Comtesse de rien

La fin du commencement

" Le temps nourrit cette confusion qu’il naît de son contraire. La poussière s’égraine de la tête au ventre du sablier et, inerte, attend que ciel et terre soient de nouveaux inversés pour reprendre le chemin qu’elle vient d’emprunter. Début et fin coïncident en toutes choses : nuit et jour, vie et mort, hiver et printemps, sang et roses. Ce cycle fonde le mouvement. "



Courir, pour rattraper le temps
Elle l'avait contre elle, tout en l'ayant pour elle
Elle pourrait recommencer à l'infini
Finir sans prendre le temps de commencer
Les possibilités innombrables
Une seule voie
Une seule voix
A suivre.


Lieu inconnu, dans un futur plus ou moins lointain.


Les mains sur les bras, elle regardait les trois personnes (si le mot convient) se préparer à partir. Les cheveux turquoise de la vielle elfe volaient en tous sens sous l'effet de la puissance du portail. L'aura gelée qui émanait de l'un des deux hommes n'arrangeait en rien l'état de glaçon de la Kaldorei. Elle restait néanmoins là, comme elle le faisait depuis si longtemps.

Son visage inexpressif fixait en particulier la seule femme du groupe, qui semblait ne voir que le trou noir qui lui faisait face. Elle aurait pu être jolie, si elle n'avait pas été si maigre. A peine plus d'un metre cinquante, et elle ne devait plus dépasser les quarante kilos. Il y eut un temps où elle avait plus de rondeurs, pourtant. Un autre temps. Cette pensée fit légèrement sourire la Kaldorei sans age. Quelle ironie...

Elle baissa ses longues oreilles et se mit à genoux devant le groupe. Chose si rare venant d'une personne qui ne connaissait pas l'humilité... Elle se garda néanmoins de fixer le sol, tant le spectacle était rare. Elle detourna ses yeux de la jeune humaine pour observer les deux hommes. L'un d'entre eux, celui qui était responsable de ce froid atroce, regardait dans le vague, les pensées perdues. Ses longs cheveux gris pendaient en une queue de cheval mal soignée dans son dos, et il se dégageait une sensation atroce de solitude de ses yeux bleus et froids.

Le troisième ne présentait rien d'humain. Il ressemblait beaucoup à un Sin'Dorei, mais sa peau était couleur de sable mouillé, tout comme ses yeux, et ses cheveux. Son visage semblait s'animer de milliers de sentiments, et malgré toute la connaissance qu'elle avait accumulé durant ces milliers d'années, l'elfe ne put les dicerner les uns des autres.

Son regard se porta à nouveau sur la petite femme que tous semblaient attendre. Ses pensées semblaient toujours plongées dans les méandres du portail d'ébène, mais elle laissait clairement transparaitre la colère et l'amertume sur les traits parfaits qu'elle s'était donnée. L'elfe elle-même avait appris à soustraire les expressions de son visage à l'appreciation d'autrui. Elle n'avait jamais compris pourquoi l'humaine n'en avait fait de même. Peut-être était-ce parce qu'elle n'avait plus d'humain que l'appellation passagère.

La Kaldorei sursauta lorsque l'objet de ses songeries se tourna vers elle. Son regard glacial la transperca aussi nettement qu'une épée l'aurait fait. Elle ressenti toute la colère de cet être se deverser sur elle. Elle se décida à regarder le sol, la honte la submergeant comme un raz de marée.
- Adieu, Vialice.
- Adieu, Ch...
Ne lui laissant pas finir sa phrase, l'humaine franchit le portail et disparut. La Kaldorei releva les yeux, croisant ceux du Sin'Dorei, qui n'exprimaient plus à son égard que de la pitié.
Le froid s'évanouit enfin et le portail avec lui. Vialice resta là, assise sur le sol. Ils ne reviendraient pas. Elle savait déjà ce qui allait se passer. Elle ferma les yeux, et, bercée de ses illusions, s'endormit. Elle les accompagna, dans son rêve, elle crut même y être. Mais c'était impossible. Elle mourait.

Le commencement de la fin


Northrend, seconde guerre opposant humains et orcs.


Cheena serait la première à poser les pieds sur la neige immaculée de la Désolation des Dragons. Elle embraserai la région de son regard amer, puis se tournerait vers ses deux compagnons.
L'un d'entre eux aurait changé d'apparence, et pour cause. Ses deux immenses ailes posées au sol, laissant les humains monter sur son dos, son souffle de tempête du désert, ses yeux cernés d'écailles de sable... Il leur dirait de ne pas bouger, et de s'accrocher, même si ces conseils étaient tout aussi inutiles que n'importe quelle parole entre eux trois.

L'humain aux yeux bleus, lui, semblerait aussi extenué que s'il avait du traverser une tempête provoquée par le behemoth qu'il montait. Mais rien sur son visage n'aurait changé. La même haine et la même solitude sur ses traits, il jetterai des regards furtifs à sa compagne, se demandant s'il pouvait toujours lui faire confiance.

La jeune femme quand à elle, fixerait un seul et unique point, loin devant eux, perdu dans l'horizon. Le Dragon de bronze prendrait son envol, et fendrait le vent de toute la vitesse dont il serait capable. Ils finiraient par atteindre, après des heures de vol, une étendue aussi blanche que celle qu'ils avaient quitté, mais sur laquelle se dessineraient les ombres gigantesques des montagnes du nord.

Le bronze percerait la roche millénaire d'une seule de ses griffes, tandis que Cheena étendrait la faille de ses sortilèges. Le troisième homme, immobile, attendrait simplement de pouvoir se mettre à l'abri du vent et du froid, qui pourtant, ne semblaient pas atteindre ses compagnons. Ils finiraient par entrer dans la montagne qui se refermerait sur eux. Ils seraient accueillis par le froid, le silence, et la noirceur. Puis ils s'y habitueraient, et ils verraient.

Il y aurait peut-etre une armée d'orc, ou peut-être moins. Mais aucune bataille. L'humain affaibli se poserait mille questions, mille doutes, mille craintes, peut-être. Cheena... peut-être qu'elle pleurerait. Elle avait toujours pleuré, quelle qu'en soit la raison, qu'elle qu'en soit la cause.Typiquement humain... Peut-être paniquerait-elle, aussi. Mais Vialice en doutait. La jeune femme savait ce qu'elle avait à faire, et elle savait qu'elle n'echouerait pas. Non, elle prononcerait simplement...
"Je suis désolée, Elzéar..."

Il se souviendrait de toutes les promesses de sa compagne. Il se souviendrait qu'elle ne l'avait jamais appelé par son vrai nom. Il se souviendrait de leurs rêves d'un nouveau vol, de leurs milliers d'enfants qui ne naitraient jamais. Il se souviendrait de ses sourires factices, et de ses caresses sans amour. Il se souviendrait qu'elle lui avait juré que s'il l'aidait, il ne serait plus jamais seul. Qu'elle resterait à ses côtés à jamais, qu'il n'aurait plus de haine en lui, qu'il ne souffrirait plus. Il se souviendrait, trop tard. Dans un dernier effort, il invoquerait toute sa puissance et révèlerait sa véritable apparence, celle de l'immense dragon de glace qu'il avait toujours été, mais Cheena l'aurait déjà maitrisé. Peut-être même tué... Et le bronze l'aurait regardé mourir comme il regarderai son propre sort s'abattre sur lui... sans réagir.

Cheena serait la dernière debout, petite chose entourée de ces enormes dragons. Les yeux rougeoyants qui les entoureraient attendraient qu'elle termine enfin. Et elle le ferait, changeant lentement et difficilement de forme, révélant les couleurs nuit et sable de sa robe d'écailles. Elle finirait tout, donnant ses instructions aux êtres ricannants qui l'entoureraient. Elle finirait tout, et mourrait sans doute peu après. Elle finirait tout, et recommencerait tout...

Le rève-réalité s'acheva enfin, et une goutte d'eau salée coula sur le visage de la druidesse. Ses premières larmes, depuis les milliers d'années qu'elle avait vécu, et les dernières à la fois.
Elle rendit son dernier soupir à la déesse en laquelle elle n'avait jamais eu foi, souhaitant de meilleurs jours pour la dragonne qu'elle avait tué.

Une feuille blanche... Une jolie feuille blanche. Sur laquelle j'aurai pu écrire tant de belles choses. La noircir, la bleuir, la rougir, la remplir de couleurs plus éclatantes les unes que les autres, dessiner de beaux paysages, esquisser la silhouette fine de Lanniey, le visage posé de Saig. Peindre les quelques poils de Saell, ou la crinière de Fanélia. Imaginer la folie de Néan, l'amour de Koh, la perdition de Malkier... Poser les contours des trahisons de Scheena, de l'absence de Gwæn... et tant d'autres !
Toutes ces images de lettres ou de couleurs, je ne les poserai pas sur cette feuille.

Il m'est toujours difficile de me battre contre le sommeil. J'aime dormir. Une fois réveillée, j'aime songer aux rêves faits, aux cauchemars, à leur signification et leur absence de sens. Dans mes pires journées, je sais qu'ils ne sont qu'une réminiscence des évènements passés qui encombrent ce que contient ma boite crânienne. Dans les meilleures, j'invente une fée, une Ysera, un esprit des rêves qui veille sur les miens et me montre les signes.
Aujourd'hui, je me sens simplement vide. Vide et douloureuse. Enfin, majoritairement.

Je ne me souviens plus de mes rêves. Je déteste ça ! Un matin, c'est déjà nul, mais sans le souvenir, c'est pire.

Sur ma table de nuit, dans cette chambre qui, à l'écoute, à l'odeur, à cette familiarité étrange des endroits où je passe parfois en coup de vent, semble appartenir à Austrivage, ma montre, cette merveille de techno-magie que j'ai adapté à la main durant de nombreuses heures, quelques vêtements pliés avec soin, et le codex de la Garde.
Je ne me souviens pas avoir porté ces vêtements, ni avoir posé ce livre... Ni même ce qui m'a amenée ici. J'ai déjà été amnésique. De nombreuses fois. Mort, blessures graves, poisons, douleurs de l'esprit... J'ai donné. Je connais. Cette fois, c'est différent.

Je m'habille et je sors. Dehors, personne, à part cette Rédemptrice que je connais vaguement de vue. Elle me dit quelques mots. Me parle d'amis improvisés la veille. Je ne sais pas quoi répondre. Je n'ose pas lui demander de quoi elle parle, si elle peut m'expliquer ce qu'il s'est passé. Elle est froide à mon égard. Je me demande sincèrement quelle connerie j'ai pu encore faire. Faute de trouver une réponse, je lui dit que je ne me sens pas dans mon assiette. Ce qui est foncièrement vrai : j'ai un mal de crâne épouvantable, des bosses me lancent et je ne sais pas encore pourquoi diable je suis teinte en brune. Elle me répond qu'elle n'est pas assez gradée ni digne d'intérêt et s'en va. Je ne comprends pas.

La Rédemptrice se détourne alors que je la croise sur le chemin, mon sac sur le dos. Je prend le griffon. Hurlevent...

L'hypothèse "Neph'o" se dessine dans mon esprit. Cela fait un moment que j'y pense, mais c'est inconcevable. Nous ne formons plus qu'une depuis...

Depuis quoi, au juste ? Il faudra que je l'écrive, un jour, ce que j'ai fait... que je le dise, que je le transmette. Que quelqu'un me croie, et m'écoute. Ça n'arrivera jamais, je sais.
Tant pis. J'écrirai pour moi, et pour Neph'o, si nous nous sommes réellement de nouveau dissociées.

Cela faisait six mois, peut-être un peu moins, ou plus, je ne sais plus, que je savais. J'ai toujours eu honte d'être bizarre. Lorsque Koh, mon beau, mon grand rouge de Koh, m'a annoncé ce que je suis -il faudra bien que je l'écrive aussi, ça : un dragon- je me suis sentie euphorique. Un dragon. Quelles perspectives infinies peuvent s'ouvrir, dans l'esprit de celle qui se croyait mortelle, de basse, très basse extraction, et qui découvre, un jour, qu'elle peut voler de ses propres ailes, avoir une véritable famille, un but, un monde à protéger. Mieux, le plus intéressant des mondes : celui du temps.
Seulement voilà. Si ma vie avait eu la moindre chance d'être aussi simple que ça, ça se saurait. Alors non, je ne suis pas un bête dragon de bronze. Avec sa famille, son papa, sa chance de devenir concubine... je suis aussi bleue. Et ça complique tout.
Les bleus, tout le monde -enfin, les renseignés- sait ce qu'ils sont. Instables. Fous. Tueurs, pour certains. Je le suis aussi. Neph'o en est née.

J'ai beaucoup rêvé. De ce que je suis, de ce que je serai et fut. Je n'ai pas la science de l'avenir, ni le pouvoir de l'explorer. Le passé, par contre... J'ai beaucoup vu, observé. Le présent étant la conséquence directe des gestes de chacun, pour comprendre ce qui est aujourd'hui, l'Autrefois est une mine d'or. Dans ma bêtise, mon désir de savoir ce que je suis, je suis allée voir de mes propres yeux ce que mes rêves me montraient. Avec ma Neph'o...

Le passé et son approche. Il faut -notion amusante- du temps, de la réflexion et malheureusement, de l'expérience pour en comprendre le fonctionnement. J'ai 23 ans, bientôt 24. La connaissance et la compréhension du monde me motivent grandement, pour avancer, toujours, encore. Vivre uniquement n'est pas, en soi, une aventure qui me ravit... A commencer par la compréhension de ce que je suis.

Pour cela, j'ai sacrifié ma Neph'o. Ma si jolie, si gentille, si aimante Neph'o. Si sage aussi... sûre d'elle... Enfant encore dans son esprit, bien qu'Hurlevent ait eu le temps de laisser sa marque sur elle.

Il est inutile de mentir, je le savais... on le savait toutes les deux. C'était la première fois que je faisais un tel bond dans le temps. Elle pensait qu'elle devait venir, avec raison, comme toujours. Sans elle, j'aurais même pas été capable de poser le pied sur la neige de Northrend. Je n'étais qu'une moitié de moi, elle était l'autre. Si j'avais été faite avec simplicité, elle aurait été la moitié bronze et moi la bleue. Mais on avait une part des deux, chacune. Elle n'a jamais été capable d'utiliser la magie, pas parce qu'elle ne pouvait, mais parce qu'elle la repousse comme un aimant contraire. Elle déteste ça.. elle n'a pas été élevée dans ce sens.

On ne se rend réellement compte de la valeur des gens que quand on les perd. J'avais pour habitude de considérer ma Neph'o comme une casse-pied, une rabat-joie et une gamine... J'ai passé des heures à la faire tourner en bourrique, à la rabrouer sur ses manières enfantines, ses rêves qui me semblaient si stupides. Elle me manque tellement aujourd'hui... j'ai envie, comme elle le désirait tant, d'échanger nos vêtements et de se faire passer l'une pour l'autre. De nous inventer une langue rien qu'à nous, des codes secrets, des signes. De la serrer dans mes bras. Quand je pense que je me suis même battue avec elle... J'ai si honte...

Elle m'a permit de me voir. Bien sur, elle était là... en moi... mais j'étais seule. Seule pour affronter ma réalité... voir ma propre folie, mes horreurs futures, mes massacres. Pour emmener mon bébé en sécurité, loin de là. Pour faire n'importe quoi.
J'ai cru changer le passé, mais je l'ai créé.

Mes parents. Mes amis... et mes amants. C'est ce jour maudit que j'ai commencé à comprendre pourquoi je suis et je fus telle. Ce n'est certes pas lié, du moins, pas dans les faits, mais...

Lorsque je suis entrée, je m'attendais à beaucoup de choses. Mais rien ne m'avais préparée à ça... Rien.

Ils ne m'attendaient pas. Mais pas du tout. Ils savaient pourtant qui j'étais, ce que j'étais. Mais eux non plus, n'avaient jamais pensé à... ça.
J'ai paniqué. Ou plutôt non; j'ai réagi avec une habitude, une froideur, un... je ne sais pas même comment décrire ce que j'ai ressenti. Je sais juste que plus jamais, je ne veux me retrouver dans cette situation, dans cet état d'esprit.

Ce fut un massacre.
L'odeur atroce de pourriture avancée qui régnait dans l'immense caverne
Les yeux rouges des orcs, qui me fixaient, entre la stupeur et l'ahurissement
Et eux deux, et "elle"
Et ces petites choses au centre de la pièce, encore couvertes du liquide poisseux que contenaient leurs oeufs, si fragiles, si menues...

Je ne sais pas ce qu'ils voulaient faire d'elles. Je ne le saurai jamais. Ils sont tous morts, tous autant qu'ils étaient, ne se relèveront jamais, ne pourront jamais plus être relevés. J'ai jeté les lames qui m'ont servi à cela, lavé mes mains jusqu'à saigner, pleuré que ce n'était pas ce que je voulais... trop tard. Je n'osais pas même faire un saut dans le temps pour m'empêcher d'agir, de peur qu'"elle" me tue.

Et elles... Elles se tenaient là, toutes les deux, par terre. L'une d'elles, les yeux fermés, inspirait l'air alentour, cherchait à connaitre, reconnaitre, à comprendre. La deuxième...
Mon bébé, ma petite chose... Ma soeur, mon ange, mon double, celle qui aurait du exister, qui aurait du survivre... celle qui laisse aujourd'hui un tel vide dans mon coeur, dans ma tête, celle que j'ai recréé par dépit, par envie, par solitude... et que j'ai assassiné, avant les autres, pour cette horreur.

J'ai pris la vivante, le bébé Cheena, et je suis partie, me suis enfuie, loin.

Je l'ai confiée à Vialice.

Je n'aurai jamais du. Mais c'est encore trop tard.

Hurlevent...

Cette ville pourrie moisie que j'aime tant. Mon chez moi. MA ville.

Le griffon arrive enfin. Je sors de ma torpeur, de mes songes glaciaux. Je relis le rapport que j'ai rendu au sujet de Berceau de l'Hiver. Celui que je n'ai jamais écrit.

Si Neph'o et moi avions vraiment été jumelles, je n'aurai cessé de m'étonner sur ces pensées communes que nous avons, ces réflexes, ce désir d'être exact. Si je l'avais écrit moi-même, ce rapport aurait été en tous points semblable à celui-ci, peut-être avec un brin plus de remarques personnelles.
Nous avions également la même sensibilité... les mêmes expressions... sans doute le même caractère, bien que je ne me sois pas beaucoup penchée dessus. Seul le rapport à autrui semblait différent, et quelle différence...

Toujours est-il qu'elle s'est souvenue du Rêve, que dis-je, du cauchemar. Elle s'est souvenue de tout, tout ce qu'il s'est passé avant, tout ce que moi, j'ai fait, de mes propres petites mains. Pourquoi je ne suis pas capable d'en faire de même ? Qu'est-ce s'est-il passé dans ce foutu cauchemar pour que je perdre le contrôle, que j'en oublie de penser, que je ne me réveille pas ?

Elle est toujours là... elle ne dort pas, elle.

C'est forcément elle qui a pris le "contrôle". J'imagine mal Agham nettoyer mon casier, mes vêtements. Je ne vois pas n'importe qui se mettre à porter de la plaque, changer radicalement de comportement avec mes amis. Saig et Lann m'ont dit que j'avais été encore plus chiante que d'habitude... un exterieur aurait été mielleux, aurait cherché à faire croire que c'était toujours moi.
Mais non, elle, elle a juste débarqué avec ses bottes en plaque et posé les pieds dans le plat.

Il me manque encore l'explication des bosses et du roussi, mais je n'ai aucune idée d'avec qui elle a bien pu aller trainer, ni de ce qu'elle a pu faire. Je suis restée quoi... Quatre ? Cinq jours "endormie"...?

Terrible nuit...

J'ai lutté, lutté pendant des heures, contre elle, contre moi-même. Je n'ai pas dormi.

J'ai honte d'écrire. Il faut bien que ça sorte : je me sens terriblement seule (j'ai déjà du écrire ou dire ça un jour, et la conviction étrange que ce n'est pas la dernière fois.)

Lanniey m'a insultée. Il ne me supporte pas. Je n'y arriverai jamais. Comment suis-je censée me comporter pour avoir de vrais amis ? Je les colle trop. Venir une fois par semaine ? Par mois ? Ne pas venir, les attendre ? Ne pas attendre, faire autre chose ? Faire quoi ? Personne ne recherche ma compagnie. Que faire ?? Koh a peut-être raison. Je n'ai pas ma place parmi les hommes. Mais je me sens si proche d'eux... (bien que ce ne soit pas réciproque)

Je ne suis plus Soldat. Je suis Garde. Je ne sais pas si je dois m'en réjouir. J'ai la désagréable impression qu'il ne m'ont passée Garde que pour une raison que j'ignore. Ma déesse s'est peut-être (trop ?) plainte auprès des autres dieux. Ou peut-être était-ce pour me faire plaisir, pas parce que je le mérite. Je ne comprends pas. Je travaille bien, je m'occupe bien des prisonniers, des civils aussi. Je suis toujours souriante, je ne m'énerve plus. Je ne fais jamais la tronche... Je suis à la caserne tous les jours pendant des heures et des heures... Et leur décision n'a pas été unanime...
Je vois les recrues (j'adore les recrues) passer mon grade, devenir mes supérieurs... c'est lourd à supporter.
Saell m'évite. Il passe son temps à déprimer, il ne répond jamais à une réflexion autre que par une question... "Vous voulez ma place ?"
Je ne sais pas ce qu'il essaye de faire. Un jour je vais lui manger l'Intouché par les trous de nez.

Pas de Khassim à l'horizon. J'espère que Neph'o ne l'a pas croisé, qu'elle ne lui a pas fait peur. J'espère qu'il ne sait pas. J'espère que personne ne sait.

J'ai craqué. Je suis une moins que rien. Pire que ça. Il faut que je parte. Tout de suite.

Revenue.

Repartie aussi vite.

Il n'a pas aimé. Je m'en doutais. Je ne dois plus y retourner. Et attendre. Attendre quoi ou qui, je n'en sais rien. Mais je ne dois plus rien faire. Statique.

On ne viendra pas me chercher.

Défaitiste ou réaliste ?

J'ai posé une drôle de question à Saig. Je me la pose toujours. Qui, et où sont mes amis ? Mes proches ? Ceux qui remueront ciel et terre pour moi ? Qui sait qui je suis ? Qui cherche à savoir ? Ai-je seulement des amis, ou sont-ce seulement des copains, qui défilent, qui passent et s'en vont, depuis tout ce temps ?
Je crois que Neph'o était la seule.

Je ne me lamente pas. Je ne pleure pas. J'ai failli. Peut-être que j'ai enfin compris. Un jour, j'ai demandé à Ménitra comment faire pour qu'ils m'aiment. Elle m'a dit de rester moi-même. Maman, tu avais tord... Etre moi-même ne suffit pas. Cela n'a jamais suffit et ne suffira jamais. Tant pis.

J'apprendrai à vivre seule.

Il m'a demandé de parler.

Je ne sais plus parler.

J'ai parlé pendant trop longtemps à ceux qui n'avaient pas envie de m'entendre. Aujourd'hui, je ne sais plus dire que cela. Je n'ai pas d'ami.

Ce n'est pas vrai. J'ai du temps, du temps et encore du temps, devant moi, et pourtant, je veux tout, tout de suite. Cette sensation d'urgence qui m'assaille... Peut-être ai-je trop perdu. Les années passent et ils trépassent.

Suis-je porteuse de malheur ?

M'aiment-ils seulement parce que je les attire, ou est-ce pour moi ? Plus les années passent et plus je me le demande. Est-ce une particularité de l'homme que de vouloir aimer ? Ou est-ce ce que je suis qui les y pousse ? Cela ne devrait pas fonctionner pour eux, pourtant... il ne devrait y avoir que les... miens.

Je me demande s'ils ont peur que je porte leur enfant. Je me demande si je pourrai porter un bébé, un jour. Dois-je seulement l'espérer ? Quelle abomination pourrait-elle être ? Quelle vie pourrais-je lui apporter ? Mieux vaut ne pas y penser... J'ai fait trop d'erreurs pour seulement en prendre le risque.