Deux mois dans les Steppes

Pendant près de deux mois, Leizen et Karven furent stationnés dans les Steppes Ardentes ; la région s'étant toujours révélée être un point stratégique - eu égard aux nombreux conflits s'y étant déroulés -, elle le fut bien plus lors de l'arrivée de la Horde de Fer. Là, l'ennemi était parvenu à prendre possession du Pic Rochenoire, pour y mettre au point une arme que les services de renseignements décrivaient comme « dévastatrice ». L'Etat-Major avait répondu dans l'urgence, ayant déjà fort à faire dans les Terres Foudroyées avec l'arrivée des orcs par la Porte des Ténèbres, puis avec le grand départ pour cette « autre Draenor ». Néanmoins, héros de tous horizons et membres de l'armée régulière furent envoyés sur zone, afin de chasser les nuisibles et réclamer le Pic.

Semaines après semaines, aventuriers, héros et soldats s'étaient lancés à l'assaut de la montagne maudite, enchainant succès et contre-coups. A la fin du cinquième mois de l'armée courante, le Capitaine Stolen avait reçu pour consigne des hautes instances de se rendre sur place afin d'apporter son concours. Non pas que sa seule présence dans les Steppes ait pu renverser le court de cette guerre - le borgne était certes bon combattant, mais pas faiseur de miracle ! -, mais son excellente connaissance du terrain pouvait être un atout.
Des années auparavant, avec les autres Stolen, Karven avait longtemps guerroyé dans la région, y faisant ses classes et apprenant dans la chaleur tenace de ces plaines rocailleuses à devenir un homme, et un chef.

Il était ainsi question d'envoyer sur zone une escouade chargée d'attaques éclairs et ciblées sur les positions ennemies, autour et dans le Pic. L'Etat-Major recherchait un mage qualifié ; c'est tout naturellement -et certes par intérêt ! - que le Capitaine proposa pour cela le Major Leizen Alrun. Quelques jours plus tard, les deux amants faisaient leurs bagages, et s'envolaient en direction de la Veille de Morgan. La place pouvait s’enorgueillir d'être idéalement entourée par des monts rocheux faisant office de remparts, la main de l'homme n'ayant guère eu à se fatiguer pour fortifier l'endroit. Là, un camp d'une dizaine de tentes avait été dressé, accueillant les soldats membres de cette escouade appelée « élite », au sein de laquelle la Völva aux cheveux blond-cendrés et le borgne allaient évoluer durant plus de soixante jours.

A la dureté des combats face aux orcs de la Horde de Fer, venaient s'ajouter les surprises provoquées par les actions des ogres Cognepeur tous proches, mais également les attaques inopinées d'un Drake, de temps à autres. Tous résolus à mener à bien la mission qui leur avait été confiée, les hommes et femmes de l'escouade découvrirent pour la plupart la dureté qui sévit au sein de ces landes de pierres oubliées par la lumière de l'astre solaire. Il ne fait jamais jour, ni jamais nuit, au sein des Steppes Ardentes. Il règne toujours cette demie-clarté grisâtre et terne, agrémentée de cette pestilentielle odeur de souffre.
L'ex-Major de la Garde, quant à elle, eut fort à faire avec l'un de ses plus farouche ennemi : la saleté. Quoi de plus naturel, au milieu de ces terres arides ? Mais la jeune mage, opiniâtre et vaillante comme jamais, ne se laissa pas faire. Poussière, boue, bestioles, crasse, toiles d'araignée, moustiques ; nul ne put résister aux assauts farouches du Major. Quant bien même lesdits assauts eussent-ils lieu en plein briefing sur la prochaine mission à venir.

Ainsi, tout le camp finit par s'habituer - ou presque - aux manies de la Völva, ayant cessé de râler au bout de quelques jours sitôt qu'elle débarquait avec son chiffon fétiche pour « nettoyer le camp ». Et les armures, et les armes, et les bottes, et les paillasses, et le bureau du Colonel. Tous avaient saisi qu'il était tout bonnement illusoire d'espérer d'elle quelconque changement d'attitude ; ils n'auraient jamais le dessus. Ainsi, il ne fallut que quelques jours à la Völva pour imposer une discipline de fer à l'entrée de sa tente, là où elle dormait en compagnie de Karven et quelque autres soldats ; chacun devait se déchausser avant de pouvoir espérer poser un orteil à l'intérieur.

Ce fut là la première victoire personnelle du Major durant cette campagne. Quant à l'ennemi principal ; les orcs, ils finirent par connaitre eux-aussi de nombreuses déconvenues.
Les assauts se sont enchainés, chirurgicaux, sur des positions ennemies depuis la Corniche des Flammes, au nord, jusqu'à la Butte aux Dragonnets au Sud-Ouest. De jour comme de nuit, c'était de toute façon la même chose, l'escouade enchaina les assauts surprises sur les campements retranchés des orcs, jusqu'à ce qu'enfin, l'assaut final sur le Pic Rochenoire put être entrepris afin de mettre un point final à la présence de l'avant-garde Marchefer dans la région.

Au bout de soixante jours, le Colonel fit savoir au couple que leur présence n'était plus requise dans la région. Il leur accorda une permission d'une semaine, pour se reposer, eu égard à leurs brillants états de service durant leur temps passé à la Veille de Morgan. A leur crédit, de brillantes opérations dirigées d'une main de fer et avec astuce sur de nombreux camps ennemis, et un nombre conséquents d'orcs envoyés dans l'au-delà, définitivement. Les hommes et femmes de l'escouade eurent l'occasion de découvrir que Leizen n'était pas qu'une enquiquineuse maniaque, tout comme Karven n'était pas qu'un simple glandu connaissant bien le terrain ; elle savait comment immobiliser cinq ennemis en un claquement de doigt (et accessoirement en embrocher un ou deux au passage), lui savait comment disposer ses troupes avant un assaut, et mener ces dernières au cœur du combat, avec hargne et autorité.

Pour leur dernière nuit à la Veille, l'un et l'autre profitèrent de ce simple moment pour se reposer, dormant à la belle étoile. Si tant est qu'une étoile puisse être aperçue à travers l'épaisse couche de nuages gris recouvrant l'ensemble de la région. Avec la défaite à venir de la Horde de Fer au Pic Rochenoire, les Carmines pourraient à présent jouir d'un peu plus de tranquilité, et ainsi la Forêt d'Elwynn, et par extension Hurlevent. Au moins Alrun et Stolen auront-ils la légitimité de dire qu'ils y sont, à moindre mesure, pour quelque chose.

Le borgne laissa échapper un bâillement, sentant la Völva contre lui s'enfoncer un peu plus à chaque seconde dans les bras de Morphée. Bientôt, ils pourraient rentrer au Domaine Stolen où, bien entendu, la blonde-cendrée passerait quelques heures à faire la poussière dans la petite mesure dans laquelle ils vivaient tous deux. Puis, lui retournerait à la caserne, reprenant sa place au sein de la Garde de Hurlevent, attendant par avance quelles loufoqueries les habitants de la cité lui réservaient pour son retour. Elle, bien que s'y refusant pour le moment, ne rempilerait pas au régiment. Mais, et c'était là motif de satisfaction pour Karven, elle ne se tiendrait jamais loin de la caserne, pouvant au choix y distiller ses conseils et remarques, écoutés par tous.
En son for intérieur, le borgne savait que rien n'aurait changé. Les mêmes ahuris de l'été seraient là, comme chaque année, apportant avec eux leurs lots de fadaises et bouffonneries.
Mais après et en dépit de tout, l'un comme l'autre en leur temps, ils aimaient ce rôle de Garde. Un rôle ingrat, mal reconnu, peu ou pas respecté par la plupart, mais que pour rien au monde ils n'abandonneraient.