[Récriminations écarlates] Colmoda Thirath.
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[Récriminations écarlates] Colmoda Thirath.
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- Ceci est un ensemble de textes rédigés de ma main (et initialement publiés à divers endroits) en rapport avec des trames narratives jouées IG & IRP, dans le cadre d’évènements s’étant déroulés dans les terres du nord sur plusieurs mois ; réunissant & impliquant plusieurs PJ.
04/10/46
C'était l'heure de sortie des lieux de perdition urbains. La fin de soirée était douce, l'ébriété vivace.
Thirath, éméché par une banale beuverie de milieu de semaine, n'eut pas le temps de passer la porte battante décrépie par l'usure que déjà il se voyait alpagué par une ribaude elfique. La rombière, le teint cireux malgré sa peau violacée, arborait un sein découvert, tatoué d'une lune argentée. Des traces de brûlure ornaient ici et là certaines zones à découvert. C'était là sans nul doute une malheureuse, qui à défaut de s'extraire du souvenir douloureux que représentait l'incinération de Teldrassil et ses conséquences, avait décidé de troquer sa dignité millénaire pour une bouchée de pain et quelques gouttes de tord-boyaux. Beuglant sans grande finesse moult promesses salaces tarifées, elle empêchait de fait l'acariâtre bougre de poursuivre son chemin. Fatalement lassé par les simagrées de la dévergondée, Thirath la repoussa d'un geste aussi soudain que violent, ce qui la fit trébucher fesses contre pavés. L'humiliation s'ajouta à la violence du geste lorsque les vraisemblables collègues de l'elfe affairés non loin, tous plus bariolés les uns que les autres, se mirent à s'esclaffer à l'unisson et de bon cœur à la vue de l'apparente situation.
Alors que les inévitables insultes se mirent à fuser dans son dos, le rustre poursuivit dans la plus proche venelle avec la quiétude d'un prince, une démarche sans doute facilitée par son état second de circonstance. Un pas après l'autre, il s'enfonçait toujours plus loin dans les sordides ruelles de la vieille ville dans l'espoir de retrouver au plus vite sa couche régimentaire. Un jeune larcineur des rues vigoureusement giflé plus tard, c'est alors qu'il tomba au détour d'une allée mal éclairée sur un drôle d'attroupement. Des figures encapuchonnées revêtues de longues tuniques maronnasses informes conversaient à voix basses. Seuls leurs visibles solerets et gantelets de plate venaient contraster avec l'aspect débraillé des conspirateurs.
Il va sans dire qu'une telle situation, louche comme tout, aurait normalement appelé à une enquête. Mais Thirath n'était pas en service ce soir, et n'avait en outre aucune envie de faire du zèle. Alors que les regards se braquèrent soudainement sur lui, il se retourna avec flegme vers le plus proche mur pour se soulager. Il eut à peine le temps de déboutonner son pantalon que les silhouettes se mirent à s'élancer dans tous les sens, disparaissant de fait dans les sombres boyaux du quartier. Marquant une brève pause devant ce spectacle inédit, il termina son affaire prestement. C'est en se retournant pour reprendre sa route qu'il remarqua à ses pieds un papier manuscrit, probablement oublié par l'un des fuyards. Après avoir jeté un bref coup d’œil aux alentours, il le ramassa et se mit à en lire brièvement le contenu. Bien que la bistouille lui embrumait encore quelque peu le cerveau, il comprit bien vite la nature du pamphlet qu'il tenait entre ses mains. Balayant une nouvelle fois la rue de ses yeux plissés par l'alcool et la fatigue, il plia promptement le tout et le glissa à l'intérieur de son veston, solidement plaqué contre son poitrail.
La fin de soirée était douce, l'ébriété vivace, et d'intéressantes perspectives pointaient le bout de leur nez.
24/11/46
La sueur coulait le long de son visage horrifié.
Elle prenait pour origine une nuit sans repos, écorchée par des visions assassines. La personnification de la mort elle-même était venue lui imposer des réminiscences qu’il avait eu coeur à enfouir. Pour la première fois depuis plusieurs années, il s’était éveillé en sursaut à la suite d’un vilain cauchemar. Les draps imbibés par la sudation du bougre gardaient encore en eux la trace de la lutte indicible qu’il avait mené de haute volée. Le mur de pierre froid qu’il fixait d’un air halluciné lui paraissait d’un plus grand réconfort que ce que pouvait lui offrir sa couche régimentaire en l’état.
Il grimaça subitement. Son genou le faisait encore souffrir, encore souvenir.
À son retour dans la cité d’albâtre, il avait tôt fait de consulter une prêtresse et trois médecins différents. Tous s’accordaient pour qualifier sa perception d’une supposée douleur de « fantasque », lui assurant que son genou avait complètement guéri de toutes séquelles. L’un des praticiens se risqua même à émettre l’hypothèse d’une démence passagère. La colère était alors montée aux joues du quadragénaire, et le pauvre hère qui avait hasardé tantôt son expertise avait terminé sa course contre son propre bureau, projeté avec une vigueur de circonstance.
Il n’y eu aucune suite à l’incident. Il y avait veillé.
En dépit de l’opinion des sachants, son affliction était pourtant bien authentique, et souffrir sans pouvoir l’expliquer était intolérable pour celui qui avait pu s’enorgueillir autrefois d’un esprit relativement rationnel. C’était par ailleurs cette rationalité elle-même qui avait été progressivement remise en cause par un abandon croissant dans une foi qui le dépassait entièrement. Quelque chose s’était éveillé en lui. Pire encore, cette chose lui offrait des perspectives qu’il se serait défendu de considérer autrefois.
Il grimaça de nouveau. La douleur se rappela à son souvenir.
Attablé aux cuisines du régiment, il était affairé à engloutir avec voracité les morceaux d’un saucisson dodu, le regard paraissant cependant bien vide. Il s’y était traîné mollement en pleine nuit, ne pouvant retrouver le repos. C’était là également sa manière de cogiter.
Soudain, une épiphanie lui vint.
11/12/46
Baluchon sur l’épaule, et canasson en bride, il avançait prudemment dans les sombres ruelles de la cité endormie à cette heure tardive.
Une fois de plus, Thirath prenait congé de ses obligations à l'urbaine pour rejoindre un navire en direction de Stromgarde, l’ancienne capitale d’Arathor. Ce que l’on ignorait en revanche, c’est que cette dernière ne représentait pas la destination visée, mais seulement une étape d’un plus long et périlleux périple.
Le tonnerre retentit en un fracassant coup d’éclat.
La pression exercée par le déchaînement des vagues contre la coque du navire faisait trembler les planches de ce dernier, et la violente foudre illuminant une nuit sans lune donnait un cachet fiévreux à la traversée maritime nocturne. Thirath, installé dans sa cabine privative louée à grands frais, observait depuis le petit hublot crasseux la houle éclairée par la lueur des éclairs tonitruants. Il avait préféré le confort à l’économie, s’épargnant ainsi la potentialité d’un larcin de ses biens par la vermine du navire. Sa sombre armure de plaque trônait au fond de la pièce, et, disposée comme elle l’était, donnait l’impression d’un autel.
L’équipage vociférait et s’agitait sur le pont au-dessus, affairé à lutter contre la tempête afin de s’épargner un sort funeste. Thirath se détourna du hublot pour venir s’installer à la petite table de sa cabine. Si son métabolisme ne supportait nullement le voyage par portail ou tout autre artifice magique, il s’accommodait toutefois fort bien des remous provoqués par un voyage agité en mer.
Il étala la carte sur le bois recouvert de sel de bore, avisant une dernière fois les étapes de ce qui devait être son trajet. Un ignoble cri retentit soudainement dans la nuit, ce qui le fit lever la tête en direction du plafond. Une femme d’équipage était tombée à l’eau, désarçonnée par l’inclination tant soudaine que brutale du mât de Misaine. Mais cela, Thirath l’ignorait. Du reste, d’autres considérations accaparaient son esprit.
Une pensée lui vint pour son cheval qui reposait dans la cale avec les autres animaux. Il espérait que celui-ci ne soit pas trop troublé par la remuante traversée au point de défaillir une fois qu’ils auront posé pied à terre. La route était longue jusqu’à leur destination finale, et il était primordial que l’équidé soit en pleine possession de sa vigueur pour l’effectuer.
Pensif, il plongea sa main dans une de ses besaces pour venir y extraire une fiole. Celle-ci contenait un liquide noirâtre, et portait sur son flanc une inscription rédigée sur un petit papier abîmé par le temps. Il l’observa longuement, afin d’occuper son esprit. Ce cloporte de Welston mentait comme un arracheur de dents. S’il avait été un bon garde par le passé de ce que l’on disait de lui, il était toutefois un piètre acteur doublé d’un sacré sot.
Lorgnant sur ce liquide qui causait tant de soucis dans la cité d’albâtre, des idées germaient dans l’esprit du quadragénaire à la vue de ce petit bout de « paradis ». Des idées à même de soutenir pécuniairement la cause. Celle pour laquelle il avait entamé une transformation plus profonde que la simple image qu’il renvoyait naturellement à ceux qui le côtoyaient.
On toqua à la porte de sa cabine. Le navire approchait des terres du Nord. Son regard se posa une dernière fois sur sa nouvelle épée rutilante, protégée de l’air marin dans son épais fourreau en cuir de gnolls. « Ingrid » l’avait-il nommée.
Il était temps pour le souvenir de cette âme de trouver sa rédemption.
17/12/46Un sombre corbeau jonché sur la tête d’un épouvantail solitaire au milieu d’un champ de blé.
Le goût cuivré du sang s’écoulant d’un nez cassé jusqu’à une bouche haletante.
Une cité tout entière qui disparaît des limbes de l’histoire sous une masse informe de sauvages.
Le tumulte assourdissant des armes qui s’entrechoquent avec une haine de circonstance.
Un ébat de jeunesse sous la toile d’une tente frappée par le vent brûlant du désert.
Les yeux exorbités d’une jeune femme gisant inerte dans son plus simple appareil.
Un officier désarçonné de son cheval par des créatures déchaînées à la peau verte.
Le crâne brisé d’un jeune soldat par un coffret fratricide teinté de son sang.
Un village de chaume et de bois en proie aux flammes génocidaires du lion d’or.
La morsure glaciale d’un continent où seule la mort règne en maîtresse cruelle.
Une silhouette décharnée déchirant les chairs de ce qu’il fut autrefois un corps humain.
Un regard sévère porté sur le visage tuméfié d’une sœur occise par ses propres vices.
Le glaive vengeur s’abattant avec force et fracas sur des brigands débraillés et leurs familles.
Un heaume de plaque teinté de gris et de bleu renvoyant le reflet d’un homme vieillissant.
Des souvenirs toujours plus horribles se multipliaient dans l’esprit de celui que l’on nommait Thirath et empêchaient de fait le pauvre homme de s’abandonner à un sommeil serein. L’intrusion de son esprit avait fait remonter à la surface l’ensemble de souvenirs volontairement enfouis d’une rude vie de violence. Il se sentait défaillir, comme piégé dans une boucle sordide. Réveillé de son cauchemar par la vue de son propre reflet, il quitta sa couche en sueur pour aller se rafraîchir le visage. L’eau froide s’écrasa contre les pores de son visage fait de rides et de cicatrices, lavant les horreurs de ses songes nocturnes. Il resta inerte un instant, les yeux clos, profitant du répit qui lui était offert.
Une douleur qui le fit grimacer survint. C’était la vicieuse plaie à son cou qui réveillait ses chairs. Son genou, lui, ne le faisait plus souffrir depuis que l’inquisiteur avait fait brièvement sien son esprit. Il avait songé à égorger ce maudit sorcier pour laver son déshonneur, à lui infliger une mort plus expéditive que celle qu’il avaient certainement dû administrer à ses victimes passées. Mais il s’était contenu. Les choses avaient changé, et il lui fallait s’adapter pour poursuivre les engagements dont il avait fait le choix de s’acquitter. Un autre, toutefois, méritait la mort. Et sa douleur du moment le lui rappelait à son bon souvenir.
Il se tourna un instant vers les deux tabards blasonnés de la flamme écarlate qui gisaient sur une caisse en bois juxtaposant son lit de camp. Il avait décidé de les récupérer en dépit de ce qu’il s’était passé. Abandonnés au sol par un fou qui n’avait même pas daigné s’en ressaisir, cette hypocrisie ne trompait personne, et certainement pas Thirath. Un esprit défaillant était une menace dans une communauté, il ne le savait que trop bien de par ses autres fonctions. Il fallait donc agir pour le bien de tous.
La réflexion s’arrêta. L’ombre d’une silhouette apparut soudainement contre la toile et s’avança le long du flanc de la tente. Le pas lourd à la symphonie métallique et murmurant de sombres paroles, nul doute était possible : Valérius le Dément rôdait. Thirath s’avança discrètement jusqu’à son lit, récupéra sous son oreiller son poignard et le fourreau qui allait avec, puis enfila ses bottes avec une lenteur furtive. La silhouette s’arrêta brièvement. Le poignard glissa du fourreau. Plus un mouvement des deux côtés. L’avait-il aperçu ? Qu’attendait-il ? Les questions se multipliaient dans la tête du quadragénaire, mais son regard, lui, ne flanchait pas en direction de sa cible. Il était prêt à frapper, à enfoncer son poignard dans sa chair viciée. La tension montait, mais sa poigne, elle, ne faisait que se resserrer avec assurance autour de la poignée de sa lame. Un premier pas, puis un autre. Le tintamarre des plaques reprenait. La silhouette s’éloignait finalement en direction d’une autre tente.
Thirath expira longuement, mais l’adrénaline accumulée ne redescendait pas. Une occasion s’était présentée à lui et sa décision avait été prise. Accrochant le fourreau de son poignard et une besace à son ceinturon, il sortit de la toile sans un bruit, vêtu bien modestement. Il ne quitta pas des yeux Valérius qu’il suivait à la trace, prenant soin de dissimuler sa présence derrière le moindre obstacle qui se présentait à lui. Cette filature nocturne dura un certain temps, jusqu’au retour du zélote à la tour sombre qui dominait de sa présence le camp. Profitant d’une ouverture, Thirath abandonna brièvement sa cible pour gravir avec prudence les escaliers en ruine de la tour. Arrivé au sommet, il s’avança à plat ventre dans la direction du cliquettement de l’armure, plus bas. Le bruit prit fin : Valérius ne bougeait plus. Approchant à bonne distance, Thirath se hissa près d’un créneau et dégaina son poignard. Il pouvait voir en contrebas la nuque exposée du croisé, s’offrant à son bras vindicatif. Un saut bien exécuté, une poigne assurée et c’en était fini de celui qui faisait régner la terreur dans sa propre confrérie. La lame levée était prête à s’abattre et à s’abreuver du sang écarlate.
Arrêt. Un éclair de lumière aveugla l’assassin en devenir, ses membres ne répondirent plus, sa vision se troubla. Il se figea complètement sur place tandis qu’une chaleur réconfortante se mit à l’envahir au plus profond de son être. Il ne voyait plus rien, ni les créneaux, ni la cime des arbres morts, ni même Valérius. Tout était blanc. Il se savait encore lucide, puisqu’il arrivait encore à penser. De ce blanc lumineux se dégagea progressivement une silhouette ailée de femme. Il écarquilla les yeux bien malgré lui. Les formes qui se dessinaient sous son regard halluciné prirent une tournure plus familière. C’était « Elle ». « Impossible » siffla-t-il entre ses dents dans un murmure. La silhouette continuait à s’avancer vers lui sans toutefois toucher sol. Elle leva son bras dans la direction du bougre transi d’incompréhension et écarta les doigts fins de sa main brillante. À mesure que cet être familier approchait, la chaleur qui étreignait Thirath devenait plus brûlante. Après ce qui lui parut une éternité, « Elle » arriva enfin à sa hauteur et ses pieds se posèrent sur un sol invisible. Il voulait ardemment parler, mais aucun son ne sortait de sa bouche. Il se risqua à lever les yeux en direction du visage de ce qui ne pouvait être qu’un mirage. Des larmes incontrôlables se mirent à couler de ses orbites. « Suis-je en train de perdre la raison ? » se demanda-t-il. Les doigts touchèrent le front de Thirath. À leurs contacts ses yeux se révulsèrent. Il délaissa son corps, son âme projetée dans un couloir fait de vives lumières stroboscopiques de toutes les couleurs. Un voyage éthéré vers une destination inconnue. Il flottait dans ce qui ressemblait au cosmos des légendes.
Retour à la réalité. Il tomba à genoux de tout son poids, le regard hagard, son poignard conservé dans une main crispée et tremblotante le long de son corps. Une voix inconnue s’infiltra dans son esprit malmené, comme apportée par le sifflement du vent. Une voix de femme. « Retiens ta main ».
Choqué et décontenancé, sa première pensée fut de retrouver la sûreté de sa tente. Prenant soin de contourner le Dément, il s’avança à moitié halluciné jusqu’à sa destination. Il passa le reste de sa nuit recroquevillé autour de son épée et tremblotant, un nouveau souvenir en tête.
Celui d’une personne qui ne devrait pas être.
15/01/47
Mille orgues et mille cloches raisonnaient dans son cerveau malade, lui qui s’imaginait encore parader triomphalement sous de fraîches pétales de roses et les cris retentissants de citoyens reconnaissants.
Edmund Duke souriait de toutes les dents qui lui restaient sous son vieux heaume de simple fantassin usé par le temps et les combats. Il avait tenté au cours des années de préserver au mieux des éléments de l’armure qu’il revêtait quand il était encore au service des armées du souverain Terenas Menethil deuxième du nom et de l’aigle bicéphale d’azur et d’argent. Il souriait parce qu’il se savait purifié en cette nuit fatidique. Purifié de l’impureté, de la compromission et surtout, plus important encore pour un vieux soldat aux multiples campagnes désastreuses à son actif, du doute.
Ses yeux étaient clos, mais sa main ne tremblait pas. Il ne fit pas don de sa voix en cet instant, mais de son seul véritable talent qu’il se devait de brandir une fois de plus.
Lui et ses compagnons allaient enfin rejoindre leurs véritables frères de sang revenus à eux de l’oubli dans la purification du royaume félon. Celui qui s’était engagé avec une piteuse tiédeur auprès de ses frères et sœurs durant la Deuxième Guerre contre les abominables peaux-vertes. Celui qui avait dissimulé le traître Perenold en son sein. Celui qui avait rejeté l’alliance sacrée de l’humanité pour de basses raisons pécuniaires. Celui qui avait honteusement choisi d’abandonner à son sort son noble royaume voisin lors de la peste nécrotique. Combien de morts par la suite, lorsque les imposantes portes se refermèrent devant l’afflux de réfugiés lordaeronnais fuyant la ruine et un destin funeste ? Un royaume parjure, vidé de toute substance, de tout honneur, rongé par le vice, la mort et la malédiction.
Le vieil homme de robe mit fin au cantique devant l’assemblée fanatisée, encore recouverte du sang écarlate de leurs camarades. Les voix se turent. Tous purent admirer la finalité de la terrible purge qui s’était déroulée en cet instant sacré, ou trembler pour le salut de leurs âmes et de leur sanité. Edmund Duke nettoya son poignard de ce liquide si familier avec la plus grande indifférence. Pas une seule pensée pour celle dont il venait de trancher la gorge. Pour ceux qui gisaient au sol sans vie. Pour le seigneur de ces lieux dont le sort demeurait un mystère. Pour ce qu’il était devenu, lui, autrefois humble défenseur du peuple devenu bourreau d’une cause viciée.
Il leva la tête. Le prêtre avait cédé sa place à son nouveau seigneur. Le Dément commença son discours par des mots bien connus de ses laquais. « La Très Sainte vient. Elle arrive. »
Tandis que celui qu’il considérait comme un frère palabrait avec ardeur, des paroles d’outre-tombe dont on ne saurait déterminer la source se mirent à raisonner dans le crâne du soldat dévot. « ...Ce royaume va tomber, et un nouvel ordre naîtra de ses cendres... »
De l’autre côté du continent, personne n’avait encore eu vent de cette innommable trahison. Comment en aurait-il pu être autrement ? Il n’y eut ni messager, ni missive. Lors de ce soir d’une implacable fatalité aux nuages mornes, Thirath le garde patrouillait en toute quiétude avec son régiment, battant le pavé d’une cité d’albâtre pacifiée tandis que l’on assassinait vicieusement sur cette petite île lugubre aux larges des côtes. Il plaisantait avec ses pairs tandis qu’ailleurs on expirait son dernier souffle. Rien n’aurait pu troubler la soirée du bougre, ignorant qu'ailleurs une tragédie avait frappé. Une confession plus tard, il était affairé à réciter une première prière avant de retrouver sa couche confortable, tandis que d’autres agonisaient, seuls, dans le froid. Ceux-là n’avaient pas eu la chance de se voir octroyer une coupe nette sur leur gorge entaillée. S’il fallait retenir une maxime de ce désastre, elle serait, qu’hélas, ne s’improvise pas bourreau qui veut.
Maintenant, ces pauvres hères allaient souffrir d’un mort lente, spectateurs impuissants de leur propre fin, tandis que les embarcations des traîtres se dirigeaient avec zèle vers un sort non moins funeste…
19/01/47
Thirath avait posé congé, signé ce qui devait l'être et était parti avec arme & armure sans demander son reste après que l'autorisation lui fut communiquée par les pontes du régiment. « Motif personnel », une fois de plus, avait été la raison invoquée.
La veille, il avait signé le plus discrètement du monde son acte d'incorporation auprès d'une office gilnéenne montée pour l'occasion, dans un détachement de volontaires de tous horizons, constitué d'idéalistes nigauds, de patriotes vieillissants, d’opportunistes mercenaires et de vauriens de la pire espèce, exemptés d'une abrupte fin au bout d'une corde par leur seul service sous les drapeaux.
Peu de détails leur avaient été communiqués. Qui était l'ennemi exactement ? Où allaient-ils débarquer ? Quels allaient être leurs objectifs ? Bien des questions, peu de réponses. « Vous le saurez une fois sur place » leur avait-on mollement répondu. Il y avait des rumeurs bien sûr, mais entre les plus fantasques et les moins réjouissantes, Thirath préférait se concentrer sur l'instant. Du reste, il était lui-même pétri de certitudes quant à l'ennemi à abattre.
Pour lui, il ne pouvait que s'agir de débarrasser ce qu'il restait de Gilnéas des immondices putrides qui l'avaient conquise des années auparavant. Il pensait en somme qu'ils allaient avoir affaire à un groupe de renégats réprouvés, ayant sûrement fait sécession de cette trêve castratrice qui avait été imposée à tous par les têtes pensantes plus ou moins bien avisées des deux factions, et qui n'avaient eu de cesse depuis de s'accrocher comme les sangsues qu'ils étaient à la carcasse d'une civilisation maudite.
Il lui fallait toutefois bientôt mettre fin à ces songes. Les cloches avaient enfin sonné et l'imposant navire de bois et d'acier avait craché son épaisse fumée noire au-dessus de la tête des malheureux qui s'étaient embarqués dans cette folle expédition. Victoire ou déconvenue ? Cela restait à écrire.
26/01/47
Les dernières accolades fraternelles terminées, l’heure était venue de dire adieu à ceux et celles qui le méritaient. La colonne de volontaires se devait d’emprunter prestement & en bon ordre de marche les pontons de bois menant aux robustes navires amarrés à quelques mètres. Des cris de joie, de reconnaissance, des pleurs aussi, des mains et des mouchoirs de soie s’agitaient au-dessus des têtes chapeautées, humaines ou lupines. Des amants d’un soir, des camarades de circonstance, des frères d’armes d’une vie, tous s’étaient retrouvés le temps d’une dernière entrevue.
C’était toute l’allégresse d’une nation à la dignité retrouvée qui s’exprimait à pleins poumons, à pleins cœurs. Les réjouissances de l’instant ne pouvaient évidemment pas complètement effacer l’horreur des sacrifices consentis pour parvenir à un tel dénouement. Certaines âmes emplies de chagrin, de remords ou de colère préféraient le pudique recueillement à l’exubérante démonstration de joie populaire.
S’il était satisfait de la victoire arrachée à un ennemi qu’il n’avait toutefois eu aucune envie de combattre, Thirath était bien trop plongé dans ses propres pensées et ses propres blessures pour profiter de la démonstration de gratitude qui leur était offerte, à eux, ces modestes hommes et femmes venus de tous horizons, de toutes contrées, afin de redonner de leur bras armé sa souveraineté à tout un peuple. Les motivations plus profondes étaient certes multiples, mais le résultat, lui, unique. En dépit de tout ceci, c’était un goût amer que tenait en bouche le vieux soldat. Ce n’était pas ainsi qu’il avait imaginé les choses. Collaborer avec ces putrides réprouvés au lieu des les occire et de purifier leur présence impie par le feu. Combattre d’autres courageux humains à leur place, aussi « malavisés » furent-ils, animés d’un zèle semblable au sien… tout ceci était d’une grande indignité pour l’homme d’un autre temps.
Croiser le fer contre celles et ceux avec qui il avait été amené à combattre côte à côte par intermittence au cours de plusieurs mois successifs lui avait été insupportable. Il se sentait pour ainsi dire trahi, et à raison. Car trahison, il y avait bien eu. Le vilain matou, de ses paroles assassines à huit-clos, lui avait dévoilé en un soir fatidique ce qui avait eu lieu sur cette sombre île aux larges des côtes. Ce qui avait mené à ce gâchis en règle. Tant de vies humaines sacrifiées par la démence d’une poignée.
En cet instant de douloureuses constatations et de regrets multiples, seule la pensée d’avoir contribué à faire revenir dans le giron des descendants d’Arathor un énième royaume lui permettait de trouver un peu de réconfort. Pour lui, la traversée du retour commença et se termina dans une couche solitaire, s’abandonnant à un vague à l’âme partiellement reposant.
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