu’un qui rentre. Dehors c’est hurlements, incendies et pots cassés. Pis c’est à Pine d’huître, il est tout excité il tremble. Là elle c’est fini elle se débat plus, elle regarde le plafond de sa hutte de merde. Puis quand on a terminé j’prends Titine et j’y vais pour écraser la tête de l’orcquesse mais Pine d'huître il dit :
- « La bute pas Salade. On peut p’êt’ passer la récupérer tout à l’heure. Comme une prisonnière, un otage. Ça peut rapporter du fric ça. Ou on la vendra comme esclave à Cabestan. » Pas con le Pine d'huître.
Bon on la laisse attachée, cuissots écartés, avec son torchon bien enfoncé au fond d’la gueule, et on va piller d’autres huttes. C’est le bordel, dehors et il fait de plus en plus chaud. Torride. Des semaines, des mois, des vies de frustration et de violence qui jaillissent comme un torrent de sang dans la gueule, plus fort que le soleil qui nous tape sur la caboche. C’est pas beau à voir. On fait des tas de tête de villageois, y’en a qu’on découpe pour s’amuser. Y’en a qu’on pend. On ricane on les asticote avec des brandons enflammés l’temps qu’ils meurent. J’vois Féfé passer en courant, le regard fou et tout sourire, avec un bébé orc empalé sur une lance qui glisse le long de la hampe. Tout le monde s’esclaffe. Il faut chaud. C’est une fournaise. Le village flambe. Ca sent le graillon brûlé. Y’a le colonel au milieu, torse nu j’sais même pas pourquoi. Il est couvert de sang, il se marre, il boit une bouteille de rhum qu’il jette dans une hutte ensuite et ça s’enflamme plus fort encore. Puis il dit que la fête est finie et qu’on se casse avec c’qu’on peut emporter. Et moi j’me dis merde ! Faut que j’aille récupérer l’autre qu’on va vendre comme esclave !
J’me mets à courir entre les huttes enflammées, je retrouve la notre dont le toit commence à brûler. Je rentre et je vois un petit orcquillon, grand comme un gosse d’une dizaine d’année. Il pleure sur le corps de l’orcquesse qui elle bouge plus du tout, les yeux ternes. On a dû lui enfoncer l’torchon trop loin dans la bouche pour pas qu’elle gueule. Elle s’est étouffée. J’y vais pour lui prendre ses bracelets quand même, ils ont l’air en or. Le petit orc qui pleure il pousse un cri d’rage et il se jette sur moi avec un couteau de cuisine. Je lui écrase Titine sur la tronche et je le réduis en pulpe en quelques coups. Puis j’prends les bracelets d’sa mère qu’est morte et j’me tire rejoindre les autres. Y’a des cadavres partout, des gosses empalés devant les corps pendus de leurs parents, tout le village n’est plus qu’un brasier immense. Putain il fait chaud.
Épilogue
Comme d’habitude, y’en a toujours qui savent pas fermer leur gueule. C’est remonté aux oreilles de l’état-major, c’qui s’est passé. Non pas notre guerilla héroïque contre les kor’kron. C’est l’affaire du village qui a fait jaser. Sauf qu'en fait c'est des gentils qu'on a buté, pas des méchants. Pas pratique ces guerres civiles. Bref. Ca a pas plu. L’colonel il a été « démis de ses fonctions ». J’sais pas bien en quoi ça consiste précisément mais c’que j’sais c’est qu’on va plus le voir de sitôt et qu’on a un nouveau colonel. Une femme, en armure, cheveux courts, manchot, l’air sévère, certainement mal baisée. On s’est dit qu’on allait en faire c’qu’on voulait, qu’on en avait vu d’autres et que c’est pas une putain de mégère comme ça qu’allait nous faire filer droit.
On se trompait. Sa première décision d’officier c’est de pendre un type sur dix pour le pillage du village. On a cru que c’était une vanne, mais non. On s’est aligné. Et elle, avec une armée de matons derrière elle, elle comptait en nous tapant le haut du crâne avec le bout de sa cravache. A chaque fois qu’elle disait « dix » ça partait pour l’échafaud. Y’en a un malin il a compté en avance et il s’est aperçu qu’il était un « dix ». Il a voulu changer d’place, le type d’à côté a pas voulu, donc il s’est enfui. L’colonel elle l’a abattu d’une balle dans l’dos. C’est pas une rigolote. Moi j’étais un « neuf ». Autant vous dire que j’ai sué d’la raie. Et Pine d’huître c’était un « un ». Donc bon pas besoin que je vous donne des nouvelles du gonze qu'était entre nous. Par contre j'vous vois venir et non c’était pas Féfé.
Féfé il a pas attendu le nouveau colonel. Il s’est pendu tout seul comme un grand, le lendemain du pillage. J’l’ai trouvé en allant pisser, il se balançait tranquillement au bout de sa corde, la tête toute violette. La nuit lui avait porté conseil. Ah oui, il était comme ça Féfé, un sentimental. Il se posait toujours beaucoup de questions, il cogitait quoi. Ca pouvait pas être bon. Je pense que le coup de trucider du bébé ça a été un peu trop pour son petit cœur fragile. Ou alors violer une typesse devant son gosse, j’sais pas.
Et moi c’que j’en pense ? Que j’ai bien eu les boules quand il a fallu rendre le butin aux officiers. J’suis sûr que ces enculés en ont bien profité. Et des fois j’pense à ce petit orcquillon que j’ai buté. Si il faut Tomas il a son âge. Ca me ferait drôle quand même que j’apprenne qu’un orc a fait ça au chiard, même si que j’le connais pas. Et puis j’me dis qu’il faudrait songer à faire comme Féfé, quand même, un jour. C’est p’t’être faire plus de bien que d’mal tout compte fait.
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
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Quand Camille Chat va-t-il enfin mourir ? C’est ce que se demande l’intéressé alors que sa barque glisse sans un bruit sur le bayou fétide. Le paysage autour de lui n’est qu’eau noire, végétation en décomposition et palétuviers géants dont les racines plongent à la verticale dans ce delta sinistre tels des piliers de pierre grise au sommet desquels, loin là-haut, s’épanoui une canopée verte et bruyante. En haut, la vie et la lumière. En bas, les profondeurs saumâtres du marécage et tout ce qui y rampe. Le matou est accroupi à l’avant de la petite embarcation tandis que d’autres rament derrière lui. Il est déjà ivre et rend mollement leurs regards aux crocilisques qui infestent la boue des berges, ne prenant même plus la peine de chasser le nuage de moustiques qui grouille autour de lui. Camille est plongé dans ses pensées, grosse tête posée sur son gros poing, et songe à sa fin tandis que la Division Pénitentiaire s’enfonce toujours plus loin dans les canaux vaseux de Nazmir.
Il a escaladé les murs d’Orgrimmar pour se jeter contre la Horde de Garrosh. Il s’est battu sur un autre monde, dans les déserts et la jungle. Il s’est perdu au milieu des glaces. Il a chaviré quelque part dans le Grand Océan. Sur le Rivage Brisé, il s’est jeté le premier contre les batteries démoniaques en espérant disparaître sous le feu gangréné. Il s’est brûlé au soleil de Vol’dun, il a tremblé sous la foudre de la vallée Chantorage, il a été emporté par une avalanche à Drustvar. A Boralus, et parce qu’il trichait aux dés, un gang entier s’est jeté sur lui. A Zuldazar il a mangé un plein bol de champignons vénéneux. Les six autres qui ont partagé son repas étaient morts le matin suivant. Pas lui. Camille Chat ne mourrait pas. Avait-il neuf vies comme son patronyme le suggérait ? Pourquoi ne parvenait-il pas à en finir avec cette vie qui n’avait pas de sens ? Dix ans. Dix ans qu’il portait le tabard au Lion, des fers autour du cou et que sa peau se recouvrait de cicatrices et de tatouages. Il était un meurtrier alcoolique qui ne se levait le matin que pour recevoir des coups, en distribuer, se torcher la gueule à la vodka alteracienne et tout recommencer le lendemain. Et s’il crevait enfin ? Tout le monde s’en foutrait, c’est comme si qu’on écrasait un moustique. Pôpa ? Au diable cet ivrogne de merde. Baladinis ? Pas vu depuis le départ pour la Pénitentiaire. Son frangin l’avait sûrement oublié depuis. Le p’tit Tomas ? Il ne le connaissait même pas. L’enfant n’avait sûrement aucune idée de son existence.
Non. Camille Chat voulait décidément mourir. C’était mieux pour tout le monde, il en était persuadé maintenant. Et pourtant ça n’arrivait pas. Féfé s’était suicidé après les Tarides, mais le matou n’avait pas l’estomac pour s’ôter la vie seul. Animé par un irrépressible besoin de survivre, il fallait que quelqu’un l’aide, le force un peu pour mettre un terme à tout ça. Pine d’huître lui y était arrivé. Il était tombé à l’eau sur la côte de Tiragarde et une espèce de mollusque géant avait essayé de le gober tout rond. Au lieu de ça, le coquillage l’avait séparé en deux au niveau du râble et y’avait une moitié de Pine d’huître qui flottait sur la vague en lâchant de l’intestin grêle comme de la corde derrière lui. L’ironie quand même, Pine d’huître buté par une putain d’moule.
Mais cette fois bordel, j’le sens bien. Cette mission de merde c’est ma dernière. C’est la belle. Après j’aurai purgé ma peine et la Pénitentiaire me jettera. Donc c’est dans ce marécage pourri que je dois tirer le rideau. Et ça me va. Il est temps. On est là, deux douzaines de barques qui se suivent. Et moi bien sûr, j’suis dans la première. On doit ravitailler une base à nous quelque part au bord de cette rivière à la con, on sait même pas où. On va tous y passer, c’est tout c’qui compte. Y’a un sorcier avec nous, dans la barque qui suit la mienne. Pas un d’ces premiers de la classe à la con de Dalaran, non. Lui c’est un prisonnier, avec toute sa p’tite escorte personnelle de matons qu’ont pas l’air tendres. On dit qu’ils l’ont sorti du Caveau, que c’est un psychopathe qui se baigne dans le sang des enfants et qu’il mange du cœur cru au petit-déjeuner. Le Caveau c’est là qu’ils gardent les magiciens tarés et qu’ils les torturent pour en faire des armes dociles et dévastatrices. Lui là il est assis, un gros collier bizarre autour du cou, et il a les yeux qui papillonnent. Il est shooté complet, j’vois pas bien à quoi il peut servir. Dereck Ravenloft, qu’ils l’ont appelé. P’t’êt’ qu’il est juste là pour mourir lui aussi. On est là, tous à la queue-leu-leu, et on rame dans cet enfer vert. Et moi j’attends qu’une chose, c’est qu’la mort nous tombe dessus depuis là-haut, ou nous aspire depuis en dessous.
C’est des frondaisons que ça arrive, parce que tout d’un coup y a des cris de sauvages et des fléchettes à poil rouge qui pleuvent comme la grêle sur toute notre colonne. Ça fuse des arbres en haut, ça tombe des grandes statues couvertes de mousse qui nous regardent passer, ça tombe des joncs et des lianes. Derrière moi y’en a deux trois qui ripostent, j’entends des coups de feu qui frappent la végétation au-dessus de nous, mais à quoi bon. L’agresseur est invisible dans le mur vert. Moi je me marre comme un cinglé et je m’envoie une rasade de vodka en attendant la piqûre pendant que sur ma barque ça gueule comme des cochons. Y’en a plein qui sont touchés, ils tombent, ça tangue et j’manque de sauter dans la flotte. D’ailleurs elle est à éviter, la flotte, parce que les crocilisques ils sont déjà là et y a un qui déchiquète un p’tit gars à nous en roulant dans l’eau avec plein d’éclaboussures qui deviennent pleines de sang. D’accord j’suis volontaire pour y passer mais pas comme ça quand même ! Et puis j’suis un Chat, j’aime pas l’eau, c’est comme ça. Bon bien sûr les cure-dents ils sont empoisonnés et y’a des mecs derrière moi qui se roulent sur les planches avec de l’écume rouge aux lèvres et qui convulsent avant de crever dans leur chiasse. Ça a l’air de piquer ce machin, mais j’en ai aucun qui m’touche. Pourtant ça devrait pas tarder, et toute la colonne va crever, et nos copains ils auront jamais leur ravitaillement. L’ennemi on le voit même pas, des putains trolls de sang comme on a déjà combattu cent fois dans ces putains d’marécages.
Mais là j’entends les types dans la barque derrière et y’en a un qui gueule :
- « Enlevez-lui son collier, vite ! »
J’me retourne et j’vois les matons qu’enlèvent le gros collier du sorcier-taulard. Pis y’en a un qui lui met une grande tarte pour le réveiller. L’autre il cligne des yeux et il se lève. Autour ça continue d’pleuvoir des fléchettes, les trolls chantent et poussent des cris d’macaques depuis les arbres autour de la rivière et nous on fait les cibles, on crève en bavant. Sauf que Ravenloft, il se met à agiter les bras. Il fait des gestes bizarres mais calculés, les poings fermés sauf l’index et le p’tit doigt. Il trace des signes dans l’air pendant qu’la mort pleut tout autour. Un d’ses matons est touché dans la gorge et tombe à l’eau. Le bordel que font les crocilisques en le bouffant ça gêne même pas le mage qui continue sa chorégraphie de tapette sous poudre de mandragore. L’air commence à onduler autour de lui. Y’a des trucs qui crépitent. Ca devient du sérieux. Même moi j’ai les poils qui s’dressent. J’le vois ses lèvres bougent il dit des trucs mais j’entends pas quoi. Puis ses yeux s’illuminent. L’eau autour d’sa barque bouillonne, ses gardiens encore vivants se mettent à hurler.
Et c’est là qu’est l’tout paradoxe du Chat. Gnagnagna j’ai envie d’mourir. Gnagnagna faut que tout s’arrête. Gnagnagna adieu monde cruel. Bah en attendant j’ai un putain d’bon réflexe et j’me jette au fond d’mon bateau, sur les collègues qui agonisent. Et j’fais bien, parce qu’au même moment le monde s’embrase avec une explosion tout autour de nous. J’vois un torrent de feu qui passe au-dessus, qui arrose les berges avec un rugissement de dragon. J’entends les trolls. Ils chantent plus. Ils hurlent. Y’a des torches vivantes qui sautent dans l’eau pour se faire bouffer par les sauriens. Y’a de la fumée partout. La chaleur devient insupportable, le marécage brûle c’est une fournaise. Je lève un peu la tête au-dessus du rebord de la barque. J’vois le sorcier qui s’est rassit tranquillement comme si de rien n’était alors que de chaque côté de l’eau c’est un mur de flammes qui se reflète sur la rivière.
Bon bah la mort c’est pas pour aujourd’hui. Parce qu’après le prochain méandre on arrive à la base, et on lâche le ravitaillement. Et c’est comme ça qu’elle finit, ma dernière mission. Ca y est. Dix ans d’Pénitentiaire. J’ai purgé ma peine. On m’enlève mon collier à matricule, on prend mes plaques et mon tabard, on me colle une dernière baffe et on me dit « casse toi » en me jetant dans le premier transport pour l’arrière.
Et là c’est le vide. J’vais faire quoi moi ? Putain, mais où est-ce que j’vais aller crever …
- Spoiler:
Suite à ces évènements, Camille Chat s'engage avec son jeune frère Baladinis dans la compagnie mercenaire Rétribution.
Camille Chat- Citoyen
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Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat a neuf ans, un sourcil déjà fendu et les genoux toujours noirs et bugnés. Il porte une vieille salopette dont une des bretelles ne tient plus et la corde de ses espadrilles s’enfuie de tous bords. C’est un enfant turbulent, sauvage, mauvais joueur, boudeur, mais un enfant tout de même. Il fait toujours la gueule, son petit nez froncé et ses joues gonflées. Mais les mauvais jours, Maman Chat lui fait du lait chaud et lui donne un bâton de réglisse à machéguer. Et tout va mieux pour le petit matou.
Avec les copaings on va pêcher au Lac du Cairn. Normalement on a pas l’droit parce que l’an passé y’a Géraldine qui s’est faite enlever par les murlocs mais nous on est costaud d’abord et puis on a pas peur ! Y’a Valou qu’a même piqué un couteau à son père, Sigid il a sa fronde et moi j’ai une grosse bûche. Alors qu’ils viennent les murlocs ! Nous ce qu’on adore c’est gratter fort la terre avec nos ongles pour trouver des vers bien juteux. Après on les attache au bout de la ligne et on va pêcher. On attrape des goujons, des perches, des gardons et même parfois des ablettes. On a trouvé un p’tit endroit tranquille bien caché d’où personne peut nous choper, même pas le vieux Père Julien. D’ailleurs Sigid il a dit que si le Père Julien nous trouvait ça s’rait une bonne occasion pour le saigner. C’est tout c’qu’il mérite le Père Julien, parce qu’il profite de la messe pour essayer de nous toucher le zizi. Nous on est p’têt’ des gamins mais on est pas con. On sait que c’est pas bien. Alors si il vient par là avec son regard mouillé et son haleine de gnoll on le bute. Croix d'bois, croix d’fer.
Et pis moi c’que j’adore aussi c’est quand on va mettre la râclée à la bande du Comté-de-l’Or. Nous on est « l’armée du Val d’Est » et eux c’est juste des p’tits pédé. J’sais pas trop c’que ça veut dire mais j’ai entendu Béber l’bouvier dire ça la dernière fois en parlant du prévôt royal. Et vu qu’il l’aime pas trop ça doit pas être bien gentil. Alors nous c’qu’on fait c’est que quand nos papas ils sont à la scierie ou dans les bois bah on prend des frondes et des bâtons et on va attaquer les autres du Comté-de-l’Or. Des fois c’est eux qu’attaquent aussi. On se tabasse derrière la ferme des Champierreux et c’est vraiment trop bien. J’adore. On prend des trophées, on arrache les lacets de leurs souliers quand on peut. Et eux ils font pareil. On a appelé ça la « guerre des lacets ». Moi j’crains rien j’ai pas d’souliers à lacets, Môman elle dit qu’c’est trop cher et que « ça sert à rien pour c’que j’en fais ». Enfin quand même, la dernière fois Sigid il a tiré un gravier dans l’œil d’un pédé du Comté-de-l’Or et après y’a un sergent qui est venu et qui l'a fouetté avec une branche quand même. Des fois ça barde. Mais bon c’est ça l’prix de la bagarre aussi. Et j’vous le dis : ça vaut le pinfle.
Là on a fait la guerre des lacets toute la journée et on s’est bien fait maraver parce que Sigid il a la fièvre et Valou il est grondé. Alors j’étais tout seul dans l’armée. P’t’être j’aurai pas du y aller. Ils m’ont cassé une dent et Môman va me passer un soufflon. Mais bon pas grave parce qu’après elle me donnera quand même un bâton de réglisse. Elle est trop bien Môman. Bon alors je rentre à la maison. Comme prévu j’me fais gronder et comme prévu je boude alors Môman elle vient m’amener un bâton à machéguer. Héhé pas bête le Camille.
Et puis là j’entends des gros pas dehors et la porte elle s’ouvre. C’est Pôpa. Et il a la tête de quand il a beaucoup travaillé à la scierie et qu’il est fatigué. C’est Môman qui appelle ça comme ça, mais moi je sais c’est pas vrai. Ca fait des mois qu’il est plus à la scierie parce que le contremaître il le veut pas parce qu’il est tout le temps bourré. Alors il est toujours bourré mais juste il travaille plus. Et c’est pour ça qu’on a pas d’argent. Là Pôpa il a l’air super bourré. Il a une bouteille dans la main. Môman elle est pas contente.
- « C’est à cette heure là que tu rentres ? » qu’elle lui dit.
- « Ta gueule sorcière. » il lui répond.
« Ta gueule » ça veut dire « tais toi ». Mais Môman elle est pas du genre à se taire. Elle a son caractère Môman. Alors elle gueule. Lui aussi il gueule. Et puis comme d’hab il lève le poing. Il menace de la frapper. « Pas devant le petit » qu’elle dit, comme d’hab. Et lui comme d’hab il s’en fout et il commence à la cogner méchant. Il lui met des baffes, elle tombe, il lui met des coups de pied. Elle hurle.
Moi dans ma poche j’ai le couteau du papa de Valou qu’il m’a prêté pour aller faire la guerre des lacets. Et je le serre fort dans mon dos. Ma Môman elle est trop gentille pour qu’un pédé comme Pôpa il la frappe. Alors j’vais aller lui planter dans le ventre. Pour aider Môman. J’vais sûrement en prendre une mais j’m’en fiche. J’ai déjà perdu une dent, j’suis pas à ça près. Alors je prends mon couteau, je pousse un cri et j’saute sur Pôpa.
La beigne m’attrape en vol, je roule par terre j’sais même pas où j’suis. J’vois le pied arriver en plein dans mon ventre pour me plier en deux. J’peux plus respirer.
- « Petit enculé … Tu voulais tuer ton père, HEIN ? Tu vas voir … » qu’il dit Pôpa.
- « NON. » Ca c’est Môman. « Pas le petit ! Georges, pas le petiot, il y est pour rien ! CAMILLE. Va dans ta chambre. »
Moi je m’enfuis en courant dans l’escalier. J’ai trop honte de laisser Môman toute seule mais mais j’peux rien faire contre Pôpa il est trop fort. J’suis qu’un gamin moi. J’m’en vais en criant et j’entends que ça cogne en bas. Môman elle dit « Georges pas trop fort, Georges j’suis enceinte. » Puis j’entends que ça cogne quand même, y’a de la vaisselle qui se casse, c’est le bordel.
Moi je saute sur mon lit et fous la tête dans l’oreiller et je crie tellement fort que je peux plus respirer. Je crie, je crie, je crie jusqu’à c’que je m’endorme tellement que j’ai crié. Puis j’suis réveillé plus tard, par un pas lourd dans l’escalier. J’connais la routine, c’est Pôpa. Il va venir pleurer et s’excuser z’allez voir.
- « Pardon mon Camille, pardon … pardon, excuse-moi … » qu’il dit en rentrant.
Teh, j’l’avais dit. Il vient dans le lit avec moi en pleurant comme un bébé. Il pue l’alcool et la sueur et la pisse et il pleure, il pleure en me caressant la tête. Moi j’dis rien. Il s’excuse, il dit c’est pas sa faute, il dit il est très triste, qu'il voulait pas me cogner, que sa vie c’est un enfer, blablabla. Toujours la même rengaine. Puis il s’endort comme ça, il se met à ronfler. Il pense que j’lui pardonne ce pédé. T’inquiète Pôpa, t’inquiète. Pour l’instant c’est toi qui colle les beignes, mais attends qu’petit Chat il devienne grand.
Avec les copaings on va pêcher au Lac du Cairn. Normalement on a pas l’droit parce que l’an passé y’a Géraldine qui s’est faite enlever par les murlocs mais nous on est costaud d’abord et puis on a pas peur ! Y’a Valou qu’a même piqué un couteau à son père, Sigid il a sa fronde et moi j’ai une grosse bûche. Alors qu’ils viennent les murlocs ! Nous ce qu’on adore c’est gratter fort la terre avec nos ongles pour trouver des vers bien juteux. Après on les attache au bout de la ligne et on va pêcher. On attrape des goujons, des perches, des gardons et même parfois des ablettes. On a trouvé un p’tit endroit tranquille bien caché d’où personne peut nous choper, même pas le vieux Père Julien. D’ailleurs Sigid il a dit que si le Père Julien nous trouvait ça s’rait une bonne occasion pour le saigner. C’est tout c’qu’il mérite le Père Julien, parce qu’il profite de la messe pour essayer de nous toucher le zizi. Nous on est p’têt’ des gamins mais on est pas con. On sait que c’est pas bien. Alors si il vient par là avec son regard mouillé et son haleine de gnoll on le bute. Croix d'bois, croix d’fer.
Et pis moi c’que j’adore aussi c’est quand on va mettre la râclée à la bande du Comté-de-l’Or. Nous on est « l’armée du Val d’Est » et eux c’est juste des p’tits pédé. J’sais pas trop c’que ça veut dire mais j’ai entendu Béber l’bouvier dire ça la dernière fois en parlant du prévôt royal. Et vu qu’il l’aime pas trop ça doit pas être bien gentil. Alors nous c’qu’on fait c’est que quand nos papas ils sont à la scierie ou dans les bois bah on prend des frondes et des bâtons et on va attaquer les autres du Comté-de-l’Or. Des fois c’est eux qu’attaquent aussi. On se tabasse derrière la ferme des Champierreux et c’est vraiment trop bien. J’adore. On prend des trophées, on arrache les lacets de leurs souliers quand on peut. Et eux ils font pareil. On a appelé ça la « guerre des lacets ». Moi j’crains rien j’ai pas d’souliers à lacets, Môman elle dit qu’c’est trop cher et que « ça sert à rien pour c’que j’en fais ». Enfin quand même, la dernière fois Sigid il a tiré un gravier dans l’œil d’un pédé du Comté-de-l’Or et après y’a un sergent qui est venu et qui l'a fouetté avec une branche quand même. Des fois ça barde. Mais bon c’est ça l’prix de la bagarre aussi. Et j’vous le dis : ça vaut le pinfle.
Là on a fait la guerre des lacets toute la journée et on s’est bien fait maraver parce que Sigid il a la fièvre et Valou il est grondé. Alors j’étais tout seul dans l’armée. P’t’être j’aurai pas du y aller. Ils m’ont cassé une dent et Môman va me passer un soufflon. Mais bon pas grave parce qu’après elle me donnera quand même un bâton de réglisse. Elle est trop bien Môman. Bon alors je rentre à la maison. Comme prévu j’me fais gronder et comme prévu je boude alors Môman elle vient m’amener un bâton à machéguer. Héhé pas bête le Camille.
Et puis là j’entends des gros pas dehors et la porte elle s’ouvre. C’est Pôpa. Et il a la tête de quand il a beaucoup travaillé à la scierie et qu’il est fatigué. C’est Môman qui appelle ça comme ça, mais moi je sais c’est pas vrai. Ca fait des mois qu’il est plus à la scierie parce que le contremaître il le veut pas parce qu’il est tout le temps bourré. Alors il est toujours bourré mais juste il travaille plus. Et c’est pour ça qu’on a pas d’argent. Là Pôpa il a l’air super bourré. Il a une bouteille dans la main. Môman elle est pas contente.
- « C’est à cette heure là que tu rentres ? » qu’elle lui dit.
- « Ta gueule sorcière. » il lui répond.
« Ta gueule » ça veut dire « tais toi ». Mais Môman elle est pas du genre à se taire. Elle a son caractère Môman. Alors elle gueule. Lui aussi il gueule. Et puis comme d’hab il lève le poing. Il menace de la frapper. « Pas devant le petit » qu’elle dit, comme d’hab. Et lui comme d’hab il s’en fout et il commence à la cogner méchant. Il lui met des baffes, elle tombe, il lui met des coups de pied. Elle hurle.
Moi dans ma poche j’ai le couteau du papa de Valou qu’il m’a prêté pour aller faire la guerre des lacets. Et je le serre fort dans mon dos. Ma Môman elle est trop gentille pour qu’un pédé comme Pôpa il la frappe. Alors j’vais aller lui planter dans le ventre. Pour aider Môman. J’vais sûrement en prendre une mais j’m’en fiche. J’ai déjà perdu une dent, j’suis pas à ça près. Alors je prends mon couteau, je pousse un cri et j’saute sur Pôpa.
La beigne m’attrape en vol, je roule par terre j’sais même pas où j’suis. J’vois le pied arriver en plein dans mon ventre pour me plier en deux. J’peux plus respirer.
- « Petit enculé … Tu voulais tuer ton père, HEIN ? Tu vas voir … » qu’il dit Pôpa.
- « NON. » Ca c’est Môman. « Pas le petit ! Georges, pas le petiot, il y est pour rien ! CAMILLE. Va dans ta chambre. »
Moi je m’enfuis en courant dans l’escalier. J’ai trop honte de laisser Môman toute seule mais mais j’peux rien faire contre Pôpa il est trop fort. J’suis qu’un gamin moi. J’m’en vais en criant et j’entends que ça cogne en bas. Môman elle dit « Georges pas trop fort, Georges j’suis enceinte. » Puis j’entends que ça cogne quand même, y’a de la vaisselle qui se casse, c’est le bordel.
Moi je saute sur mon lit et fous la tête dans l’oreiller et je crie tellement fort que je peux plus respirer. Je crie, je crie, je crie jusqu’à c’que je m’endorme tellement que j’ai crié. Puis j’suis réveillé plus tard, par un pas lourd dans l’escalier. J’connais la routine, c’est Pôpa. Il va venir pleurer et s’excuser z’allez voir.
- « Pardon mon Camille, pardon … pardon, excuse-moi … » qu’il dit en rentrant.
Teh, j’l’avais dit. Il vient dans le lit avec moi en pleurant comme un bébé. Il pue l’alcool et la sueur et la pisse et il pleure, il pleure en me caressant la tête. Moi j’dis rien. Il s’excuse, il dit c’est pas sa faute, il dit il est très triste, qu'il voulait pas me cogner, que sa vie c’est un enfer, blablabla. Toujours la même rengaine. Puis il s’endort comme ça, il se met à ronfler. Il pense que j’lui pardonne ce pédé. T’inquiète Pôpa, t’inquiète. Pour l’instant c’est toi qui colle les beignes, mais attends qu’petit Chat il devienne grand.
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Le lion, le chat et la mésange
Camille Chat marche de long en large sur une plage de Féralas, se baissant parfois pour ramasser une pierre ou un coquillage qu’il lance rageusement dans les vagues. La compagnie mercenaire dans laquelle il a signé est en campagne dans les terres sauvages où sa mission est de récupérer un héritage ancien pour le compte d’un commanditaire hurleventois. Pour honorer leur contrat, les engagés de la Rétribution devront gagner les faveurs des kaldoreï, affronter satyres, ogres et autres créatures malfaisantes, remporter le Grand Tournoi de Hache-Tripes et déjouer les manigances des équipes adverses. Ils ont déjà affronté de grands dangers, et de plus grands périls les attendent encore. Mais là, sur cette plage, le taulard ne pense pas à tout ça.
Non, il pense à sa mésange. Charlie Stardust, une gilnéenne au caractère bien trempé et au regard sévère. La brute en est fou. Lui qui n’a connu que les prostituées du port de Hurlevent et dont les relations sentimentales se limitaient à quelques pièces contre une passe, il est aujourd’hui complètement gaga d’une femme dont les sourcils froncés le font pourtant frémir. Son gros cœur bat plus vite lorsqu’il la voit, la chaleur envahit son poitrail de buffle et les miasmes sinistres qui oppressent son esprit s’écartent lorsque le matou retrouve sa belle dans la moiteur de sa tente.
Camille est amoureux, à sa plus grande surprise et à son grand désarroi. Il a massacré, violé, pillé, connu les sévices et les tortures, vécu une vie de violence où nulles émotions n’existaient sinon la rage et la soif de sang. Et le voilà désormais émerveillé comme un enfant, rougissant parfois, lorsqu’il voit Charlie se dévêtir devant lui. Ce minois boudeur lui fait tourner la tête. Il pourrait tuer pour frotter encore une fois son nez cassé dans cette crinière d’ébène, inspirer profondément pour capter son odeur, passer ses paluches sur ces hanches et ces fesses musclées. La nuit, lorsqu’elle dort d’un sommeil lourd en retour de mission, le Chat écoute son souffle chaud et laisse courir le regard sur cette silhouette féline dans la pénombre. Il la révère, la chérit, connait chacun des détails de son corps et se délecte à chaque fois de la dévorer. Intense, il en idolâtre le moindre détail, la moindre imperfection : ses joues creuses, les taches de rousseur que le soleil piquant de Kalimdor fait apparaître sur son visage fin, les cicatrices qui marbrent ses membres, la grue rouge de Krasarang qui niche dans son dos.
Mais voilà. La mésange est un oiseau libre aux mœurs volages. Bien qu’il dise le contraire, Camille n’aimerait rien plus que d’enfermer ce joli volatile dans une cage dorée pour pouvoir l’admirer à longueur de journée, la garder pour lui seul. Mais lui qui a connu les fers, les entraves et les barreaux d’une prison, il sait qu’il ne peut s’y résoudre. Incapable de le formuler aussi clairement dans son esprit, il a pourtant bien conscience que séquestrer Charlie est au-delà de ses forces pourtant immenses. C’est faire d’une pierre deux coups fâcheux : la perdre pour toujours et s’attaquer à ce qui l’a secrètement maintenu en vie toutes ces années passées à la Pénitentiaire, le besoin viscéral, animal, sauvage ! de jouir de sa liberté.
Alors le Chat traîne dans les ombres lorsque sa mésange le quitte, rôde et tourne sur lui-même en maugréant. Il la regarde s’éloigner sur ses longues jambes. Il sait où elle va, oooooh oui il le sait. Elle va retrouver Lomerak. PUTAIN. Camille enrage, exulte. Il essaie de se trouver des raisons. Pourquoi a-t-il envie d’ouvrir la gorge du Bleu ? De le pendre avec ses propres tripes en l’asticotant à coup de tison chauffé à blanc ? Est-ce là une manifestation naturelle de l’antagonisme entre un taulard et un ancien garde de la Cité Blanche ? Est-ce simplement parce qu’il lui vole sa belle le temps de leurs foutues et -présumées- platoniques balades ?
Non. La vérité est pire et torture le matou. Camille Chat ne déteste Lomerak Owein que parce qu’il l’admire, le jalouse furieusement, rêve d’être lui. Lomerak fut un fier officier de la Garde Urbaine, loyal au Roi et à Hurlevent, qui a versé son sang pour défendre la veuve et l’orphelin. Camille n’est qu’un fils de pute sans foi ni loi qu’on envoyait en première ligne aux côtés des ratés de sa trempe. L’un est droit, juste, courageux et sincère. L’autre est turbulent, mauvais comme un ail, belliqueux et menteur. Le Bleu est le fier papa d’un fils promis à un avenir honorable. L’ancien prisonnier est le père indigne d’un enfant qu’il a abandonné et qui est mort sans le connaître. Un héros contre un vaurien. Un chat de gouttière contre un lion. Le matou voit la mésange attirée par cette lueur flamboyante que même lui suivrait dans l’action les yeux fermés. Alors il se rêve en champion, comme à travers un miroir brisé où il voit tout l’inverse de ce qu’il est.
Il en veut au monde entier, et à Charlie encore plus. Mais est-ce bien juste ? Sa pensée déroule, et Camille se maudit en excavant peu à peu la douloureuse réalité. Que peut-il apporter à cette femme, lui qui ne cause que barouf et désordre partout où il passe, qui s’attire les foudres de tous et qui semble incapable d’exprimer autre chose que la colère ou la rancœur. Impatient comme un gosse, seules ses pulsions dictent sa conduite sans jamais qu’une réflexion préalable ne vienne le freiner. Malhonnête et trompeur, il ne manquera pas de blesser la mésange en tournant autour d’une autre d’un peu trop près. Il ne pourra pas lui offrir une belle vie, une maison, une famille car il aura dépensé toute sa paye en boisson ou sera mort avant. Et jusque-là, il ne fera que l’étouffer par ses humeurs et sa jalousie, se rendra insupportable, tout à fait désagréable et de mauvaise compagnie.
PUTAIN. J’suis qu’une merde, j’la mérite pas. En fait elle a bien raison, d’aller voir le Bleu. J’serais une fille j’irai aussi, tiens. J’sais même pas pourquoi elle y est pas allée avant. Conneries … Putain. Lui bah ouais, il saura la rendre heureuse. Quand ils prendront leur p’tite retraite ils iront tranquillement s’installer à Hurlevent, avec tous ses copains d’avant, et pis ils auront une jolie maison en ville et feront des enfants et la mésange elle s’ra aux anges. Ouais Camille, allez ducon. Pour une fois dans ta putain de vie, r’garde les choses en face. C’est ça l’courage, c’est pas charger et dérouiller des mecs. Ca tout le monde peut le faire. Allez Camille, tu prends tes couilles à deux mains et tu vas voir Charlie, tu lui dis « casse toi tu m’intéresses plus » et tu la laisses partir. Tu lui rendras service. Toi t’es bon que pour le casse-pipe, la potence ou la boisson, et rien d’autre. T’as cru que t’étais fait pour l’amour ? Mais regarde toi, espèce de gros trou du cul. T’es un idiot, tu sais à peine lire et écrire, t’as plus de gens qui veulent te voir crevé qu’en vie et t’emmerdes tous les gens qu’tu croises. Allez allez, va la voir ta jolie mésange et laisse la partir. Tu pourras aller crever tranquille.
…
Paradoxalement, la grande force de Camille Chat réside dans sa capacité à ne pas trop réfléchir sur sa condition. Ne pas se poser de questions, c’est continuer d’avancer. Sans rien améliorer, certes, mais sans devenir fou non plus. Résister, survivre. Mais lorsque le matou commence à se faire des nœuds au cerveau, un nouveau mécanisme intervient de manière tout à fait naturelle : le déni. Et chez l’ancien taulard, le déni prend la forme d’une amnésie soudaine, inconsciemment volontaire, qui lui permet de faire s’envoler les idées noires qui le rongent d’un simple remous de matière grise. C’est là sa façon de surnager au-dessus de ce qui cherche à l’engloutir.
Non, Camille ne va pas renvoyer Charlie. Pas encore.
Oui, le Chat va continuer de se rêver Lion.
Et il continuera de tituber sur cet équilibre instable en espérant secrètement que les choses se passeront au mieux de par elles-mêmes, et en sachant pertinemment que ce ne sera pas le cas.
Camille Chat marche de long en large sur une plage de Féralas, se baissant parfois pour ramasser une pierre ou un coquillage qu’il lance rageusement dans les vagues. La compagnie mercenaire dans laquelle il a signé est en campagne dans les terres sauvages où sa mission est de récupérer un héritage ancien pour le compte d’un commanditaire hurleventois. Pour honorer leur contrat, les engagés de la Rétribution devront gagner les faveurs des kaldoreï, affronter satyres, ogres et autres créatures malfaisantes, remporter le Grand Tournoi de Hache-Tripes et déjouer les manigances des équipes adverses. Ils ont déjà affronté de grands dangers, et de plus grands périls les attendent encore. Mais là, sur cette plage, le taulard ne pense pas à tout ça.
Non, il pense à sa mésange. Charlie Stardust, une gilnéenne au caractère bien trempé et au regard sévère. La brute en est fou. Lui qui n’a connu que les prostituées du port de Hurlevent et dont les relations sentimentales se limitaient à quelques pièces contre une passe, il est aujourd’hui complètement gaga d’une femme dont les sourcils froncés le font pourtant frémir. Son gros cœur bat plus vite lorsqu’il la voit, la chaleur envahit son poitrail de buffle et les miasmes sinistres qui oppressent son esprit s’écartent lorsque le matou retrouve sa belle dans la moiteur de sa tente.
Camille est amoureux, à sa plus grande surprise et à son grand désarroi. Il a massacré, violé, pillé, connu les sévices et les tortures, vécu une vie de violence où nulles émotions n’existaient sinon la rage et la soif de sang. Et le voilà désormais émerveillé comme un enfant, rougissant parfois, lorsqu’il voit Charlie se dévêtir devant lui. Ce minois boudeur lui fait tourner la tête. Il pourrait tuer pour frotter encore une fois son nez cassé dans cette crinière d’ébène, inspirer profondément pour capter son odeur, passer ses paluches sur ces hanches et ces fesses musclées. La nuit, lorsqu’elle dort d’un sommeil lourd en retour de mission, le Chat écoute son souffle chaud et laisse courir le regard sur cette silhouette féline dans la pénombre. Il la révère, la chérit, connait chacun des détails de son corps et se délecte à chaque fois de la dévorer. Intense, il en idolâtre le moindre détail, la moindre imperfection : ses joues creuses, les taches de rousseur que le soleil piquant de Kalimdor fait apparaître sur son visage fin, les cicatrices qui marbrent ses membres, la grue rouge de Krasarang qui niche dans son dos.
Mais voilà. La mésange est un oiseau libre aux mœurs volages. Bien qu’il dise le contraire, Camille n’aimerait rien plus que d’enfermer ce joli volatile dans une cage dorée pour pouvoir l’admirer à longueur de journée, la garder pour lui seul. Mais lui qui a connu les fers, les entraves et les barreaux d’une prison, il sait qu’il ne peut s’y résoudre. Incapable de le formuler aussi clairement dans son esprit, il a pourtant bien conscience que séquestrer Charlie est au-delà de ses forces pourtant immenses. C’est faire d’une pierre deux coups fâcheux : la perdre pour toujours et s’attaquer à ce qui l’a secrètement maintenu en vie toutes ces années passées à la Pénitentiaire, le besoin viscéral, animal, sauvage ! de jouir de sa liberté.
Alors le Chat traîne dans les ombres lorsque sa mésange le quitte, rôde et tourne sur lui-même en maugréant. Il la regarde s’éloigner sur ses longues jambes. Il sait où elle va, oooooh oui il le sait. Elle va retrouver Lomerak. PUTAIN. Camille enrage, exulte. Il essaie de se trouver des raisons. Pourquoi a-t-il envie d’ouvrir la gorge du Bleu ? De le pendre avec ses propres tripes en l’asticotant à coup de tison chauffé à blanc ? Est-ce là une manifestation naturelle de l’antagonisme entre un taulard et un ancien garde de la Cité Blanche ? Est-ce simplement parce qu’il lui vole sa belle le temps de leurs foutues et -présumées- platoniques balades ?
Non. La vérité est pire et torture le matou. Camille Chat ne déteste Lomerak Owein que parce qu’il l’admire, le jalouse furieusement, rêve d’être lui. Lomerak fut un fier officier de la Garde Urbaine, loyal au Roi et à Hurlevent, qui a versé son sang pour défendre la veuve et l’orphelin. Camille n’est qu’un fils de pute sans foi ni loi qu’on envoyait en première ligne aux côtés des ratés de sa trempe. L’un est droit, juste, courageux et sincère. L’autre est turbulent, mauvais comme un ail, belliqueux et menteur. Le Bleu est le fier papa d’un fils promis à un avenir honorable. L’ancien prisonnier est le père indigne d’un enfant qu’il a abandonné et qui est mort sans le connaître. Un héros contre un vaurien. Un chat de gouttière contre un lion. Le matou voit la mésange attirée par cette lueur flamboyante que même lui suivrait dans l’action les yeux fermés. Alors il se rêve en champion, comme à travers un miroir brisé où il voit tout l’inverse de ce qu’il est.
Il en veut au monde entier, et à Charlie encore plus. Mais est-ce bien juste ? Sa pensée déroule, et Camille se maudit en excavant peu à peu la douloureuse réalité. Que peut-il apporter à cette femme, lui qui ne cause que barouf et désordre partout où il passe, qui s’attire les foudres de tous et qui semble incapable d’exprimer autre chose que la colère ou la rancœur. Impatient comme un gosse, seules ses pulsions dictent sa conduite sans jamais qu’une réflexion préalable ne vienne le freiner. Malhonnête et trompeur, il ne manquera pas de blesser la mésange en tournant autour d’une autre d’un peu trop près. Il ne pourra pas lui offrir une belle vie, une maison, une famille car il aura dépensé toute sa paye en boisson ou sera mort avant. Et jusque-là, il ne fera que l’étouffer par ses humeurs et sa jalousie, se rendra insupportable, tout à fait désagréable et de mauvaise compagnie.
PUTAIN. J’suis qu’une merde, j’la mérite pas. En fait elle a bien raison, d’aller voir le Bleu. J’serais une fille j’irai aussi, tiens. J’sais même pas pourquoi elle y est pas allée avant. Conneries … Putain. Lui bah ouais, il saura la rendre heureuse. Quand ils prendront leur p’tite retraite ils iront tranquillement s’installer à Hurlevent, avec tous ses copains d’avant, et pis ils auront une jolie maison en ville et feront des enfants et la mésange elle s’ra aux anges. Ouais Camille, allez ducon. Pour une fois dans ta putain de vie, r’garde les choses en face. C’est ça l’courage, c’est pas charger et dérouiller des mecs. Ca tout le monde peut le faire. Allez Camille, tu prends tes couilles à deux mains et tu vas voir Charlie, tu lui dis « casse toi tu m’intéresses plus » et tu la laisses partir. Tu lui rendras service. Toi t’es bon que pour le casse-pipe, la potence ou la boisson, et rien d’autre. T’as cru que t’étais fait pour l’amour ? Mais regarde toi, espèce de gros trou du cul. T’es un idiot, tu sais à peine lire et écrire, t’as plus de gens qui veulent te voir crevé qu’en vie et t’emmerdes tous les gens qu’tu croises. Allez allez, va la voir ta jolie mésange et laisse la partir. Tu pourras aller crever tranquille.
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Paradoxalement, la grande force de Camille Chat réside dans sa capacité à ne pas trop réfléchir sur sa condition. Ne pas se poser de questions, c’est continuer d’avancer. Sans rien améliorer, certes, mais sans devenir fou non plus. Résister, survivre. Mais lorsque le matou commence à se faire des nœuds au cerveau, un nouveau mécanisme intervient de manière tout à fait naturelle : le déni. Et chez l’ancien taulard, le déni prend la forme d’une amnésie soudaine, inconsciemment volontaire, qui lui permet de faire s’envoler les idées noires qui le rongent d’un simple remous de matière grise. C’est là sa façon de surnager au-dessus de ce qui cherche à l’engloutir.
Non, Camille ne va pas renvoyer Charlie. Pas encore.
Oui, le Chat va continuer de se rêver Lion.
Et il continuera de tituber sur cet équilibre instable en espérant secrètement que les choses se passeront au mieux de par elles-mêmes, et en sachant pertinemment que ce ne sera pas le cas.
Camille Chat- Citoyen
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Lieu de naissance : Elwynn
Age : 32 ans
Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Extrait de l’essai « Pratiques et traditions ancestrales, une étude des comportements humanoïdes » rédigé par le Comte de Blancpenoy et édité aux éditions du Nénuphar.
Pour les hommes se tatouent-ils ? Quel besoin impérieux peut bien pousser un être de raison à volontairement scarifier sa peau et à encrer cette blessure afin de marquer éternellement la forme parfaite que lui a donné la nature ?
Les trolls qui vivent dans les îles tropicales au large de Kalimdor se tatouent pour que leurs Loas puissent les voir depuis le royaume des esprits. Les Marteaux-Hardis et les Sombrefers le font pour indiquer à tous leur appartenance au clan et à la famille. Les Mag’har d’Outreterre incrustent dans leur peau des récits de chasses et de combats épiques, et les mystérieux Shen’dralar d’Eldre’thalas canalisent l’énergie arcanique grâce aux encres enchantées qu’ils ajoutent à leurs pigments.
Chez tous les peuples qui pratiquent cet art, que leur foyer soit en Azeroth ou dans d’autres mondes, le tatouage est synonyme de pouvoir, de lien ou de magie. Il est la tentative de l’être conscient de contrôler sa chair, de dépasser les frontières du monde physique en créant un passage, un pont entre le domaine du tangible et celui de l’invisible. C’est une marque sacrée, un symbole d’appartenance, un élément esthétique qui permet de différencier le connu de l’inconnu, le sacré de l’impie, l’ami de l’ennemi. Aussi idiot un ogre soit-il, il ne frappera pas son semblable si ce dernier arbore les mêmes tatouages que lui.
Les habitants des nations dites « civilisées » (terme qui n’est, comme le soulignait mon éminent confrère le conservateur Cogne-Roche du musée de Forgefer dans son ouvrage de référence intitulé « Les Empires Trolls », que largement relatif) ont cependant tendance à considérer le tatouage comme un élément vulgaire, signe de mauvais goût au mieux, d’infamie au pire. A Hurlevent, ils n’apparaissent que dans le dos des marins et des prostituées, de la soldatesque et de la racaille qui infeste nos geôles. Jamais un patricien respectable ne voudra que sa fille ne salisse ainsi sa peau d’albâtre et un baron au visage ou aux mains tatouées serait assurément la risée de la Maison des Nobles.
C’est pourtant faire preuve ici d’une grande fermeture d’esprit, car le tatouage n’est rien d’autre qu’un lien entre un être perdu dans cette existence dépourvue de sens, et ses aspirations au divin et à l’éternel. Tant que ces individus à la sensibilité profonde marcheront sur la vaste terre, ils continueront d’encrer leur peau, comme une ode touchante dédiée à l’infini et aux mystères.
Camille Chat, machine vrombissante en main, est penché sur le postérieur d’un grognard de la 7ème Légion. Langue tirée dans un effort de concentration, il trace consciencieusement les deux cercles, le long fourreau, la petite fente, puis saupoudre le tout de quelques traits pour représenter les poils. C’est le treizième pénis qu’il tatoue en moins d’une heure. Et pour cause, car cette escouade d’élite vient de perdre le pari qu’elle avait lancé aux gars de la Division Pénitentiaire, la veille au camp, lorsque l’ordre de mission était enfin tombé. Les deux corps conjoints devaient alors prendre une position tenue par la Horde, un temple en ruine quelque part dans la mangrove de Nazmir. Le combat avait été féroce, les pertes nombreuses, mais c’était bien un taulard qui avait arraché l’étendard rouge sang du sommet du temple pour le jeter dans la boue. Alors désormais les gars de la 7ème faisaient la queue devant la tente du matou, tirant la gueule sous les quolibets des crapules en attendant de recevoir le prix de leur orgueil. Camille exulte, aussi fier que revanchard : il est bien content de tatouer des bites.
Il serait inexact d’affirmer que le Chat est complètement stupide. Certes, c’est une brute mal dégrossie dont les centres d’intérêts sont assez précisément tournés vers la bagarre, la boisson et les femmes. Un gros bonhomme gonflé de testostérone, élevé à la dure, qui a eu un parcours chaotique et à qui on a rarement demandé de faire fonctionner son cerveau plutôt que ses muscles. Mais il n’en reste pas moins un homme, marbré des mêmes peurs, incertitudes et questionnements que tout un chacun. Limité, l’ancien prisonnier semble incapable d’exprimer ses émotions autrement que dans le tumulte de la violence et de l’injure. Frustré, il n’arrive le plus souvent qu’à communiquer de manière primale, n’utilisant que les leviers de la crainte qu’il peut inspirer à autrui ou du respect acquis dans le sang. Mais ce butor qui était encore analphabète il y peu possède un don aussi inexplicable qu’incongru : celui du dessin. Camille Chat est capable, comme nul autre pareil, de capturer les formes et les mouvements du monde autour de lui pour les coucher sur la peau, qu’elle fut celle d’un parchemin ou bien d’un être vivant. Il a une maîtrise innée des proportions, il excelle à saisir l’atmosphère d’une image et ses croquis s’animent comme une scène pleine de vie. Et parce que le matou est mu par un féroce instinct survivaliste, il mise naturellement et inconsciemment sur ce cadeau de la nature pour communiquer d’une manière qu’il lui est impossible de faire avec ses mots.
Ce qu’il ne sait exprimer en parlant, il le fait en tatouant. Dessiner des bites sur les gars de la 7ème, c’est les forcer à l’humilité, leur dire que la racaille a sa place aux côtés de la fine fleur de l’Alliance. Lorsqu’il grave Chi Ji la Grue Rouge sur le bras de Landen Bervann ou dans le dos de la mésange, c’est pour se rapprocher de ceux qui ont survécu au même enfer que lui, comme une tentative de les ancrer pour toujours dans son monde. Quand il pose un phare sur l’épaule de Taylor Dagern ou qu’il couvre le corps de Dereck Ravenloft d’un ciel orageux, il imprime sa griffe indélébile sur des gens qui ont croisé sa route et qui comptent probablement plus pour lui qu’il ne pourrait jamais l’admettre de vive voix. En poinçonnant la paume de Thesryn Alarone, il lui fait l’aveu silencieux d’une amitié sans failles. Et quand la lune est pleine et qu’un mercenaire profite de la nuit pour venir le trouver, le matou se fait alors le complice de secrets qui viennent s’allonger discrètement sur la peau de son affidé. Son corps lui-même n’est qu’une page sur laquelle se déroule l’histoire du Chat, sans même que l’intéressé ne s’en rende vraiment compte. Sur ses jambes, ses bras, son torse apparaissent les symboles de ce qui a marqué sa vie, comme le condensé ésotérique d’une existence cabossée par les événements. La draeneï lascive parle de sa virilité, l’ancre et l’astrolabe de ses déploiements, les crânes de ses victoires, le garde de ses défaites. Pour l’observateur attentif, il s’y concentre ses peurs et ses pulsions, mais aussi toutes ses contradictions : quand une épaule porte le portrait d’un frère qu’il a aimé et failli à protéger de la mort, l’autre arbore le masque grimaçant du premier homme qu’il a tué et dont le fantôme le hante encore aujourd’hui. Du caractère pandaren indiquant « force » -c’est du moins ce que Camille croit, car il signifie en réalité « oignon », la faute à un moine facétieux de Micolline- tatoué derrière son oreille, jusqu’aux chaînes à ses chevilles en passant par le matricule de la Pénitentiaire gravé sur ses phalanges, le Chat pare son corps de son propre récit, cherchant à laisser ainsi son empreinte dans le tumulte de l’existence, avec la force rageuse et le souffle rauque qui le caractérisent. Parmi tous ces tatouages, il en manque un. Celui qui doit raconter la nouvelle vie du matou, les changements drastiques et profonds qui se déroulent en lui, les amitiés et inimités, les aventures et les morts : la dague de la Rétribution. Mais cette dague se mérite et Camille Chat, malgré toute sa mauvaise foi et son comportement exécrable, compte bien s’en montrer digne.
Dernière édition par Camille Chat le Lun 11 Mar 2024 - 19:38, édité 1 fois
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Un soir à Hurlevent, après le tournoi annuel de la compagnie mercenaire Rétribution
Fierté. Sentiment de revanche. Joie, peut-être ? Camille Chat était aux anges. Mais au moment où le Capitaine leva son bras pour le déclarer vainqueur, tous ces sentiments se bousculaient dans son crâne sans qu’il puisse correctement les digérer. Sa couenne tatouée luisait de sueur et son regard trahissait autant son orgueil qu’une certaine confusion, comme s’il se retrouvait désormais bloqué au sommet sans savoir trop quoi y faire. Sa bouche était ouverte, haletante, et il ressemblait finalement à un gros poisson hors de l’eau tandis qu’il balayait la foule des yeux avant que cette dernière ne se disperse.
Maintenant il fallait fêter ça. Peu grégaire, le mercenaire voulait pourtant faire la bringue avec les autres de la compagnie. Egoïste, il décida néanmoins d’utiliser une partie de son premier prix pour payer une tournée générale, probablement emporté par son enthousiasme. Alors il invita ceux qui étaient là et ouvrit la marche jusqu’au Quartier Nain pour préparer la fiesta qui s’annonçait. Il était excité comme une puce, le nouveau champion, et commanda plusieurs bouteilles de vodka alteracienne, ainsi qu’une dizaine de dés à coudre qu’il rempli lui-même et aligna sur le comptoir pour accueillir les autres.
Ils tardaient à venir. Camille attendait, cachant mal son impatience. Les minutes s’écoulaient pourtant, personne ne semblait arriver, et l’emballement de la brute se transforma peu à peu en une impassibilité déçue. Il l’avait dit à la prêtresse à Vaillance, et il se rappelait maintenant ses propres mots : « Sur la route t’es seul. Tout seul. » Comme il le faisait avec la plupart des choses de la vie, le Chat masqua sa contrariété avec une couche de balourdises.
- « Qu’ils aillent tous se faire foutre. »
Et il attrapa le premier verre pour se l’envoyer cul-sec avant d’encaisser une grimace crispée. Deuxième verre, hop ! Et troisième, et quatrième ! Putain ça chauffe. Je rote dans ma bouche, je recommence. Cinq, six, sept. Comme au bon vieux temps. Huit, neuf et dix. J’ai envie de vomir.
Bien entendu, le mercenaire trouve le moyen d’insulter le serveur pour une raison ou pour une autre. Le serveur appelle le patron, qui appelle le service de sécurité. L’ancien taulard se retrouve dehors, n’ayant réussi à sauver qu’une seule bouteille de vodka. La nuit est déjà avancée, il est tard. Les rues du Quartier Nain sont peu fréquentées. La lune brille, le matou rote et se rend subitement compte qu’il a envie de baiser. Alors, comme guidé par un vieil instinct, il suit ses pas qui le guident vers le port. Et pendant le trajet, il s’enquille la bouteille à même le goulot.
Lorsque Camille Chat décide de se mettre une murge à base d’alcool de grain et de mauvaise humeur, cette dernière suit généralement trois étapes assez clairement définies.
La première, dans le cerveau étriqué du champion, s’appelle peut-être « la Colère ». La Colère, c’est lorsque le Chat déverse sans s’arrêter des flots s’insanités à l’encontre de ceux qui croisent son chemin ou qui traversent son esprit. Tout n’est alors que violence, agressivité, attitude négative et comportement odieux. C’est pendant la Colère que Camille frappe. C’est là que, porté par quelque sentiment de haine ou de jalousie, il est capable des pires choses. Dans la Colère, il a un jour assassiné un camarade taulard en lui tenant la tête enfoncée dans les latrines uniquement parce que l’autre utilisait des dés truqués. Il avait tabassé une pute qui lui refusait ses services, il avait insulté un officier, il avait volé son croûton à un mendiant, il s’était torché avec un morceau de parchemin et l’avait glissé sous l’oreiller de Sioraï d’Erdeval.
Là, en descendant vers les tripots les plus sordides du port, le mercenaire tournait à plein régime. Un habitant pressé lui coupe la route, il lui lance une bordée d’injure et lui fait un doigt d’honneur. Un mendiant vient lui demander une petite pièce, Camille lui retourne une mandale qui doit lui faire tomber les quelques dents qu’il lui reste. Puis, à défaut d’adversaires physiques, le matou s’en prend aux figures qui errent dans ses pensées. A commencer par ceux qui méritent le plus qu’il leur envoie une châtaigne bien sentie dans la gueule. Ouais, hein ! Parlons-en dans ce gros connard de Brisby. Quoi, il me crache dessus ? Devant tout l’monde ? Ça c’est un sergent ? Il a d’la chance que je sois discipliné, sinon j’me ferais un plaisir d’ouvrir cette grosse bedaine avec mon canif. Ah il faisait moins le beau ce fils de pute, quand j’lui ai collé la pâté. Héhé, tu l’as vu passer sous ta moustache débile, le titre de champion ? Gros con.
- « Ouais, gros con. » grommelle Camille, complètement ivre, comme pour plussoyer l’alter ego furieux qui habite son crâne.
Et pis ce con d’lieutenant aussi, il va en prendre pour son grade. Meuhmeuhmeuh moi moi moi meuhmeuhmeuh trop blasé trop fort trop de sacrifices trop un héros gnagnagna. Oh putain il me gaaaaaaaave j’ai bien envie d’lui faire fermer sa gueule. Bon il me mettrait p’têt’ une dérouillée ce con, mais un bon coup entre ses oreilles de cabot ça serait réglé tiens. Quelle merde ! Et ça c’est officier, ah ! Ca les f’rait bien rires à la Pénitentiaire. Et pourtant eux-mêmes sont de beaux enculés. Ca se dit Lieutenant, ça fait que parler d’lui, que pleurnicher, ça fait le beau sans cesse, ça peut pas s’empêcher d’donner son avis sur tout. Et puis il doit quand même en avoir marre de sucer le Capitaine sans cesse comme ça. Moi j’les connais les mecs comme ça. Il complexe sur sa p’tite bite et puis c’est tout. D’ailleurs il devait pas partir à la retraite ce connard ? Qu’est-ce qu’il fout là encore. Allez du vent, ça f’ra des vacances putain. Merde faut que j’vomisse.
Camille Chat s’appuie contre une charrette, en bas des rampes qui mènent au port, et vomit sur ses bottes. Pour faire passer le goût âcre, il boit une gorgée de vodka. Il est déjà dans un sale état. Parlant tout seul, s’agitant, le regard vide et la bouche baveuse, il fait probablement peine à voir. Mais gare à celui qui croise sa route, parce que la Colère n’est pas terminée.
Bah ouais ! Tous des enculés ! Et l’basané là ! Il m’en colle une, devant tout l’monde, personne lève le p’tit doigt. Ah ouais c’est comme ça qu’ça marche ? Je vais l’attraper lui, je vais le suriner derrière une écurie, je vais lui tailler les mollets, je vais lui enlever les oreilles et les lui faire manger. Et ce gros connard de nain. AH ! En v’la encore un qui a une bite d’la taille d’mon pouce, teh. Chef mercenaire mon cul, t’étais soubrette à Forgefer ouais. Gros jaloux. Toi aussi si j’t’attrape t’es foutu. Et puis l’autre enfoiré au crochet, celui qui m’a collé une beigne quand j’me noyais dans l’acide de vers de merde. Oh lui, oh lui qu’il me tourne pas le dos … Putain il est où ce tripot déjà !!!
Le mercenaire se retrouve bientôt à court de cibles mentales tandis que son taux d’alcoolémie continue de monter. C’est dans ces instants que la Colère s’éteint peu à peu et cède la place à la seconde phase de la murge : c’est l’Accalmie. C’est le moment où Camille arrive à se raisonner un peu malgré -ou peut-être grâce à- son état d’ébriété et se dit que non, le monde n’est pas tout noir. Non, on n’est pas toujours seul. Non, on ne nait pas dans la merde pour forcément mourir noyé dans son propre sang et regardant ses tripes glisser hors de son corps au milieu de la boue d’un champ de bataille criblé de trous d’obus et de morceaux de gens qu’on connait quelque part sur une plage pourrie de la côte Sud de la Pandarie. Oui, les pensées du taulard sont confuses comme ça. Parfois, le champion se dit que quand même, il y a des gens bien, avec qui il s’entend, et qu’il a même envie d’aider parfois. Il y a mon frangin bien sûr, mais ça j’ai même pas b’soin d’y réfléchir d’abord parce que c’est comme ça c’est mon frangin quoi. Mais y’a ceux qui me parlent, ceux qui m’apprennent à lire et à écrire, ceux qui me soignent, ceux qui rigolent et qui me sourient, ceux qui m’ont aidé à trouver l’mome. Y’a ceux qui s’offusquent pas de c’que j’dis des gros mots, et ceux qui ont pas peur de moi et qui m’aiment bien, et qui veulent qu’on se batte du même côté quoi. Et pis y’a le Capitaine. Il m’a dit qu’il venait de la rue comme moi. C’est peut-être vrai. Lui il m’a fait me sentir bien. Fort. Important. Ouais j’viens de rien et pourtant qu’tous ces fils de pute pédant me regardent là : je suis le champion. Eh ouais ma gueule. J’suis mercenaire, ouais, mais j’ai un cœur aussi tu vois.
- « Bah ouais ». se répond-il à voix haute.
Ouais j’me bats pour l’or, mais ça fait pas d’moi un enculé. Moi au combat j’vais chercher les copains, j’ai pas peur d’prendre les coups. Et pis d’abord si la compagnie elle m’donne bah moi je rends. J’suis quand même un type sympa. Et j’suis sympa avec les autres types sympas. Et y en a. Et si y’a un truc pour lequel j’peux battre quand y’a plus d’or, c’est les types sympas.
- « Ah bah putain le v’là ce putain de tripot. »
Camille Chat rentre à cette adresse pour marin syphilitique, paye une pute édentée, n’arrive pas à bander à cause de l’alcool, vomit sur le lit miteux, se faire virer par la sécurité après un coup de poing dans la gueule qui lui laissera un œil au beurre noir. C’est donc le moment parfait pour déclencher la troisième phase de la murge : le Chaos. Le Chaos, c’est lorsque la brute est tellement soûle que, en plus de voir double, elle voit des scènes qui n'existent plus, qui le dévorent, qui le bouffent. Camille titube, ne sait pas où il est, se vomit probablement dessus. Des voleurs lui tirent sa bourse sans même qu’il ne s’en aperçoive. Il déambule de nuit sur la rade comme un clochard, tombe sur des caisses abandonnées, se vautre et n’arrive même pas à se relever. A une patrouille nocturne qui passe sans s’arrêter, il balbutie :
- « Hé c’est moi HIC l’champion ! C’est moi l’chamHICpion d’accord … »
Puis il vomit dans sa bouche et manque de s’étouffer, allongé sur le dos. Il est beau, le Champion de la Rétribution. Dans sa tête, tout est brouillé. Des bruits tapent contre la plaque en fer qui remplace un morceau de son crâne, faisant plus de boucan qu’un gong. Ses compagnons taulards hurlent en sautant des barges qui les ont emmenés sur la plage. Les flèches et les balles tombent comme la grêle, l’écume des vagues est rouge. Je cours, je cours, c’est saccadé autour de moi. J’ai perdu mon épée, elle est tombé dans l’eau, dans le sable, j’ai pas le temps de la retrouver. Je me cache derrière une machine de guerre dont l’essieu est rompu. Je vois l’Gros Dédé à côté, il est à genoux et il regarde ses intestins qui sortent de son bide comme de grosses anguilles luisantes. Il a l’air surpris l’Gros Dédé, comme quand j’ai aligné une combinaison du Grand Amiral aux dés ou quand l’sergent lui a dit que sa peine était purgée après cette mission et qu’il allait pouvoir rentrer voir sa bonne femme et ses chiards. Là il regarde ses tripes avec amour, comme qu’il regarderait ses gosses, et pis un troll arrive par derrière, lui tire les cheveux en arrière en l’égorge propre.
Camille vomit encore une fois. Il abandonne cette bouteille, rampe un peu à l’abri d’une caisse ouverte, se roule en boule. Il est rustique, et surtout très soûl. Il pourra dormir là sans soucis. Mais quelque chose le dérange. Dans sa tête, les images sont confuses et l’invitent tantôt à la violence et au meurtre, tantôt au pardon et l'oubli éternel. Camille veut disparaître, n'être rien. Ses souvenirs l'assaillent, il se met à pleurer comme un bébé, puis jure comme un charretier. Il se caille et tremble un peu. Il crache devant lui, forçant pour garder les yeux fermés, et tente de faire disparaître les images qui attaquent son esprit en chantant la seule chanson qu’il connait et qu’il a apprise à l’armée. Sa voix tremble.
- « Dans la troupeuh y’a pas d’jambes de bois …y’a des nouilleuh mais ça n’se voit pas. La meilleure façon d’marcher, c’est encore la notreuh …. Y faut met’ un pied d’vant l’aut’ et recommencer … »
Le matou pleure un peu, complètement ivre et perdu, puis se calme, rote et se dit que quand même il doit ressembler à son Pôpa, cette sale merde. La honte. Tout ira mieux demain. Allez Dédé, n’y pense plus. Tout ira mieux demain.
Fierté. Sentiment de revanche. Joie, peut-être ? Camille Chat était aux anges. Mais au moment où le Capitaine leva son bras pour le déclarer vainqueur, tous ces sentiments se bousculaient dans son crâne sans qu’il puisse correctement les digérer. Sa couenne tatouée luisait de sueur et son regard trahissait autant son orgueil qu’une certaine confusion, comme s’il se retrouvait désormais bloqué au sommet sans savoir trop quoi y faire. Sa bouche était ouverte, haletante, et il ressemblait finalement à un gros poisson hors de l’eau tandis qu’il balayait la foule des yeux avant que cette dernière ne se disperse.
Maintenant il fallait fêter ça. Peu grégaire, le mercenaire voulait pourtant faire la bringue avec les autres de la compagnie. Egoïste, il décida néanmoins d’utiliser une partie de son premier prix pour payer une tournée générale, probablement emporté par son enthousiasme. Alors il invita ceux qui étaient là et ouvrit la marche jusqu’au Quartier Nain pour préparer la fiesta qui s’annonçait. Il était excité comme une puce, le nouveau champion, et commanda plusieurs bouteilles de vodka alteracienne, ainsi qu’une dizaine de dés à coudre qu’il rempli lui-même et aligna sur le comptoir pour accueillir les autres.
Ils tardaient à venir. Camille attendait, cachant mal son impatience. Les minutes s’écoulaient pourtant, personne ne semblait arriver, et l’emballement de la brute se transforma peu à peu en une impassibilité déçue. Il l’avait dit à la prêtresse à Vaillance, et il se rappelait maintenant ses propres mots : « Sur la route t’es seul. Tout seul. » Comme il le faisait avec la plupart des choses de la vie, le Chat masqua sa contrariété avec une couche de balourdises.
- « Qu’ils aillent tous se faire foutre. »
Et il attrapa le premier verre pour se l’envoyer cul-sec avant d’encaisser une grimace crispée. Deuxième verre, hop ! Et troisième, et quatrième ! Putain ça chauffe. Je rote dans ma bouche, je recommence. Cinq, six, sept. Comme au bon vieux temps. Huit, neuf et dix. J’ai envie de vomir.
Bien entendu, le mercenaire trouve le moyen d’insulter le serveur pour une raison ou pour une autre. Le serveur appelle le patron, qui appelle le service de sécurité. L’ancien taulard se retrouve dehors, n’ayant réussi à sauver qu’une seule bouteille de vodka. La nuit est déjà avancée, il est tard. Les rues du Quartier Nain sont peu fréquentées. La lune brille, le matou rote et se rend subitement compte qu’il a envie de baiser. Alors, comme guidé par un vieil instinct, il suit ses pas qui le guident vers le port. Et pendant le trajet, il s’enquille la bouteille à même le goulot.
Lorsque Camille Chat décide de se mettre une murge à base d’alcool de grain et de mauvaise humeur, cette dernière suit généralement trois étapes assez clairement définies.
La première, dans le cerveau étriqué du champion, s’appelle peut-être « la Colère ». La Colère, c’est lorsque le Chat déverse sans s’arrêter des flots s’insanités à l’encontre de ceux qui croisent son chemin ou qui traversent son esprit. Tout n’est alors que violence, agressivité, attitude négative et comportement odieux. C’est pendant la Colère que Camille frappe. C’est là que, porté par quelque sentiment de haine ou de jalousie, il est capable des pires choses. Dans la Colère, il a un jour assassiné un camarade taulard en lui tenant la tête enfoncée dans les latrines uniquement parce que l’autre utilisait des dés truqués. Il avait tabassé une pute qui lui refusait ses services, il avait insulté un officier, il avait volé son croûton à un mendiant, il s’était torché avec un morceau de parchemin et l’avait glissé sous l’oreiller de Sioraï d’Erdeval.
Là, en descendant vers les tripots les plus sordides du port, le mercenaire tournait à plein régime. Un habitant pressé lui coupe la route, il lui lance une bordée d’injure et lui fait un doigt d’honneur. Un mendiant vient lui demander une petite pièce, Camille lui retourne une mandale qui doit lui faire tomber les quelques dents qu’il lui reste. Puis, à défaut d’adversaires physiques, le matou s’en prend aux figures qui errent dans ses pensées. A commencer par ceux qui méritent le plus qu’il leur envoie une châtaigne bien sentie dans la gueule. Ouais, hein ! Parlons-en dans ce gros connard de Brisby. Quoi, il me crache dessus ? Devant tout l’monde ? Ça c’est un sergent ? Il a d’la chance que je sois discipliné, sinon j’me ferais un plaisir d’ouvrir cette grosse bedaine avec mon canif. Ah il faisait moins le beau ce fils de pute, quand j’lui ai collé la pâté. Héhé, tu l’as vu passer sous ta moustache débile, le titre de champion ? Gros con.
- « Ouais, gros con. » grommelle Camille, complètement ivre, comme pour plussoyer l’alter ego furieux qui habite son crâne.
Et pis ce con d’lieutenant aussi, il va en prendre pour son grade. Meuhmeuhmeuh moi moi moi meuhmeuhmeuh trop blasé trop fort trop de sacrifices trop un héros gnagnagna. Oh putain il me gaaaaaaaave j’ai bien envie d’lui faire fermer sa gueule. Bon il me mettrait p’têt’ une dérouillée ce con, mais un bon coup entre ses oreilles de cabot ça serait réglé tiens. Quelle merde ! Et ça c’est officier, ah ! Ca les f’rait bien rires à la Pénitentiaire. Et pourtant eux-mêmes sont de beaux enculés. Ca se dit Lieutenant, ça fait que parler d’lui, que pleurnicher, ça fait le beau sans cesse, ça peut pas s’empêcher d’donner son avis sur tout. Et puis il doit quand même en avoir marre de sucer le Capitaine sans cesse comme ça. Moi j’les connais les mecs comme ça. Il complexe sur sa p’tite bite et puis c’est tout. D’ailleurs il devait pas partir à la retraite ce connard ? Qu’est-ce qu’il fout là encore. Allez du vent, ça f’ra des vacances putain. Merde faut que j’vomisse.
Camille Chat s’appuie contre une charrette, en bas des rampes qui mènent au port, et vomit sur ses bottes. Pour faire passer le goût âcre, il boit une gorgée de vodka. Il est déjà dans un sale état. Parlant tout seul, s’agitant, le regard vide et la bouche baveuse, il fait probablement peine à voir. Mais gare à celui qui croise sa route, parce que la Colère n’est pas terminée.
Bah ouais ! Tous des enculés ! Et l’basané là ! Il m’en colle une, devant tout l’monde, personne lève le p’tit doigt. Ah ouais c’est comme ça qu’ça marche ? Je vais l’attraper lui, je vais le suriner derrière une écurie, je vais lui tailler les mollets, je vais lui enlever les oreilles et les lui faire manger. Et ce gros connard de nain. AH ! En v’la encore un qui a une bite d’la taille d’mon pouce, teh. Chef mercenaire mon cul, t’étais soubrette à Forgefer ouais. Gros jaloux. Toi aussi si j’t’attrape t’es foutu. Et puis l’autre enfoiré au crochet, celui qui m’a collé une beigne quand j’me noyais dans l’acide de vers de merde. Oh lui, oh lui qu’il me tourne pas le dos … Putain il est où ce tripot déjà !!!
Le mercenaire se retrouve bientôt à court de cibles mentales tandis que son taux d’alcoolémie continue de monter. C’est dans ces instants que la Colère s’éteint peu à peu et cède la place à la seconde phase de la murge : c’est l’Accalmie. C’est le moment où Camille arrive à se raisonner un peu malgré -ou peut-être grâce à- son état d’ébriété et se dit que non, le monde n’est pas tout noir. Non, on n’est pas toujours seul. Non, on ne nait pas dans la merde pour forcément mourir noyé dans son propre sang et regardant ses tripes glisser hors de son corps au milieu de la boue d’un champ de bataille criblé de trous d’obus et de morceaux de gens qu’on connait quelque part sur une plage pourrie de la côte Sud de la Pandarie. Oui, les pensées du taulard sont confuses comme ça. Parfois, le champion se dit que quand même, il y a des gens bien, avec qui il s’entend, et qu’il a même envie d’aider parfois. Il y a mon frangin bien sûr, mais ça j’ai même pas b’soin d’y réfléchir d’abord parce que c’est comme ça c’est mon frangin quoi. Mais y’a ceux qui me parlent, ceux qui m’apprennent à lire et à écrire, ceux qui me soignent, ceux qui rigolent et qui me sourient, ceux qui m’ont aidé à trouver l’mome. Y’a ceux qui s’offusquent pas de c’que j’dis des gros mots, et ceux qui ont pas peur de moi et qui m’aiment bien, et qui veulent qu’on se batte du même côté quoi. Et pis y’a le Capitaine. Il m’a dit qu’il venait de la rue comme moi. C’est peut-être vrai. Lui il m’a fait me sentir bien. Fort. Important. Ouais j’viens de rien et pourtant qu’tous ces fils de pute pédant me regardent là : je suis le champion. Eh ouais ma gueule. J’suis mercenaire, ouais, mais j’ai un cœur aussi tu vois.
- « Bah ouais ». se répond-il à voix haute.
Ouais j’me bats pour l’or, mais ça fait pas d’moi un enculé. Moi au combat j’vais chercher les copains, j’ai pas peur d’prendre les coups. Et pis d’abord si la compagnie elle m’donne bah moi je rends. J’suis quand même un type sympa. Et j’suis sympa avec les autres types sympas. Et y en a. Et si y’a un truc pour lequel j’peux battre quand y’a plus d’or, c’est les types sympas.
- « Ah bah putain le v’là ce putain de tripot. »
Camille Chat rentre à cette adresse pour marin syphilitique, paye une pute édentée, n’arrive pas à bander à cause de l’alcool, vomit sur le lit miteux, se faire virer par la sécurité après un coup de poing dans la gueule qui lui laissera un œil au beurre noir. C’est donc le moment parfait pour déclencher la troisième phase de la murge : le Chaos. Le Chaos, c’est lorsque la brute est tellement soûle que, en plus de voir double, elle voit des scènes qui n'existent plus, qui le dévorent, qui le bouffent. Camille titube, ne sait pas où il est, se vomit probablement dessus. Des voleurs lui tirent sa bourse sans même qu’il ne s’en aperçoive. Il déambule de nuit sur la rade comme un clochard, tombe sur des caisses abandonnées, se vautre et n’arrive même pas à se relever. A une patrouille nocturne qui passe sans s’arrêter, il balbutie :
- « Hé c’est moi HIC l’champion ! C’est moi l’chamHICpion d’accord … »
Puis il vomit dans sa bouche et manque de s’étouffer, allongé sur le dos. Il est beau, le Champion de la Rétribution. Dans sa tête, tout est brouillé. Des bruits tapent contre la plaque en fer qui remplace un morceau de son crâne, faisant plus de boucan qu’un gong. Ses compagnons taulards hurlent en sautant des barges qui les ont emmenés sur la plage. Les flèches et les balles tombent comme la grêle, l’écume des vagues est rouge. Je cours, je cours, c’est saccadé autour de moi. J’ai perdu mon épée, elle est tombé dans l’eau, dans le sable, j’ai pas le temps de la retrouver. Je me cache derrière une machine de guerre dont l’essieu est rompu. Je vois l’Gros Dédé à côté, il est à genoux et il regarde ses intestins qui sortent de son bide comme de grosses anguilles luisantes. Il a l’air surpris l’Gros Dédé, comme quand j’ai aligné une combinaison du Grand Amiral aux dés ou quand l’sergent lui a dit que sa peine était purgée après cette mission et qu’il allait pouvoir rentrer voir sa bonne femme et ses chiards. Là il regarde ses tripes avec amour, comme qu’il regarderait ses gosses, et pis un troll arrive par derrière, lui tire les cheveux en arrière en l’égorge propre.
Camille vomit encore une fois. Il abandonne cette bouteille, rampe un peu à l’abri d’une caisse ouverte, se roule en boule. Il est rustique, et surtout très soûl. Il pourra dormir là sans soucis. Mais quelque chose le dérange. Dans sa tête, les images sont confuses et l’invitent tantôt à la violence et au meurtre, tantôt au pardon et l'oubli éternel. Camille veut disparaître, n'être rien. Ses souvenirs l'assaillent, il se met à pleurer comme un bébé, puis jure comme un charretier. Il se caille et tremble un peu. Il crache devant lui, forçant pour garder les yeux fermés, et tente de faire disparaître les images qui attaquent son esprit en chantant la seule chanson qu’il connait et qu’il a apprise à l’armée. Sa voix tremble.
- « Dans la troupeuh y’a pas d’jambes de bois …y’a des nouilleuh mais ça n’se voit pas. La meilleure façon d’marcher, c’est encore la notreuh …. Y faut met’ un pied d’vant l’aut’ et recommencer … »
Le matou pleure un peu, complètement ivre et perdu, puis se calme, rote et se dit que quand même il doit ressembler à son Pôpa, cette sale merde. La honte. Tout ira mieux demain. Allez Dédé, n’y pense plus. Tout ira mieux demain.
Camille Chat- Citoyen
- Nombre de messages : 51
Lieu de naissance : Elwynn
Age : 32 ans
Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat fait le guet, perché sur le nœud d’un gros tronc recouvert de fougères. De là-haut, il a une vue plongeante sur le sous-bois luxuriant, les corniches et les trous d’eau de ce coin perdu de Krasarang. La lune filtre faiblement à travers la canopée des grands arbres et les essaims de lucioles donnent à toute cette scène une aura presque féerique.
Le matou participe, comme tant d’autres, à la deuxième phase de l’Opération Bouclier : celle qui doit chasser la Horde hors de la zone et prendre le contrôle total de cette dernière. L’état-major de l’Alliance pensait se rendre maître des étendues sauvages en moins de deux semaines mais les troupes de Garrosh Hurlenfer opposèrent une résistance aussi inattendue que féroce après leur défaite initiale lors du débarquement Allié. Menés par les terribles escadrons kor’kron, les guerriers du Chef de Guerre livrent une guérilla sanglante dans cette jungle, obligeant le Roi Varian Wrynn à y envoyer toujours plus de ses soldats. Cette campagne s’éternise et dure depuis bientôt quatre mois, coûtant aux deux camps des ressources titanesques en hommes, or et matériel. Les régiments catapultés là-bas se retrouvent immédiatement coupés de l’arrière, sans vivres ni renseignements, au milieu d’un territoire hostile et rempli de dangers mortels. La bataille de Krasarang est un désastre stratégique et les vétérans de cette époque se souviendront longtemps de ce qu’ils appellent encore « l’enfer vert ».
Quelque part dans ce vaste théâtre d’opération, une petite escouade de soldats portant le tabard au Lion dresse le camp dans les ruines d’un ancien temple, sur un escarpement couvert par les arbres géants. Le Chat en est : eh oui, il s’agit bien des racailles de la Division Pénitentiaire ! La portion de jungle dans laquelle ils patrouillent a été nettoyée plusieurs jours auparavant par une unité de la 7ème Légion. Normalement, pas de Hordeux dans le secteur, et les taulards ont pour simple mission de quadriller la zone afin de prévenir toute incursion. La nuit est tombée sur Krasarang et la dizaine d’hommes que compte la troupe installe son bivouac. Le chef de section désigne les vigies, Camille prendra le troisième quart. Alors la brute va se coucher parmi ses petits camarades et s’endort. Tard dans la nuit, son collègue vient le réveiller sans ménagement pour qu’il prenne la relève. Le matou ronchon engueule l’importun, l’autre l’insulte en retour, Chat lui colle une beigne, saisit une torche puis va prendre son quart. Il s’éloigne du temple, contourne la colline et marche dans les fourrés pendant cinq bonnes minutes avant de monter sur un tronc penché au-dessus du vallon. Il grimpe un peu en maugréant puis éteint sa torche et se poste là en hauteur, surveillant les alentours en battant mollement des paupières.
Sauf qu’on a crapahuté toute la putain d’journée et que j’suis crevé. Gnahgnahgnah monte la garde gnahgnahgnah ferme ta gueule. Ah ouais, lui l’chef il ronque tranquille pendant que moi j’suis là à m’faire casser les couilles par ces lucioles de merde et à zieuter les branches pour êt’ sur qu’elles viennent pas nous enculer. Génial. Bah t’sais quoi nique : j’vais me caler un peu comme ça, qu’j’ai quand même l’air de surveiller un truc, pis j’vais roupiller discretos. T’façon ça sert à rien d’faire le guet. Avec la dérouillée qu’les gonzes d’la 7ème leurs ont foutus, sont pas prêts de revenir les autres sauvages là. Pour une fois dans c’te putain de jungle on est pépouze alors moi j’dis : bah autant en profiter quoi. Allez j’ferme les yeux deux minutes pis ça ira …
… zzzzzzzzzzzZZZZ …
…
… rrrRRRRRRRONFL KRR KRRRRRR…
…
…zzzzZZZZzzzzzOH CON !
Bordel c’était quoi ! J’ai entendu un truc, comme qu’un cliquetis d’armure ou j’sais pas quoi. Putain putain putain. J’me redresse j’me penche sur ma branche pour regarder en bas. Putain on y voit rien dans c’te forêt d’merde, la lumière d’la lune qui fait des ombres avec les branches j’y vois comme dans l’trou du cul d’Lothar. J’mire bien, dans les buissons et les fourrés, dans les herbes hautes pis là-bas derrière l’grand tronc …
Oh môman.
J’les vois avancer, en ordre dispersé, qu’ils essayent d’pas faire un seul bruit. Des dizaines qu’ils sont, pis y’en a d’autres qui continuent d’sortir des bambous. Ça grouille. Des orcs, des trolls, des gobz. Que des saloperies, j’sais même pas les compter, j’vois juste l’fer de leurs armes qui brille quand ils passent dans les trous d’lumière. On dirait une meute de loups, ils sont là à moitié couchés, ils avancent lentement tous dans l’même sens. Vers l’temple. Putain putain putain. J’sue du cul sévère. Mais qu’est-ce qu’ils foutent là ?! Comment qu’ces putain de peintres d’la 7ème ils les ont pas trouvé !!! T’as une armée qui s’balade derrière nos lignes et pis ça gêne personne. Ca sent la merde moi j’vous l’dis et j’ai les genoux qui claquent. Il avait raison ce connard de chef : fallait bien monter la garde.
Bon déjà ils m’ont pas vu j’crois bien. Moi j’bouge pas, j’sais même si j’respire encore tellement j’essaie d’pas faire du bruit. J’attrape mon canif dans ma botte et j’le serre entre mes dents pis en même temps j’réfléchis. Clairement ils savent où qu’on est. Et ils passent pas pour jouer aux cartes. Il suffit qu’ils montent la pente là à travers l’bosquet et les fougères et ils arrivent en haut dans l’temple et y buttent tous les copains.
Alors là j’me concentre fort et j’me dis que j’ai deux options. Soit bah j’descends l’plus discretos possible, j’fais l’tour en courant comme un dératé pis j’préviens les copains et on se casse avant que les Hordeux-mes couilles nous tombent dessus. Y’a encore le temps d’faire ça, possible que j’arrive à pas m’faire choper mais quand même ça sent l’roussi. Soit j’reste caché, j’ferme les yeux et j’laisse notre bon monde fait son p’tit bout d’chemin, comme que le veut la Lumière, les Loa ou l’Roi Varian pour c’que j’en sais.
Pis là, pendant qu’les autres enculés continuent d’avancer sous moi, j’me pose soudainement la bonne question : Camille mon con, est-ce que t’as envie d’crever ? Alors là j’me dis qu’la question elle est vite répondue : non j’ai pô envie d’crever. Si j’saute pour aller donner l’alarme, j’pense que j’y reste. Soit y m’cueillent au pied d’mon arbre soit y m’rattrapent soit on arrive au temple en même temps et nous on s’fait décaniller. Ca fait quand même beaucoup d’occasions d’y rester. Alors que si j’reste là, bien plaqué contre ma branche, bah y m’verront pas plus que c’qui m’voyent maint’nant. Alors ouais, ça veut dire qu’j’aurai pas fait la bonne sentinelle et qu’les collègues ils vont s’faire surprendre par six fois leur nombre. Putain quand même j’les connais ces types même qu’si c’est tous des fils de pute. Y’a Walter qu’on a fait l’Norfendre ensemble, y’a Gudule qui m’a sauvé la trogne en s’prenant une flèche à ma place aux Hautes-Terres pis y’a même la p’tite Ambre des Carmines, qu’elle a un caractère d’chien et un regard de grosse follasse mais que quand même j’voudrais bien m’taper avec son p’tit cul tout dur là.
Je jette un coup d’œil en bas. La Horde elle avance. Y vont bientôt passer au pied d’mon arbre. J’serre fort une liane avec mes deux mains, et pis mon canif avec mes dents même si il a un goût d’jus d’chaussette. Allez mon gars, tu fais quoi ! Tu vas aider les copains ou tu les laisses crever. Allez Camille, tu décides. ALLEZ. J’crois que j’vais me pisser dessus.
Camille Chat restera trois jours et trois nuits réfugié au creux de son poste d’observation, sans dormir ni manger et ne buvant que l’eau qu’il récupère dans un trou d’écorce après les pluies diluviennes qui douchent les étendues sauvages de Krasarang. Il aura passé la première nuit à écouter le reste de son escouade se faire massacrer. Surpris et en sous nombre, les soldats de la Pénitentiaire n’auront pu opposer aucune résistance à l’ennemi. Certains auront tenté de fuir et Camille regardera, du haut de son perchoir, la course de ce pauvre Gudule à travers les fougères jusqu’à ce qu’un javelot vienne le clouer au sol. Les guerriers de Garrosh Hurlenfer restèrent ensuite sur zone pendant deux jours, patrouillant la forêt et les abords du temple et forçant le matou à rester dans son arbre. Lorsque les hordeux levèrent finalement le camp pour un autre front, ce fut un trio de sauroks qui vint rôder dans les ruines comme autant de mouches autour d’une charogne, furetant pour piller ce qui pouvait l’être.
Enfin, le repris de justice n’eut plus que les lucioles comme seules compagnes. Il se décida à descendre de sa cachette, l’estomac tordu par la faim et le corps engourdi par une si longue veille. Tel un animal aux abois, il prit mille précautions et remonta la pente sur la pointe des pieds, couteau cranté en main, sautant de buisson en buisson. Il enjamba le corps de Gudule sans même s’arrêter et fit son chemin jusqu’au temple en ruine, désormais vide. Là-haut le tombeau des lucioles qui voletaient mollement, suspendues dans l’air, comme si elles veillaient les soldats qui gisaient sur la pierre moussue. Le Chat, lui, ne regarde pas le cadavre décapité de Walter, ni celui d’Ambre désarticulé sur un muret et dont on a arraché les chausses et souillé le corps, ni même le chef qui se balance au bout d’une corde, plus loin, les orbites et les lèvres picorés par quelques aigrettes. Non, Camille se jette directement sur le premier sac qu’il trouve, retourne les affaires laissées par les orcs et les pillards, s’active comme un chacal pour trouver de quoi se nourrir. Il tombe finalement sur un bout de pain rassis depuis trois jours et croque dedans de toutes ses forces. Il s’échine comme un affamé et avale le plus de pain qu’il peut. Lorsque sa faim se fait moins douloureuse, il va se poser devant un feu qui brûle encore pour mâchonner sa miche, le regard absent et le teint gris.
Regrette-t-il de ne pas avoir alerté ses comparses, les condamnant ainsi à une mort certaine ? Non. Eprouve-t-il de la tristesse face à la perte de ceux qui vivaient avec lui chaque jour, depuis plusieurs années et pendant maintes campagnes pour certains ? Pas le moins du monde. La présence de leurs dépouilles qui commencent à sentir n’empêche même pas le matou de grignoter son quignon. Dans le microclimat mental de Camille Chat, de telles émotions n’ont pas leur place. Elles sont des faiblesses, enfouies parmi tant d’autres sous une chape dont le plomb n’est que colère, amertume et violence. Il est une bête, féroce et sans pitié, dans un monde où la seule loi est celle du plus fort. Il faut survivre, un jour de plus, et se battre à chaque pas. Les gens meurent autour de lui, à cause de lui, et la brute ne s’en émeut pas. Tout s’écroule autour du matou de manière perpétuelle et depuis toujours, et il s’est habitué à vivre dans l’éboulement permanent, le cataclysme quotidien. Il ne connait plus que ça et voilà bien longtemps que les considérations sentimentales glissent sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard.
Ce soir, les lucioles de Krasarang éclairent un homme qui n’en est plus un, qui mange au milieu des cadavres comme une hyène et qui, demain, s’enfoncera dans la jungle pour retrouver son unité et repartir au front.
Le matou participe, comme tant d’autres, à la deuxième phase de l’Opération Bouclier : celle qui doit chasser la Horde hors de la zone et prendre le contrôle total de cette dernière. L’état-major de l’Alliance pensait se rendre maître des étendues sauvages en moins de deux semaines mais les troupes de Garrosh Hurlenfer opposèrent une résistance aussi inattendue que féroce après leur défaite initiale lors du débarquement Allié. Menés par les terribles escadrons kor’kron, les guerriers du Chef de Guerre livrent une guérilla sanglante dans cette jungle, obligeant le Roi Varian Wrynn à y envoyer toujours plus de ses soldats. Cette campagne s’éternise et dure depuis bientôt quatre mois, coûtant aux deux camps des ressources titanesques en hommes, or et matériel. Les régiments catapultés là-bas se retrouvent immédiatement coupés de l’arrière, sans vivres ni renseignements, au milieu d’un territoire hostile et rempli de dangers mortels. La bataille de Krasarang est un désastre stratégique et les vétérans de cette époque se souviendront longtemps de ce qu’ils appellent encore « l’enfer vert ».
Quelque part dans ce vaste théâtre d’opération, une petite escouade de soldats portant le tabard au Lion dresse le camp dans les ruines d’un ancien temple, sur un escarpement couvert par les arbres géants. Le Chat en est : eh oui, il s’agit bien des racailles de la Division Pénitentiaire ! La portion de jungle dans laquelle ils patrouillent a été nettoyée plusieurs jours auparavant par une unité de la 7ème Légion. Normalement, pas de Hordeux dans le secteur, et les taulards ont pour simple mission de quadriller la zone afin de prévenir toute incursion. La nuit est tombée sur Krasarang et la dizaine d’hommes que compte la troupe installe son bivouac. Le chef de section désigne les vigies, Camille prendra le troisième quart. Alors la brute va se coucher parmi ses petits camarades et s’endort. Tard dans la nuit, son collègue vient le réveiller sans ménagement pour qu’il prenne la relève. Le matou ronchon engueule l’importun, l’autre l’insulte en retour, Chat lui colle une beigne, saisit une torche puis va prendre son quart. Il s’éloigne du temple, contourne la colline et marche dans les fourrés pendant cinq bonnes minutes avant de monter sur un tronc penché au-dessus du vallon. Il grimpe un peu en maugréant puis éteint sa torche et se poste là en hauteur, surveillant les alentours en battant mollement des paupières.
Sauf qu’on a crapahuté toute la putain d’journée et que j’suis crevé. Gnahgnahgnah monte la garde gnahgnahgnah ferme ta gueule. Ah ouais, lui l’chef il ronque tranquille pendant que moi j’suis là à m’faire casser les couilles par ces lucioles de merde et à zieuter les branches pour êt’ sur qu’elles viennent pas nous enculer. Génial. Bah t’sais quoi nique : j’vais me caler un peu comme ça, qu’j’ai quand même l’air de surveiller un truc, pis j’vais roupiller discretos. T’façon ça sert à rien d’faire le guet. Avec la dérouillée qu’les gonzes d’la 7ème leurs ont foutus, sont pas prêts de revenir les autres sauvages là. Pour une fois dans c’te putain de jungle on est pépouze alors moi j’dis : bah autant en profiter quoi. Allez j’ferme les yeux deux minutes pis ça ira …
… zzzzzzzzzzzZZZZ …
…
… rrrRRRRRRRONFL KRR KRRRRRR…
…
…zzzzZZZZzzzzzOH CON !
Bordel c’était quoi ! J’ai entendu un truc, comme qu’un cliquetis d’armure ou j’sais pas quoi. Putain putain putain. J’me redresse j’me penche sur ma branche pour regarder en bas. Putain on y voit rien dans c’te forêt d’merde, la lumière d’la lune qui fait des ombres avec les branches j’y vois comme dans l’trou du cul d’Lothar. J’mire bien, dans les buissons et les fourrés, dans les herbes hautes pis là-bas derrière l’grand tronc …
Oh môman.
J’les vois avancer, en ordre dispersé, qu’ils essayent d’pas faire un seul bruit. Des dizaines qu’ils sont, pis y’en a d’autres qui continuent d’sortir des bambous. Ça grouille. Des orcs, des trolls, des gobz. Que des saloperies, j’sais même pas les compter, j’vois juste l’fer de leurs armes qui brille quand ils passent dans les trous d’lumière. On dirait une meute de loups, ils sont là à moitié couchés, ils avancent lentement tous dans l’même sens. Vers l’temple. Putain putain putain. J’sue du cul sévère. Mais qu’est-ce qu’ils foutent là ?! Comment qu’ces putain de peintres d’la 7ème ils les ont pas trouvé !!! T’as une armée qui s’balade derrière nos lignes et pis ça gêne personne. Ca sent la merde moi j’vous l’dis et j’ai les genoux qui claquent. Il avait raison ce connard de chef : fallait bien monter la garde.
Bon déjà ils m’ont pas vu j’crois bien. Moi j’bouge pas, j’sais même si j’respire encore tellement j’essaie d’pas faire du bruit. J’attrape mon canif dans ma botte et j’le serre entre mes dents pis en même temps j’réfléchis. Clairement ils savent où qu’on est. Et ils passent pas pour jouer aux cartes. Il suffit qu’ils montent la pente là à travers l’bosquet et les fougères et ils arrivent en haut dans l’temple et y buttent tous les copains.
Alors là j’me concentre fort et j’me dis que j’ai deux options. Soit bah j’descends l’plus discretos possible, j’fais l’tour en courant comme un dératé pis j’préviens les copains et on se casse avant que les Hordeux-mes couilles nous tombent dessus. Y’a encore le temps d’faire ça, possible que j’arrive à pas m’faire choper mais quand même ça sent l’roussi. Soit j’reste caché, j’ferme les yeux et j’laisse notre bon monde fait son p’tit bout d’chemin, comme que le veut la Lumière, les Loa ou l’Roi Varian pour c’que j’en sais.
Pis là, pendant qu’les autres enculés continuent d’avancer sous moi, j’me pose soudainement la bonne question : Camille mon con, est-ce que t’as envie d’crever ? Alors là j’me dis qu’la question elle est vite répondue : non j’ai pô envie d’crever. Si j’saute pour aller donner l’alarme, j’pense que j’y reste. Soit y m’cueillent au pied d’mon arbre soit y m’rattrapent soit on arrive au temple en même temps et nous on s’fait décaniller. Ca fait quand même beaucoup d’occasions d’y rester. Alors que si j’reste là, bien plaqué contre ma branche, bah y m’verront pas plus que c’qui m’voyent maint’nant. Alors ouais, ça veut dire qu’j’aurai pas fait la bonne sentinelle et qu’les collègues ils vont s’faire surprendre par six fois leur nombre. Putain quand même j’les connais ces types même qu’si c’est tous des fils de pute. Y’a Walter qu’on a fait l’Norfendre ensemble, y’a Gudule qui m’a sauvé la trogne en s’prenant une flèche à ma place aux Hautes-Terres pis y’a même la p’tite Ambre des Carmines, qu’elle a un caractère d’chien et un regard de grosse follasse mais que quand même j’voudrais bien m’taper avec son p’tit cul tout dur là.
Je jette un coup d’œil en bas. La Horde elle avance. Y vont bientôt passer au pied d’mon arbre. J’serre fort une liane avec mes deux mains, et pis mon canif avec mes dents même si il a un goût d’jus d’chaussette. Allez mon gars, tu fais quoi ! Tu vas aider les copains ou tu les laisses crever. Allez Camille, tu décides. ALLEZ. J’crois que j’vais me pisser dessus.
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Camille Chat restera trois jours et trois nuits réfugié au creux de son poste d’observation, sans dormir ni manger et ne buvant que l’eau qu’il récupère dans un trou d’écorce après les pluies diluviennes qui douchent les étendues sauvages de Krasarang. Il aura passé la première nuit à écouter le reste de son escouade se faire massacrer. Surpris et en sous nombre, les soldats de la Pénitentiaire n’auront pu opposer aucune résistance à l’ennemi. Certains auront tenté de fuir et Camille regardera, du haut de son perchoir, la course de ce pauvre Gudule à travers les fougères jusqu’à ce qu’un javelot vienne le clouer au sol. Les guerriers de Garrosh Hurlenfer restèrent ensuite sur zone pendant deux jours, patrouillant la forêt et les abords du temple et forçant le matou à rester dans son arbre. Lorsque les hordeux levèrent finalement le camp pour un autre front, ce fut un trio de sauroks qui vint rôder dans les ruines comme autant de mouches autour d’une charogne, furetant pour piller ce qui pouvait l’être.
Enfin, le repris de justice n’eut plus que les lucioles comme seules compagnes. Il se décida à descendre de sa cachette, l’estomac tordu par la faim et le corps engourdi par une si longue veille. Tel un animal aux abois, il prit mille précautions et remonta la pente sur la pointe des pieds, couteau cranté en main, sautant de buisson en buisson. Il enjamba le corps de Gudule sans même s’arrêter et fit son chemin jusqu’au temple en ruine, désormais vide. Là-haut le tombeau des lucioles qui voletaient mollement, suspendues dans l’air, comme si elles veillaient les soldats qui gisaient sur la pierre moussue. Le Chat, lui, ne regarde pas le cadavre décapité de Walter, ni celui d’Ambre désarticulé sur un muret et dont on a arraché les chausses et souillé le corps, ni même le chef qui se balance au bout d’une corde, plus loin, les orbites et les lèvres picorés par quelques aigrettes. Non, Camille se jette directement sur le premier sac qu’il trouve, retourne les affaires laissées par les orcs et les pillards, s’active comme un chacal pour trouver de quoi se nourrir. Il tombe finalement sur un bout de pain rassis depuis trois jours et croque dedans de toutes ses forces. Il s’échine comme un affamé et avale le plus de pain qu’il peut. Lorsque sa faim se fait moins douloureuse, il va se poser devant un feu qui brûle encore pour mâchonner sa miche, le regard absent et le teint gris.
Regrette-t-il de ne pas avoir alerté ses comparses, les condamnant ainsi à une mort certaine ? Non. Eprouve-t-il de la tristesse face à la perte de ceux qui vivaient avec lui chaque jour, depuis plusieurs années et pendant maintes campagnes pour certains ? Pas le moins du monde. La présence de leurs dépouilles qui commencent à sentir n’empêche même pas le matou de grignoter son quignon. Dans le microclimat mental de Camille Chat, de telles émotions n’ont pas leur place. Elles sont des faiblesses, enfouies parmi tant d’autres sous une chape dont le plomb n’est que colère, amertume et violence. Il est une bête, féroce et sans pitié, dans un monde où la seule loi est celle du plus fort. Il faut survivre, un jour de plus, et se battre à chaque pas. Les gens meurent autour de lui, à cause de lui, et la brute ne s’en émeut pas. Tout s’écroule autour du matou de manière perpétuelle et depuis toujours, et il s’est habitué à vivre dans l’éboulement permanent, le cataclysme quotidien. Il ne connait plus que ça et voilà bien longtemps que les considérations sentimentales glissent sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard.
Ce soir, les lucioles de Krasarang éclairent un homme qui n’en est plus un, qui mange au milieu des cadavres comme une hyène et qui, demain, s’enfoncera dans la jungle pour retrouver son unité et repartir au front.
- Spoiler:
- Bundle part Vandaf/Charlie/Colin, merci à toi
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
- Spoiler:
- Attention : propos crus et violents
Camille Chat monte la garde avec son comparse Jackie « Dents-Blanches », aussi surnommé « la Tchatche » ou encore « le Fada » en raison de son habitude à soliloquer quelle que soit la situation, au repos comme sous le feu ennemi. Les deux gredins sont là, debout côte à côte, semblables aux piquets de la grande tente devant laquelle ils sont en faction pour la nuit. Il s’agit d’un luxueux pavillon en toile de soie pourpre, digne de l’officier le plus extravagant de la Division Pénitentiaire qui en est d’ailleurs l’occupant actuel : le Commandant Igor de Madrance. Ce sorcier extrêmement puissant était tombé en disgrâce suite à ses trop nombreuses frasques dans la capitale où il fut d’avantage connu pour les réceptions libertines qu’il offrait aux invités de son manoir que pour l’assiduité avec laquelle il remplissait ses fonctions de conseiller spécial aux affaires magiques dans l’état-major de l’Alliance. Pire encore, des rumeurs compromettantes commencèrent à circuler au sujet de supposées expériences qu’il pratiquait dans sa cave, sur fond de manipulations interdites et d’invocations démoniaques. Vérité ou canular politique ? Toujours est-il qu’Igor fut muté au sein de la tristement célèbre Division Pénitentiaire où il reçut tout de même un grade à la hauteur de sa personne. Subalterne direct du Colonel, son rôle est désormais de diriger la racaille lors des missions qui requièrent une expertise dans les sciences occultes. La moitié des taulards qui composent l’effectif étant analphabète, leur tâche n’est alors que de protéger le Commandant tandis que ce dernier se livre à de complexes calculs et autres rituels mystérieux.
La Pénitentiaire est déployée dans les Hautes-Terres du Crépuscule. Là-bas aussi la guerre entre l’Alliance et la Horde fait rage mais d’autres menaces plus grandes encore secouent la région au lendemain du Cataclysme. Les sectateurs du Marteau-du-Crépuscule ont fait de ce territoire tourmenté leur base d’opération principale et de terrifiantes lueurs flamboient désormais au sommet des tours de Grim Batol. Plus inquiétant encore, des rapports confus parlent d’une entité effroyable ayant surgit de la terre à l’appel des Dieux Très Anciens. Ce monstre dément que les locaux appellent Iso’rath se trouverait dans un lieu corrompu connu sous le nom d’Antre de la Folie, au Nord de la péninsule. Comme souvent lorsqu’il s’agit de mobiliser des éléments sacrifiables, l’état-major décide d’envoyer la Division Pénitentiaire enquêter sur place. Igor de Madrance est désigné pour diriger la mission, accompagné d’une vingtaine de grognards qui ont encore la corde au cou. A l’heure de ce récit, la troupe campe non loin de Tonnemar, au milieu d’une pinède sauvage et somme toute charmante.
Alors voilà, j’suis planté là à faire le pied d’grue devant la tente de ce taré de Commandant. J’te jure, il est pas net ce type. En même temps dans l’régiment des types pas nets on en a à revendre mais c’ui-là il en tient une couche. A Haute-Rive j’l’entendais dans les latrines en train d’parler et de rigoler tout seul pendant qu’il posait sa pêche. Et pis il est tout sec mais plein de grosses veines partout, on dirait qu’il est fait en peau de bite. Louche le gonze, moi j’te l’dis.
Donc bref voilà j’fais le guet avec Jackie. Jackie c’est un espèce de casse-couille qui arrête pas de charrer même quand on lui dit qu’il faut boucler sa boîte à clacos. Il est des Carmines, coffré pour des braquages à main armée sur la route de Sombrecomté. Entre eul’gibet et la Pénitentiaire, il a choisi le Jackie ! On l’appelle « Dents-Blanches » bah parce qu’il a des dents bien blanches. Sauf que c’est pas ses vraies dents. Des dents il en a plus à cause du scorbut mais du coup il a un espèce de dentier avec des fausses dents. Il dit qu’elles sont en ivoire de troll mais moi j’sais c’est des conneries parce que j’l’ai vu arracher leurs défenses à des pêcheurs rohart qu’on avait buté sans faire exprès en Transborée, dans l’Norfendre. Y’avait du brouillard on avait vu des trucs on avait tiré. En fait c’était pas des goules, c’était des morses qui causent. Bah écoute tant pis, z’avaient qu’à pas s’balader là aussi. Jackie il avait pris les défenses et pis moi j’m’étais découpé une belle tranche de lard de phoque. Miam miam. Bref voilà j’suis avec Jackie. Il commence à raconter un truc, j’lui dis direct de bien fermer sa gueule parce que sans déconner il commence à me les briser menu à faire que parler, pis on reste là debout comme des cons pendant qu’le Commandant il ronque tranquille.
Sauf qu’en fait pas sûr qu’il ronque. Parce qu’on entend un grognement pis un truc qui claque, comme un fouet. SLACK ça fait. Deux fois, puis ça grogne encore et ça palabre. Oh putain c’est quoi. Moi et Jackie on prend nos armes pis on s’retourne vers l’ouverture de la tente. Si il arrive un truc au Commandant ce s’ra pour not’ pomme et on ira s’balancer aux branches d’un pin avant de revoir Hurlevent, pour sûr. Moi j’serre fort Titine entre mes pattes et j’me prépare à rentrer là-dedans et à tabasser à tout va mais Jackie y m’dit d’attendre. Il a l’air pas très sûr d’un truc, le Jackie. Il dénoue un peu la corde qui tient la toile de la tente et il écarte pour qu’on puisse jeter un œil discrètement dedans. Alors moi j’m’approche aussi pis j’zieute discretos.
Oh con.
Alors j’suis pas bien sûr si l’Commandant il est en train d’se faire attaquer mais j’te dis c’que j’vois et tu m’dis c’que t’en penses. Bah il est à poil sur son lit d’camp, les yeux bandés avec un foulard, les mains attachées dans l’dos pis le cul bien en l’air. Par terre y’a une espèce de rune ronde tracée à la poudre violette avec des motifs bizarres comme des trucs de sorcier pis ça sent bien l’souffre. Mais l’clou du spectacle c’est la démonette avec des sabots pis des ailes de cuir et une longue queue et même des cornes qui fesse méchamment l’popotin du Commandant avec son fouet. L’autre il pousse des petits cris pendant qu’la démonette elle lui dit qu’il est qu’une p’tite pute et qu’il a été très vilain. Moi j’dis : d’accord elle est très bonne avec ses meules tout dehors tétons pointés et son air de cochonne mais quand même ça r’ssemble quand même bien à une attaque. Alors j’y vais pour sauter dans la tente pis écraser Titine sur la tronche de la bougresse et libérer l’Commandant. Mais Jackie y m’retient encore.
- « Mais non Salade r’garde ! Il bande ! »
Ah putain beh ouais il bande le con. Et en plus il dit « encore, oui j’suis une p’tite pute j’ai été très vilain puni moi ». Alors là j’suis sur le cul. Du coup dans ma caboche ça va vite : si en fait l’Commandant il est pas attaqué et que j’y vais et que défonce sa pote, il va pas être bien content et il va m’faire pendre. Alors bah j’y vais pas. Et on est là avec le Jackie on r’garde à travers la fente juste pour surveiller qu’tout va bien quoi.
SLACK ! SLACK ! SLACK ! Putain il a l’derrière tout rouge, ça commence même à saigner. C’est chaud. Enfin lui il a l’air d’bien aimer mais bordel tordu le type, j’te l’avais bien dit. Et là la démonette et lui fait mordre le manche de son fouet, l’autre il bave en gémissant, et pendant c’temps elle attrape une bougie et elle lui fait couler d’la cire sur le dos. L’autre il en peut plus, ses grosses veines là on dirait qu’elles vont exploser. Pis après elle claque des doigts et elle fait apparaitre une ceinture avec une grosse matraque, avec la magie. Elle met la ceinture et ... oh putain. Elle crache dans sa main, elle lustre la matraque et PAF elle la lui fout dans l’fion. L’autre il gueule comme un cochon mais elle lui serre le manche de son fouet entre les dents. Et VLAN VLAN VLAN vas-y qu’elle le besogne en riant. Aïe aïe aïe mais l’truc est tellement gros qu’ça va lui fendre la raie c’pas possible. Elle met des coups d’reins qu’moi-même j’en s’rai jaloux.
J’sens Jackie qui bouge à côté de moi alors j’regarde c’qu’il branle. Ah bah d’accord. Il s’branle tout court. Y m’pousse un peu pour mieux voir, son zgeg dans la pogne et il y va sans s’gêner. Bon j’avoue qu’la démonette elle dégage un truc là, ça émoustille. J’ai l’sang qui monte. Ca sent l’cuir là-dedans, la sueur, la baise bien sale. Alors j’pousse le Jackie d’un coup d’épaule pour y voir mieux pis j’tire la bête d’mes chausses et j’m’y mets aussi, tiens.
Dans la tente c’est un carnage, l’Commandant il a l’cul en chou-fleur mais ça empêche pas sa p’tite copine de continuer à l’maltraiter. Avec sa queue elle continue d’le fouetter puis elle va enrouler ça autour d’son kiki et elle serre tellement fort qu’bientôt il a l’gland qu’on dirait une grosse pomme rouge comme celles du marché du Val d’Est, l’dimanche. Le Jackie j’crois qu’ça l’inspire parce que tout d’un coup il vient poser sa main sur mon machin et il m’sègue. Bon euh. C’est plutôt pédé, certes. Mais là j’avoue j’ai un coup d’chaud. Ca fait deux mois qu’on a pas pu aller aux putes, j’ai l’jus qui bouillonne. Alors un peu d’attention sans déconner on va pas cracher d’ssus. Pis t’façon y’a personne qui nous voit et en plus, si tu fermes les yeux, bah une main c’est une main. Qu’ce soit la tienne, celle d’une bonne femme ou d’un copain bah bon voilà quoi. Pis en plus l’Jackie il a les mains douces alors si j’imagine très très fort bah on pourrait dire que c’est une belle draeneï avec des grosses loches et pis voilà. Bon et comme que j’sais pas quoi faire d’mes mains libres du coup … bah j’fais pareil. Bon surtout : pas s’regarder dans les yeux. Ca c’est très pédé. Alors on fait ça en regardant tous les deux l’Commandant se faire défoncer la rondelle. Bref.
Là-bas c’est l’bordel, même nous on sait plus trop quoi est où. La démonette elle te retourne l’Commandant comme qu’si c’était une poupée d’chiffon, elle lui fait c’qu’elle veut elle l’badigeonne de ses sucs, ça fume on dirait de l’acide l’autre il pleure et il rigole en même temps. Et vas-y que j’te fouette encore, pis que j’te foute la matraque pleine de rouge dans la bouche pis que j’te bifle avec. Franchement c’est à l’air un peu intense mais l’Commandant il a l’air d’tellement prendre son pied que j’me dis t’sais quoi pourquoi pas. Ou p’êt’ que j’dis ça parce que dans ces moments-là j’contrôle pas c’que j’pense mais sans déconner ça a l’air d’être un sacré truc. L’Jackie il a l’air d’se dire tout pareil parce que tout d’un coup y s’met à genoux pis il commence à m’pomper. Euh bon. Allez on pense à la draeneï bien fort hein. En plus chic type il a enlevé son dentier donc t’sais quoi ça me rappelle des bons souvenirs avec la Goulue, quand j’bossais au Trou Margot sur l’port. J’trouve que l’Jackie il s’y prend drôlement bien, c’est louche et même carrément pédé. Mais bon passons. J’fais mon affaire, j’lui gicle dans la bouche pis comme Môman elle m’a bien élevé bah j’lui rends la courtoisie quoi. Voilà voilà …
_____________________________________
L’Commandant il a fait savoir à la troupe qu’il était malade et qu’on doit pas lever l’camp avant deux jours. Alors pendant qu’il s’remet de ses émotions bah nous on doit aller faire des patrouilles. Moi j’ai bien réfléchis à c’qui s’est passé et vraiment, c’est pas bien. Déjà c’est pas bien parce que c’est complètement pédé. Ensuite si Jackie la Tchatche il raconte ça à quelqu’un bah tout l’monde va me dire « pédé », j’vais devoir casser des bouches et j’vais finir soit par me prendre des coups d’surin dans l’dos soit par pendouiller à une poutre. Pis c’est pas bien non plus parce que Jackie il me casse encore plus les couilles il a voulu venir dormir dans ma tente et y m’dit des trucs bizarres et y m’regarde bizarre. Et en plus c’est pas bien parce que vraiment c’est super pédé. Ah non ça j’l’ai d’jà dit, bref.
Quand l’capo il a dit « Salade, Dents-Blanches : z’allez faire la ronde par la ravine là-bas. » Moi j’me suis dit « putain merde » parce que c’est une marche de cinq heures, et l’Jackie il m’a fait un grand sourire de pédale avec ses chicots blancs. Donc on prend notre barda et on y va. On va dans la forêt, on traverse le grand tronc qui passe sur la rivière et on monte sur la falaise. C’est un p’tit chemin bien étroit, avec les rochers d’un côté pis un grand précipite de l’autre qui tombe tout droit comme un mur jusque sur d’autres cailloux en bas. Alors là j’m’arrête et j’dis :
- « Hé la Tchatche viens donc voir par-là ! »
L’autre il rapplique en courant limite, tout content qu’il doit être à l’idée qu’j’vais lui sucer l’chibre. Bah non, j’le pousse super fort dans l’vide et il vole avec un air surpris sans même crier. SPLOTCH il s’écrase en bas. Vu l’bruit qu’ça a fait j’me dis qu’il est bien mort, mais au cas où j’me penche un peu pour regarder. C’est bon, vu les angles bizarres qu’il a c’est sûr il est canné, Dents-Blanches.
V’là un problème de réglé. Tranquille le Chat, et surtout pas pédé.
- Spoiler:
- Blender par Alshaïn/Levereth
Dernière édition par Camille Chat le Lun 11 Mar 2024 - 19:36, édité 1 fois
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Parricide, ou "tuer Pôpa"
Camille Chat est ivre mort sur le plancher de sa chambre d’auberge, quelque part dans le Quartier commerçant. A côté de lui, une bouteille de vodka alteracienne renversée et une flaque de vomi tout frais. Le mauvais matou dort-il ? Non il a les yeux bien ouverts. Est-il mort ? Que nenni, il est plus vivant que jamais, son poitrail de buffle se soulève au rythme d’une respiration énervée et le sang lui bat les tempes comme un tambour de guerre. Les ténèbres de l’alcool rongent son esprit une fois encore, transformant lentement mais sûrement cet être taciturne en une boule de rage aveugle. Ses poings s’ouvrent et se referment comme un cœur qui pulse, ses paupières clignent et lui donnent un air ahuri, le coin de sa bouche se retrousse tel la babine d’un chien enragé. La mèche est allumée, la bombe va exploser.
La compagnie de mercenaires dans laquelle il a signé est de retour à Hurlevent après une campagne longue et difficile dans les terres sauvages de Kalimdor. L’ancien taulard a failli y passer plusieurs fois, y a perdu un frère et un amour, y est devenu fou. Mais il est rentré, et le voilà de nouveau à errer comme un chat de gouttière dans les rues de la Cité Blanche où le désœuvrement jette sur lui un sort cruel. Dans le combat, au camp, Camille ne pense à rien sinon à lui. Taper, courir, survivre. Voilà qui suffit à occuper l’esprit. Mais ici, dans cette métropole grouillante de vie, le guerrier n’a pas sa place. Les regards des passants l’agressent, le bruit l’indispose, tout lui est hostile surtout quand ce tout porte le tabard au Lion. Alors il s’occupe, rôde en ruminant de sombres pensées et boit beaucoup.
La soirée avait commencé sur les chapeaux de roue. Alieg la petite sorcière des moissons était venue trouver le Chat sur le pont du bateau pour l’aider, encore et toujours. Et encore et toujours, Camille s’était comporté en rustre, rancunier au possible et mauvais comme un ail. Menaces et injures étaient le lot habituel pour une rouquine aux yeux mauves qui avait pourtant réussi à tirer quelque chose de la brute. Echauffé par l’échange, ce dernier s’était alors mis en tête de descendre quelques godets. C’est tout naturellement qu’il se retrouva dans une taverne sordide en bordure du Quartier des mages. Attiré par les ennuis comme un clou par un aimant, le repris de justice se retrouva immanquablement impliqué dans une bagarre de poivrots aux côtés de ses compagnons Pélissier, le Druss et la Louve. Bien vite réprimandé par les renforts, c’est ensuite contre Chani qu’un Chat déjà ivre s’étrilla méchamment. Tempêtant, insultant, paniqué par sa propre impuissance et pensant à l’impensable, c’est un matou au bord du crime qui regarda finalement cette peau bronzée disparaître dans l’escalier. Alors seul et épuisé par ses frasques sans même s’en rendre compte, Camille se commanda une autre bouteille pour boire et oublier.
Et qui c’est le gros pédé qu’a dit qu’boire c’est oublier ? Parce que putain moi plus j’bois et moins j’oublie. C’est même l’inverse tu vois, plus j’bois et plus j’me souviens, même que si j’en ai pô envie. J’me souviens, ouais ! J’me souviens d’Krasarang. J’me souviens de la grue. La grue dans l’dos d’la mésange. Putain con ! J’me souviens qu’ma p’tite mésange que il m’la piqué ! Que j’vais l’saigner ce Bleu de mes couilles, je vais lui ouvrir le cou d’une oreille à l’autre pis j’vais le regarder s’étouffer dans son jus comme un cochon ouais. Et la mésange j’vais la pendre à une corde et j’vais remettre le tabouret sous ses pieds parfois pour faire comme si que j’la sauvais … pis pour l’enlever encore après ! En plus que j’lui ai fait un cadeau, un p’tit chien qu’il s’appelle la Mado. Attends … Non attends j’confonds. C’est pas ma mésange ça … c’est Chani … OUAIS CHANI PUTAIN. Ah ouais j’me refais les chicots, j’te donne la Mado comme cadeau et même pas tu m’donnes ton cul ?! OUAIS la Mado j’l’ai pas vraiment acheté, peut-être. Mais putain c’est un cadeau quand même. Et elle elle m’parle comme ça. C’pas ça qu’on m’avait dit à moi. On m’avait dit « enlève tes chicots pourris, fais des cadeaux, pis tu peux la baiser. » Bah t’sais qu’est-ce qu’elle m’a dit ? « Va aux putes » qu’elle m’a dit. Bah t’sais quoi ouais, j’vais y aller aux putes, et quand j’reviens tu prends mon poing dans ta gueule j’vais t’faire sauter les dents moi, c’est à toi qu’Pélissier il va devoir mettre des ratiches en plomb maintenant.
…
Bon. Faut qu’j’arrive à m’lever. Putain ça tourne. Allez je m’appuie là sur la commode, allez gros con DEBOUT. Voilà, un pied d’vant l’autre. J’ai l’impression j’suis dans la barque à Nazmir tellement ça bouge. Sauf que là si j’tombe c’est pas les crocilisques qui me cueillent, c’est les marches de l’escalier. Allez doucement, là là c’est bon. J’suis dans la rue. Pas grand monde, j’sais pas quelle heure il est mais doit être tard. Impec y’aura pas la queue au bordel. Tiens c’est pour où déjà … Bon par là. Allez un pied d’vant l’autre. Et toi là pousse toi ou j’te décanille. Ouais ouais, écarte toi. Putain alors, j’ai la gerbe … J’vais réussir à bander moi ? J’sais même pas … SI ! SI J’VAIS BANDER PUTAIN OH. Sans déconner con j’suis Camille Chat ou pas ?! Qui c’est qu’a dit qu’Camille Chat il allait payer une pute et qu’il allait même pas bander hein ?! Le premier qui dit ça j’le démonte de toute façon voilà c’est marre. Bon allez on souffle un coup. C’est reparti, un pied d’vant l’autre Camille, un pied d’vant l’autre.
…
Putain alors, l’est encore là lui ? Oui le clodo là qui pisse contre un mur. Celui qui pue et qu’est bien pouilleux, l’vieux là. Bah c’est mon vieux. C’est Pôpa. J’m’arrête j’le regarde de loin. Non mais mate moi cette grosse merde. Il tangue presque autant qu’moi, il se crache dessus et il tient une bouteille d’alcool frelaté. Pfffffff. C’est vraiment un putain d’clébard galeux, comme quoi parfois les chiens font bien des chats. Il s’casse, j’le suis j’sais même pas pourquoi. C’pas la première fois qu’je l’croise pourtant, j’le vois à chaque fois que j’reviens dans cette ville à la con. Il est là, à dormir dans sa chiasse, la bouteille à la main et l’regard qui part en couille. Putain j’devrais aller sur la tombe de Tomas plutôt que d’suivre cette merde humaine mais j’y peux rien, j’lui emboite le pas c’est comme ça.
Il me voit pas. Il sait pas que j’suis là dans l’ombre. Il marche comme un poulet sans tête, sans trop savoir où qu’il va. On arrive au port moi j’le suis à la trace j’le perds pas des yeux. J’commence à sentir un truc dans mon ventre là. Non c’est pas la vodka qui veut sortir, c’est plus un truc d’animal. Comme que si j’suis excité, quand j’sens que l’action elle arrive et que j’vais faire sauter des mâchoires. Ca tangue, j’vois double, mais ça empêche pas que j’suis un putain d’prédateur ouais. J’le suis à Pôpa, comme si c’était un putain d’rat et moi l’matou que j’vais l’bouffer. Il marche, il marche. On arrive vers les chantiers naval. Navaux. Naval. Ta gueule, les chantiers où qu’ils font les bateaux voilà. Y’a pas grand monde dans l’coin. Pas d’patrouille. Pôpa il marche, il s’ramasse parfois, il insulte des types invisibles, pis il continue.
Pôpa y buvait. Pôpa y m’tapait. Pôpa il tapait mon frangin, il tapait Môman. Il a rendu tout l’monde très triste, et même que j’suis sûr que si qu’aujourd’hui tout l’monde est mort et moi j’ai une vie d’merde bah t’sais quoi c’est tout sa faute ouais. Si Pôpa ça avait été un bon papa bah p’t’êt’ j’aurai été prêtre ou officier ou même grand archimage en chef du Kirin Tor ouais. A la place j’suis juste un putain d’raté qui fait que taper et que même les mésanges et les Chani elles veulent pas baiser. Donc en fait c’est pas ma faute à moi. C’est tout la faute à Pôpa. J’ai l’feu qui commence à monter dans les jambes, dans la poitrine, dans les bras. Je sens que j’vais tuer. Ouais, j’vais tuer Pôpa.
Droite, gauche. Personne. Il tourne derrière un grand abri en bois. J’le suis. Derrière, on est un peu caché. Il est là d’vant moi, j’peux sentir sa crasse. Il s’arrête pour ramasser sa bouteille qu’est tombée, j’me ramasse j’fais quelques pas et j’bondis. J’lui tombe dessus il est si fragile qu’il s’écrase la gueule par terre. J’le retourne et on s’regarde dans les yeux.
- « C…. Cam ... ? » qui m’dit avec sa voix d’chèvre là. « Cam tu fais quoi ! »
- « Ferme ta gueule. » que j’lui dis.
J’lui écrase mon poing dans la bouche pis j’l’étrangle. Y m’regarde avec des grands yeux ronds. Pas les même yeux que quand il me faisait pêcher et qu’j’ai pris mon premier gardon quand j’étais môme. Pas les yeux quand il rentrait torché et qu’il tapait Môman et moi et qu’après il s’excusait. Là y m’regarde avec les yeux du mec qui va crever et qui peut rien y faire. Des yeux tout ronds, plein de sang, qui commence à sortir de leurs trous. Il pose ses mains sur les miennes, essaient d’me faire lâcher, de me griffer. Pffff mais regarde toi pauvre merde, t’es un rat. Moi j’suis un lion. Ouais. UN LION. Je serre, il essaie d’dire un truc mais j’entends que « hhhhhhhhhhhhh ». Il s’agite un peu, il devient bleu. Je serre plus fort encore, ça craque entre mes paumes, tiens prends ça enculé. J’le fixe bien, j’veux voir le truc qui part de ses yeux. Le truc qui dit quand quelqu’un il est vivant ou mort. Il s’agite encore un peu comme un serpent, ça s’débat mollement mais j’bouge pas. J’le fixe bien, j’vais pas rater ça. Pis voilà, un voile dans son regard de clodo de merde. Il bouge plus. Ca s’relâche, à peine cadavre qu’il lâche déjà une grosse caisse post-mortem. Dégueu même dans la mort, et ouais j’connais post-mortem j’ai entendu Yuri expliquer c’était quoi un jour. Bref j’me relève.
J’suis là. Sous mes pieds y’a Pôpa qu’est mort parce que j’l’ai tué. Dans ma tête c’est le vide. Pas d’émotions. Rien. J’ai tué Pôpa parce qu’il l’avait bien mérité. Pis j’sens qu’ça monte. J’commence à avoir envie d’mourir aussi tout d’un coup, comme Pôpa. Comme Môman, comme Bala le frangin, comme Tomas. Comme les autres. Disparaître en claquant des doigts. Quand tout l’monde est mort, faut mourir aussi. J’ai les genoux qui tremblent. J’vomis. Vite vite Camille Chat, va boire avant de crever toi aussi.
Camille Chat- Citoyen
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Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
- Spoiler:
- Rédigé à quatre mains avec Ashryn/Syllar/Raph
Camille Chat est sur la brèche. Il écrase Titine sur la gueule béante d’un énième gangrechien avant de se jeter derrière un chariot renversé pour éviter la boule de gangrefeu que lui lance un vicieux diablotin. Le projectile l’éclaire sur son passage et va s’écraser derrière avec une explosion bruyante. Lui et les gars de la Division Pénitentiaire tiennent une barricade de fortune dressée dans une rue entre deux bâtiments dont l’un d’eux est déjà en proie aux flammes. Le brasier illumine cette scène démente où quelques dizaines de grognards essaient tant bien que mal de retenir les démons qui surgissent de toute part tandis que le vacarme des combats et les cris de désespoir résonnent dans tout le village. Le matou, en sueur et maculé de sang verdâtre, se démène comme un beau diable pour rester en vie en priant on-ne-sait-qui pour le sortir de ce merdier sans nom.
La Troisième Invasion est en cours, la Légion Ardente déferle et le monde tremble. Si la grande bataille qui décidera du sort d’Azeroth se déroule dans les Îles Brisées, la guerre est totale et les armées infinies de Sargeras écument les continents pour briser ceux qui se dressent encore contre l’insatiable soif de destruction du Titan Noir. Or pour que ne règne que le Chaos, l’Ordre doit disparaître. C’est ainsi qu’un vaste ost démoniaque s’est déversé dans les Maleterres de l’Est en Lordaeron et que ses colonnes infernales convergent vers la Chapelle de l’Espoir de la Lumière en ne laissant que mort et dévastation derrière elles. En cette heure sombre, la lutte semble dérisoire. Ceux qui ne cèdent pas à la folie tentent de sauver ce qui peut encore l’être tandis que les plus braves implorent leurs dieux en se préparant au dernier combat. Tout ce que la région compte de héros afflue à la chapelle sacrée pour livrer un baroud d’honneur pendant que d’autres abandonnent et fuient à bride abattue vers le Sud.
Le village de la Nouvelle-Brill se trouve sur la route de l’une des cohortes démoniaques. Cette petite bourgade, fondée par des familles de réfugiés qui revinrent coloniser leur patrie de jadis, sera rasée dans quelques heures. L’Alliance, soutenue par le Kirin Tor ainsi que par un escadron de la Croisade d’Argent, a dépêché des forces dans la zone pour évacuer les civils avant que la Légion n’engloutisse tout. Il n’est pas question de livrer bataille contre les démons ni de venir en renfort aux défenseurs de la Chapelle de l’Espoir de la Lumière mais bien de secourir les quelques âmes qui peuvent encore l’être avant de battre la retraite et d’abandonner les Maleterres à leur sort. Les soldats sont déjà sur place et l’évacuation est en cours lorsque l’avant-garde des démons surgit sans crier gare et lance l’assaut sur la Nouvelle-Brill qui se transforme aussitôt en un effroyable champ de bataille.
Putain mais quel bordel ! Ça arrive dans tous les sens ça arrête pas. J’ai Pine-d’huître à ma droite, Jammy à ma gauche et j’attends qu’une chose c’est qu’le capo il nous dise de nous tirer là. Vlan ! J’balance Titine dans une autre saloperie qui monte sur la barricade et qu’allait m’emporter l’bras. Bordel il faut chaud, j’en peux plus d’faire tourner cette putain de massue. J’jette un coup d’œil derrière, j’vois ces pédés du 8ème d’Infanterie qui enfoncent les portes des maisons et qui font sortir les gens pour qu’on les regroupe et qu’on s’tire avec. Putain j’ai fait l’Norfendre, Krasarang, les Tarides ! C’est pas pour crever dans ce bled de merde à sauver trois enculés de pécores ! La baraque d’à côté elle brûle, j’entends des gens qui crient dedans. Rien à foutre, ça fera moins de temps d’perdu à aller les chercher. Allez on s’concentre. De l’autre côté ça grouille : des gangreclébards, des gangremachinchose, des gangrefils de pute, y’en a dans tous les sens. Y’a des sorts qui pleuvent d’chez pas d’où et qui tombent au milieu de cette merde et ça explose dans tous les sens et dans toutes les couleurs. C’est tellement l’bazar que j’entends à peine c’que Pine-d’huître y me gueule mais j’le vois se foutre par terre les mains sur la tête alors j’fais pareil. Ca pète à côté de moi, j’me retrouve le museau dans la poussière sans trop savoir comment et j’ai les oreilles qui saignent. J’m’arrache une écharde grosse comme une flèche de l’épaulière et j’regarde à gauche. Ah bah Jammy il est assis contre la barricade, y m’regarde d’un œil avec un air con. Ouais que d’un œil parce que l’autre il vient d’se le faire emporter par la boule de feu, avec toute la moitié d’sa tête tellement qu’on voit un p’tit bout qu’il lui reste dedans. Il était con comme ses pieds l’Jammy, c’est sûrement l’seul bout d’mou qu’il utilisait d’façon. Bref le Jammy il est crevé, moi j’ai mon flanc gauche découvert. Alors j’gueule ça au capo même si j’entends pas c’que j’gueule. Mais l’capo il regarde vers le ciel, à travers la fumée. Alors j’regarde aussi, par-delà le clocher. Oh, plein de p’tits points noirs dans l’air. Plein, plein de p’tits points noirs. Pis ils s’rapprochent drôlement, tellement qu’y sont pas si p’tits qu’ça, ces points noirs. Putain de merde, elle va être longue cette soirée.
...
En contrebas, les silhouettes bleues et or s'agitent dans un espace de plus en plus restreint. Quelques rues, deux grandes places. Bientôt moins. Les silhouettes noires et émeraudes grouillent partout. Des hurlements et des cris retentissent en tous sens. De guerre. De peur. D'agonie surtout. Des flammes s'en prennent à la plupart des bâtiments. Jaunes et rouges au mieux, vertes dans le pire des cas.
Au sommet de mon clocher, la voix derrière moi est bien plus posée. Tendue, mais pas trop. "Gangroptères à onze heures, cent quinze mètres d'altitude, trajectoire descendante vers nous." qu'il me dit. Vaniel, c'est un divinateur. Un analyste tactique. Il sonde le terrain et repère mes cibles. Moi, je fais le reste. Je lui demande combien de volants, il me répond vingt-sept. Je lui dis que j'en prend dix, il me dit que c'est trop et je l'ignore.
Vaniel transmet finalement l'information aux deux autres duos déployés par Dalaran dans la zone. Je profite qu'il soit occupé pour calmer un tremblement qui me prend le bras droit, puis je commence à incanter en m'approchant d'une ouverture. Les gangroptères arrivent vite. Un à un les javelots de glace apparaissent autour de moi. Longs de deux mètres, effilés et même barbelés, un petit ajout personnel. Parfaits pour des démons. Je sens l'énergie me quitter, mais j'arrive à faire apparaître le dixième projectile. La sensation de puissance est enivrante et j'ai envie de tout envoyer, mais j'attend la validation. Vaniel se coordonne avec les autres groupes.
Une seconde passe, j'attend.
Deux secondes, mon bras frémis, mais j'attend.
Trois secondes. Mais qu'est-ce qu'ils font ?
Quatre. Je calme un tremblement plus violent de ma main droite. Je vais suffisamment vite pour maintenir globalement le sortilège, pas assez pour empêcher un javelot de dégringoler en contrebas. Il se plante dans l'épaule d'un fantassin qui s'écroule. Une meute de traqueurs le recouvre et il ajoute ses cris à la symphonie générale. Un cri plus proche me rappelle aux gangroptères juste à temps pour être prêt au moment où l'ordre vient.
- "Maintenant ! Vas-y !"
Je relâche le sortilège. Neuf projectiles filent à travers le ciel comme des guêpes mortelles couleur azur. Au même instant mes deux collègues juchés sur des hauteurs aux alentours ajoutent leurs couleurs au feu d'artifice et la majorité des démons volants sont transpercés, désintégrés ou incinérés. Un d'entre eux s'en tire vivant et plonge sur une colonne de civils. Je repense au javelot manquant et un spasme me prend l'épaule gauche. Je saisi mon bras et inspire un grand coup en essayant d'ignorer les hurlements pendant quelques secondes. J'inspire, j'expire. Puis Vaniel me ramène à la réalité.
- "Garde-Funeste à six heures. Secteur trois. Deux cent mètres. On le prend."
Je rajuste le masque de métal qui sert de heaume aux mages de bataille, puis je change de position. La bataille se poursuit.
...
OUAIS ! Allez les putain d'sorciers ! Oh con ! D'habitude j'peux pas les voir ces fils de pute, avec leurs airs et qu'ils nous prennent pour des abrutis et tout. On dirait des grandes tarlouzes avec leurs robes et leurs bijoux pis leurs longs cheveux de gonzesse là. Mais putain qu'est-ce que c'est bon quand on est les a avec nous. Là j'regarde le clocher j'en vois deux, y'en a un c'est un elfe pis il s'entoure d'échardes en glace et il les balance sur les merdes volantes qu'arrivent, pis ses copains ils font pareil et ça pète dans tous les sens et il pleut du gangrenculé. En vrai ça doit être trop bien d'être puissant comme ça, d'avoir c'que tu veux en claquant des doigts. Tu veux boire un coup ? Paf d'la vodka alteracienne. Tu veux j'sais pas moi voir à travers les fringues des nana ? Bim et voilà. Et même tu veux qu'les gens ils croivent tout c'que tu dis ? Eh bhin pas d'problème abracadabra poils de cul et bave d'crapaud : c'est parti tout l'monde y gobe tes paroles comme des putain d'mouches.
Le capo il gueule et nous on fait comme qu'il dit : on serre la ligne, envoie des coups. Faut s'préparer à bouger qu'il dit, sortir d'la barricade et reculer dans la rue derrière nous. C'est là où qu'ya la 8ème qui réunit les habitants pour les amener sur une p'tite place au fond, et pis faire sortir tout l'monde du village. Allez Titine, allez ma belle ! J'mouline comme un taré, des fois j'sais même plus où que j'frappe. Pine-d'huître à côté il lève son bouclier en criant et il arrête qu'un coup qu'allait m'décrocher la tête. Putain mon vieux, encore une fois tu m'sauves la mise. Bon j'vais pas lui dire que moi j'ferai pas ça pour lui parce que voilà, mais quand même c'est chic. Bref on bourrine, on serre les dents, pis on essaye d'avoir les couilles d'pas se jeter par terre et d'attendre qu'tout finisse. Le capo il brûle la gueule d'un gros démon en lui déchargeant son pistolet à bout portant pis il commence à compter. A chaque fois qu'il dit "10" on recule d'un pas. Ca c'est c'qu'on est sensé faire comme qu'on l'a apprit. C'qu'il se passe en vrai c'est qu'il dit "10", on fait un grand bond en arrière et ceux qui peuvent pas ils restent engagés pis ils crèvent parce qu'on va pas les chercher. Pis après l'troisième "10" en général juste on s'retourne et on cavale comme des putains d'dératés.
Là il dit "10", on pousse tous un grand AHOU AHOU et on descend d'la barricade d'un bloc. Enfin presque parce que comme d'hab y'a a deux trois qui restent coincés, genre là c'est Ludo, le Vinz et Floflo la Tremblote. Bah les trois ils y passent, Ludo est touché par une espèce de sort et y s'plie et il convulse en bavant et en faisant caca sur lui, , le Vinz y s'fait décrocher la tête par un coup de hache de la brute énorme devant et le Floflo il se fait empaler pis jeter dans la grande foule des démons derrière la barricade, comme quand j'jette le verre de vodka derrière moi après que j'l'ai bu cul-sec.
Moi j'regarde par-dessus mon épaule et j'vois quoi ? J'vois ces petits enculés d'la 8ème qui décrochent avec une première partir des civils. Et voilà, comme que j'm'y attendais, c'est toujours la même musique. La Pénitentiaire, premiers devants, derniers partis. Putain d'chair à canon, ça me brise les valseuses pendant qu'les autres y s'tirent la fleur au fusil en faisant semblant qu'escorter les pécores c'est important. Alors d'accord y'en a deux trois qui crèvent en retenant les démons mais bon. C'est pas assez pour qu'on soit à égalité. Bref voilà c'est comme ça. Pendant que j'pense à tout ça j'en vois quelques uns qui s'retournent, des villageois qui regardent en l'air, des soldats aussi. Allez flippez pas, on a nos p'tits sorciers pour défoncer les trucs volants là ça craint rien. Bon quand même au cas où j'regarde quand même.
C'est pas des p'tits points noirs, comme tout à l'heure. C'est plutôt comme une grosse boule verte. D'la taille d'une maison. Avec des flammes. Qui tombe du ciel comme un putain d'boulet de catapulte. Bon ça sent encore la merde, pire que tout à l'heure et c'est pas que la faute à Ludo. On s'arrête tous un peu, on regarde c'qui nous arrive sur la gueule. Allez rideau le Chat, j'pense que j'laisse ma dernière vie d'matou dans ce bled de merde.
...
- "Infernal à trois heures, secteur deux, cent mètres, impact dans quinze secondes. Quatorze."
Le garde-funeste vient juste de tomber, à moitié congelé, transpercé par les hallebardes des soldats qui ont réussi à l'atteindre. La nouvelle de l'infernal me fait un frisson dans le dos, suivi d'un tremblement bref du cou. Je me retourne et je perd mon sang froid.
- "Et tu le repères que maintenant ?!"
Vaniel relève la tête, quittant la position qu'il garde depuis le début de l'opération : en tailleur, mains jointes, yeux fermés. Il me regarde avant de rétorquer sur un ton qui trahit la tension ambiante.
- "Tu veux savoir combien y a de démons dans le secteur, Ashryn ?! Tu veux vraiment savoir ?!"
De la sueur coule de son front, ses cheveux bruns sont plaqués contre son visage. Je l'observe silencieusement. La question n'en est pas vraiment une, évidemment. Mon coéquipier a beau ne jamais jeter un oeil à l'extérieur du clocher, il surveille depuis deux heures l'intégralité du champ de bataille, les yeux clôts. Chaque démon, chaque sortilège lancé, chaque civil. Il n'a pas le droit à la fatigue ni au stress dû aux sortilèges à répétition, comme moi. Mais il a droit à l'angoisse de celui qui doit surveiller mille choses à la fois et les hiérarchiser par ordre d'importance. Communiquer avec les deux autres équipes. Et surtout communiquer avec moi. Je le sais. Je me calme, je me retourne et il reprend sa posture. Assez vite je repère l'infernal en pleine chute. Il file droit sur un groupe de soldats. Immédiatement je prend une décision et je transmet.
- "Dis à l'équipe trois de ralentir la chute, je vais amortir le choc !"
Vaniel ne répond rien et j'enchaine. Le météore émeraude fend déjà les nuages et je vois le groupe de soldats se figer en regardant vers le ciel. Ils le voient pas, mais le projectile commence déjà à légèrement ralentir, mon collègue de la troisième équipe projetant un sortilège de lenteur massif. A mon tour je commence à psalmodier, l'énergie me quittant à nouveau en éléctrisant tous mes sens. La puissance accoule.
Il reste trois secondes avant l'impact lorsque je parviens à condenser suffisamment d'humidité dans l'air pour former une première structure de glace aérienne en plein sur la trajectoire du météore. J'imprime une courbe dans ma création et l'infernal ralenti glisse sur l'ensemble comme sur un étrange toboggan volant. Il remonte, puis retombe. Je l'intercepte avec une nouvelle création aux mêmes effets. L'infernal ralentis encore à chaque fois. A chaque contact les blocs glaciaux partent en poussière et les soldats en dessous doivent se couvrir d'une pluie de grêlons, mais ça reste mieux qu'un météore à pleine vitesse.
Une troisième structure dévie une dernière fois la trajectoire du démon qui va s'écraser presque mollement au milieu du groupe en armure. Ils ont tous eu amplement le temps de s'écarter, ou presque, et l'impact ne fait au bout du compte quasiment rien.
Seulement le danger ici ne s'arrête pas à l'impact et très vite l'immense démon couvert de feu se redresse au beau milieu de la cohue humaine. De mon côté j'arrache mon masque et je l'expédie sur le côté avant de retenir un haut le coeur. Je suis presque à sec. J'interpelle Vaniel.
- "J'ai besoin d'un cristal !"
La réponse vient immédiatement. Celle que j'attendais.
- "Tu en es déjà à trois en deux heures. C'est contraire au protocole."
Comme précédemment, je ne veux pas crier, mais je crie :
- "Le protocole ?! Tu veux aller le leur expliquer le protocole aux gars en bas ?!"
Il y a un silence. Un silence très bref, interrompu immédiatement par le hurlement typique d'un infernal, suivi des cris multiples d'une foule de soldats. Vaniel extirpe un gros cristal violet d'une caisse en métal posé à proximité, puis il me le lance en m'adressant un regard noir.
Je l'ignore. J'attrape le cristal, je le brise et j'absorbe toute l'énergie qu'il contient sans retenir un râle de satisfaction. Je me retourne en calmant un tremblement de son épaule droite, puis je dresse les mains en l'air en fixant l'assemblage de flammes et de roche maudite. Je réalise que mon épaule tremble encore, mais peu importe. Ceux en bas vont devoir tenir le démon le temps que j'incante, mais je vais l'abattre.
...
MÔMAN ! Y'a l'énorme poing en pierre avec plein d'flammes vertes dessus qui balance à côté moi et emporte un bout d'maison pis qu'écrase Jeannot et Pépé la Dure à la verticale comme des putains d'galettes. Quand il s'relève les copains c'est qu'une espèce de bouillie fumante encastrée dans l'sol. Là c'est l'bordel ça court dans tous les sens. La jolie ligne qui reculait comme un seul homme c'est loin derrière, en même temps sans déconner personne nous en voudra : y'a un infernal qu'est tombé du ciel, qu'a fait quelques glissades dans d'la glace magique pis qu'est tombé au milieu d'nous comme une putain de figue trop mûre. Sauf que cette figue elle s'est dépliée, elle a poussé un cri qu'a couché tout l'monde pis elle a commencé à envoyer des tatanes. Alors nous on trace. Enfin on s'organise. L'capo il est encore en vie il gueule des ordres, les démons ils continuent d'arriver et au milieu de la rue y a ce putain de monstre tombé du ciel qui fait le vide autour de lui et qui envoie des façades de maison en feu par terre. Les civils sont en tas derrière nous sur la place, comme des moutons avec des enfants qui pleurent dans les bras de leurs parents. Le capo il dit "reculez, RECULEZ VERS LA PLACE" mais un molosse rouge avec des dents plein la tronche et des tentacules qui lui sortent du cul me chope le bras et me balance par terre au moment où y'a tout un morceau d'toiture et une pluie d'briques et d'bouts de charpente qui m'tombent sur la gueule. J'perds Titine des mains mais j'sors mon canif de la botte et j'ouvre le bide de la saloperie sur moi, elle me vide sa tripaille sur la tronche en même temps que j'prends un coin de tuile en plein front. Il va faire tout noir, ta gueule.
J'cligne des yeux, j'ai des p'tits zozios qui m'tournent autour de la tête. J'entends des bruits étouffés autour de moi comme si j'avais la tête bien bien au fond d'mon cul. Pis c'est un peu flou, comme au ralenti, y'a des formes qui bougent, surtout une grosse qui décanille des p'tites. Y'a plein d'lumières, du rouge qui danse pis du vert, pis des trucs bleus. Y'a d'l'écho sourd, moelleux. J'suis bien là, par terre. J'crois jvais dormir un peu, en vrai j'suis crevé. Mais y'a une silhouette qui vient vers moi et j'crois entendre comme si c'était de super loin ou à travers un bâillon "debout chat debout". J'ouvre les yeux un peu. J'entends mieux le bordel autour de moi. Ca gueule, ça fracasse, ça pleure. J'reviens à moi, j'ai du sang plein la gueule. C'est Pine-d'huître au dessus de moi. "DEBOUT CHAT LA CON DE TOI BOUGE TON CUL." qu'il me gueule et y me tire des gravats. Moi j'essaye d'me relever de retrouver Titine dans tout ce merdier. La maison elle s'est écroulée à côté de moi, j'ai eu du cul.
Enfin du cul. J'me retourne avec Titine entre les pognes, pour voir l'infernal choper cette petite pédale de Bousquet et lui séparer les jambes du reste. Lui qui cirait ses bottes tous les jours, il gueule en les voyant prendre le large pendant qu'y a sa tripe qui pend comme des chapelets d'saucisse. En bas de tout ça, dans les ruelles au milieu du village en feu y'a les gars d'la Pénitentiaire, des gars d'la 8ème et même trois paladin d'la Croisade d'Argent qui se battent contre les démons qu'arrivent d'plus en plus nombreux. Le capo il nous voit à Pine-d'huître et moi en train de bader la sacque sur les gravats. Il attrape son sifflet, il souffle dedans et il nous gueule :
- "OH LES DEUX CONNARDS VOUS ALLEZ VOUS SORTIR LES DOIGTS OU JE VOUS FAIS TAILLER LES OREILLES." qu'il gueule.
Dans un aut' régiment un truc comme ça c'est un peu quand ta môman elle te dit quand t'es môme que si tu vas pas te coucher elle va appeler le grand méchant troll. Dans la Pénitentiaire quand un mec te dit qu'il va te tailler les oreilles, il va te tailler les oreilles. Bon bref, alors Pine-d'huître et moi on s'regarde, pis on beugle comme des ânes et on saute des gravats pour foncer dans la mêlée et taper l'premier truc à portée, pis quand même en essayant rester loin de celle du gros infernal, de portée. Attends, pas cons les types.
...
Le sang bats contre mes tempes de plus en plus fort à mesure que je tisse le sortilège. Les soldats qui osent encore s'opposer à la machine de siège mobile sont balayés comme des fétus de paille, une paire de jambes a même percuté le clocher en arrachant quelques ardoises, à deux mètres de moi. Les stries bleues apparaissent sur toute la surface du démon, de plus en plus nombreuses. Personne ne les voit dans le chaos des combats, mais pour moi elles sont comme autant de petites victoires arrachées sur les énergies du Néant. Je tisse mon filet et lorsqu'enfin il est achevé, toutes les marques s'activent d'un seul coup et l'infernal se retrouve enfermé dans un épais bloc de glace, haut comme une maison.
Les soldats encore présents autour s'immobilisent, l'air de ne pas savoir s'ils doivent se réjouir ou non. Plus rien ne bouge, mais la création démoniaque continue de fulminer de l'intérieur. Sans que personne n'en ai conscience, c'est un véritable bras de fer qui s'engage alors entre moi et la magie qui anime le tas de rochers. Et comme pour un véritable bras de fer, de l'extérieur il ne se passe presque rien. Des tremblements agitent la glace. Des fissures se créent desquelles s'échappent des gerbes de flammes. Des sifflements retentissent en tous sens à mesure que de la vapeur s'échappe de l'iceberg enchanté, donnant l'impression que la glace hurle sous l'effort.
Ce hurlement, il fait écho à celui que j'aimerai pousser si je n'étais pas occupé à psalmodier incantations sur incantations. Je colmate une brèche ici, j'éteins une flamme là. Je fais grimper la pression exercée sur la structure de ma cible, encore et encore. Je ne le remarque même pas, mais mes bras sont tendus vers l'avant, mes mains tournées l'une vers l'autre, comme si j'allais physiquement pulvériser le démon en contrebas. Je sue. Je sue comme un animal et je dois trembler autant qu'un alcoolique en manque. Pire que ça, même. La pression que la magie exerce se propage dans mon esprit. La pression de l'esprit se propage dans mon corps. Mes jambes menacent de céder sous mon poids et j'ai l'impression que mes bras vont exploser sous la pression alors que je ne porte rien. Je vais me rompre sous un effort qui n'existe que dans ma tête.
Et finalement c'est moi qui hurle. Je mets toute forme d'incantation de côté et la subtilité académique laisse place à un pur et simple duel de volonté. Celle de l'infernal qui souhaite poursuivre son carnage face à la mienne qui souhaite l'arrêter.
Je suis trop fier pour céder. Trop fier pour être raisonnable. Les siècles d'entraînement me l'interdisent. L'oeil violet placardé sur mon tabard me l'interdit. Je suis un mage de bataille. Je suis le Kirin Tor. Dalaran ne cèdera pas. Dalaran ne cèdera pas. Dalaran ne cèdera pas !
Cela ne dure qu'une fraction de seconde avant qu'enfin un craquement dantesque ne retentisse à travers le champ de bataille. Une faille diagonale scinde le bloc de glace en deux et immédiatement tous les soldats s'éloignent pour échapper à la fureur du démon qui va se libérer. Mais les failles se multiplient, une dizaine, une centaine maintenant. Tout s'effondre et l'infernal avec, réduit en morceaux avec sa prison. Des milliers d'éclats de glace se répandent au sol en même temps que les débris noirâtres de l'ennemi vaincu.
De mon côté je m'effondre alors que la pression retombe d'un seul coup. Je m'écroule, mais pour mieux me relever dans la foulée, électrisé par la réussite. Rien ne m'arrête. J'ai l'impression de pouvoir déplacer des montagnes. Non : de pouvoir briser des montagnes. La corruption magique ne fait qu'un tour dans mon esprit et ma réussite ne me laisse qu'une seule chose en tête : recommencer. Réduire en poussière tous ces démons. Ici et maintenant.
...
MAIS C’EST QUI LES CABOURDS QUI CROIVENT QUE C’EST MALIN D’ENFERMER UN TRUC EN FEU DANS UN TRUC EN GLACE PUTAIN. Ca s’fissure dans tous les sens il va sortir on va crever ! J’sens l’truc venir, j’écrase Titine dans le premier démon qui fonce sur moi et j’commence à reculer dans la rue. Ca fume, ça craque, ça siffle comme une putain d’chaudière. J’entends Pine-d’huître qui appelle sa môman lui aussi. Mais en fait non, tout d’un coup l’truc s’éclate comme du verre brisé et le gros machin tombe en morceaux. Ça m’dégage la vue sur le clocher. J’vois les pimbêches du Kirin Tor, là-haut. On dirait ils ont pris la foudre. C’est eux qu’ils ont fait ça ? Bon on s’en branle, on réfléchira à ça plus tard. Ou pas du tout, même. L’infernal c’est du gravier fumant et j’suis pas cané, c’est déjà pas mal.
Maintenant faut gérer la suite. Et vite. Parce que même que si on a un problème en moins sur les bras, y’en a des tas d’autres qu’arrivent. On continue d’reculer dans la rue, j’entends des cors sonner. C’est à nous, ça veut dire « tirez-vous d’là ». Enfin non en vrai ça veut dire « premier groupe dehors, deuxième groupe en suivant ». C’était ça l’plan. Sauf qu’y a un grand coup d’tonnerre un peu vert, pis y’a un autre cor qui sonne. Pas à nous celui-là, il vrille les tympans. J’lâche Titine pour m’boucher les oreilles en beuglant, j’saigne du nez. J’me retourne pour regarder la barricade et j’la vois exploser au milieu des maisons enflammées, avec quelques gars à nous dessus qui finissent en charpie, pis y’a toute une cohorte de gros démons bien méchants aux veines bien gonflées qui sortent du feu et débarquent en rangs serrés. Des gangregardes qui chantent en même temps dans un truc qui fait « kar’gurlaka kar’gurlaka kar’gurlaka » et qui m’fout les foies, et devant-eux y’en a un plus grand, plus vilain, avec des lames sur son armure et une épée qu’on dirait c’est de la lave. Bon au cas où qu’on était pas sûrs jusque là, bah là on est sûr : on est foutu.
Les paladins qui sont là ils gueulent des prières et ils foncent dans le tas et leur lumière éloigne les ombres. Le capo –qu’est quand même un sale trou du cul- il voit ça et il pointe son épée en gueulant « CHARGEZ » et c’qui reste d’la Pénitentiaire elle fait « AHOU AHOU » et elle fonce.
Mais pas moi et Pine-d’huître. Parce que Pine-d’huître ça a beau être une tantouze il est quand même malin. J’allais courir, y m’retient, j’y vais pour lui mettre une baffe mais y m’dit « regarde » et moi j’regarde. Dans la rue y’a des gravats fumants, des morceaux de poutre qui brûle, et plein de cadavres. Des à nous. Des à eux. J’comprends pas, mais Pine-d’huître y m’tire par le col et on s’cache à moitié derrière un muret qui tient encore debout. A nos pieds y’a des mecs d’la 8ème qui se sont fait dézinguer. Pine-d’huître il arrache son tabard d’la Pénitentiaire, pis il prend celui d’un des mecs canés et il le met, et il met aussi le casque et il se tartine la trogne de cendre et de sang pour se planquer. Oh le con. Putain j’fais pareil en vitesse, y’a pas b’soin d’me le dire deux fois. Parce que vu c’qu’on entend les autres qu’ont couru après l’capo ils passent pas un bon moment, d’là où que j’suis j’vois même Tony voler dans les airs avec une gerbe de sang pis se fracasser dans la toiture d’une cahute en flamme qui s’effondre sur lui.
Pine-d’huître détale comme un lapin sans s’retourner, j’fais pareil. On prend une ruelle entre deux maisons pour pas s’faire voir, on défonce un gangrechien qui s’trouvait là en train de bouloter un type crevé et on évite d’justesse de se faire écrabouiller par une façade qui tombe à cause d’une autre explosion. Pine-d’huître il trébuche, j’le relève pas c’est un grand garçon. Il m’dit que j’suis un connard mais il s’relève et on continue de bomber. On déboule sur la p’tite place avec tous les civils paniqués et les mecs de la 8ème qui sont bien occupés et qui nous regardent pas trop du coup ils croivent on est avec eux. « ON DECROCHE » qu’il gueule leur capo à eux. Alors tout l’monde se tire en encadrant les pécores, nous on fait pareil. Y’a des démons qui déboulent au compte-goutte, y’a des mecs qui s’arrêtent pour les retenir. Pas moi. On continue et on sort du village par l’aut’ côté, on monte sur une colline à la lisière d’la forêt toute pelée où y’a d’autres paladins et quelques chevaliers pis même des mages qui viennent d’arriver et qui encerclent les civils pour les protéger. C’est bon on va s’en sortir putain. Bon faudra quand même prendre la poutre d’escampette à m’en-donné parce que si y s’rendent compte qu’on est d’la Pénitentiaire et pas d’la 8ème on va finir sur l’échafaud. Mais ça c’est une autre histoire pour l’instant on fait profil bas et on suit l’mouvement.
J’me retourne un coup pour regarder vers le village. Môman mais quel bordel. Ca reflue sur la p’tite place, j’vois plus qu’un seul paladin pis nos gars et même le capo au milieu des démons qui sont super nombreux et qui galopent dans tous les sens. Y’a les gros au milieu qui ravagent la dernière ligne pendant qu’y a encore plein d’civils qui essayent d’se regrouper ou qui courent comme des poulets sans tête. Tout c’petit monde ça fait comme une foule sur la place, avec les démons qu’arrivent de chaque rue pour les encercler, couper leur retraite et les bouffer. Même l’église elle commence à prendre feu. Y sont une centaine là en bas, au milieu du grand incendie des maisons et de l’énorme merdier, et j’me dis que quand même j’ai bien fait d’me casser parce que j’me bouffe les couilles si y’en a un seul qu’en réchappe. Tant pis pour eux, tout l’monde il a pas la chance d’avoir les neuf vies du Chat. Pour sûr qu’j’en ai laissé une en bas, mais c’était pas la dernière, pute-borgne !
...
Tout autour du clocher : c'est l'anarchie. Une partie des troupes se sont repliées, l'autre partie est bloquée sur la place en dessous. L'équipe numéro trois a été pulvérisée quand son abri s'est prit un énorme éclair de foudre verdâtre. L'équipe une et quatre se sont téléportées à l'extérieur pour couvrir les civils déjà évacués. Ne reste qu'une poignée de paladins presque morts, un peloton de fantassins de l'Alliance, Vaniel et moi. Lui, il invoque la procédure depuis deux minutes : la place est perdue, on se téléporte au point de repli et on attend les instructions. Moi, dans ma tête, je peux prendre toute la légion ardente tout seul à ce moment là. Après un débat qui ressemble de plus en plus à une esclandre de taverne, j'arrive à lui arracher un nouveau cristal et une minute pour lancer un dernier sortilège.
Il va voir, Vaniel. Il va voir ce que je vais déchaîner. Il restera plus que des confettis de toute cette masse hurlante et grouillante. L'église est en feu ? Je vais l'éteindre avec. Rien m'arrêtera. Je sens l'inquiétude dans son regard quand je me retourne vers le bord du clocher, mais je l'ignore. Il ose rien me dire parce que j'ai l'ancienneté, mais il aimerait. Peu importe. Je m'avance sur le rebord de mon perchoir comme un prince apparaît devant sa cour. Je lève les bras vers le ciel et je commence à incanter.
L'anneau de givre que je tisse autour de la place passe parfaitement inaperçu au départ. Il serpente entre les combattants, éteignant les flammes là où il passe. Le chaos en contrebas est absolu, plus de ligne, plus de rien, juste des formes éparpillées qui s'écharpent et un gros tas de civils en cercle au milieu avec quelques paladins qui bataillent pour les protéger. Le flux de démons s'est arrêté, mais ils sont plus nombreux, beaucoup plus nombreux.
Pour moi c'est une évidence : ils vont tous mourir. Mais les démons aussi avec.
Le cercle n'en est pas vraiment un, la marque givrée que je fais circuler à travers le champ de bataille est bien plus grossière. Je dessine une zone d'effet. Je zigzague.
Après une dizaine de secondes, Vaniel réalise que je suis en train de presque tout contourner. Civils inclus. Il interprète ça comme une erreur et me met en garde. Il me dit que je fais trop large. De réduire. Je ne réduis pas, je continue. Les civils vont tous mourir à ce rythme de toutes façons. Si je fais plus large : je tue plus de démons. Je lance un sortilège plus puissant. Mes bras tremblent à nouveau mais je continue.
- "Ashryn ! C'est trop large ! Qu'est-ce que tu fais !"
Je l'ignore. Ses cris sont de plus en plus lointains et le sang qui bat dans ma tête fait que je ne les entend plus après encore quelques secondes. En contrebas certains fantassins commencent à remarquer le cercle qui termine de se tracer. Ils réalisent qu'ils sont du mauvais côté de l'aire d'effet. Certains fuient, tant mieux. Les paladins et les démons sont trop enragés pour remarquer quoique ce soit. Il n'en reste presque plus, de paladins, de toutes façons. Deux, bientôt plus qu'un. Les civils sont entassés comme un banc de poisson. Les enfants au centre, le reste sur les bords. Finalement certains démons les atteignent et le carnage commence. Une tête vole. Une femme se fait dévorer. Tout le monde hurle, mais je n'entend plus rien : je trace mon cercle.
Soudain un démon vient me saisir par derrière. Je ne sais pas comment il a réussi à grimper, mais je ne peux pas manquer mon incantation à cause de lui. D'un brève pression du poing sur une parcelle d'armure j'active un système défensif enchanté. Des épieux de glace émergent de mon dos et transpercent l'ennemi qui tente de me tirer en arrière. Il me lâche. Je me reconcentre.
Il ne reste plus qu'un paladin presque mort en contrebas, les civils commencent à se faire massacrer. Une dizaine de fantassins rampent ça et là, ou bien font mine d'être déjà tués. La marque glaciale parcours ses derniers centimètres et enfin la boucle est bouclée. Une lumière azurée extrêmement vive illumine toute la place centrale et un vent digne de la couronne de glace forme un vortex circulaire devant moi. Ca ne dure que deux, peut-être trois secondes. Toute la zone ciblée voit la température baisser de presque une centaine de degrés.. Les alentours sont balayés par une brise gelée qui éteins la plupart des flammes. Intérieurement je jubile, mais mon propre corps commence à céder sous la pression. Je n'ai plus de mana. J'ai tout donné.
Lorsque le vortex s'apaise, une petite armée de statues de glace se tient en contrebas. Démons et soldats. Femmes et enfants. Quelques longues secondes de silence passent avant que les silhouettes ne se brisent d'elle-même dans un fracas sans nom, se dispersant sur la place centrale comme autant de minuscules éclats de verre luisants. Les survivants aux alentours de la zone tournent leurs regards vers mon promontoir. Personne ne crie victoire. Personne ne dit rien, en vérité. Le silence me frappe davantage que le vacarme qui occupait le village peu avant.
Je me retourne pour chercher Vaniel et je le trouve allongé derrière moi dans une mare de sang, transpercé en une dizaine d'endroits, son armure violette parcourue d'arcs électriques irréguliers.
Je sens ma tête qui tourne. Je porte une main à mon visage et je ne sens plus rien. Je griffe ma propre peau pour ressentir quelque chose. Je hurle. Je pleure. J'ai un mal de chien. Je vomis. Tout mon corps convulse et je m'écroule. Puis tout s'arrête. Tout s'assombrit, tout devient noir. Le silence est remplacé par des cris, mais je n'entend à nouveau plus rien.
Je crois que je vais mourir, mais non. Pas encore. Pourtant à ce moment là, j'aurai préféré.
Camille Chat- Citoyen
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Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat se retourne dans son sac de couchage malodorant, étendu au milieu de ses petits camarades. Ils sont tous là, essayant de dormir malgré les ronflements et l’odeur de graisse animale qui se dégage du grand hall faisant office de dortoir. Des poêles brûlent, rendant l’atmosphère aussi chaude qu’étouffante. Le matou insomniaque gigote dans son cocon en peau de phoque, change de côté, grogne et se relève sur les coudes pour observer méchamment ses collègues dans la pénombre. Là, un gros lard trompette si fort que ses moustaches tremblent. Ici, l’ancien taulard devine les contours d’un joli minois qu’il connait bien et dont le sommeil adoucit les traits pour faire de la dormeuse une jeune fille insouciante. Plus loin, deux corps vaguement enlacés auxquels le Chat décoche une œillade pleine de malédictions.
La compagnie Rétribution a mis les voiles vers le Nord et ses mercenaires ont établi leurs quartiers à Nanurjuk, un village de pêcheurs roharts qui s’accroche la banquise de la Toundra Boréenne. Chose peu commune pour une entreprise aux tarifs si élevés, le client est un homme-morse qui a promis de payer le capitaine Assast Aldwin en ivoire et en fourrures si ce dernier vient en aide aux autochtones. Les négociations ayant eu cours entre la direction et le chasseur de baleines n’intéressent guère Camille. Les rafales, le froid mordant et la buée qui sort de son mufle rappellent juste au matou cette époque où, plus jeune, il avait été déployé pour la première fois sur ce même territoire avec le reste de la Division Pénitentiaire. C’est ici qu’il avait connu l’horreur de la guerre, lorsqu’avec le Gros Dédé, Féfé, Pine d’huître et Momo de la Marche, il avait crapahuté des ruines des Courcinglants à la Transborée.
Le repris de justice se renfonce dans son couchage et grommelle pour lui-même. Il peste contre le froid, il maudit cette terre gelée sur laquelle il fit ses armes de la pire des manières, il murmure des insultes à l’adresse de ses officiers de l’époque, et de ceux d’aujourd’hui, puis il songe sans le faire exprès à son copain Momo qui, comme tant d’autres, ne ressortit jamais d’Azjol-Nerub. Les paupières se scellent, l’esprit vagabonde : quelques pensées vont vers des rouquines, des bronzées et plus généralement toutes les mésanges du secteur. Il se tripote un peu la nouille, sans conviction, et sombre dans le sommeil en se mettant lui aussi à ronfler comme un magnataure.
J’me réveille alors dans mon rêve, au milieu d’une taverne. C’est la grande fête ! Y’a de la musique, il y a des clients par dizaines, il y a des serveuses bien en chair qui vont de table en table meules à l’air et les bras chargés de pintes mousseuses. Toute la putain de compagnie est là. Et vas-y que ça rigole, que ça fait des blagues de cul, que ça parle fort et que ça chahute. J’suis jouasse, bordel ! Tout le monde trinque, on joue aux dés pipés et aux cartes, y’a même Bala pis Lolo l’Asticot. J’fini d’éclater cette petite salope de Dagern au bras d’fer -alors que lui il est dans sa forme de clébard- et tout l’monde m’acclame quand y’a le Druss qui vient m’taper sur l’épaule.
-« Allez l’matou en piste » qu’il me dit. « Tout l’monde attend ta chanson. »
Alors moi j’dis « d’accord » pis j’y vais pour monter sur une table. Tout l’monde me regarde j’suis l’centre du monde. J’me mets debout au milieu de la taverne et l’Druss il dit « pour l’Champion HIP HIP HIP » et tout l’monde il crie « HOURRA ». Ils font ça plein d’fois d’affilée, ils m’adorent. Alors moi j’enlève mon maillot d’corps, tout l’monde il voit mes tatouages ils font « woouuuaaah » j’vois les yeux des nana briller. J’renifle, ça sent la mouille. Héhé. J’tousse dans mon poing, j’bois une pinte d’un trait pour m’nettoyer la gorge pis j’chante la chanson qu’j’ai inventée et que tout l’monde connait sur Azeroth, surtout la première ligne. C’est parce qu’elle s’appelle « les gars d’la première ligne. » Ca fait comme ça :
« Oh canaille, tu tends tes esgourdes,
Tes jambes tremblent, ton oeil cligne,
Vl'à qu'charge la cavalerie lourde !
C'est bien les gars d'la première ligne !
On aime le fer et la castagne,
Dans le feu jamais on s'esbigne,
Notre armure pour seule compagne,
C'est nous les gars d'la première ligne ! »
Tout l’monde tape dans ses mains en rythme, et sur les tables et sur les poutres. Tous les yeux sur moi. J’vois Pélissier et la Louve qui sourient. J’vois ce fils de pute de Brisby et le Bleu et ils sont bien jaloux j’vous le dis. Durconnard le nabot aussi, il s’en mord la barbe ce trou du cul. Mais ils chantent quand même, parce que c’est des gars d’la première ligne.
« Les coups qui pleuvent et l'sang qui chauffe,
Nous c'est pour l'or qu'on prend des pignes !
Au bon Capitaine, en catastrophe,
On dit : ça c'est votre première ligne !
Au galop dans l'souffle du dragon,
A Vaillance et sans rechigne,
En Désolace face aux démons,
Solides ces gars d'la première ligne !
Face à la mort jamais ne tremble,
Dans la bagarre toujours digne,
On avance et on crève ensemble,
C'est ainsi dans la première ligne !
Ami quel que soit ton poison,
Whisky vodka ou jus de vigne,
Lève donc ton verre vers le plafond,
Et trinque aux gars d'la première ligne !»
La salle entière beugle la dernière phrase avec moi, tout l’monde lève sa pinte et c’est cul-sec général. Olala, c’est génial. Gatsi Farey il anime la foule : « ATCHIK ATCHIK ATCHIK » qu’il dit, et la compagnie elle fait « AYE AYE AYE ». J’ai l’cœur qui bat fort fort dans ma poitrine. Le Capitaine, le Lieutenant qu’est un peu not’ môman à tous et l’Adjudant Trapp ils sont côte à côte au fond, ils me regardent avec plein de fierté dans les yeux. Bala il dit « hé c’est mon frangin, c’est mon frangin ». L’Asticot y vient m’voir y m’dit « plus tard j’serai comme toi le Chat. » J’lui dis qu’c’est pas facile d’arriver au niveau mais qu’il a qu’a essayer c’est d’jà bien. La p’tite Alieg elle me met une couronne d’fleurs sur la tête pendant que Charlie la connasse et Chani l’autre connasse elles se foutent sur la gueule pour savoir c’est qui qui va venir dormir avec moi dans ma peau de phoque. Au final j’vais baiser les deux et en même temps, pis même on peut y rajouter la Thes et Tanja teh. Alors j’me fais pas d’soucis et la fête elle reprend de plus belle. On s’amuse, on siphonne tout c’que la taverne elle a comme tize puis on va en assécher une autre en se marrant comme des loubards et en se tapant franchement dans le dos. Putain j’adore, si ça pouvait êt’ comme ça tous les jours.
…
Et allez, j’me réveille encore. Si je chope l’enculé qui vient d’lâcher une caisse je lui colle une châtaigne, foi de Chat.
La compagnie Rétribution a mis les voiles vers le Nord et ses mercenaires ont établi leurs quartiers à Nanurjuk, un village de pêcheurs roharts qui s’accroche la banquise de la Toundra Boréenne. Chose peu commune pour une entreprise aux tarifs si élevés, le client est un homme-morse qui a promis de payer le capitaine Assast Aldwin en ivoire et en fourrures si ce dernier vient en aide aux autochtones. Les négociations ayant eu cours entre la direction et le chasseur de baleines n’intéressent guère Camille. Les rafales, le froid mordant et la buée qui sort de son mufle rappellent juste au matou cette époque où, plus jeune, il avait été déployé pour la première fois sur ce même territoire avec le reste de la Division Pénitentiaire. C’est ici qu’il avait connu l’horreur de la guerre, lorsqu’avec le Gros Dédé, Féfé, Pine d’huître et Momo de la Marche, il avait crapahuté des ruines des Courcinglants à la Transborée.
Le repris de justice se renfonce dans son couchage et grommelle pour lui-même. Il peste contre le froid, il maudit cette terre gelée sur laquelle il fit ses armes de la pire des manières, il murmure des insultes à l’adresse de ses officiers de l’époque, et de ceux d’aujourd’hui, puis il songe sans le faire exprès à son copain Momo qui, comme tant d’autres, ne ressortit jamais d’Azjol-Nerub. Les paupières se scellent, l’esprit vagabonde : quelques pensées vont vers des rouquines, des bronzées et plus généralement toutes les mésanges du secteur. Il se tripote un peu la nouille, sans conviction, et sombre dans le sommeil en se mettant lui aussi à ronfler comme un magnataure.
J’me réveille alors dans mon rêve, au milieu d’une taverne. C’est la grande fête ! Y’a de la musique, il y a des clients par dizaines, il y a des serveuses bien en chair qui vont de table en table meules à l’air et les bras chargés de pintes mousseuses. Toute la putain de compagnie est là. Et vas-y que ça rigole, que ça fait des blagues de cul, que ça parle fort et que ça chahute. J’suis jouasse, bordel ! Tout le monde trinque, on joue aux dés pipés et aux cartes, y’a même Bala pis Lolo l’Asticot. J’fini d’éclater cette petite salope de Dagern au bras d’fer -alors que lui il est dans sa forme de clébard- et tout l’monde m’acclame quand y’a le Druss qui vient m’taper sur l’épaule.
-« Allez l’matou en piste » qu’il me dit. « Tout l’monde attend ta chanson. »
Alors moi j’dis « d’accord » pis j’y vais pour monter sur une table. Tout l’monde me regarde j’suis l’centre du monde. J’me mets debout au milieu de la taverne et l’Druss il dit « pour l’Champion HIP HIP HIP » et tout l’monde il crie « HOURRA ». Ils font ça plein d’fois d’affilée, ils m’adorent. Alors moi j’enlève mon maillot d’corps, tout l’monde il voit mes tatouages ils font « woouuuaaah » j’vois les yeux des nana briller. J’renifle, ça sent la mouille. Héhé. J’tousse dans mon poing, j’bois une pinte d’un trait pour m’nettoyer la gorge pis j’chante la chanson qu’j’ai inventée et que tout l’monde connait sur Azeroth, surtout la première ligne. C’est parce qu’elle s’appelle « les gars d’la première ligne. » Ca fait comme ça :
« Oh canaille, tu tends tes esgourdes,
Tes jambes tremblent, ton oeil cligne,
Vl'à qu'charge la cavalerie lourde !
C'est bien les gars d'la première ligne !
On aime le fer et la castagne,
Dans le feu jamais on s'esbigne,
Notre armure pour seule compagne,
C'est nous les gars d'la première ligne ! »
Tout l’monde tape dans ses mains en rythme, et sur les tables et sur les poutres. Tous les yeux sur moi. J’vois Pélissier et la Louve qui sourient. J’vois ce fils de pute de Brisby et le Bleu et ils sont bien jaloux j’vous le dis. Durconnard le nabot aussi, il s’en mord la barbe ce trou du cul. Mais ils chantent quand même, parce que c’est des gars d’la première ligne.
« Les coups qui pleuvent et l'sang qui chauffe,
Nous c'est pour l'or qu'on prend des pignes !
Au bon Capitaine, en catastrophe,
On dit : ça c'est votre première ligne !
Au galop dans l'souffle du dragon,
A Vaillance et sans rechigne,
En Désolace face aux démons,
Solides ces gars d'la première ligne !
Face à la mort jamais ne tremble,
Dans la bagarre toujours digne,
On avance et on crève ensemble,
C'est ainsi dans la première ligne !
Ami quel que soit ton poison,
Whisky vodka ou jus de vigne,
Lève donc ton verre vers le plafond,
Et trinque aux gars d'la première ligne !»
La salle entière beugle la dernière phrase avec moi, tout l’monde lève sa pinte et c’est cul-sec général. Olala, c’est génial. Gatsi Farey il anime la foule : « ATCHIK ATCHIK ATCHIK » qu’il dit, et la compagnie elle fait « AYE AYE AYE ». J’ai l’cœur qui bat fort fort dans ma poitrine. Le Capitaine, le Lieutenant qu’est un peu not’ môman à tous et l’Adjudant Trapp ils sont côte à côte au fond, ils me regardent avec plein de fierté dans les yeux. Bala il dit « hé c’est mon frangin, c’est mon frangin ». L’Asticot y vient m’voir y m’dit « plus tard j’serai comme toi le Chat. » J’lui dis qu’c’est pas facile d’arriver au niveau mais qu’il a qu’a essayer c’est d’jà bien. La p’tite Alieg elle me met une couronne d’fleurs sur la tête pendant que Charlie la connasse et Chani l’autre connasse elles se foutent sur la gueule pour savoir c’est qui qui va venir dormir avec moi dans ma peau de phoque. Au final j’vais baiser les deux et en même temps, pis même on peut y rajouter la Thes et Tanja teh. Alors j’me fais pas d’soucis et la fête elle reprend de plus belle. On s’amuse, on siphonne tout c’que la taverne elle a comme tize puis on va en assécher une autre en se marrant comme des loubards et en se tapant franchement dans le dos. Putain j’adore, si ça pouvait êt’ comme ça tous les jours.
…
Et allez, j’me réveille encore. Si je chope l’enculé qui vient d’lâcher une caisse je lui colle une châtaigne, foi de Chat.
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Café-chaussette
C’est toi divin café, dont l’aimable liqueur
sans altérer la tête épanouit le cœur.
Ainsi, fatigué par autant de citoyens peu sages,
Avec plaisir encore je goûte ton breuvage.
Que j’aime à préparer ton nectar précieux !
Même le Major n’usurpe chez moi ce soin délicieux.
Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine,
Au Lion d’or fait succéder l’ébène :
Moi seul, contre la noix qu’arment ses dents de fer,
je fais en te broyant crier ton fruit amer.
Poème anonyme retrouvé dans un casier de la Garde de Hurlevent.
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Camille Chat est accroupi dans le creux d’une falaise, à peine protégé des vagues qui viennent mordre ce bout de côte tourmenté, quelque part sur le littoral de la rade de Tiragarde. Le matou et ses quatre compagnons d’infortune grelottent, trempés sous le ciel gris. Leurs dents claquent, leurs corps s’agitent de tremblement incontrôlables tandis qu’ils se resserrent en évitant de glisser sur le guano des sternes qui nichent au-dessus de leurs têtes. Les uniformes collent à la peau à cause du sel et de l’humidité. Une pluie fine tombe, vicieuse, et glace les taulards jusqu’aux os.
Les gars de la Pénitentiaire, accrochés là comme une grappe de bernacles à marée basse, sont au comble de l’inconfort. Pas l’inconfort du citadin qui enfile son doublet en fourrure lorsque la bise se lève, ni celui pourtant harassant du paysan qui doit rentrer son bétail même sous l’averse. Non, il s’agit de celui qui brasse ensemble épuisement physique, abattement moral, faim et désespoir. Lorsque vos vêtements sont trempés sans jamais sécher, que le froid pénètre votre sang, que votre estomac se tord et que la fièvre fait brûler votre front. Lorsqu’on ne peut s’assoir faute de place, et qu’on ne peut rester debout sans tomber. Quand la moindre parcelle de votre être vous fait souffrir et qu’il n’y a nul espoir de salut. C’est dans cet inconfort là que siègent les prisonniers, celui qui murmure de tout abandonner d’une voix maternelle. Plus tôt, d’ailleurs, l’un des bagnards s’est fait emporter par une vague plus véhémente que les autres. Sans se débattre. Il a simplement glissé du rocher, jusque dans l’eau, et a lentement disparu dans l’écume après un regard lassé à ses camarades qui disait à peu près cela : « dommage, tant pis ».
Mais dans des instants tourmentés comme celui-là, où chacun prie pour que tout s’arrête, des héros se dressent. Leurs seules actions font renaître l’espoir et la détermination dans les cœurs meurtris, et c’est d’un simple geste qu’ils écartent les nuages pour faire briller le soleil d’un lendemain radieux où la désolation de ce jour ne sera plus qu’un lointain souvenir. Ces braves sont ceux qui dressent l’étendard dans le combat indécis, qui posent sur l’épaule la main fraternelle et qui offrent leur vie pour sauver celle d’autrui. Ensemble, ils chassent les ténèbres et soufflent sur cette étincelle de vie qui anime tout un chacun et qui parfois vacille. Ils impriment l’impulsion, relancent le battement. Ces grands parmi les hommes sont Anduin Lothar, Uther le Porteur de Lumière ou Varian Wrynn. Et ils sont aussi Camille Chat, car les actes héroïques qui réchauffent l’âme ne résument parfois aux choses les plus dérisoires.
Je retire ma botte en tirant d’un coup et j’la retourne pour vider la flotte. Y’a même un p’tit crabe qu’en tombe, bien écrabouillé. Merde, c’est ça qui m’piquait le talon ? Fait chier, tout est trempe. J’regarde autour de moi : que des têtes de cabots battus. Des grands yeux tristes, des mecs à bout quoi. Moi aussi j’en peux plus. On a passé la nuit-là, ces enfoirés du galion devaient venir nous chercher hier avec leurs chaloupes. Si on essaye de longer la falaise, la marée nous rattrape. Si on essaie de grimper, la terre s’effrite sous nos mains. Willy a essayé, et l’truc que tu vois flotter là-bas entre les deux rochers c’est lui, tronche vers les fonds. Y’a d’la poiscaille qui vient par en dessous lui picorer la gueule, si fort qu’ça fait tout bouger et qu’on dirait qu’il se poêle en regardant un truc marrant au fond de l’eau. Bref on est dans la panade encore une fois, et bordel j’donnerai bien Môman contre un bon feu, un lit douillet et une putain d’oie rôtie.
Mais voilà on est là comme des cons à attendre qu’on vienne nous chercher alors qu’on sait très bien qu’personne il va venir nous chercher. C’est toujours comme ça à la Pénitentiaire : la racaille on s’en branle, « bonne qu’à crever » qu’elle dit le Colonel. Alors on s’démerde, et ceux qu’on pas les couilles ou qu’on pas la force ils canent. C’est comme ça. « C’est l’ordre des choses » qu’il dirait Pine-d’huître, si il s’était pas fait séparer en deux portions hier par une espèce de moule géante.
Quitte à passer l’arme à gauche sur ce rocher de merde, j’vais griller ma dernière cartouche. Tant pis j’me le gardais pour plus tard, mais cette fois on dirait bien qu’y aura pas d’plus tard alors autant y passer avec un truc chaud dans l’bide. C’est du café que j’ai, moulu et tassé dans cette p’tite poche en cuir là. On l’a acheté à Boralus avec Pine-d’huître parce qu’on aime bien ça. Ca réchauffe, ça réveille, ça enlève la gueule de bois pis ça fait passer l’temps. Quand tu bois le « kawa » comme qu’ils disent les dockers d’là-bas, bah tu discutes. Tu retardes le moment chiant où que tu dois faire le truc qu’on t’a demandé d’faire. T’es là tu bades la saque tu tchatches de tout pis de rien pis même de trucs qu’tu t’en fous un peu mais bon au moins t’es là, et pas là-bas entre d’faire un truc casse-couilles.
J’dis à Alphonse et la Turlute –Fonfon et Tutu qu’on les appelle- d’faire une bâche avec leur cape pour cacher la pluie pis d’faire un p’tit feu avec c’qu’on a là : de la ficelle pour faire prendre pis un peu d’bois flotté et sec sous un renfoncement. Putain on a du cul. Fonfon et Tutu ils font un p’tit feu pendant que moi j’prends la gamelle à JB et j’mets de l’eau dedans pis j’la mets sur le feu. On s’rapproche tous, pour s’réchauffer, pendant que Fonfon il tient la bâche. A moment donné il râle mais on lui dit tous de pas bouger et de fermer sa gueule, que sinon on l’fout à la flotte. Ce bizut de Fonfon il râle mais il bouge pas parce il sait qu’on le fera, d’le foutre à la flotte. Alors l’eau elle commence à bouiller. Moi j’enlève ma chaussette toute trempe mais bon tant pis, et j’fous c’qu’il reste de poudre de café dedans. Pis chacun tend son gobelet en fer-blanc qu’il a toujours accroché à son barda par une p’tite chaîne, et moi j’mets la chaussette au-dessus pis j’verse l’eau qui bouille dedans et la chaussette fait filtre. L’premier et l’plus fort, y s’ra pour moi, foi d’Chat.
Le café-chaussette qu’on l’appelle. Café parce que c’est du café. Chaussette parce qu’on l’fait dans une chaussette. Bah ouais ducon, nous on a pas les jolies cafetières comme les riches là. Quand on trouve du kawa, ou qu’on nous en donne dans la troupe, bah on l’fait dans nos godasses pis c’est comme ça. Et t’sais quoi c’pas plus mal, parce qu’au moins y’a d’la variété. Aux Tarides il avait un goût d’poussière, à Nazmir un goût de vase et après le débarquement de Krasarang il croquait sous la dent à cause du sable. Pis ça dépend de à qui elle est la chaussette aussi. L’Gros Dédé il faisait du café salé comme il est gros et qu’au Norfendre on a beaucoup marché. Féfé lui un peu pédé qu’il était il nettoyait ses affaires dès qu’il trouvait l’temps de frotter et son kawa moussait et avait un goût d’savon. Moi mon café il est normal j’crois, de toute façon l’eau qui bouille ça cuit et ça tue les grains de verrue et les bout de corne de pied que y’a dedans quoi. Pis quand j’peux j’allonge d’une dose de c’que j’trouve, du rhum ou d’la vodka.
Voilà donc on est là. Autour du p’tit feu, au pied d’la falaise. Personne vient nous chercher, peut-être. On se pèle, oui. Mais on prend l’café. JB il dit « hé les gars, on est mieux là qu’en prison » et nous on rigole un peu. L’est marrant le JB. « Hé Tutu, raconte la fois où que t’as baisé la duchesse là et que son mari est rentré dans la chambre » qu’il dit Fonfon. Moi j’la connais j’l’ai entendu mille fois mais j’rigole rien que quand j’entends ça. On se pèle les miches, j’ai les dents qui claquent mais les paluches autour de ma tasse brûlante. On boit notre café-chaussette, on tcharre, et la mort elle parait plus loin l’temps d’un kawa.
- Spoiler:
- Extrait de poème (modifié) : l’Abbé Delille.
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat fume une cigarette, assit au bord des murs épais du fort de Cendrebourg. Entre un canon de marine kultirassien et un caisson de boulets en fonte, les pieds pendus dans le vide, le matou observe le vaste océan face à lui sans vraiment le voir, son regard vide s’accrochant parfois à une mouette qui passe non loin en jacassant. C’est à son air absent et à sa babine lourde qu’on devine qu’il réfléchit. Pense-t-il au nouveau contrat signé par la compagnie et qui a conduit les mercenaires sur une île perdue dans les eaux froides du Nord ? Non. Alors s’inquiète-t-il, comme tout le reste d’Azeroth, de la grande fissure qui est venue lézarder le ciel de la Couronne de Glace ? Guère plus. Peut-être songe-t-il à la posture qu’il va adopter pour déjouer les manigances qui, il le sait, se susurrent dans son dos pour qu’il se balance enfin au bout d’une corde ? Non plus. Difficile de s’immiscer dans l’esprit tortueux d’un gredin qui, tous les jours de sa vie, ajoute du grain à moudre dans la grande meule de ses tourments.
Alors que le repris de justice est occupé à broyer du noir, une petite sorcière des moissons lui rend visite en haut de la muraille. Le pas discret de cette souris n’alarme pas le Chat, ce dernier saurait le reconnaître entre mille. Si on dit que la petite bête ne mange pas la grosse, il n’en reste pas moins qu’elle la protège souvent. Le matou doit une fière chandelle à cette rouquine, plus encore qu’il ne se l’imagine certainement. La sorcière veille, la brute s’apaise par sa seule présence. Alieg vient trouver Camille, et Camille ronronnerait s’il le pouvait. Entre eux s’est tissé un lien, de ronces et de chaînes, que seul un coup fatal pourrait peut être briser.
Mais la gilnéenne parle beaucoup. Souvent elle asticote le Chat, le met en défaut, travaille cette pâte rêche pour tenter de lui donner forme. Camille n’agit que par coups de sang chaud, Alieg lui demande d’utiliser de son cerveau. Elle le questionne, l’engage à réfléchir. Lui répond en grognant, poussé dans les retranchements d’une pensée qu’il évite soigneusement le reste du temps. La sorcière des moissons s’échine avec douceur pour tirer les fils de cette grosse masse de muscles et de nerfs, et le matou se frustre de rater l’exercice, encore et encore. En réponse aux remous qui clapotent dans son esprit enfumé, l’ancien taulard s’énerve.
- « Tu m’emmerdes, la rouquine. » que j’finis par lui dire.
Quoi c’est vrai à la fin. J’suis là tranquille je m’en grille une et elle vient me casser les burnes avec ses histoires comme quoi « oui les tarlouzes c’est des gens normaux et gnagnagna c’est pas dégueulasse ce qui compte c’est qu’on est bien une personne pas si que c’est un gars ou une fille gnagnagna et même les animaux ils font ça gnagnagna ». Mon cul ouais, moi j’ai jamais vu un bouc enculer un bouc. Par contre enculer une bouquesse ouais, plein d’fois. Alors qu’on m’la raconte pas hein. La Lumière ou la Nature ou j’sais pas qui a dit : les gars ils baisent les filles et les filles ils baisent les gars pis c’est comme ça. Limite les filles entre elles bon. Ça passe on va dire. Parce que bon voilà. Mais deux gars qui s’enfilent bah voilà faut pas abuser, ça c’est dégueulasse. Point. Putain alors.
Et allez, elle se cassait enfin et v’là qu’elle revient.
- « T’as déjà été attrapé par l’enn’mi ? » qu’elle demande. « Est-ce que en t’battant … L’enn’mi qu’tu combattais … T’as d’jà été fait prisonnier un jour ? »
Bordel mais qu’est-ce qu’elle me veut encore avec ses questions à la con là.
- « Non. » que j’lui dis. « Personne il sait attraper le Chat. »
Et elle s’en va. Moi j’la r’garde suivre le mur, j’me sens tout chose. Ça bouillonne dans ma caboche, y’a des trucs qui remontent. Ouais parce que j’lui ai dit « non » mais en fait c’est pas vrai. Une fois ouais, une fois ils ont attrapé l’Chat.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Y sont tous prosternés dans le brouillard, tout plein d’cendres et des peintures rouges, en cercle autour de c’te putain de table en pierre et de cette putain de prêtresse masquée. Y’a des flambeaux partout, ils chantent en même temps, ils tapent sur des tambours, ils ont l’air complètement défoncés, et tout autour de ce trou dans les marécages pourris de Nazmir y’a des statues pleines de mousse et d’sang séché qui regardent.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Y’a deux grandes guerrières moins habillée qu’des catins du port qui vont ouvrir la cage en roseaux en bas d’la mienne. Elles tirent Laplanche de là. Il gueule Laplanche, il gueule comme un cochon, plus encore que quand le Colonel l’avait fouetté aux Tarides. Mais une guerrière lui colle un coup d’gourdin derrière les oreilles qui l’endort à moitié. Elles l’emmènent vers la table au milieu du grand cercle, et la prêtresse elle les regarde venir.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Moi j’suis dans ma cage, qu’est suspendue à un arbre par une grosse corde. D’là-haut je vois tous : la purée d’pois, les trolls qui chantent, les grandes statues, la table, la prêtresse. Enfermé que j’suis, comme un gros canari couvert de merde et qu’a des puces aux couilles. Et en plus j’suis pas tout seul dans mon panier à homard, avec moi y’à le P’tit Quentin qu’est v’nu d’la Marche de l’Ouest pour finir sur cette île de merde, y’a un gars d’la 7ème que les trolls ont choppé j’sais pas où et y’a même tiens-toi bien : deux putains d’orcs. Ouais ma gueule, deux peaux-vertes d’la Horde. Là avec nous. Assis dans un coin ils disent rien, pendant que moi et le P’tit Quentin et l’autre pédé d’la 7ème on r’garde en bas. Y’a pas que nous en cage, y’a plein d’monde : dans des cages suspendues, dans des cages par terre. Y’en a qui pleurent, y’en a qui r’gardent, y’en a qui sont déjà morts ou à moitié crevés. On est tous là et on regarde la bouchère, en bas.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Ca chante plus fort, les tambours ils battent comme un putain de gros palpitant. Les deux guerrières elles dessapent Laplanche, il se retrouve tout à poil. L’autre il se réveille. Si il pensait y gagner une turlutte j’crois bien qu’il s’met doigt dans l’œil parce que ça a pas l’air d’être l’ambiance là. Elles le couchent sur la table en pierre, il gueule et il pleure, Laplanche, il dit « non pitié, pitié ». La prêtresse elle s’avance et elle lève son grand couteau, et elle hurle un truc. Et tous les autres trolls, surexcités et complètement tarés, ils hurlent aussi :
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Et TCHAK le couteau qui s’plante jusqu’au manche dans l’bide à Laplanche. Laplanche il beugle comme un goret, la prêtresse elle l’ouvre tout pareil, elle fouille un peu elle coupe un truc et elle sort un machin rouge qui tape comme les tambours. Ah bah c’est le p’tit cœur à Laplanche, ça. Il battait pour une brune à Ruisselune, maintenant il bat dans la main griffue d’une trollesse complètement fumée. Même Laplanche il y croit pas, il regarde ça avec des grands yeux. Il dit plus rien puis il meurt. La prêtresse elle lève le cœur, appuie ça gicle par tous les tuyaux comme une fontaine, puis elle jette ça sur un brasero à côté. Elle dit des trucs elle fait sa magie vaudou, le sang il se lève du sol et il se met à tourbillonner. Ca sent le fer et la pisse. Putain de merde.
- « Humains. »
Moi et le P’tit Quentin et l’gars d’la 7ème on s’retourne. Les orcs ils se sont levés, ils nous regardent. Y’en a un avec une barbe blanche, un œil en moins et un air pas bien sympa. L’autre il a une grosse crinière noire, des tatouages sur le torse et les yeux bleus. C’est lui qu’a parlé.
- « Nous allons pousser la cage pour qu’elle se balance. Le tronc est juste derrière. Avec un peu de chance, nous pourrons le percuter, briser les barreaux et nous échapper. Faites comme nous. »
J’en crois pas mes mirettes. D’jà l’orc il parle mieux qu’la plupart des gars d’la Pénitentiaire. Ca ça m’les coupes, moi j’pensais qu’ils disaient que « GRRRRR » et « BEEEUUUAARG ». Un peu comme moi. Pis non seulement ils causent et en plus ils veulent qu’on les aide. Vraiment j’suis sur le cul.
- « Mais z’êtes pas bien, si qu’on fait ça les trolls vont nous voir et nous buter aussi sec, c’est sûr ! » qu’il couine le P’tit Quentin.
- « Je ne mourrai pas sur cet autel, sacrifié comme un animal. Si je dois rejoindre les esprits de mes ancêtres, ce sera en guerrier. Libre. » qu’il lui répond le peau-verte-yeux-bleus. L’autre barbe blanche il grogne pour dire qu’il est d’accord.
Eh bah putain.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Bah c’est parti mon kiki, les deux orcs forts comme des buffles ils se mettent à pousser sur un bord de la cage, pis sur l’autre. Nous on s’met avec eux et on fait pareil, la trouille au bide. En bas l’manège continue, ils vont chercher un autre prisonnier et ils l’amènent à la prêtresse sans voir c’que nous on fait, et toute la foule des trolls de sang elle chante comme des demeurés. Nous on pousse, on pousse. J’sens le cuir du peau-verte, on est épaule contre épaule. Putain, si j’pensais vivre ça un jour moi. P’tit à p’tit la cage elle se met à s’balancer, on dirait qu’on est dans une putain de barque sur les vagues, ça tangue j’commence déjà à avoir la gerbe. Le tronc du gros arbre à côté y s’rapproche, pis s’y rapproche, et y s’rapproche encore jusqu’à c’qu’on tape dedans, BAM ! Les roseaux ils éclatent, l’plancher il s’casse sous nous pis on tombe sur l’tronc. On dégringole, on s’accroche à l’écorce ou pis à des lianes pour pas s’écraser en bas comme des merdes. J’m’y casse un doigt et j’m’arrache la peau du cul mais j’m’en sors sur mes deux pieds.
Derrière nous ça gueule, ils ont arrêtés d’chanter et ça jacasse comme des singes : on est repéré. J’me retourne et j’vois la prêtresse gueuler en nous pointant avec son couteau, un cœur dans l’autre main et un autre mec ouvert sur sa table. Les trolls ils poussent des cris comme des grosses chouettes et ils galopent vers nous et tous les autres prisonniers dans les autres cages ils gueulent aussi et y’en a qui pendent des arbres ils essaient de se balancer tout pareil. Moi j’vois le P’tit Quentin à côté d’moi qui s’est éclaté la jambe dans la chute et qui peut pas marcher. Y’a l’mec d’la 7ème qu’essaye d’le relever, et y’a l’orc à la barbe blanche qui prend une tige de roseau cassé pointue au bout et qui charge les trolls ! Il est taré putain !
- « LOK’TAR OGAR ! » qu’il beugle en cavalant.
J’l’ai beaucoup entendu ça. D’habitude c’était juste avant qu’on s’foute sur la gueule, là c’est par un gonze qui s’sacrifie pour qu’on vive, j’crois bien. Il disparait sous la vague d’trolls du sang et l’mec de la 7ème il tire en arrière le P’tit Quentin qui pleure en appelant sa môman. Moi j’vois ça, j’tourne la tête, j’croise l’autre orc.
- « Fuis, humain. » qu’il me balance.
Dans sa gueule pleine de crocs ça a un peu l’air d’une insulte mais franchement j’lui en veux pas. Quand on est dans la merde, les bons conseils c’est toujours bon à prendre. Alors j’détale comme un lièvre et j’dévale la pente pleine de ronces et d’fougères qui tombe dans les marais. Derrière moi j’entends que ça se tape méchant, j’entends le gars d’la 7ème qui meurt, l’Petit Quentin qui pleure, les orcs qui gueulent et les trolls qui sifflent. J’cours, j’cours comme jamais j’ai couru. Plus vite que pour sortir d’Azjol-Nerub, plus vite qu’sur le sable noir des plages de Krasarang, même plus vite que quand on avait les kor’kron aux basques dans les Tarides-Sud. J’m’enfonce dans la mangrove, j’traverse l’eau sombre, j’me récolte toutes les sangsues et tous les putain d’moustiques du monde, j’plonge dans le marécage de Nazmir comme que si j’allais trouver d’quoi me sauver le derche en plein milieu.
Pis après des heures que j’ai couru, j’m’arrête sous une grosse racine parce que j’en peux plus. Mon cœur il bat si fort qu’on dirait qu’il va sortir, même sans l’aide de cette salope de prêtresse. J’essaye d’reprendre mon souffle, pis autour d’moi j’écoute pour savoir si qu’on m’a suivi. J’écoute la jungle, j’entends les insectes, j’entends les singes et les oiseaux là-haut. Mais j’entends pas d’trolls. J’fous la main dans ma botte : ouais, le canif il est là. Ils l’ont pas vu ces cons, au moins j’ai ça. Maintenant faut qu’je retrouve l’bivouac … Avant qu’on s’fasse embuscader on allait Nord-Nord-Ouest donc normalement faut qu’j’aille par …
Foutrepute, y’a une grosse branche qu’a craqué. J’me retourne d’un coup ‘vec mon schlass dans la main, j’me retrouve pif-à-pif avec l’peau-verte-yeux-bleus. On s’regarde aussi surpris l’un qu’l’autre. Il a une vilaine plaie sous les côtelettes, l’genre de trucs que si tu soignes pas dans la journée ça s’infecte et tu crèves. On dirait il a du mal à respirer, j’vois qu’il a aussi un bras qui pend tout mou comme si il pouvait pas l’utiliser. Dans son autre paluche qui fait ma tête, il a un grand bout de ruine en pierre, comme une massue. Avec plein d’sang au bout.
On s’fixe sans rien dire, on bouge pas du tout. Pas un mouvement. Normalement, quand un humain pis un orc ils se croisent, ils se tabassent. Ca c’est le truc normal. C’est comme ça d’puis un moment et c’est pas près d’changer. Mais là quand même déjà de un : il m’attaque même pas, de deux : tout à l’heure on était dans la même merde. On était dans la même merde, et c’est lui et son copain qu’on fait qu’on est sorti. Les moustiques me bouffent le cou et les bras mais j’m’en tape, j’bouge pas. On se fixe. J’me demande c’qu’il se passe dans sa tête. Peut-être qu’il se dit comme moi ? P’t’être même qu’il pense mieux que moi ? J’sais pas, il parlait bien tout à l’heure. Quand il m’a dit « fuis » j’ai pas entendu « Grrrrrrblmr » j’ai entendu « vis ». Mais en même pourquoi il m’aurait sauvé, il en a quoi à branler ce grand con.
Putain il a fait un pas d’côté. J’fais pareil. Il est p’t’être grand et gros, mais il est blessé. On est à armes égales. Il fait un autre pas, j’en fais un autre. Il renifle et montre les crocs. P’t’être qu’il pense que j’vais l’attaquer et donc il veut pas s’retourner. Moi j’crache à côté d’moi sans le quitter des yeux, bien sur les appuis. Putain ce mec c’est un orc d’accord, mais on était dans la cage ensemble. On a causé bordel, moi Camille Honorine Chat j’ai taillé l’bout d’gras avec un enculé d’peau-verte. J’me dis moi j’ai un fils, Tomas. L’peau-verte-yeux-bleus peut-être aussi il a un fils. Pis comme que j’ai découvert qu’on peut causer, p’t’être que nos fils aussi ils pourraient causer. Et p’être que lui il aime bien boire des coups et aller aux putes, comme moi. Non en vrai, même si là on s’tourne autour comme deux chiens plein d’puces, p’têtre qu’on pourrait s’mettre d’accord et pas s’entarter. Juste cette fois là. Il baisse un peu sa massue, il a l’air un peu claqué mon pote l’orc.
Sauf que j’pense à son orcquillon, et j’pense à celui que j’ai buté aux Tarides. J’pense à sa mère l’orcquesse que j’ai fourrée pis qu’est morte. Ouais, ouais p’t’être que cet orquillon c’était son marmot, cette orcquesses sa gonzesse. Et ils sont morts parce que moi. J’en ai buté j’sais pas combien des orcs et fallait attendre d’être coincés au milieu de cette merde de Nazmir pour que j’fasse copain-copain avec un. On peut pas être copain. Déjà si j’reviens au bivouac et que j’dis que j’me suis fait un pote orc j’me fais pendre. Ensuite on s’est trop foutu sur la gueule. C’est comme ça, maintenant, c’est naturel, c’est dans nos veines. Les orcs et les humains ils sont pas potes, et c’est comme ça. Pis si on s’bute pas, on va faire quoi, hein ? J’serre les dents. Ca y est, j’ai l’sang qui revient au cerveau. Ouais en fait, on s'fait des crasses tellement grosses, on peut juste pas être copains, c’est tout. C’est bien la preuve, ça. C’est la preuve que entre nous y’a que la guerre et qu’on est fait pour s’buter les uns les autres. Oui, c’est comme ça. C’est comme ça.
J’plie un peu les genoux, j’ferme bien le poing sur le manche d’mon canif. Lui il fronce ses gros sourcils, il grogne. J’sais pas à quoi qu’il pensait, mais il a compris qu’on s’rait pas copains, finalement. D’toute façon si il est pas con y s’rait arrivé à la même conclusion que moi, sauf qu’il aurait tapé en premier. Allez, c’est parti. J’sais pas si j’en ai vraiment envie, mais c’est comme ça : faut qu’on s’étripe. J’gueule et j’lui saute dessus, il gueule et y charge aussi.
Camille Chat est toujours assis sur le parapet du fort de Cendrebourg, face à l’océan. Le regard perdu dans les vagues, il fume et expire la fumée en deux traits par ses naseaux. Puis, mollement, il frotte son crâne rasé avec la paume de sa main. Ses gros doigts aux phalanges tatouées cherchent quelque chose, et s’arrêtent sur une large cicatrice non loin de sa tempe. Il la caresse, un peu, et pense à son ami l’orc qu’il tua dans la mangrove de Nazmir. Puis il tire son mégot d’une pichenette et se redresse pour quitter son perchoir et rejoindre les autres.
Alors que le repris de justice est occupé à broyer du noir, une petite sorcière des moissons lui rend visite en haut de la muraille. Le pas discret de cette souris n’alarme pas le Chat, ce dernier saurait le reconnaître entre mille. Si on dit que la petite bête ne mange pas la grosse, il n’en reste pas moins qu’elle la protège souvent. Le matou doit une fière chandelle à cette rouquine, plus encore qu’il ne se l’imagine certainement. La sorcière veille, la brute s’apaise par sa seule présence. Alieg vient trouver Camille, et Camille ronronnerait s’il le pouvait. Entre eux s’est tissé un lien, de ronces et de chaînes, que seul un coup fatal pourrait peut être briser.
Mais la gilnéenne parle beaucoup. Souvent elle asticote le Chat, le met en défaut, travaille cette pâte rêche pour tenter de lui donner forme. Camille n’agit que par coups de sang chaud, Alieg lui demande d’utiliser de son cerveau. Elle le questionne, l’engage à réfléchir. Lui répond en grognant, poussé dans les retranchements d’une pensée qu’il évite soigneusement le reste du temps. La sorcière des moissons s’échine avec douceur pour tirer les fils de cette grosse masse de muscles et de nerfs, et le matou se frustre de rater l’exercice, encore et encore. En réponse aux remous qui clapotent dans son esprit enfumé, l’ancien taulard s’énerve.
- « Tu m’emmerdes, la rouquine. » que j’finis par lui dire.
Quoi c’est vrai à la fin. J’suis là tranquille je m’en grille une et elle vient me casser les burnes avec ses histoires comme quoi « oui les tarlouzes c’est des gens normaux et gnagnagna c’est pas dégueulasse ce qui compte c’est qu’on est bien une personne pas si que c’est un gars ou une fille gnagnagna et même les animaux ils font ça gnagnagna ». Mon cul ouais, moi j’ai jamais vu un bouc enculer un bouc. Par contre enculer une bouquesse ouais, plein d’fois. Alors qu’on m’la raconte pas hein. La Lumière ou la Nature ou j’sais pas qui a dit : les gars ils baisent les filles et les filles ils baisent les gars pis c’est comme ça. Limite les filles entre elles bon. Ça passe on va dire. Parce que bon voilà. Mais deux gars qui s’enfilent bah voilà faut pas abuser, ça c’est dégueulasse. Point. Putain alors.
Et allez, elle se cassait enfin et v’là qu’elle revient.
- « T’as déjà été attrapé par l’enn’mi ? » qu’elle demande. « Est-ce que en t’battant … L’enn’mi qu’tu combattais … T’as d’jà été fait prisonnier un jour ? »
Bordel mais qu’est-ce qu’elle me veut encore avec ses questions à la con là.
- « Non. » que j’lui dis. « Personne il sait attraper le Chat. »
Et elle s’en va. Moi j’la r’garde suivre le mur, j’me sens tout chose. Ça bouillonne dans ma caboche, y’a des trucs qui remontent. Ouais parce que j’lui ai dit « non » mais en fait c’est pas vrai. Une fois ouais, une fois ils ont attrapé l’Chat.
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G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Y sont tous prosternés dans le brouillard, tout plein d’cendres et des peintures rouges, en cercle autour de c’te putain de table en pierre et de cette putain de prêtresse masquée. Y’a des flambeaux partout, ils chantent en même temps, ils tapent sur des tambours, ils ont l’air complètement défoncés, et tout autour de ce trou dans les marécages pourris de Nazmir y’a des statues pleines de mousse et d’sang séché qui regardent.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Y’a deux grandes guerrières moins habillée qu’des catins du port qui vont ouvrir la cage en roseaux en bas d’la mienne. Elles tirent Laplanche de là. Il gueule Laplanche, il gueule comme un cochon, plus encore que quand le Colonel l’avait fouetté aux Tarides. Mais une guerrière lui colle un coup d’gourdin derrière les oreilles qui l’endort à moitié. Elles l’emmènent vers la table au milieu du grand cercle, et la prêtresse elle les regarde venir.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Moi j’suis dans ma cage, qu’est suspendue à un arbre par une grosse corde. D’là-haut je vois tous : la purée d’pois, les trolls qui chantent, les grandes statues, la table, la prêtresse. Enfermé que j’suis, comme un gros canari couvert de merde et qu’a des puces aux couilles. Et en plus j’suis pas tout seul dans mon panier à homard, avec moi y’à le P’tit Quentin qu’est v’nu d’la Marche de l’Ouest pour finir sur cette île de merde, y’a un gars d’la 7ème que les trolls ont choppé j’sais pas où et y’a même tiens-toi bien : deux putains d’orcs. Ouais ma gueule, deux peaux-vertes d’la Horde. Là avec nous. Assis dans un coin ils disent rien, pendant que moi et le P’tit Quentin et l’autre pédé d’la 7ème on r’garde en bas. Y’a pas que nous en cage, y’a plein d’monde : dans des cages suspendues, dans des cages par terre. Y’en a qui pleurent, y’en a qui r’gardent, y’en a qui sont déjà morts ou à moitié crevés. On est tous là et on regarde la bouchère, en bas.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Ca chante plus fort, les tambours ils battent comme un putain de gros palpitant. Les deux guerrières elles dessapent Laplanche, il se retrouve tout à poil. L’autre il se réveille. Si il pensait y gagner une turlutte j’crois bien qu’il s’met doigt dans l’œil parce que ça a pas l’air d’être l’ambiance là. Elles le couchent sur la table en pierre, il gueule et il pleure, Laplanche, il dit « non pitié, pitié ». La prêtresse elle s’avance et elle lève son grand couteau, et elle hurle un truc. Et tous les autres trolls, surexcités et complètement tarés, ils hurlent aussi :
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Et TCHAK le couteau qui s’plante jusqu’au manche dans l’bide à Laplanche. Laplanche il beugle comme un goret, la prêtresse elle l’ouvre tout pareil, elle fouille un peu elle coupe un truc et elle sort un machin rouge qui tape comme les tambours. Ah bah c’est le p’tit cœur à Laplanche, ça. Il battait pour une brune à Ruisselune, maintenant il bat dans la main griffue d’une trollesse complètement fumée. Même Laplanche il y croit pas, il regarde ça avec des grands yeux. Il dit plus rien puis il meurt. La prêtresse elle lève le cœur, appuie ça gicle par tous les tuyaux comme une fontaine, puis elle jette ça sur un brasero à côté. Elle dit des trucs elle fait sa magie vaudou, le sang il se lève du sol et il se met à tourbillonner. Ca sent le fer et la pisse. Putain de merde.
- « Humains. »
Moi et le P’tit Quentin et l’gars d’la 7ème on s’retourne. Les orcs ils se sont levés, ils nous regardent. Y’en a un avec une barbe blanche, un œil en moins et un air pas bien sympa. L’autre il a une grosse crinière noire, des tatouages sur le torse et les yeux bleus. C’est lui qu’a parlé.
- « Nous allons pousser la cage pour qu’elle se balance. Le tronc est juste derrière. Avec un peu de chance, nous pourrons le percuter, briser les barreaux et nous échapper. Faites comme nous. »
J’en crois pas mes mirettes. D’jà l’orc il parle mieux qu’la plupart des gars d’la Pénitentiaire. Ca ça m’les coupes, moi j’pensais qu’ils disaient que « GRRRRR » et « BEEEUUUAARG ». Un peu comme moi. Pis non seulement ils causent et en plus ils veulent qu’on les aide. Vraiment j’suis sur le cul.
- « Mais z’êtes pas bien, si qu’on fait ça les trolls vont nous voir et nous buter aussi sec, c’est sûr ! » qu’il couine le P’tit Quentin.
- « Je ne mourrai pas sur cet autel, sacrifié comme un animal. Si je dois rejoindre les esprits de mes ancêtres, ce sera en guerrier. Libre. » qu’il lui répond le peau-verte-yeux-bleus. L’autre barbe blanche il grogne pour dire qu’il est d’accord.
Eh bah putain.
G’HUUN G’HUUN G’HUUN
Bah c’est parti mon kiki, les deux orcs forts comme des buffles ils se mettent à pousser sur un bord de la cage, pis sur l’autre. Nous on s’met avec eux et on fait pareil, la trouille au bide. En bas l’manège continue, ils vont chercher un autre prisonnier et ils l’amènent à la prêtresse sans voir c’que nous on fait, et toute la foule des trolls de sang elle chante comme des demeurés. Nous on pousse, on pousse. J’sens le cuir du peau-verte, on est épaule contre épaule. Putain, si j’pensais vivre ça un jour moi. P’tit à p’tit la cage elle se met à s’balancer, on dirait qu’on est dans une putain de barque sur les vagues, ça tangue j’commence déjà à avoir la gerbe. Le tronc du gros arbre à côté y s’rapproche, pis s’y rapproche, et y s’rapproche encore jusqu’à c’qu’on tape dedans, BAM ! Les roseaux ils éclatent, l’plancher il s’casse sous nous pis on tombe sur l’tronc. On dégringole, on s’accroche à l’écorce ou pis à des lianes pour pas s’écraser en bas comme des merdes. J’m’y casse un doigt et j’m’arrache la peau du cul mais j’m’en sors sur mes deux pieds.
Derrière nous ça gueule, ils ont arrêtés d’chanter et ça jacasse comme des singes : on est repéré. J’me retourne et j’vois la prêtresse gueuler en nous pointant avec son couteau, un cœur dans l’autre main et un autre mec ouvert sur sa table. Les trolls ils poussent des cris comme des grosses chouettes et ils galopent vers nous et tous les autres prisonniers dans les autres cages ils gueulent aussi et y’en a qui pendent des arbres ils essaient de se balancer tout pareil. Moi j’vois le P’tit Quentin à côté d’moi qui s’est éclaté la jambe dans la chute et qui peut pas marcher. Y’a l’mec d’la 7ème qu’essaye d’le relever, et y’a l’orc à la barbe blanche qui prend une tige de roseau cassé pointue au bout et qui charge les trolls ! Il est taré putain !
- « LOK’TAR OGAR ! » qu’il beugle en cavalant.
J’l’ai beaucoup entendu ça. D’habitude c’était juste avant qu’on s’foute sur la gueule, là c’est par un gonze qui s’sacrifie pour qu’on vive, j’crois bien. Il disparait sous la vague d’trolls du sang et l’mec de la 7ème il tire en arrière le P’tit Quentin qui pleure en appelant sa môman. Moi j’vois ça, j’tourne la tête, j’croise l’autre orc.
- « Fuis, humain. » qu’il me balance.
Dans sa gueule pleine de crocs ça a un peu l’air d’une insulte mais franchement j’lui en veux pas. Quand on est dans la merde, les bons conseils c’est toujours bon à prendre. Alors j’détale comme un lièvre et j’dévale la pente pleine de ronces et d’fougères qui tombe dans les marais. Derrière moi j’entends que ça se tape méchant, j’entends le gars d’la 7ème qui meurt, l’Petit Quentin qui pleure, les orcs qui gueulent et les trolls qui sifflent. J’cours, j’cours comme jamais j’ai couru. Plus vite que pour sortir d’Azjol-Nerub, plus vite qu’sur le sable noir des plages de Krasarang, même plus vite que quand on avait les kor’kron aux basques dans les Tarides-Sud. J’m’enfonce dans la mangrove, j’traverse l’eau sombre, j’me récolte toutes les sangsues et tous les putain d’moustiques du monde, j’plonge dans le marécage de Nazmir comme que si j’allais trouver d’quoi me sauver le derche en plein milieu.
Pis après des heures que j’ai couru, j’m’arrête sous une grosse racine parce que j’en peux plus. Mon cœur il bat si fort qu’on dirait qu’il va sortir, même sans l’aide de cette salope de prêtresse. J’essaye d’reprendre mon souffle, pis autour d’moi j’écoute pour savoir si qu’on m’a suivi. J’écoute la jungle, j’entends les insectes, j’entends les singes et les oiseaux là-haut. Mais j’entends pas d’trolls. J’fous la main dans ma botte : ouais, le canif il est là. Ils l’ont pas vu ces cons, au moins j’ai ça. Maintenant faut qu’je retrouve l’bivouac … Avant qu’on s’fasse embuscader on allait Nord-Nord-Ouest donc normalement faut qu’j’aille par …
Foutrepute, y’a une grosse branche qu’a craqué. J’me retourne d’un coup ‘vec mon schlass dans la main, j’me retrouve pif-à-pif avec l’peau-verte-yeux-bleus. On s’regarde aussi surpris l’un qu’l’autre. Il a une vilaine plaie sous les côtelettes, l’genre de trucs que si tu soignes pas dans la journée ça s’infecte et tu crèves. On dirait il a du mal à respirer, j’vois qu’il a aussi un bras qui pend tout mou comme si il pouvait pas l’utiliser. Dans son autre paluche qui fait ma tête, il a un grand bout de ruine en pierre, comme une massue. Avec plein d’sang au bout.
On s’fixe sans rien dire, on bouge pas du tout. Pas un mouvement. Normalement, quand un humain pis un orc ils se croisent, ils se tabassent. Ca c’est le truc normal. C’est comme ça d’puis un moment et c’est pas près d’changer. Mais là quand même déjà de un : il m’attaque même pas, de deux : tout à l’heure on était dans la même merde. On était dans la même merde, et c’est lui et son copain qu’on fait qu’on est sorti. Les moustiques me bouffent le cou et les bras mais j’m’en tape, j’bouge pas. On se fixe. J’me demande c’qu’il se passe dans sa tête. Peut-être qu’il se dit comme moi ? P’t’être même qu’il pense mieux que moi ? J’sais pas, il parlait bien tout à l’heure. Quand il m’a dit « fuis » j’ai pas entendu « Grrrrrrblmr » j’ai entendu « vis ». Mais en même pourquoi il m’aurait sauvé, il en a quoi à branler ce grand con.
Putain il a fait un pas d’côté. J’fais pareil. Il est p’t’être grand et gros, mais il est blessé. On est à armes égales. Il fait un autre pas, j’en fais un autre. Il renifle et montre les crocs. P’t’être qu’il pense que j’vais l’attaquer et donc il veut pas s’retourner. Moi j’crache à côté d’moi sans le quitter des yeux, bien sur les appuis. Putain ce mec c’est un orc d’accord, mais on était dans la cage ensemble. On a causé bordel, moi Camille Honorine Chat j’ai taillé l’bout d’gras avec un enculé d’peau-verte. J’me dis moi j’ai un fils, Tomas. L’peau-verte-yeux-bleus peut-être aussi il a un fils. Pis comme que j’ai découvert qu’on peut causer, p’t’être que nos fils aussi ils pourraient causer. Et p’être que lui il aime bien boire des coups et aller aux putes, comme moi. Non en vrai, même si là on s’tourne autour comme deux chiens plein d’puces, p’têtre qu’on pourrait s’mettre d’accord et pas s’entarter. Juste cette fois là. Il baisse un peu sa massue, il a l’air un peu claqué mon pote l’orc.
Sauf que j’pense à son orcquillon, et j’pense à celui que j’ai buté aux Tarides. J’pense à sa mère l’orcquesse que j’ai fourrée pis qu’est morte. Ouais, ouais p’t’être que cet orquillon c’était son marmot, cette orcquesses sa gonzesse. Et ils sont morts parce que moi. J’en ai buté j’sais pas combien des orcs et fallait attendre d’être coincés au milieu de cette merde de Nazmir pour que j’fasse copain-copain avec un. On peut pas être copain. Déjà si j’reviens au bivouac et que j’dis que j’me suis fait un pote orc j’me fais pendre. Ensuite on s’est trop foutu sur la gueule. C’est comme ça, maintenant, c’est naturel, c’est dans nos veines. Les orcs et les humains ils sont pas potes, et c’est comme ça. Pis si on s’bute pas, on va faire quoi, hein ? J’serre les dents. Ca y est, j’ai l’sang qui revient au cerveau. Ouais en fait, on s'fait des crasses tellement grosses, on peut juste pas être copains, c’est tout. C’est bien la preuve, ça. C’est la preuve que entre nous y’a que la guerre et qu’on est fait pour s’buter les uns les autres. Oui, c’est comme ça. C’est comme ça.
J’plie un peu les genoux, j’ferme bien le poing sur le manche d’mon canif. Lui il fronce ses gros sourcils, il grogne. J’sais pas à quoi qu’il pensait, mais il a compris qu’on s’rait pas copains, finalement. D’toute façon si il est pas con y s’rait arrivé à la même conclusion que moi, sauf qu’il aurait tapé en premier. Allez, c’est parti. J’sais pas si j’en ai vraiment envie, mais c’est comme ça : faut qu’on s’étripe. J’gueule et j’lui saute dessus, il gueule et y charge aussi.
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Camille Chat est toujours assis sur le parapet du fort de Cendrebourg, face à l’océan. Le regard perdu dans les vagues, il fume et expire la fumée en deux traits par ses naseaux. Puis, mollement, il frotte son crâne rasé avec la paume de sa main. Ses gros doigts aux phalanges tatouées cherchent quelque chose, et s’arrêtent sur une large cicatrice non loin de sa tempe. Il la caresse, un peu, et pense à son ami l’orc qu’il tua dans la mangrove de Nazmir. Puis il tire son mégot d’une pichenette et se redresse pour quitter son perchoir et rejoindre les autres.
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Madame Chat est une petite femme replète de trente ans aux joues rondes et roses. Charpente solide, sa constitution est empreinte de la robustesse paysanne. Elle n’est pas jolie, elle n’est pas gracile et son visage bonhomme manque, d’aucun dirait, d’une élégance certaine. Sa peau pourtant veloutée est grêlée des cicatrices d’une vérole contractée dans l’enfance, son menton porte un petit bulbe disgracieux d’où dépassent trois poils revêches et elle a une dent fendue, là tout devant. Ses cheveux bruns forment une crinière malmenée par le manque d’entretien qu’elle noue tous les jours en un gros chignon informe sur le dessus de son crâne. Souvent une mèche s'en échappe en accroche-cœur et balaie son front déjà ridé, et elle la repousse d’un geste excédé en soufflant comme un bœuf. Non, décidément, Madame Chat n’est pas jolie. Elle répond ainsi parfois, lorsque son fils lui dit qu’elle est belle, en regardant à travers les carreaux de la seule fenêtre de la maison des Chat dans sa cuisine qui donne sur la forêt d’Elwynn. Elle rétorque avec une mélancolie discrète, comme se rêvant l’espace d’un instant fille de duchesse, séduisante et parée de diamants, brillante comme un joyau dans un bal du donjon de Hurlevent. Mais c’est dans ces moments où la lumière pâle des bois filtre à travers les carreaux et tombe calmement sur cette figure triste que Camille la trouve la plus belle. Le petit garçon saisit alors l’instant à la volée, imprimait dans sa rétine cette image avec une ferveur toute religieuse, celle d’une pure sainte avec qui le sort ne fut pas clément et pour qui le paradis est tout indiqué.
Pour lui, elle est la plus belle des mamans. Il aime ses yeux verts et rieurs, toujours plein de malice mais aussi d’une profonde pudeur, celle des humbles gens. Lorsqu’elle peste contre le mauvais temps ou qu’elle le gronde après une énième bêtise, le petit Chat guette les pattes d’oie aux coins de son regard, attendant le moment où ces plis adorables vont fléchir pour annoncer un gros sourire et un câlin bourru contre la vaste poitrine. Il aime ses mains, les mains potelées d’une travailleuse, ongles courts et paume charnue, qui pétrissent sans pitié la pâte à pain et les joues de celui qui mérite un soufflon, mais qui sont si douces lorsqu’elles lui caressent le dos le soir avant de s’endormir. Il aime son rire tonitruant dans lequel sonne toujours en creux une peine secrète, de celle qui sait quand les temps sont durs et qui jamais ne peut se départir de sa détresse. Mais Madame Chat ne dit-t-elle pas toujours, citant alors le prêtre du village avec un air faussement docte : « Il y a un temps pour rire, il y a un temps pour pleurer. » Et elle s’esclaffe fort, insufflant bonheur et courage comme s’il s’agissait de sa mission sacrée, et Camille rit avec elle et oublie tous les soucis qu’un petit garçon de huit peut bien avoir. Et puis il aime quand elle chante les airs du pays, ceux des bûcherons et des forestiers. Elle chante fort, elle chante faux, elle a une grosse voix mais elle chante comme les autres lavandières du village qui battent leur linge à la rivière et ces chansons qui parlent de chênes et de lièvres résonnent dans la petite maison comme une ode aux mystères des adultes qui fait vibrer le cœur du petit Chat.
Mais moi c’que j’préfère, oh ouais c’que j’préfère, c’est quand Môman elle cuisine. Elle est là, devant la fenêtre, toute petite et grosse au milieu des légumes et des tresses d’ail, et elle épluche et elle coupe et elle tranche avec son vieux couteau. Elle a son grand tablier et elle fait claquer ses talons contre la semelle de ses sabots et elle rouspète quand elle trouve une limace dans les feuilles de la salade ou un ver dans un navet. Aujourd’hui c’est dimanche et tout l’village est à la messe, même Pôpa. Mais Môman elle non, elle dit que c’est que des conneries, que le dimanche c’est pas le jour de la messe, c’est le jour d’la soupe d’ailerons de murlocs. Alors on est que tous les deux à la maison, et moi c’est ça que j’préfère, ouais. On est que tous les deux, Môman elle cuisine, et moi j’me pose à côté du poêle et j’la regarde faire en machéguant mon bâton de réglisse. Et j’l’écoute aussi. Ouais parce que quand Môman elle cuisine elle tchatche. J’sais pas bien pourquoi, parce que clairement c’est pas à moi qu’elle cause. Elle dit ce qu’elle fait, elle raconte sa recette à j’sais pas qui. Mais si quelqu’un il l’écoute il ferait bien d’noter parce que sa soupe à Môman, bah c’est la meilleure. C’est parce qu’elle met du fenouil, qu’elle dit. Mais elle dit aussi qu’faut pas le dire parce que c’est un secret de la forêt. Alors chuuuuut !
Extrait du livre de recettes du chef Jean-Anselme Brillat-Savarin, Grand Maître-queux des Cuisines Royales du donjon de Hurlevent.
Pour lui, elle est la plus belle des mamans. Il aime ses yeux verts et rieurs, toujours plein de malice mais aussi d’une profonde pudeur, celle des humbles gens. Lorsqu’elle peste contre le mauvais temps ou qu’elle le gronde après une énième bêtise, le petit Chat guette les pattes d’oie aux coins de son regard, attendant le moment où ces plis adorables vont fléchir pour annoncer un gros sourire et un câlin bourru contre la vaste poitrine. Il aime ses mains, les mains potelées d’une travailleuse, ongles courts et paume charnue, qui pétrissent sans pitié la pâte à pain et les joues de celui qui mérite un soufflon, mais qui sont si douces lorsqu’elles lui caressent le dos le soir avant de s’endormir. Il aime son rire tonitruant dans lequel sonne toujours en creux une peine secrète, de celle qui sait quand les temps sont durs et qui jamais ne peut se départir de sa détresse. Mais Madame Chat ne dit-t-elle pas toujours, citant alors le prêtre du village avec un air faussement docte : « Il y a un temps pour rire, il y a un temps pour pleurer. » Et elle s’esclaffe fort, insufflant bonheur et courage comme s’il s’agissait de sa mission sacrée, et Camille rit avec elle et oublie tous les soucis qu’un petit garçon de huit peut bien avoir. Et puis il aime quand elle chante les airs du pays, ceux des bûcherons et des forestiers. Elle chante fort, elle chante faux, elle a une grosse voix mais elle chante comme les autres lavandières du village qui battent leur linge à la rivière et ces chansons qui parlent de chênes et de lièvres résonnent dans la petite maison comme une ode aux mystères des adultes qui fait vibrer le cœur du petit Chat.
Mais moi c’que j’préfère, oh ouais c’que j’préfère, c’est quand Môman elle cuisine. Elle est là, devant la fenêtre, toute petite et grosse au milieu des légumes et des tresses d’ail, et elle épluche et elle coupe et elle tranche avec son vieux couteau. Elle a son grand tablier et elle fait claquer ses talons contre la semelle de ses sabots et elle rouspète quand elle trouve une limace dans les feuilles de la salade ou un ver dans un navet. Aujourd’hui c’est dimanche et tout l’village est à la messe, même Pôpa. Mais Môman elle non, elle dit que c’est que des conneries, que le dimanche c’est pas le jour de la messe, c’est le jour d’la soupe d’ailerons de murlocs. Alors on est que tous les deux à la maison, et moi c’est ça que j’préfère, ouais. On est que tous les deux, Môman elle cuisine, et moi j’me pose à côté du poêle et j’la regarde faire en machéguant mon bâton de réglisse. Et j’l’écoute aussi. Ouais parce que quand Môman elle cuisine elle tchatche. J’sais pas bien pourquoi, parce que clairement c’est pas à moi qu’elle cause. Elle dit ce qu’elle fait, elle raconte sa recette à j’sais pas qui. Mais si quelqu’un il l’écoute il ferait bien d’noter parce que sa soupe à Môman, bah c’est la meilleure. C’est parce qu’elle met du fenouil, qu’elle dit. Mais elle dit aussi qu’faut pas le dire parce que c’est un secret de la forêt. Alors chuuuuut !
Prenez quatre ailerons bien frais, de ceux des murlocs qui vivent sur les bords du Lac du Cairn et qui sont, comme chacun sait, les meilleurs et les plus charnus. Ajoutez à cela dix petits gardons rutilants. A défaut, le double de jeunes goujons font l’affaire. Dans votre panier, ayez cinq belles tomates, un gros oignon, deux poireaux de votre potager, un poivron rouge, de l’ail en abondance, des touffes de persil frais et un joli bouquet garni. Munissez-vous enfin d’huile d’olive des Carmines, de poivre noir et de sel, que vous utiliserez avec parcimonie en ce qu’ils sont précieux.
Écaillez les ailerons, rincez-les et épongez-les. De même avec les poissons de rivière – sans les vider toutefois. Lavez les tomates et coupez-les en quartiers. Epluchez l'oignon, émincez-le ainsi que le blanc des poireaux. Pelez les gousses d'ail et hachez-les grossièrement. Lavez le poivron et coupez-le en fines lanières. Faites chauffer l'huile dans une grande marmite et faites-y blondir l'oignon, l'ail, le poireau et le poivron. Ajoutez alors les tomates, le bouquet garni, le persil, les ailerons et les poissons. Salez et poivrez. Mélangez puis couvrez et laissez cuire à feu doux. Versez alors deux pichets d'eau bouillante, couvrez et laissez cuire à feu doux le temps de réciter les douze versets de « Lumière, protège moi ».
Lorsque la soupe est cuite, retirez les ailerons avec une écumoire et passez le reste au tamis, en pressant bien pour extraire tout le suc des poissons. Rincez la cocotte et versez-y à nouveau la soupe, en la filtrant. Faites-la réchauffer sur feu doux. Versez ensuite la soupe dans une soupière et servez à table aussitôt en y incorporant les ailerons. Découpez de larges tranches de pain de campagne, faites les griller sur les charbons ardents et frottez les énergiquement avec de l’ail avant de les plonger dans la soupe.
Astuce du maître-queux : Envoyez votre commis dans les villages des bûcherons du Val d’Est et demandez-lui d’implorer les lavandières. S’il sait se mettre dans leurs bonnes grâces, peut-être lui donneront-elles une corbeille du fameux fenouil d’Elwynn, si rare et précieux, qu’elles ramassent les matins pluvieux de printemps lorsqu’elles partent dans les bois pour quelques tâches qui leurs sont dévolues. Le succulent parfum d’anis de ce bulbe charnu rendra alors votre soupe d’ailerons digne des plus grandes tables du Royaume.
Extrait du livre de recettes du chef Jean-Anselme Brillat-Savarin, Grand Maître-queux des Cuisines Royales du donjon de Hurlevent.
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
- Spoiler:
Camille Chat titube, ravagé par l’alcool. Une bouteille à la main, il déambule dans les rues de la capitale. Sa tête tourne, les pavés se dérobent et fuient sous ses pieds, il s’appuie sur un lampadaire pour ne pas tomber. Dans son crâne, un gros nuage noir qui tourne sur lui-même en maëlstroms confus, zébré des éclairs de la haine, de la rancœur, d’une colère qu’il ne comprend pas. Il ne maîtrise rien : ni sa trajectoire, ni la morve qui lui coule du nez, ni son besoin irrépressible de tuer. Il voit le corps de Lomerak Owein brûler devant ses yeux, alors que c’était ailleurs, alors que c’était hier. Les flammes lèchent le linceul, le monticule de bûches, devant la compagnie, devant le Capitaine. Le lion est mort, celui que le matou rêvait d’être, celui qui lui avait tout pris. Amour, respect, gloire. Tout pour lui, rien pour le Chat. Il était mort. Et maintenant, puisque tout avait un sens dans le chaos, son lionceau allait mourir lui aussi. Justice, enfin ! pour celui qui avait même envié au Bleu un fils.
Allez, un pied d’vant l’autre. Quartier de la Cathédrale, on y est. Oui, c’est ici. Mon couteau, dans ma botte. Le lion est mort, et c’est moi le lion alors. Oui, parce que Pine-d’huître c’était pas la moitié d’un con. Il disait qu’aux Tarides, le nouveau lion il butait les petits du vieux. C’est la nature, oui c’est la nature et c’est comme ça. Je vais l’attraper, je vais le tirer dans un coin et je vais l’étrangler. Allez, un pied d’vant l’autre mon gars, un pied d’vant l’autre. Tu vas tuer un gosse ? Ouais j’vais tuer un gosse, ça sera pas le premier. Et le paladin ? Si il se met entre lui et moi, il va y passer aussi. Je vais les étriper. C’est moi que j’ai gagné, c’est moi qui vis. Y’a pas d’cocotte, y’a pas d’compagnie, y a que mes mains qui vont faire craquer ce cou.
Je rôde, je les cherche. Je regarde pas les marches, non pas les marches qui montent dans l’église. Ce marbre, les chandeliers, le tapis bleu, les colonnes, quand est-ce que c’était la dernière fois ? Allez bois ma couille, bois, parce que la dernière fois, c’était quand Landen et Hannigan ont prié avec toi, tu le sais. Quand ils ont prié pour Tomas. Ouais, ton p’tit Tomas. Qu’est mort, à cause de toi, parce que tu l’as abandonné. Mort mort mort, bois bois bois. Ne rentre pas dans la Cathédrale, t’as pas le droit. C’est pour les gens de bien. C’est pour les Bleus, les Capitaines et autres héros de mes couilles. Toi t’es une râclure de bidet, tu attends dehors en rongeant ton frein, tu fais le tour une fois, deux fois, dix fois, tu vides ta bouteille et tu pisses sur tes bottes. Pourquoi est-ce que j’suis là bordel. Pourquoi j’me barre pas pour de bon. Nique le Capitaine, nique la compagnie, nique Cendrebourg, je trace ! Bah non, j’vais y retourner pour aller y crever. Mais d’abord, d’abord … il me le faut lui.
Il est là. Le lionceau, avec son paladin. Ils sortent, ils descendent les marches, ils s’éloignent. Je les suis en rasant les murs dans les ruelles du quartier pendant que le soir il tombe. Frapper au bon moment. Pas maintenant, pas trop vite. Je rampe dans les ombres, on croirait la Vipère. Ils vont aux canaux, ils passent le pont, ils s’arrêtent pour discuter avec un type. Je suis caché, je les observe. Frapper au bon moment Camille. Frapper au bon moment. Le paladin il cause, il cause. Le petit il s’emmerde, il s’emmerde. Il a la bougeotte, ce lionceau. Il ramasse un bâton et joue. Il joue au petit soldat, c’est rigolo, presque. Peut-être qu’il joue à être son pôpa. Je le regarde faire. Il tape dans l’air, il rugit comme un lionceau qui fait le lion. Puis il chasse des orcs et des goules, et il s’éloigne un peu. L’autre discute encore. Le lionceau s’éloigne plus pour faire sa guerre. Encore un peu, près de l’angle du pâté de maison. Un peu encore, allez allez, avance petit lion. Encore un peu. Là voilà, t’es passé derrière. Parfait. J’arrive.
Il est là, à mes pieds. Il me regarde avec de gros yeux ronds, le lionceau. Moi j’le regarde aussi. Allez Camille. Un pas en avant, tu tends les mains, tu les fermes sur sa gorge et tu serres. Serres à peine, ça va craquer tout seul, il va mourir sans même faire du bruit. Et tu te casses, tu disparais. Allez, un pas. Un pas. Bordel. Je peux pas. Il me regarde avec ses grands yeux. Il doit avoir l’âge de Tomas, ce lionceau. Tomas il est mort. D’une fièvre qu’on dit. Je sais pas. J’arrive pas à avaler mon glaviot. Putain, non. J’ai même plus les couilles de tuer un gosse. J’ai envie de pleurer. Non, pas d’vant Tomas, faut être fort. MAIS BORDEL c’est pas Tomas, allez un pas en avant, oui comme ça ! C’est bien, maintenant tends les mains. Voilà, tends les mains gros connard !
Pourquoi ? Pourquoi que je vais le tuer ce petit ? Peut-être que le Bleu il avait le droit de tout avoir en fait. La fille, le respect, le fils. Peut-être que toi, pauvre merde, peut-être que toi tout ce que t’as le droit, c’est de suivre les Bleus. De les écouter, de faire pareil, d’essayer d’être comme eux ouais. Est-ce que le Bleu il t’aurait tué Tomas. Non, il l’aurait protégé. Il serait mort pour ça, et toi tu vas lui tuer son pitchoune. Regarde ta main sur son cou. Pose-la sur son épaule. Dis-lui « je vais te protéger. » Mais le protéger de quoi ? Il a un paladin. Un paladin. Tu crois que tu vas aller le voir, tu vas lui dire « c’est moi son pôpa maintenant ». C’est le fils du Bleu, il a tout Hurlevent derrière lui. Toi t’es rien, toi tu peux rien. Allez c’est ça le Chat, recule, vomi à côté, casse-toi avant qu’il gueule et que son parrain te mette la dérouillée qu’tu mérites.
Il me regarde partir en courant. Je me rêche dans une flaque mais j’me relève et je continue en voyant double, de la gerbe sur mon tabard. J’ai le cerveau qui va exploser. Vodka vite. Bois, rentre, meurs, et que vive le lionceau.
Camille Chat- Citoyen
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Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Camille Chat gravit les marches du temple en ruine à toute allure, emboîtant le pas à la première ligne qui se rue en avant. Le reste de l’escouade suit rapidement. Les mercenaires laissent derrière eux les cadavres des ogres et escaladent au pas de course l’escalier interminable qui mène au sanctuaire, au sommet des vestiges de l’antique cité elfe d’Isildien, endormie depuis des millénaires sous l’épaisse canopée de Féralas. Ils cavalent, le souffle court, et montent entre les tours de pierre décrépie et couverte d’un lierre épais, coiffées de dômes autrefois majestueux et aujourd’hui crevés. Des statues érodées les toisent, héros d’antan mangés par la mousse, et jugent en silence ces aventuriers qui défilent à leurs pieds.
Ils franchissent finalement le dernier palier et déboulent sur l’esplanade, au pied de l’édifice monumental érigé en l’honneur d’Elune. Là ils se déploient en ordre de bataille sous le commandement du Lieutenant Briséis d’Erdeval : la première ligne soulève ses boucliers, les tireurs se positionnent, les sorciers et autres chamans se concentrent, les soigneurs préparent leur matériel. Et le silence retombe sur les ruines. Un silence pesant, lourd. Celui qui précède la danse de mort pour laquelle les mercenaires ont signé. Mais l’ordre est enfin donné d’entrer dans le temple et la Rétribution s’y engouffre.
J’suis devant avec mon frangin et ce connard de Durobar. L’reste est juste derrière, je sens le gros Levrette qui m’souffle dans la nuque ça m’énerve et j’ai envie de lui mettre une boîte en plein museau mais c’est pas le moment. Là-dedans c’est immense, un grand gros temple tout pété qu’est resté dans son jus pendant une paye. Les p’tits graviers grincent sous nos bottes pendant qu’on se déploie lentement dans les passages à droite pis à gauche, pis sans causer. Y’a pas un bruit, j’aime pô ça. Au milieu du temple y’a comme une mare d’eau brillante, pis au milieu y’à un type, de dos. Un elfe, avec une robe en feuille. Plutôt pédé d’porter une robe quand t’es un mec si tu veux mon avis, encore plus si c’est en feuille de salades m’enfin les elfes ils font des trucs comme ça. Derrière moi j’entends chuchoter qu’c’est Beloros, le druide qu’on est v’nu sauver. Sauf que lui il est là, debout, pas attaché ni rien. Y’a personne, j’vois pas de quoi il doit être sauvé. Et pis il bouge pas. Ecoute moi bien : si comme moi t’es pas la moitié d’un con, bah tu comprends vite qu’y a pas besoin d’avoir un flair de concours pour sentir que là, là ça pue déjà la merde.
Et paf ça manque pas. J’entends gueuler derrière j’me retourne et j’vois des grosses ronces qui cassent le carrelage du sol de l’entrée et qui font comme qu’un mur pour refermer le passage, pis qui piègent le Lieutenant dedans. Ca gueule de l’aut’ côté, la moitié du groupe est restée dehors. Super. J’re-regarde devant moi, l’elfe il s’est retourné. Pute-borgne, il a une sale gueule. Les yeux verts, la tronche toute veinée de noir et un gros sourire d’enculé. Pas sûr qu’il veut qu’on le sauve, celui-là. Et allez c’est parti. Y’a des bruits là-haut sur les balcons, comme que c’est des gobelins qui ricanent et il commence à pleuvoir des boules de feu vert dans tous les sens. Ca pète juste à côté de moi y’a un bout d’colonne qui m’éclate dans la gueule et qui m’envoie au tapis. Ca siffle dans la caboche, mais j’récupère Titine et j’me relève.
Putain mais quel bordel. C’était tout calme et tout d’un coup c’est l’enfer. Là-bas y’a des satyres qui déboulent des ombres et qui sautent sur le Boulon et Bervann pour s’en faire un quatre heure, d’l’aut’ côté pareil y’a le gros Levrette qui relève Durconnard pendant qu’la Sioraï elle se fait bousculer par trois enculés de chèvres qui pensent qu’à la retourner. Et le Beloros-mes couilles au milieu qui canarde comme un canon d’marine et qui flambe tout. Bon.
…
Putain Bala, il est où ce con !
J’fais l’tour et j’le vois au train de se fritter avec un satyre. Y se démerde bien jusqu’à ce que l’autre fils de pute lui enfonce son schlass tordu dans la cuisse. Et le frangin qui couine et qui baisse sa garde, moi j’arrive comme un boulet et PAF j’lui rentre la tête entre les épaules au satyre, d’un gros coup d’Titine entre les cornes. Pis j’tire Bala par l’épaulière et je le traîne à l’abri derrière un pilier pendant que dans la salle ça pète dans tous les sens.
- « Lâche moi ! Faut aller les aider ! » qu’il me gueule le gamin.
J’lui en retourne une et j’lui dis de fermer sa gueule. Je penche la tête sur le bord du pilier, j’vois Bervann qui beugle une prière et qui fonce sur le druide pendant qu’le Boulon occupe les satyres. Putain ce Bervann, il a une gueule de p’tite tapette pleurnicharde mais faut bien avouer c’est un putain de héros. J’lui ai tatoué la Grue Rouge sur le bras parce qu’il a fait le débarquement de Krasarang, lui aussi. Ca, ça c’est la marque des vrais, des durs, des tatoués. M’enfin là il s’attaque à un gros morceau quand même. Tant mieux, ça va faire diversion. J’regarde derrière. Les autres dehors ils ont finit par tailler un chemin dans les ronces et ils ont libéré le Lieutenant mais ils restent là-bas, devant le temple. Apparemment ça chiste aussi de leur côté. Mais bon ils sont plus nombreux, y’a tous les soigneurs, et pis surtout y’a le Lieutenant qu’est quand même un peu notre môman à tous ici. Elle le protègera.
- « Ecoute moi bien p’tit con tu te remets sur tes quilles et tu dégages de là. Sors, va trouver l’Lieutenant ! » que j’lui gueule.
- « Mais … Non ! »
J’le relève et j’le pousse vers la sortie.
- « Y’A PAS DE NON, SORS DE LA ET VA REJOINDRE LES AUTRES. »
Il tire la gueule mais il se casse en boitant et il s’fait un passage dans les ronces pour sortir. Bon, ça d’réglé. Maintenant faut aller au charbon pour de vrai. J’crache un glaviot par terre, j’prends bien Titine dans mes paluches, j’lui fait un bisou sur la tête et j’sors de ma cachette pour foncer sur le premier enculé qui vient. YAAAAAAARH !!!!!
Camille Chat a dix-huit ans et les temps sont durs depuis la mort en couches de sa mère. Il travaille toute la journée durant à la grande scierie du Val d’Est, dans la sciure et la sueur. Chaque jour, sans s’arrêter, le jeune homme scie des troncs, ponce des planches et rabote des madriers sous les ordres d’un contremaître qu’il hait et qui le lui rend bien. Devenu la brebis galeuse de l’équipe d’ouvriers dès son embauche – lorsqu’il cassa le nez d’un collègue en lui envoyant son poing dans la figure – Camille est relégué aux tâches les plus difficiles et les plus ingrates, réduit à l’état de bête de somme aux paluches garnies d’échardes et le tout pour un bien maigre salaire. Mais il serre les dents et continue, car il n’a pas le choix : il est le seul à pouvoir subvenir aux besoins de son jeune frère Baladinis, de dix ans son cadet, et de son père alcoolique.
A la mort de sa femme, Georges Chat s’est enfoncé toujours plus profondément dans la boisson, soignant son désarroi dans un tripot sordide du Comté-de-l’Or où il a contracté dettes et maladies vénériennes. Il perdit sans surprise son emploi à la scierie, ne faisant qu’accentuer les quolibets que les autres ouvriers lancent à son ainé, et passe désormais le plus clair de son temps à cuver dans l’unique pièce de la cabane des Chat, logement pitoyable et brinquebalant en bordure du bourg où la famille du s’installer après que des huissiers royaux soient venus saisir leur ancienne maison.
Il fait déjà nuit et j’sors à peine de l’atelier. Encore une journée de merde. Qu’a servit à rien en plus, parce que l’autre fils de pute de Hubert a dit qu’il allait retenir ma paye d’la journée pour remplacer la gouge que j’ai cassée en forçant dessus comme un âne. Putain alors. J’vais faire ça toute ma putain de vie et je vais finir comme cette sous-merde de Pôpa. Bah c’est pas brillant, bordel. Bref la journée est finie, j’rentre à ma barraque et on verra bien demain. J’arrive, j’pousse la porte. Pôpa et l’gamin sont déjà à table, sur cette table de merde, assis sur des tabourets de merde, à bouffer une soupe de merde. Je jette mon barda dans un coin, Bala y saute de son siège y vient m’voir pour que j’le prenne dans mes bras. J’ai la flemme mais j’le soulève. Putain il est lourd, déjà, quoi que moi à huit ans je faisais peut-être le double de son poids.
- « Hé, hé Camille on va ramasser des escargots après ? Comme ça on les f’ra cuire. Et on dirait pour jouer qu’on est des gros blaireaux et qu’on va dans la nuit chercher des escargots et tout. » qu’il me dit.
- « Non, j’suis crevé, on ira une autre fois. » que j’lui dis.
Ouais parce qu’en plus de fendre des bûches j’fais nounou. Vu que l’autre raté il passe son temps à picoler bah c’est moi qui m’y colle. Et vas-y que j’emmène le mioche à la pêche, et vas-y qu’j’vais lui faire acheter des souliers, et vas-y qu’on va ramasser des escargots, et gnagnagna et gnagnagna. Après l’gosse y s’occupe tout seul avec ses p’tits copains du village et des fois il part dans les bois on sait pas où qu’il est mais bon moi j’suis pas nourrice. Et j’suis pas Môman.
Bref, j’pose mon cul et j’mange ma soupe. J’regarde même pas Pôpa, j’l’emmerde. Alors l’petit Bala bah il s’assoit aussi et il mange sa soupe aussi. Et on est là, tous les trois, et on mage notre soupe sans parler, et on entend que « sluuuurp sluuuurp ». Des fois j’me dis que j’aimerai bien entendre Môman fredonner dans la cuisine, à côté. Enfin quand on avait une cuisine. Bref.
- « Hé, hé Camille. » J’lui réponds pas, il me fatigue. « Hé, hé, hé, hé Camille, hé Camille. »
- « Quoi bordel. »
- « Bah auzourd’hui avec Emile et le Gros Arthur et les autres bah on est allé au lac et on a vu un sanglier. Ouais un sanglier même que blablablablabla … » Putain qu’est-ce qu’il tcharre ce gosse. « … blablabla et là Zason il a fait GRRRRRR et c’est comme ça qu’on a fuir toute la tribu des gnolls et même qu’après »
Pôpa se lève d’un coup et lui retourne une mandale qui le fait tomber de son tabouret. Le Bala il se retrouve par terre tout surpris.
- « Tu la fermes et tu bouffes ta soupe. » qu’il lui dit. Pis il se rassoit et il se verse de la piquette dans son gobelet en grognant.
Bala il répond rien. Il pleure même pas, il connait la musique. Il se relève, se frotte la joue et se rassoit pour manger sa soupe en silence. Grosse ambiance chez les Chat. Sauf que le gosse il a la bougeotte. Il finit sa soupe pis il racle le bord de sa gamelle avec sa cuillère, et ça crisse ça fait du bruit. J’vois Pôpa il se tend, alors j’me tends aussi, mais le chiard il continue avec sa cuillère et même il chantonne. Pôpa il se met debout d’un coup encore, il lève la main le gosse se recroqueville et moi j’chope le poignet à Pôpa et j’lui tord. Il gueule et il me regarde comme si il allait me tuer.
- « Tu le touches encore je te marave. » que j’lui dis.
Et Pôpa cette baltringue il répond rien. Ouais c’est un ancien bûcheron et il est costaud, mais la bibine ça l’a miné et maintenant il a juste des larges épaules mais il est tout mou et sans énergie. Moi par contre j’suis plus un petit chaton qu’il peut boxer comme il le faisait avant, non non : j’suis une grosse bête et à force de fendre des bûches j’ai des bras comme des cuissots. Alors le vieux matou il se dégage d’un coup en disant un gros mot et il se rassoit. Sale merde va.
Voilà le repas il finit comme ça. Ca finit toujours comme ça. Quand c’est terminé bah chacun il va faire ses trucs. C’est-à-dire que Pôpa il picole devant notre petit poêle de clodo avec une couverture miteuse sur les épaules, Bala il joue par terre à côté avec le cheval en bois que j’ai volé à un gosse du Comté pour lui donner, et moi j’m’assois sur la souche dehors, tout seul dans l’noir, et je respire. J’pense à Môman, j’lui parle parfois. J’lui dis que j’fais c’que je peux comme qu’elle m’a appris, pis pour le petit, parce que quand elle a accouché et qu’elle était en train de mourir devant Pôpa et moi et que la sage-femme elle pouvait rien faire, elle m’a fait promettre de m’occuper de mon frangin. Alors j’essaye mais c’est pas facile tous les jours. Là ce soir je dis à Môman que je vais péter un câble à la scierie, que demain je vais tuer Hubert et que je vais pendre au bout d’une corde quand la maréchaussée va m’attraper, et que le p’tit Bala il aura plus personne. Môman elle me dit que non, qu’il faut tenir encore un peu pis que tout ira bien. J’la crois. C’est qu’elle était douce, la Môman Chat tu sais. Elle avait des grandes mains de travailleuse qui faisaient pas du bien quand tu les prenais dans le coin de la tronche, mais aussi quand elle te caressait avec c’est comme si tout allait mieux. Et quand elle te serrait fort dans sa grosse poitrine et que t’étais tout enfoncé dans son tablier ça c’était bonnard. Après elle m’faisait des guili et elle me pinçait les oreilles pis on rigolait. Bref.
J’entends un bruit d’verre cassé et ça gueule dans la maison. J’y retourne je pousse la porte et je vois Pôpa au-dessus de Bala qui pleure, devant une bouteille de vinasse cassée par terre dans une grosse tâche.
- « J’ai pô fait exprès, j’ai pô fait exprès ! » qu’il pleurniche le môme.
- « P’tite râclure va ! » qu’il gueule Pôpa en lui collant son pied dans les côtes. « T’es que des emmerdes ! Que des emmerdes ! On était bien, tout allait bien, pis t’es arrivé ! T’as tué ta mère et là tu casses mes bouteilles ! T’es né pour me faire chier ! » Et il envoie une mandale si méchante qu’elle endort un peu le gamin.
Mon sang il fait qu’un tour, je saute sur l’ivrogne et on commence à se battre. Putain il a encore du répondant le vieux. Il m’envoie un bourre-pif qui m’fait voir des étoiles mais j’le bouscule et il manque de tomber sur le poêle. Y’a un truc qui me tire le tricot. C’est Bala.
- « Arrêtez, arrêtez, arrêtez !!!! » qu’il hurle la morve au nez.
J’lui envoie une grosse baffe aussi.
- « Ferme ta gueule et monte dans le lit ! »
J’lui colle aussi un coup d’pied au cul pour la forme, comme ça il monte plus vite. Pis Pôpa m’saute sur le dos en gueulant, il pue la piquette et la pisse, on se fout sur la gueule, ça part dans tous les sens y’a la pauvre vaisselle -seul truc qui nous restait de Môman- qu’éclate, les tabourets ils se renversent, bref c’est le bordel. Mais finalement j’arrive à le jeter sur la table, j’attrape la cruche en terre et je lui éclate sur le crâne. Il s’effondre, ça pisse le sang. J’crois que j’ai tué Pôpa. Je reste là, je sais pas quoi faire. Putain, putain, putain.
- « BALA ! PRENDS TES AFFAIRES ON DEGAGE. MAINTENANT. »
J’l’entends qui geint là-haut, j’l’engueule je lui dis de se bouger le cul. Faut pas qu’il me voit paniquer. Putain putain putain. J’entends Pôpa grogner, il est pas mort. Mais bon faut qu’on se casse quand même, c’est pas possible. Mais j’vais faire quoi ? J’en sais rien, on va trouver. Faut se tirer de là. Le gosse il descend avec un baluchon et son cheval en bois, j’le prend par la main et on sort de la maison. J’entends Pôpa essayer de gueuler un truc, on se retourne pas. On longe le village par l’orée du bois pis on arrive sur la route qui va au Comté, en pleine nuit. Y’a que nous. Le petit il pleure.
- « Camille on fait quoi. » qu’il dit en reniflant sa morve.
- « T’inquiète Bala, on va s’démerder. On va aller à Hurlevent tu vas voir. C’est trop bien, c’est super grand et y’a plein de trucs à faire. » J’y ai jamais foutu les pieds. « Y’a plein de gosses comme toi qui veulent des nouveaux copains. »
Et on part. J’porte le gamin sur mon dos, je sens qu’il s’endort. Putain, mais qu’est-ce qu’on va faire. J’ai même pas une pièce en poche. Bah on va faire, et pis et c’est tout. T’inquiète Môman. J’vais pas buter Hubert, j’vais pas pendre au bout d’une corde. On va se démerder, j’vais trouver du travail au port ou comme gardien ou videur dans un rade et pis voilà, et l’petit il aura qu’à faire la manche un peu ou se rendre utile et attraper les rats contre une pièce, j’en sais rien. Mais on va s’démerder. Et Môman, j’te jure, ouais j’te jure, que ce gosse je le protégerai. Sur ma vie.
Camille Chat se réveille en sursaut, happant l’air comme un poisson hors de l’eau et filant au passage un grand coup de coude dans la tempe de la poulette qui partage son hamac. Il met quelques secondes à réaliser où il est, le souffle court mais retrouve peu à peu son calme et finit par se lever. La nuit est glaciale, et c’est un matou emmitouflé dans sa grande cape qui monte sur le mur du fort de Cendrebourg pour aller fumer une cigarette en regardant la mer d’encre. Ce cauchemar, il le fait souvent, malgré l’attrape-rêve qui pend au-dessus de son couchage. Dans ses songes saccadés, il revoit le temple de Féralas, les boules de feu gangréné, son frère et ce moment où le repris de justice envoya ce dernier à la mort. Les derniers mots qu’il lui lança résonnent encore dans son crâne comme un écho lointain.
« SORS DE LA ET VA REJOINDRE LES AUTRES. »
Pardon Môman.
Ils franchissent finalement le dernier palier et déboulent sur l’esplanade, au pied de l’édifice monumental érigé en l’honneur d’Elune. Là ils se déploient en ordre de bataille sous le commandement du Lieutenant Briséis d’Erdeval : la première ligne soulève ses boucliers, les tireurs se positionnent, les sorciers et autres chamans se concentrent, les soigneurs préparent leur matériel. Et le silence retombe sur les ruines. Un silence pesant, lourd. Celui qui précède la danse de mort pour laquelle les mercenaires ont signé. Mais l’ordre est enfin donné d’entrer dans le temple et la Rétribution s’y engouffre.
J’suis devant avec mon frangin et ce connard de Durobar. L’reste est juste derrière, je sens le gros Levrette qui m’souffle dans la nuque ça m’énerve et j’ai envie de lui mettre une boîte en plein museau mais c’est pas le moment. Là-dedans c’est immense, un grand gros temple tout pété qu’est resté dans son jus pendant une paye. Les p’tits graviers grincent sous nos bottes pendant qu’on se déploie lentement dans les passages à droite pis à gauche, pis sans causer. Y’a pas un bruit, j’aime pô ça. Au milieu du temple y’a comme une mare d’eau brillante, pis au milieu y’à un type, de dos. Un elfe, avec une robe en feuille. Plutôt pédé d’porter une robe quand t’es un mec si tu veux mon avis, encore plus si c’est en feuille de salades m’enfin les elfes ils font des trucs comme ça. Derrière moi j’entends chuchoter qu’c’est Beloros, le druide qu’on est v’nu sauver. Sauf que lui il est là, debout, pas attaché ni rien. Y’a personne, j’vois pas de quoi il doit être sauvé. Et pis il bouge pas. Ecoute moi bien : si comme moi t’es pas la moitié d’un con, bah tu comprends vite qu’y a pas besoin d’avoir un flair de concours pour sentir que là, là ça pue déjà la merde.
Et paf ça manque pas. J’entends gueuler derrière j’me retourne et j’vois des grosses ronces qui cassent le carrelage du sol de l’entrée et qui font comme qu’un mur pour refermer le passage, pis qui piègent le Lieutenant dedans. Ca gueule de l’aut’ côté, la moitié du groupe est restée dehors. Super. J’re-regarde devant moi, l’elfe il s’est retourné. Pute-borgne, il a une sale gueule. Les yeux verts, la tronche toute veinée de noir et un gros sourire d’enculé. Pas sûr qu’il veut qu’on le sauve, celui-là. Et allez c’est parti. Y’a des bruits là-haut sur les balcons, comme que c’est des gobelins qui ricanent et il commence à pleuvoir des boules de feu vert dans tous les sens. Ca pète juste à côté de moi y’a un bout d’colonne qui m’éclate dans la gueule et qui m’envoie au tapis. Ca siffle dans la caboche, mais j’récupère Titine et j’me relève.
Putain mais quel bordel. C’était tout calme et tout d’un coup c’est l’enfer. Là-bas y’a des satyres qui déboulent des ombres et qui sautent sur le Boulon et Bervann pour s’en faire un quatre heure, d’l’aut’ côté pareil y’a le gros Levrette qui relève Durconnard pendant qu’la Sioraï elle se fait bousculer par trois enculés de chèvres qui pensent qu’à la retourner. Et le Beloros-mes couilles au milieu qui canarde comme un canon d’marine et qui flambe tout. Bon.
…
Putain Bala, il est où ce con !
J’fais l’tour et j’le vois au train de se fritter avec un satyre. Y se démerde bien jusqu’à ce que l’autre fils de pute lui enfonce son schlass tordu dans la cuisse. Et le frangin qui couine et qui baisse sa garde, moi j’arrive comme un boulet et PAF j’lui rentre la tête entre les épaules au satyre, d’un gros coup d’Titine entre les cornes. Pis j’tire Bala par l’épaulière et je le traîne à l’abri derrière un pilier pendant que dans la salle ça pète dans tous les sens.
- « Lâche moi ! Faut aller les aider ! » qu’il me gueule le gamin.
J’lui en retourne une et j’lui dis de fermer sa gueule. Je penche la tête sur le bord du pilier, j’vois Bervann qui beugle une prière et qui fonce sur le druide pendant qu’le Boulon occupe les satyres. Putain ce Bervann, il a une gueule de p’tite tapette pleurnicharde mais faut bien avouer c’est un putain de héros. J’lui ai tatoué la Grue Rouge sur le bras parce qu’il a fait le débarquement de Krasarang, lui aussi. Ca, ça c’est la marque des vrais, des durs, des tatoués. M’enfin là il s’attaque à un gros morceau quand même. Tant mieux, ça va faire diversion. J’regarde derrière. Les autres dehors ils ont finit par tailler un chemin dans les ronces et ils ont libéré le Lieutenant mais ils restent là-bas, devant le temple. Apparemment ça chiste aussi de leur côté. Mais bon ils sont plus nombreux, y’a tous les soigneurs, et pis surtout y’a le Lieutenant qu’est quand même un peu notre môman à tous ici. Elle le protègera.
- « Ecoute moi bien p’tit con tu te remets sur tes quilles et tu dégages de là. Sors, va trouver l’Lieutenant ! » que j’lui gueule.
- « Mais … Non ! »
J’le relève et j’le pousse vers la sortie.
- « Y’A PAS DE NON, SORS DE LA ET VA REJOINDRE LES AUTRES. »
Il tire la gueule mais il se casse en boitant et il s’fait un passage dans les ronces pour sortir. Bon, ça d’réglé. Maintenant faut aller au charbon pour de vrai. J’crache un glaviot par terre, j’prends bien Titine dans mes paluches, j’lui fait un bisou sur la tête et j’sors de ma cachette pour foncer sur le premier enculé qui vient. YAAAAAAARH !!!!!
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Camille Chat a dix-huit ans et les temps sont durs depuis la mort en couches de sa mère. Il travaille toute la journée durant à la grande scierie du Val d’Est, dans la sciure et la sueur. Chaque jour, sans s’arrêter, le jeune homme scie des troncs, ponce des planches et rabote des madriers sous les ordres d’un contremaître qu’il hait et qui le lui rend bien. Devenu la brebis galeuse de l’équipe d’ouvriers dès son embauche – lorsqu’il cassa le nez d’un collègue en lui envoyant son poing dans la figure – Camille est relégué aux tâches les plus difficiles et les plus ingrates, réduit à l’état de bête de somme aux paluches garnies d’échardes et le tout pour un bien maigre salaire. Mais il serre les dents et continue, car il n’a pas le choix : il est le seul à pouvoir subvenir aux besoins de son jeune frère Baladinis, de dix ans son cadet, et de son père alcoolique.
A la mort de sa femme, Georges Chat s’est enfoncé toujours plus profondément dans la boisson, soignant son désarroi dans un tripot sordide du Comté-de-l’Or où il a contracté dettes et maladies vénériennes. Il perdit sans surprise son emploi à la scierie, ne faisant qu’accentuer les quolibets que les autres ouvriers lancent à son ainé, et passe désormais le plus clair de son temps à cuver dans l’unique pièce de la cabane des Chat, logement pitoyable et brinquebalant en bordure du bourg où la famille du s’installer après que des huissiers royaux soient venus saisir leur ancienne maison.
Il fait déjà nuit et j’sors à peine de l’atelier. Encore une journée de merde. Qu’a servit à rien en plus, parce que l’autre fils de pute de Hubert a dit qu’il allait retenir ma paye d’la journée pour remplacer la gouge que j’ai cassée en forçant dessus comme un âne. Putain alors. J’vais faire ça toute ma putain de vie et je vais finir comme cette sous-merde de Pôpa. Bah c’est pas brillant, bordel. Bref la journée est finie, j’rentre à ma barraque et on verra bien demain. J’arrive, j’pousse la porte. Pôpa et l’gamin sont déjà à table, sur cette table de merde, assis sur des tabourets de merde, à bouffer une soupe de merde. Je jette mon barda dans un coin, Bala y saute de son siège y vient m’voir pour que j’le prenne dans mes bras. J’ai la flemme mais j’le soulève. Putain il est lourd, déjà, quoi que moi à huit ans je faisais peut-être le double de son poids.
- « Hé, hé Camille on va ramasser des escargots après ? Comme ça on les f’ra cuire. Et on dirait pour jouer qu’on est des gros blaireaux et qu’on va dans la nuit chercher des escargots et tout. » qu’il me dit.
- « Non, j’suis crevé, on ira une autre fois. » que j’lui dis.
Ouais parce qu’en plus de fendre des bûches j’fais nounou. Vu que l’autre raté il passe son temps à picoler bah c’est moi qui m’y colle. Et vas-y que j’emmène le mioche à la pêche, et vas-y qu’j’vais lui faire acheter des souliers, et vas-y qu’on va ramasser des escargots, et gnagnagna et gnagnagna. Après l’gosse y s’occupe tout seul avec ses p’tits copains du village et des fois il part dans les bois on sait pas où qu’il est mais bon moi j’suis pas nourrice. Et j’suis pas Môman.
Bref, j’pose mon cul et j’mange ma soupe. J’regarde même pas Pôpa, j’l’emmerde. Alors l’petit Bala bah il s’assoit aussi et il mange sa soupe aussi. Et on est là, tous les trois, et on mage notre soupe sans parler, et on entend que « sluuuurp sluuuurp ». Des fois j’me dis que j’aimerai bien entendre Môman fredonner dans la cuisine, à côté. Enfin quand on avait une cuisine. Bref.
- « Hé, hé Camille. » J’lui réponds pas, il me fatigue. « Hé, hé, hé, hé Camille, hé Camille. »
- « Quoi bordel. »
- « Bah auzourd’hui avec Emile et le Gros Arthur et les autres bah on est allé au lac et on a vu un sanglier. Ouais un sanglier même que blablablablabla … » Putain qu’est-ce qu’il tcharre ce gosse. « … blablabla et là Zason il a fait GRRRRRR et c’est comme ça qu’on a fuir toute la tribu des gnolls et même qu’après »
Pôpa se lève d’un coup et lui retourne une mandale qui le fait tomber de son tabouret. Le Bala il se retrouve par terre tout surpris.
- « Tu la fermes et tu bouffes ta soupe. » qu’il lui dit. Pis il se rassoit et il se verse de la piquette dans son gobelet en grognant.
Bala il répond rien. Il pleure même pas, il connait la musique. Il se relève, se frotte la joue et se rassoit pour manger sa soupe en silence. Grosse ambiance chez les Chat. Sauf que le gosse il a la bougeotte. Il finit sa soupe pis il racle le bord de sa gamelle avec sa cuillère, et ça crisse ça fait du bruit. J’vois Pôpa il se tend, alors j’me tends aussi, mais le chiard il continue avec sa cuillère et même il chantonne. Pôpa il se met debout d’un coup encore, il lève la main le gosse se recroqueville et moi j’chope le poignet à Pôpa et j’lui tord. Il gueule et il me regarde comme si il allait me tuer.
- « Tu le touches encore je te marave. » que j’lui dis.
Et Pôpa cette baltringue il répond rien. Ouais c’est un ancien bûcheron et il est costaud, mais la bibine ça l’a miné et maintenant il a juste des larges épaules mais il est tout mou et sans énergie. Moi par contre j’suis plus un petit chaton qu’il peut boxer comme il le faisait avant, non non : j’suis une grosse bête et à force de fendre des bûches j’ai des bras comme des cuissots. Alors le vieux matou il se dégage d’un coup en disant un gros mot et il se rassoit. Sale merde va.
Voilà le repas il finit comme ça. Ca finit toujours comme ça. Quand c’est terminé bah chacun il va faire ses trucs. C’est-à-dire que Pôpa il picole devant notre petit poêle de clodo avec une couverture miteuse sur les épaules, Bala il joue par terre à côté avec le cheval en bois que j’ai volé à un gosse du Comté pour lui donner, et moi j’m’assois sur la souche dehors, tout seul dans l’noir, et je respire. J’pense à Môman, j’lui parle parfois. J’lui dis que j’fais c’que je peux comme qu’elle m’a appris, pis pour le petit, parce que quand elle a accouché et qu’elle était en train de mourir devant Pôpa et moi et que la sage-femme elle pouvait rien faire, elle m’a fait promettre de m’occuper de mon frangin. Alors j’essaye mais c’est pas facile tous les jours. Là ce soir je dis à Môman que je vais péter un câble à la scierie, que demain je vais tuer Hubert et que je vais pendre au bout d’une corde quand la maréchaussée va m’attraper, et que le p’tit Bala il aura plus personne. Môman elle me dit que non, qu’il faut tenir encore un peu pis que tout ira bien. J’la crois. C’est qu’elle était douce, la Môman Chat tu sais. Elle avait des grandes mains de travailleuse qui faisaient pas du bien quand tu les prenais dans le coin de la tronche, mais aussi quand elle te caressait avec c’est comme si tout allait mieux. Et quand elle te serrait fort dans sa grosse poitrine et que t’étais tout enfoncé dans son tablier ça c’était bonnard. Après elle m’faisait des guili et elle me pinçait les oreilles pis on rigolait. Bref.
J’entends un bruit d’verre cassé et ça gueule dans la maison. J’y retourne je pousse la porte et je vois Pôpa au-dessus de Bala qui pleure, devant une bouteille de vinasse cassée par terre dans une grosse tâche.
- « J’ai pô fait exprès, j’ai pô fait exprès ! » qu’il pleurniche le môme.
- « P’tite râclure va ! » qu’il gueule Pôpa en lui collant son pied dans les côtes. « T’es que des emmerdes ! Que des emmerdes ! On était bien, tout allait bien, pis t’es arrivé ! T’as tué ta mère et là tu casses mes bouteilles ! T’es né pour me faire chier ! » Et il envoie une mandale si méchante qu’elle endort un peu le gamin.
Mon sang il fait qu’un tour, je saute sur l’ivrogne et on commence à se battre. Putain il a encore du répondant le vieux. Il m’envoie un bourre-pif qui m’fait voir des étoiles mais j’le bouscule et il manque de tomber sur le poêle. Y’a un truc qui me tire le tricot. C’est Bala.
- « Arrêtez, arrêtez, arrêtez !!!! » qu’il hurle la morve au nez.
J’lui envoie une grosse baffe aussi.
- « Ferme ta gueule et monte dans le lit ! »
J’lui colle aussi un coup d’pied au cul pour la forme, comme ça il monte plus vite. Pis Pôpa m’saute sur le dos en gueulant, il pue la piquette et la pisse, on se fout sur la gueule, ça part dans tous les sens y’a la pauvre vaisselle -seul truc qui nous restait de Môman- qu’éclate, les tabourets ils se renversent, bref c’est le bordel. Mais finalement j’arrive à le jeter sur la table, j’attrape la cruche en terre et je lui éclate sur le crâne. Il s’effondre, ça pisse le sang. J’crois que j’ai tué Pôpa. Je reste là, je sais pas quoi faire. Putain, putain, putain.
- « BALA ! PRENDS TES AFFAIRES ON DEGAGE. MAINTENANT. »
J’l’entends qui geint là-haut, j’l’engueule je lui dis de se bouger le cul. Faut pas qu’il me voit paniquer. Putain putain putain. J’entends Pôpa grogner, il est pas mort. Mais bon faut qu’on se casse quand même, c’est pas possible. Mais j’vais faire quoi ? J’en sais rien, on va trouver. Faut se tirer de là. Le gosse il descend avec un baluchon et son cheval en bois, j’le prend par la main et on sort de la maison. J’entends Pôpa essayer de gueuler un truc, on se retourne pas. On longe le village par l’orée du bois pis on arrive sur la route qui va au Comté, en pleine nuit. Y’a que nous. Le petit il pleure.
- « Camille on fait quoi. » qu’il dit en reniflant sa morve.
- « T’inquiète Bala, on va s’démerder. On va aller à Hurlevent tu vas voir. C’est trop bien, c’est super grand et y’a plein de trucs à faire. » J’y ai jamais foutu les pieds. « Y’a plein de gosses comme toi qui veulent des nouveaux copains. »
Et on part. J’porte le gamin sur mon dos, je sens qu’il s’endort. Putain, mais qu’est-ce qu’on va faire. J’ai même pas une pièce en poche. Bah on va faire, et pis et c’est tout. T’inquiète Môman. J’vais pas buter Hubert, j’vais pas pendre au bout d’une corde. On va se démerder, j’vais trouver du travail au port ou comme gardien ou videur dans un rade et pis voilà, et l’petit il aura qu’à faire la manche un peu ou se rendre utile et attraper les rats contre une pièce, j’en sais rien. Mais on va s’démerder. Et Môman, j’te jure, ouais j’te jure, que ce gosse je le protégerai. Sur ma vie.
__________________
Camille Chat se réveille en sursaut, happant l’air comme un poisson hors de l’eau et filant au passage un grand coup de coude dans la tempe de la poulette qui partage son hamac. Il met quelques secondes à réaliser où il est, le souffle court mais retrouve peu à peu son calme et finit par se lever. La nuit est glaciale, et c’est un matou emmitouflé dans sa grande cape qui monte sur le mur du fort de Cendrebourg pour aller fumer une cigarette en regardant la mer d’encre. Ce cauchemar, il le fait souvent, malgré l’attrape-rêve qui pend au-dessus de son couchage. Dans ses songes saccadés, il revoit le temple de Féralas, les boules de feu gangréné, son frère et ce moment où le repris de justice envoya ce dernier à la mort. Les derniers mots qu’il lui lança résonnent encore dans son crâne comme un écho lointain.
« SORS DE LA ET VA REJOINDRE LES AUTRES. »
Pardon Môman.
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Dernière édition par Camille Chat le Lun 11 Mar 2024 - 19:34, édité 1 fois
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
Le Chat est chien maté. Tel un matou il lèche ses plaies. A sa manière, en les arrosant de bière tiède et de la cendre des cigarettes qu'il brûle l'une après l'autre. Perché en haut de son mur, emmitouflé dans sa cape, il vrille l'horizon du regard comme pour voir Cendrebourg et les Monts d'Albâtre éclater sous la pression de son ire sourde, à l'image des galets jetés au cœur du brasier.
Au moindre bruit de pas dans son dos, le gros félin se tend, prêt à sortir la griffe qui dort dans le coussinet de sa botte. Sa carcasse vibre à tout instant d'une agressivité craintive, lot de l'animal battu. Il feule alors et secoue la queue, comme si chaque importun était un autre sicaire venu l'attraper par la peau du cou, trente centimètres d'acier pointu au creux des reins. Gare à celui qui approche désormais le fauve sans montrer patte blanche !
Malgré les soins, malgré les mots doux et les gratouilles sous la gorge, les blessures brûlent. Elles brûlent d'une haine tenace, d'une honte acide qui rongent la peau et la chair. L'ichor de la rancune grignote tant l'esprit retors du matou que les fresques qui ornent son cuir tanné. Ces vilaines zébrures marquent le joli pelage du signe de l'infâmie et de la défaite.
Blessé en son corps et en son âme, le Chat de gouttière attend son heure, perché sur son mur, irascible et ruminant de sombres idées. Il se morfond et pense à la main de son maître indigne qu'il griffera au sang lorsqu'un jour elle daignera le caresser. Il suit du regard ce petit mulot d'Alban Marard avec la paresse du prédateur qui remet une chasse facile à plus tard, lorsqu'il sera temps de sortir de l'indolence pour mettre un terme à cette vie insignifiante d'un simple coup de patte. Et ne pas le manger, non, juste jouer avec jusqu'à s'en désintéresser et le laisser sécher à l'air.
Mais surtout, oooooh surtout, il attend sa proie : un bel oiseau au plumage de feu dont le chant est à l'origine de tous ses malheurs. Un canari brillant que le félin voit s'époumoner avec orgueil dans la cage dorée de son maître, là-haut, hors de portée. Aujourd'hui, le volatile est ailleurs. Mais il reviendra chanter. Il chantera si fort que son maître se lassera. Alors, oui alors, le matou sortira de sa torpeur. Il pliera son échine fouettée et d'un bond d'un seul il fauchera le canari et le tiendra entre ses griffes. Et alors que le maître regarde ailleurs, le Chat arrachera la tête de l'oiseau d'un coup de crocs, il lapera son sang comme du petit lait et il sentira les minuscules os craquer sous sa dent. Oh oui, la bête épanchera sa soif de vengeance. Et seulement, après, comme tous ceux de son espèce, il se cachera pour mourir. Rien qu'à y penser, il se pourlèche les babines.
Camille panse ses plaies, seul en haut de son mur. Mais il chassera bientôt.
Au moindre bruit de pas dans son dos, le gros félin se tend, prêt à sortir la griffe qui dort dans le coussinet de sa botte. Sa carcasse vibre à tout instant d'une agressivité craintive, lot de l'animal battu. Il feule alors et secoue la queue, comme si chaque importun était un autre sicaire venu l'attraper par la peau du cou, trente centimètres d'acier pointu au creux des reins. Gare à celui qui approche désormais le fauve sans montrer patte blanche !
Malgré les soins, malgré les mots doux et les gratouilles sous la gorge, les blessures brûlent. Elles brûlent d'une haine tenace, d'une honte acide qui rongent la peau et la chair. L'ichor de la rancune grignote tant l'esprit retors du matou que les fresques qui ornent son cuir tanné. Ces vilaines zébrures marquent le joli pelage du signe de l'infâmie et de la défaite.
Blessé en son corps et en son âme, le Chat de gouttière attend son heure, perché sur son mur, irascible et ruminant de sombres idées. Il se morfond et pense à la main de son maître indigne qu'il griffera au sang lorsqu'un jour elle daignera le caresser. Il suit du regard ce petit mulot d'Alban Marard avec la paresse du prédateur qui remet une chasse facile à plus tard, lorsqu'il sera temps de sortir de l'indolence pour mettre un terme à cette vie insignifiante d'un simple coup de patte. Et ne pas le manger, non, juste jouer avec jusqu'à s'en désintéresser et le laisser sécher à l'air.
Mais surtout, oooooh surtout, il attend sa proie : un bel oiseau au plumage de feu dont le chant est à l'origine de tous ses malheurs. Un canari brillant que le félin voit s'époumoner avec orgueil dans la cage dorée de son maître, là-haut, hors de portée. Aujourd'hui, le volatile est ailleurs. Mais il reviendra chanter. Il chantera si fort que son maître se lassera. Alors, oui alors, le matou sortira de sa torpeur. Il pliera son échine fouettée et d'un bond d'un seul il fauchera le canari et le tiendra entre ses griffes. Et alors que le maître regarde ailleurs, le Chat arrachera la tête de l'oiseau d'un coup de crocs, il lapera son sang comme du petit lait et il sentira les minuscules os craquer sous sa dent. Oh oui, la bête épanchera sa soif de vengeance. Et seulement, après, comme tous ceux de son espèce, il se cachera pour mourir. Rien qu'à y penser, il se pourlèche les babines.
Camille panse ses plaies, seul en haut de son mur. Mais il chassera bientôt.
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Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
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Une boule de parchemin froissée traîne quelque part dans la caserne, poussée dans un coin par la brise froide qui souffle sur Cendrebourg. Celui ou celle qui mettra la main dessus reconnaitra sans mal la griffe d'un Chat aussi poète que lâche qui jette sa déclaration aux ordures comme s'il s'agissait d'un vulgaire détritus.
Putain je l’aime, ouais je l’aime !
Quand elle frotte son tarin contre le mien, pis quand elle me regarde de travers et qu’elle s’énerve elle est encore plus jolie ouais. Dans le hamac, quand sans qu’elle fait essprès elle me roule dessus et sa trombine elle me tombe dans le cou et que j’ai mon menton sur son crâne. Quand c’est l’matin et que je vais lui sentir derrière les oreilles et que c’est-y chaud et que ça sent si bon putain. Quand j’passe ma paluche sur ses jolis p’tits petons fins, pis sur ses mollets minces et poilus, pis sur ses cuisses dures comme du putain de chêne. J’connais tous les tendons, toutes les rainures, toutes les tâches. Là, celle là sous son nombril, et ces deux sur son p’tit cul, puis c’grain là entre ses deux p’tits seins qu’on dirait des pommes à cidre du Père Blaise. Aaaaah Môman, elle m’rend fou celle là, ouais pour de bon ouais.
Des fois j’me dis comment que ça s’fait que ça m’arrive ça. Parce que j’me dis que je la mérite pas, bah non. J’lui ai fait des crasses, sales. Elle voulait m’buter, je voulais la buter aussi, puis même pire peut-être. Et même que si je l’aime, des fois j’peux pas empêcher mes yeux : ils suivent un petit boul, ils suivent une paire de miche, et comme que j’suis myope je dois regarder fort pour voir. C’est comme ça … Mais c’est pas bien. C’est pas bien parce que cette poulette, même si que moi j’la mérite pas, elle elle mérite bien. Alors faut faire bien. C’est pas comme la Goulue, c’est pas comme les autres putes. Elle faut la marier et lui faire des petits, ouais. Plein de p’tits.
Pis des fois et même que si j’ai une cocotte à moi tout seul, j’peux pas m’empêcher de penser à une mésange perchée pas loin. Une mésange grise, invisible, qui maintenant a un goût de gentiane. Une mésange qu’a préféré le lion au chat. Sauf qu’les lions z’ont pas neuf vies. Alors la mésange elle se mord les couilles, mais bizarrement bah j’en suis pô content. Même … j’ai la pitié. Ouais. Je l’aimais bien aussi, la mésange … Je l’aimais fort. Je fourrais ma tronche dans sa crinière, j’la regardais dormir dans ma tente, sur une autre continent ouais … Putain. Faut oublier ça. La mésange elle a migré, elle reviendra plus jamais. Et tant mieux pour elle, elle l’a bien cherché. Qu’elle aille se faire rôtir le cul. J’l’aurai bien invité dans le hamac, moi j’me dis qu’a jamais trop des zoiseaux pour un matou. Mais bon j’ai pas envie qu’ça se vole dans les plumes -pas mal ça- donc il faut mieux oublier. Y’en a qu’une, ouais.
Celle que j’veux voir quand je vais dormir c’est elle. Celle que j’veux le matin quand j’me réveille la tête dans le derche, c’est elle. Les yeux bleus que j’veux c’est les siens. J’ai le cœur plein, il va déborder. Ouais, je l’aime putain. Je l’aime.
- Spoiler:
- Montage par Matthias, merci à lui !
Camille Chat- Citoyen
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Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
« Ouais, moi j’ai vu un dragon, un vrai. Si si, en Lordaeron. Même que bah j’lui ai sauvé la vie pis pour me remercier il a dit qu’il allait me donner son trésor car il se sera fait rembourser par ses potes les autres dragons. » À un autre poivrot balbutiant, accoudé au bar. « Et mon marteau, là. Ouais, le marteau magique. Tu sais comment que j’l’ai eu ? C’est un roi nain qui m’la donné. Ouais ouais. Parce que j’lui ai ramené sa fille que les orcs ils l’avaient fait prisonnière et tout. Il m’a donné ça, j’ai baisé la princesse pis j’me suis tiré. Ouais j’ai sauté une naine ouais. Boaf c’est pas dingue pis c’est aussi poilu en bas qu’sur le menton. » À une pauvre serveuse qui n’avait rien demandé. « Moi si j’les connais les elfes ? Tu déconnes ou quoi. J’suis un héros pour eux, quand ils me voient c’est courbette et moult shnoulala. Bah ouais normal, ça date de quand je leur ai donné un coup de pouce pour se tirer de là quand leur arbre il brûlait et qu’ils voulaient se tirer dare-dare. J’ai ramené mon rafiot -ouais j’étais capitaine avec un équipage et tout- et j’ai dit "allez foutez-vous dans la cale poussez pô y’en aura pour tout l’monde." » À une bande de gamins hilares qui se moquent de lui. « Pfff c’est d’la putain de friture ça. Moi quand j’étais en mission sur l’île là à Renaissance bah j’ai choppé une rascasse comme ça ! Ouais comme ça mon vieux, plus grosse que toi ! Toi t’es un putain de rigolo, moi si j’croisais Nat Paggle j’suis sûr il me sucerait le jonc. » À un pêcheur excédé d’être ainsi dérangé par le nouvel ivrogne du coin.
La vérité, c’est que Camille Chat est une sale merde.
Lorsque la compagnie est revenue de sa dernière campagne pour une permission de deux semaines à Hurlevent, la brute a immédiatement mis les voiles pour établir sa tanière malodorante dans les Carmines. Et pour cause, il y possède une maison héritée de feu Lothar Callahan, « Lolo l’Asticot » de son surnom. Camille n’a jamais compris pourquoi le jeune homme réservé l’avait nommé dans son testament, encore moins pour lui refiler une bicoque branlante à quelques pas du Comté-du-Lac. Toujours est-il que le matou, poussé par un instinct dont il n’avait pas conscience, s’était naturellement rendu à cette adresse, la seule qu’il pouvait se targuer d’appeler sa maison.
Et cette maison, si tôt arrivé, l’ancien taulard la fit à son image sans s’en rendre compte. Après avoir acheté au rabais un lot de mauvaises planches et quelques outils, il se mit à retaper la bâtisse avec l’application d’un marmot de deux ans. Les lattes étaient clouées à la va-vite les unes sur les autres, les trous dans le toit étaient fermés avec de simples panneaux vermoulus ou même des pièces de vieille tôle, la porte était maintenue fermée par une chaise à laquelle il manquait un pied et la gouttière était même laissée telle quelle, trouée et laissant s’écouler l’eau des rares averses sur une poutre déjà moisie. La demeure avait le même aspect avant qu’après travaux, celle d’une cabane délabrée servant de refuge à quelque vagabond ou truand en cavale. L’intérieur n’était plus reluisant : une simple paillasse au-dessus du sol en terre battue sur laquelle repose une couverture miteuse, des bouteilles vides dont plusieurs sont cassées, un tapis de mégots malodorants et le barda-foutoir du mercenaire posé négligemment dans un coin. Le seul artefact en évidence est le pot de chambre sculpté dans la tête de Titine la célèbre massue du butor, gravé de scènes de batailles par Céleste Hannigan et que Camille a la flemme de vider quitte à dormir dans les effluves de ses propres productions.
Pourquoi le Chat s’était-il exilé dans cette cahute insalubre, alors qu’il pouvait rester sur le navire de la compagnie à quai dans la capitale, tous frais payés et à deux pas des mille tavernes de la capitale où il aurait pu prendre du bon temps avec ses quelques amis et sa douce cocotte ? Parce que, dans sa grande lâcheté, il avait fui. Fuir ses responsabilités, fuir sa culpabilité, fuir les regards pleins de pitié, de colère ou de déception qui se posaient sur lui. Il tenait sous le feu, il serrait les dents quand pleuvaient les coups et les balles, mais sa résistance de félin à neuf vies était usée jusqu’à la corde par l’image que les autres lui renvoyaient de sa nature pitoyable. Incapable de se comprendre lui-même, Camille se fuyait autant qu’il fuyait ses collègues. Les exigences des uns le rendaient nerveux, les maigres espoirs des autres le concernant le faisaient paniquer. Il n’était pas à la hauteur, il le savait, et sa propre impuissance le faisant s’enfoncer dans ses vices plutôt que de lui donner le courage de faire face.
Toujours à deux doigts d’imploser, le matou ne se demandait toutefois jamais ce qui le poussait à rester dans la Rétribution. La réponse était pourtant limpide, et ne pas en avoir conscience était peut-être ce qui gardait le repris de justice de sombrer : la seule réalité de Camille Chat était la violence servile. Forgé par son passage à la Division Pénitentiaire, à l’image d’un fauve miteux et récalcitrant, il ne savait avancer que sous le bâton, sous la contrainte de la punition. S’il mordait la main qui le nourrissait, ce n’était que pour demander plus de cravache car c’était là son seul moyen d’exister. Il n’y avait pas d’autre alternative, pas d’autre vérité tangible. On attendait de lui qu’il agisse comme un demeuré, et la brute avide s’engouffrait dans la brèche, se complaisait dans sa propre médiocrité comme dans un effort navrant d’occuper une place, quelle qu’elle soit. Être l’épine dans le pied du capitaine Assast Aldwynn, c’était être quelque chose plutôt que rien. Et rien, Camille n’aurait su l’être, tant le feu qui brûlait en lui le poussait à survivre envers et contre tout. Lorsque l’adjudant Gatsi Farey le ridiculisait, la bête infâme se jurait de le poignarder dans son sommeil. Quand le sergent Dibbs Boyle le malmenait, l’ancien taulard souhaitait à cette belle panse de se faire ouvrir dans toute la largeur. Mais en réalité, la petite créature piteuse qui était enfermée dans cette grande carcasse voulait les remercier. Les remercier de lui permettre d’exister aux yeux du monde, de prendre corps dans un espace où sans la violence, sans la honte et la douleur, sans la laideur et l’insulte, il n’y avait rien. Rien, sinon un vide plus effrayant encore que le Néant Distordu, un vide que rien ne pouvait combler sinon la disparition pure et simple.
Tout cela, Camille Chat le sentait. A la manière d’un animal aux abois, sans pouvoir mettre de mots dessus ou même saisir cette pensée. Il le sentait physiquement, un frisson le long de son dos tatoué, un pincement dans le creux de l’estomac, une pression derrière ses oreilles en chou-fleur. Tous les signaux que lui envoyaient son corps martelé lui indiquaient le danger à trop réfléchir, le risque qu’il y avait à se pencher sur sa condition. Survivaliste mais aveugle, le matou ne voyait pas les regards affectueux, les attentions à son égard, les encouragement répétés, inlassables, infatigables et bienveillants à s’améliorer, à devenir autre chose, à accéder à une véritable station d’homme plutôt que de rester à celle de la bête fauve. La brute, comme s’il avait été pourchassé toute sa vie, n’avaient d’yeux que pour ce vide effroyable qui menaçait chaque jour de lui mordre le cul et il se jetait alors dans une fuite vers l’avant qui ne le menait que de faute en faute en écrasant tout sur son passage. Survivre, survivre, survivre à tout prix, sans regarder derrière, sans regarder autour.
Fuir, c’était aussi oublier. Pour Camille Chat comme pour bien d’autres, oublier, c’était boire. Alors le repris de justice buvait. Il buvait jusqu’à plus soif, jusqu’à vomir, pour boire à nouveau et tomber dans un sommeil faussement réparateur. Il vagabondait dans et autour de sa cabane, une bouteille à la main, hurlant ses insultes aux arbres et aux oiseaux, de jour comme de nuit. Il maudissait le Capitaine, il maudissait les officiers, il jurait sur la tête de Môman d’ouvrir la gorge d’Appollon d’une oreille à l’autre, de faire éclater le crâne du Gros Brisby comme un fruit trop mûr, de tabasser Durobar et d’apprendre la vie à la mésange pour venger son cœur brisé. Il pleurait aussi, en pensant à sa pauvre mère, en pensant à son fils et à son frère. Il se frappait le torse, se cognait la tête contre un tronc, se traitait de tous les noms et s’écroulait dans sa propre pisse, la morve au nez, pour sombrer dans une torpeur comateuse que l’attrape-rêve d’Alieg ne protégeait plus contre les horribles cauchemars qui le hantaient.
Un soir, le matou s’était ainsi écroulé devant sa bicoque pérave, complètement ivre mort, seulement pour être réveillé par un gros ronflement. Face à la chaleur qui montait, il ouvrit des paupières lourdes pour voir la maison en feu. Le petit âtre qu’il avait allumé et négligé de surveiller s’était transformé en véritable brasier qui illuminait la terre rouge des Carmines comme un phare dans la nuit. Le Chat se précipita à l’intérieur pour sauver ce qui pouvait l’être, jeta ses affaires dehors et tomba à genoux dans la poussière. Encore soûl comme un cochon, il était là, immobile face à l’incendie, les yeux écarquillés et la bouche ouverte. Il regardait les flammes tout dévorer, le bois craquer et rugir dans un spectacle de destruction qui trouvait en Camille un écho macabre. Un instant, il souhaita être cette maison : branlante, miteuse et cabossée et bientôt réduite en cendre que quelques souffles de vent chaud s’occuperaient d’éparpiller.
Les braises rougeoyaient encore lorsque le Chat se releva enfin. A l’Est, le soleil tardait à se lever et c’est dans la nuit noire que l’ancien forçat titubait. Il descendit au bourg, vomit, puis longea les maisons calmes, l’écurie, rendit à une mule assoupie un regard aussi intense que le sien et termina sur le pont. Là, peinant à se maintenir debout, il se pissa dessus en même temps qu’il allumait une cigarette, devant s’y reprendre à plusieurs fois pour faire se rencontrer flamme de briquet et bout du tube de tabac tant il tanguait. Un hoquet, deux hoquets, nouveau dégueuli. Le temps qu’il se redresse et la clope échappe de ses doigts tatoués pour chuter dans les eaux noires du lac, en bas. Camille se penche pour regarder la fraise de sa cigarette dégringoler au ralenti. Le petit point rouge tombe, tombe et disparait en un clin d’œil lorsqu’il touche l’onde placide. La brute reste là, les yeux rivés sur le point précis où sa cigarette a atteint l’eau. Puis sans comprendre, comme un automate, il monte sur le parapet en pierre du pont. Il est là, debout au-dessus du lac. Il ne tremble pas, il n’a pas peur, l’alcool anesthésie tout sauf cette soudaine lucidité qui le prend, et qui vient comme une réponse naturelle à la question qu’il se pose depuis que sa mère est morte : comment mettre une fin à tout cela ? Simple, il suffit de sauter. D’autant plus simple que le matou ne sait pas nager. Camille fait un pas en avant et tombe du haut du pont comme une grosse pierre triste.
La vérité, c’est que Camille Chat est une sale merde.
Lorsque la compagnie est revenue de sa dernière campagne pour une permission de deux semaines à Hurlevent, la brute a immédiatement mis les voiles pour établir sa tanière malodorante dans les Carmines. Et pour cause, il y possède une maison héritée de feu Lothar Callahan, « Lolo l’Asticot » de son surnom. Camille n’a jamais compris pourquoi le jeune homme réservé l’avait nommé dans son testament, encore moins pour lui refiler une bicoque branlante à quelques pas du Comté-du-Lac. Toujours est-il que le matou, poussé par un instinct dont il n’avait pas conscience, s’était naturellement rendu à cette adresse, la seule qu’il pouvait se targuer d’appeler sa maison.
Et cette maison, si tôt arrivé, l’ancien taulard la fit à son image sans s’en rendre compte. Après avoir acheté au rabais un lot de mauvaises planches et quelques outils, il se mit à retaper la bâtisse avec l’application d’un marmot de deux ans. Les lattes étaient clouées à la va-vite les unes sur les autres, les trous dans le toit étaient fermés avec de simples panneaux vermoulus ou même des pièces de vieille tôle, la porte était maintenue fermée par une chaise à laquelle il manquait un pied et la gouttière était même laissée telle quelle, trouée et laissant s’écouler l’eau des rares averses sur une poutre déjà moisie. La demeure avait le même aspect avant qu’après travaux, celle d’une cabane délabrée servant de refuge à quelque vagabond ou truand en cavale. L’intérieur n’était plus reluisant : une simple paillasse au-dessus du sol en terre battue sur laquelle repose une couverture miteuse, des bouteilles vides dont plusieurs sont cassées, un tapis de mégots malodorants et le barda-foutoir du mercenaire posé négligemment dans un coin. Le seul artefact en évidence est le pot de chambre sculpté dans la tête de Titine la célèbre massue du butor, gravé de scènes de batailles par Céleste Hannigan et que Camille a la flemme de vider quitte à dormir dans les effluves de ses propres productions.
Pourquoi le Chat s’était-il exilé dans cette cahute insalubre, alors qu’il pouvait rester sur le navire de la compagnie à quai dans la capitale, tous frais payés et à deux pas des mille tavernes de la capitale où il aurait pu prendre du bon temps avec ses quelques amis et sa douce cocotte ? Parce que, dans sa grande lâcheté, il avait fui. Fuir ses responsabilités, fuir sa culpabilité, fuir les regards pleins de pitié, de colère ou de déception qui se posaient sur lui. Il tenait sous le feu, il serrait les dents quand pleuvaient les coups et les balles, mais sa résistance de félin à neuf vies était usée jusqu’à la corde par l’image que les autres lui renvoyaient de sa nature pitoyable. Incapable de se comprendre lui-même, Camille se fuyait autant qu’il fuyait ses collègues. Les exigences des uns le rendaient nerveux, les maigres espoirs des autres le concernant le faisaient paniquer. Il n’était pas à la hauteur, il le savait, et sa propre impuissance le faisant s’enfoncer dans ses vices plutôt que de lui donner le courage de faire face.
Toujours à deux doigts d’imploser, le matou ne se demandait toutefois jamais ce qui le poussait à rester dans la Rétribution. La réponse était pourtant limpide, et ne pas en avoir conscience était peut-être ce qui gardait le repris de justice de sombrer : la seule réalité de Camille Chat était la violence servile. Forgé par son passage à la Division Pénitentiaire, à l’image d’un fauve miteux et récalcitrant, il ne savait avancer que sous le bâton, sous la contrainte de la punition. S’il mordait la main qui le nourrissait, ce n’était que pour demander plus de cravache car c’était là son seul moyen d’exister. Il n’y avait pas d’autre alternative, pas d’autre vérité tangible. On attendait de lui qu’il agisse comme un demeuré, et la brute avide s’engouffrait dans la brèche, se complaisait dans sa propre médiocrité comme dans un effort navrant d’occuper une place, quelle qu’elle soit. Être l’épine dans le pied du capitaine Assast Aldwynn, c’était être quelque chose plutôt que rien. Et rien, Camille n’aurait su l’être, tant le feu qui brûlait en lui le poussait à survivre envers et contre tout. Lorsque l’adjudant Gatsi Farey le ridiculisait, la bête infâme se jurait de le poignarder dans son sommeil. Quand le sergent Dibbs Boyle le malmenait, l’ancien taulard souhaitait à cette belle panse de se faire ouvrir dans toute la largeur. Mais en réalité, la petite créature piteuse qui était enfermée dans cette grande carcasse voulait les remercier. Les remercier de lui permettre d’exister aux yeux du monde, de prendre corps dans un espace où sans la violence, sans la honte et la douleur, sans la laideur et l’insulte, il n’y avait rien. Rien, sinon un vide plus effrayant encore que le Néant Distordu, un vide que rien ne pouvait combler sinon la disparition pure et simple.
Tout cela, Camille Chat le sentait. A la manière d’un animal aux abois, sans pouvoir mettre de mots dessus ou même saisir cette pensée. Il le sentait physiquement, un frisson le long de son dos tatoué, un pincement dans le creux de l’estomac, une pression derrière ses oreilles en chou-fleur. Tous les signaux que lui envoyaient son corps martelé lui indiquaient le danger à trop réfléchir, le risque qu’il y avait à se pencher sur sa condition. Survivaliste mais aveugle, le matou ne voyait pas les regards affectueux, les attentions à son égard, les encouragement répétés, inlassables, infatigables et bienveillants à s’améliorer, à devenir autre chose, à accéder à une véritable station d’homme plutôt que de rester à celle de la bête fauve. La brute, comme s’il avait été pourchassé toute sa vie, n’avaient d’yeux que pour ce vide effroyable qui menaçait chaque jour de lui mordre le cul et il se jetait alors dans une fuite vers l’avant qui ne le menait que de faute en faute en écrasant tout sur son passage. Survivre, survivre, survivre à tout prix, sans regarder derrière, sans regarder autour.
Fuir, c’était aussi oublier. Pour Camille Chat comme pour bien d’autres, oublier, c’était boire. Alors le repris de justice buvait. Il buvait jusqu’à plus soif, jusqu’à vomir, pour boire à nouveau et tomber dans un sommeil faussement réparateur. Il vagabondait dans et autour de sa cabane, une bouteille à la main, hurlant ses insultes aux arbres et aux oiseaux, de jour comme de nuit. Il maudissait le Capitaine, il maudissait les officiers, il jurait sur la tête de Môman d’ouvrir la gorge d’Appollon d’une oreille à l’autre, de faire éclater le crâne du Gros Brisby comme un fruit trop mûr, de tabasser Durobar et d’apprendre la vie à la mésange pour venger son cœur brisé. Il pleurait aussi, en pensant à sa pauvre mère, en pensant à son fils et à son frère. Il se frappait le torse, se cognait la tête contre un tronc, se traitait de tous les noms et s’écroulait dans sa propre pisse, la morve au nez, pour sombrer dans une torpeur comateuse que l’attrape-rêve d’Alieg ne protégeait plus contre les horribles cauchemars qui le hantaient.
Un soir, le matou s’était ainsi écroulé devant sa bicoque pérave, complètement ivre mort, seulement pour être réveillé par un gros ronflement. Face à la chaleur qui montait, il ouvrit des paupières lourdes pour voir la maison en feu. Le petit âtre qu’il avait allumé et négligé de surveiller s’était transformé en véritable brasier qui illuminait la terre rouge des Carmines comme un phare dans la nuit. Le Chat se précipita à l’intérieur pour sauver ce qui pouvait l’être, jeta ses affaires dehors et tomba à genoux dans la poussière. Encore soûl comme un cochon, il était là, immobile face à l’incendie, les yeux écarquillés et la bouche ouverte. Il regardait les flammes tout dévorer, le bois craquer et rugir dans un spectacle de destruction qui trouvait en Camille un écho macabre. Un instant, il souhaita être cette maison : branlante, miteuse et cabossée et bientôt réduite en cendre que quelques souffles de vent chaud s’occuperaient d’éparpiller.
Les braises rougeoyaient encore lorsque le Chat se releva enfin. A l’Est, le soleil tardait à se lever et c’est dans la nuit noire que l’ancien forçat titubait. Il descendit au bourg, vomit, puis longea les maisons calmes, l’écurie, rendit à une mule assoupie un regard aussi intense que le sien et termina sur le pont. Là, peinant à se maintenir debout, il se pissa dessus en même temps qu’il allumait une cigarette, devant s’y reprendre à plusieurs fois pour faire se rencontrer flamme de briquet et bout du tube de tabac tant il tanguait. Un hoquet, deux hoquets, nouveau dégueuli. Le temps qu’il se redresse et la clope échappe de ses doigts tatoués pour chuter dans les eaux noires du lac, en bas. Camille se penche pour regarder la fraise de sa cigarette dégringoler au ralenti. Le petit point rouge tombe, tombe et disparait en un clin d’œil lorsqu’il touche l’onde placide. La brute reste là, les yeux rivés sur le point précis où sa cigarette a atteint l’eau. Puis sans comprendre, comme un automate, il monte sur le parapet en pierre du pont. Il est là, debout au-dessus du lac. Il ne tremble pas, il n’a pas peur, l’alcool anesthésie tout sauf cette soudaine lucidité qui le prend, et qui vient comme une réponse naturelle à la question qu’il se pose depuis que sa mère est morte : comment mettre une fin à tout cela ? Simple, il suffit de sauter. D’autant plus simple que le matou ne sait pas nager. Camille fait un pas en avant et tombe du haut du pont comme une grosse pierre triste.
Camille Chat- Citoyen
- Nombre de messages : 51
Lieu de naissance : Elwynn
Age : 32 ans
Date d'inscription : 24/01/2022
Re: [+18] Souvenirs d'un Chat
C’était là, c’était maintenant ! L’évènement que tout le monde attendait, celui qui faisait oublier les peines et le labeur, qui faisait vibrer le Comté-de-l’Or où fourmillaient désormais une foule bigarrée de citadins hurleventois, de bûcherons du Val d’Est, de paysans de la Marche, de marchands des Carmines et de fossoyeurs de Sombrecomté : riches comme pauvres, ils venaient de tout le Royaume pour s’encanailler à la lumière violette des flambeaux. Les sourires s’étiraient, les yeux brillaient de mille étoiles et la joie montait comme une sève lorsqu’ils se pressaient sous la grande arche enrubannée de la foire de Silas Sombrelune.
Camille Chat, alors un petit garçon aux genoux toujours bugnés, attendait de longues heures au bord de la Route Royale pour voir passer le formidable cortège des saltimbanques qui venaient planter leurs tentes au Comté-de-l’Or quelques lieues plus loin. Ses yeux d’enfant grossissaient comme des billes en voyant les attelages et les carioles bariolées, les drapeaux et les fanions, la formidable ménagerie, la fanfare. Ses pupilles rutilaient, sa petite figure s’illuminait et, lorsque le dernier train de bagage tiré par un kodo disparaissait derrière un lacet de la route, il filait à toute vitesse, courant jusqu’à en perdre le souffle pour arriver à la masure piteuse de la famille Chat.
- « MÔMAN ! MÔMAN ! ILS ZONT LA ! ILS ZONT ARRIVES ! »
Madame Chat, petit femme replète suffocante dans son fichu bleu pâle au-dessus d’un chaudron de confiture aux fraises, disait alors sans se retourner pour cacher son sourire attendri :
- « Qui arrive, mon chaton ? »
Elle le savait très bien. Et Camille savait qu’elle savait. Alors le petit garçon déjà large d’épaule pour son âge se tortillait de plaisir et éclatait d’un grand rire.
- « Mais la foire, Môman ! La foire ! »
Un grognement gargouillait du fond de la pièce, dans l’obscurité et les relents de mauvaise gnôle : « Conneries ça encore … Satanés voleurs de poules … Au bout d’une corde qu’ils les faut. » Mais Madame Chat ignorait ces borborygmes d’ivrogne et prenait la main terreuse de son fils chéri dans la sienne, chaude et potelée, et elle l’emmenait à la foire de Sombrelune.
Feux d’artifice et fanfare tonitruante, jongleurs et saltimbanques, barbe à papa et jus de pastèque, rires et cris de joie. Le petit Camille marchait au milieu des badauds, tenant bien fort la main de sa maman, la bouche bée et ne sachant où donner de l’œil. Tout n’était que couleur, bruit, éclats aveuglants et merveilles à chaque pas. Madame Chat et son fils allaient de stand en stand, avec en poches quelques cuivrées que la femme courageuse avait réussi à économiser en vendant du fenouil sauvage et des escargots au marché. Elle voyait son petit tirer à la carabine à plomb, lancer des boules de cuir sur des boîtes, pêcher des canards en bois. Le garçonnet gloussait de plaisir, s’excitait et criait « Môman ! Môman regarde ! » lorsqu’il faisait mouche ! Et Madame Chat posait sur lui un regard plein d’amour et de pitié, heureuse de le voir heureux, triste de le savoir si triste autrement.
Puis, comme à chaque fois qu’ils venaient à la foire et que Camille avait enfin gagné son épée en toc, Madame Chat se dirigeait vers une tente en particulier, un peu en retrait des autres et devant laquelle brûlait une torche blanche aussi mystérieuse qu’inquiétante. Madame Chat triturait alors nerveusement son tablier de cuisinière et disait à son fils :
- « Va t’amuser mon chaton, et ne t’éloigne pas trop. Maman revient vite. »
Et le petit, grisé par tant de bonheur soudain, se contentait de hocher la tête en pourléchant ses doigts pleins de sucre glace. Il ne voyait pas la détresse de sa mère quand elle s’apprêtait à rendre visite à Sayge la voyante, non : il ne voyait que l’estrade, là-bas, devant laquelle un petit public s’amassait tandis qu’un homme au costume bariolé et à l’extravagant chapeau à plumes montait les quelques marches pour s’avancer sur les planches. Camille se faufilait alors dans la foule et jouait des coudes avec les autres enfants -n’hésitant pas à lâcher quelques châtaignes bien senties- pour arriver au premier rang. Il s’asseyait ensuite en tailleur, la nuque cassée pour regarder le haut de l’estrade avec la bouche ouverte.
L’homme au chapeau lustrait sa belle moustache, posait une main sur sa poitrine et, comme par magie, une voix profonde sortait de sa bouche, articulant des mots, faisant de la musique qui emportait les cœurs tandis qu’un accordéon l’accompagnait.
♫ Dans le port de Boralus
Y'a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent
Au large de Boralus
Dans le port de Boralus
Y'a des marins qui dorment
Comme des oriflammes
Le long des berges mornes
Dans le port de Boralus
Y'a des marins qui meurent
Pleins de bière et de drames
Aux premières lueurs
Mais dans le port de Boralus
Y'a des marins qui naissent
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs océanes ♫
Et les yeux de Camille explosaient en mille astres, son petit cœur battait dans sa petite poitrine, son esprit montait et gonflait comme une vague. Il se voyait là lui aussi, sur cette estrade, à la place de l’homme au chapeau. Il se voyait chanter les marins, il se voyait chanter la forêt et les poissons qu’il pêchait dans le ruisseau, il voulait chanter Môman et les batailles épiques qu’il livrait dans ses rêves. Le garçon voulait se voir en miroir dans les mirettes d’un public conquis qui vibrait en chœur avec lui, d’une foule qui se balançait comme la cime des hêtres sous le vent, des larmes des gens qu’il touchait au plus profond d’eux par la beauté de sa voix et la justesse de son mot. Il se voyait sous les projecteurs gnomes, debout dans la lumière, aimé de tous. Oui, oui il se le jurait : quand il serait grand, Camille serait chanteur.
Le fouet se délie dans l’air moite de la jungle zandalari, gros serpent de cuir qui prend son élan avant de mordre. Les yeux des mercenaires regardent le lacet, le suivent des yeux comme pour prévenir sa brûlante piqûre. Il s’étend, serpente sur le sol de terre noire, se fait tendre par une main puissante qui en teste la souplesse. Puis il est lentement ramené en arrière, il vibre et s’élance brutalement.
Camille Chat ferme les yeux et balbutie entre ses dents en plomb, pour lui-même, une ballade de Sombrelune. Des larmes amères coulent sur sa sale gueule. Il murmure, des glaires d’anxiété dans la voix, et essaye de se donner du courage.
♫ J’aurai voulu être un artiste
Pour pouvoir faire mon numéro
Quand l’gyro se pose sur la piste
A Forgefer ou Un’goro ♫
SLAC
- « Gnaaaaaarh. »
♫ J’aurai voulu être un chanteur
Pour pouvoir crier qui je suis
J’aurai voulu être un auteur
Pour pouvoir inventer ma vie ♫
SLAC
- « AAAAAAAAAAARH. »
♫ J’aurai voulu être un acteur
Pour tous les jours changer de peau
Et pour pouvoir me trouver beau
Sous de longs rubans en couleur ♫
Le Chat appuie une patte au sol et déglutit difficilement en fixant la pierre, le dos en feu.
Un piètre chanteur.
Camille Chat, alors un petit garçon aux genoux toujours bugnés, attendait de longues heures au bord de la Route Royale pour voir passer le formidable cortège des saltimbanques qui venaient planter leurs tentes au Comté-de-l’Or quelques lieues plus loin. Ses yeux d’enfant grossissaient comme des billes en voyant les attelages et les carioles bariolées, les drapeaux et les fanions, la formidable ménagerie, la fanfare. Ses pupilles rutilaient, sa petite figure s’illuminait et, lorsque le dernier train de bagage tiré par un kodo disparaissait derrière un lacet de la route, il filait à toute vitesse, courant jusqu’à en perdre le souffle pour arriver à la masure piteuse de la famille Chat.
- « MÔMAN ! MÔMAN ! ILS ZONT LA ! ILS ZONT ARRIVES ! »
Madame Chat, petit femme replète suffocante dans son fichu bleu pâle au-dessus d’un chaudron de confiture aux fraises, disait alors sans se retourner pour cacher son sourire attendri :
- « Qui arrive, mon chaton ? »
Elle le savait très bien. Et Camille savait qu’elle savait. Alors le petit garçon déjà large d’épaule pour son âge se tortillait de plaisir et éclatait d’un grand rire.
- « Mais la foire, Môman ! La foire ! »
Un grognement gargouillait du fond de la pièce, dans l’obscurité et les relents de mauvaise gnôle : « Conneries ça encore … Satanés voleurs de poules … Au bout d’une corde qu’ils les faut. » Mais Madame Chat ignorait ces borborygmes d’ivrogne et prenait la main terreuse de son fils chéri dans la sienne, chaude et potelée, et elle l’emmenait à la foire de Sombrelune.
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Feux d’artifice et fanfare tonitruante, jongleurs et saltimbanques, barbe à papa et jus de pastèque, rires et cris de joie. Le petit Camille marchait au milieu des badauds, tenant bien fort la main de sa maman, la bouche bée et ne sachant où donner de l’œil. Tout n’était que couleur, bruit, éclats aveuglants et merveilles à chaque pas. Madame Chat et son fils allaient de stand en stand, avec en poches quelques cuivrées que la femme courageuse avait réussi à économiser en vendant du fenouil sauvage et des escargots au marché. Elle voyait son petit tirer à la carabine à plomb, lancer des boules de cuir sur des boîtes, pêcher des canards en bois. Le garçonnet gloussait de plaisir, s’excitait et criait « Môman ! Môman regarde ! » lorsqu’il faisait mouche ! Et Madame Chat posait sur lui un regard plein d’amour et de pitié, heureuse de le voir heureux, triste de le savoir si triste autrement.
Puis, comme à chaque fois qu’ils venaient à la foire et que Camille avait enfin gagné son épée en toc, Madame Chat se dirigeait vers une tente en particulier, un peu en retrait des autres et devant laquelle brûlait une torche blanche aussi mystérieuse qu’inquiétante. Madame Chat triturait alors nerveusement son tablier de cuisinière et disait à son fils :
- « Va t’amuser mon chaton, et ne t’éloigne pas trop. Maman revient vite. »
Et le petit, grisé par tant de bonheur soudain, se contentait de hocher la tête en pourléchant ses doigts pleins de sucre glace. Il ne voyait pas la détresse de sa mère quand elle s’apprêtait à rendre visite à Sayge la voyante, non : il ne voyait que l’estrade, là-bas, devant laquelle un petit public s’amassait tandis qu’un homme au costume bariolé et à l’extravagant chapeau à plumes montait les quelques marches pour s’avancer sur les planches. Camille se faufilait alors dans la foule et jouait des coudes avec les autres enfants -n’hésitant pas à lâcher quelques châtaignes bien senties- pour arriver au premier rang. Il s’asseyait ensuite en tailleur, la nuque cassée pour regarder le haut de l’estrade avec la bouche ouverte.
L’homme au chapeau lustrait sa belle moustache, posait une main sur sa poitrine et, comme par magie, une voix profonde sortait de sa bouche, articulant des mots, faisant de la musique qui emportait les cœurs tandis qu’un accordéon l’accompagnait.
♫ Dans le port de Boralus
Y'a des marins qui chantent
Les rêves qui les hantent
Au large de Boralus
Dans le port de Boralus
Y'a des marins qui dorment
Comme des oriflammes
Le long des berges mornes
Dans le port de Boralus
Y'a des marins qui meurent
Pleins de bière et de drames
Aux premières lueurs
Mais dans le port de Boralus
Y'a des marins qui naissent
Dans la chaleur épaisse
Des langueurs océanes ♫
- Spoiler:
Et les yeux de Camille explosaient en mille astres, son petit cœur battait dans sa petite poitrine, son esprit montait et gonflait comme une vague. Il se voyait là lui aussi, sur cette estrade, à la place de l’homme au chapeau. Il se voyait chanter les marins, il se voyait chanter la forêt et les poissons qu’il pêchait dans le ruisseau, il voulait chanter Môman et les batailles épiques qu’il livrait dans ses rêves. Le garçon voulait se voir en miroir dans les mirettes d’un public conquis qui vibrait en chœur avec lui, d’une foule qui se balançait comme la cime des hêtres sous le vent, des larmes des gens qu’il touchait au plus profond d’eux par la beauté de sa voix et la justesse de son mot. Il se voyait sous les projecteurs gnomes, debout dans la lumière, aimé de tous. Oui, oui il se le jurait : quand il serait grand, Camille serait chanteur.
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Le fouet se délie dans l’air moite de la jungle zandalari, gros serpent de cuir qui prend son élan avant de mordre. Les yeux des mercenaires regardent le lacet, le suivent des yeux comme pour prévenir sa brûlante piqûre. Il s’étend, serpente sur le sol de terre noire, se fait tendre par une main puissante qui en teste la souplesse. Puis il est lentement ramené en arrière, il vibre et s’élance brutalement.
Camille Chat ferme les yeux et balbutie entre ses dents en plomb, pour lui-même, une ballade de Sombrelune. Des larmes amères coulent sur sa sale gueule. Il murmure, des glaires d’anxiété dans la voix, et essaye de se donner du courage.
♫ J’aurai voulu être un artiste
Pour pouvoir faire mon numéro
Quand l’gyro se pose sur la piste
A Forgefer ou Un’goro ♫
SLAC
- « Gnaaaaaarh. »
♫ J’aurai voulu être un chanteur
Pour pouvoir crier qui je suis
J’aurai voulu être un auteur
Pour pouvoir inventer ma vie ♫
SLAC
- « AAAAAAAAAAARH. »
♫ J’aurai voulu être un acteur
Pour tous les jours changer de peau
Et pour pouvoir me trouver beau
Sous de longs rubans en couleur ♫
Le Chat appuie une patte au sol et déglutit difficilement en fixant la pierre, le dos en feu.
Un piètre chanteur.
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