Justice
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Justice
Caserne de Hurlevent, début de soirée
Talhin était en rang avec les autres gardes dans la grand-salle de la caserne. L'ambiance était pesante, l'atmosphère lourde, le silence presque total. Seul le bâtiment gémissait sous le poids des bottes qui foulaient son plancher et bien que constant, le bruit des chaînes que les prisonniers remuent dans les geôles du sous-sol peinait à parvenir au rez-de-chaussé.
Le commandant faisait face à ses hommes. Alors que le major avait disparu dans les escaliers qui descendaient au sous-sol, le suspens atteignait des sommets. Certains redoutaient le sermon habituel qui précédait le retour aux activités du commandant, d'autres s'étaient fait une idée de la raison d'un tel rassemblement.
C'est alors que la voix de la vieille lionne coupa court aux élucubrations de chacun.
- Que ceux qui ne s'en sentent pas le courage quittent le service.
Aucun murmure n’accueillit cette phrase. Talhin lança un regard à sa droite, puis à sa gauche avant de se pencher vers son voisin, le sémillant sergent MacLane. Ce dernier ne bougea pas d'un pouce. Il écouta sans accorder un regard à son interlocuteur ; car tous ici le savaient – Clayton en tête de liste – mieux valait ne pas contrarier le commandant.
- De quoi parle-t-elle, sergent ? Murmura-t-il.
Pas de réponse. Talhin se redressa et tourna la tête en direction des escaliers alors que le major remontait, flanquée de Khaltée. Cette fois, le doute n'était plus permis. Et pourtant, volontairement drapé dans sa naïveté, Talhin se risqua à poser une nouvelle question à Cornelius.
- On va l'escorter à la prison centrale ?
Le sergent resta silencieux. Un silence qui en disait long, car si il se refusait à répondre au jeune homme, celui-ci pouvait maintenant comprendre aisément de quoi il en retournait. Ils vont l'exécuter... pensa-t-il, alors que son cœur s'emballait.
Sous l'ordre de la vieille lionne il se dirigea comme un pantin articulé à l'extérieur du bâtiment, aux côtés de ses camarades.
Alignés dans la cour, sous un ciel noir d'encre, baignés par la caresse de la lune, le lieutenant Oliver Shephard commença à leur distribuer les fusils. Il s'arrêta devant Talhin, le fixant alors qu'il tendait l'arme à feu. Mais le jeune homme restait immobile. Son esprit était en proie à une bataille et son corps refusait de coopérer.
C'est à cet instant que la voix de Cornelius le tira de sa torpeur. Il lui demandait de quitter le rang. Le ton était sans appel.
C'est alors que Talhin remarqua le fusil tendu vers lui. Un rapide coup d’œil à son voisin de droite et il comprit pourquoi le sergent avait rompu son mutisme. Plutôt que d'entamer la distribution à tous les gardes, Oliver s'était immédiatement dirigé vers Talhin. Une bouffée de colère réchauffa sa poitrine.
Il croisa le regard de celui qu'il avait élevé en mentor. L'homme en qui il avait placé sa confiance. Un homme qu'il respectait et qui avait son admiration. Alors c'est ainsi ? songea-t-il, amer.
Leur relation s'était envenimée depuis le début de cette affaire. Le piédestal sur lequel il avait placé Oliver avait commencé à s'effriter, une semaine plutôt, lorsque le lieutenant l'avait accusé de prendre la défense de la traîtresse Raven pour les galbes de son corps. Et puis il s'était acharné à vouloir sa mort, plus que de raison selon le jeune homme. Dès lors Talhin avait commencé à cultiver une certaine rancœur à l'égard de son supérieur. Et maintenant, il lui faisait face, le fusil tendu. Il l'avait choisit lui avant tout autre. Il savait que Talhin ne supportait pas la décision de la cour martiale. Il savait qu'il ne pourrait pas mettre la main sur cette arme.
Ses pensées se bousculèrent dans son esprit.
- Espèce de... fut tout ce qu'il parvint à articuler alors qu'il tenta de se jeter sur Oliver.
La poigne de Cornelius se referma aussitôt sur son bras comme un étau.
- Une rébellion ?! vociféra le lieutenant.
Talhin tourna la tête vers Cornelius. Le quarantenaire avait le visage fermé. Son regard était froid, plus sombre que Talhin ne l'avait jamais vu. Ses traits ne dégageaient rien de sa bonhomie habituelle. Il arborait un masque.
Le ton monta entre les deux officiers. C'est à ce moment que le capitaine Stolen quitta la caserne et s'approcha de la troupe d'un pas lourd et vif. Il arracha Talhin du rang en le tirant par le bras, l'air contrarié. Lui qui n'avait pas voulu prendre part à cette histoire se voyait contraint de gérer les petites querelles de ses subordonnées. Ils n'avaient pas besoin de ça, surtout en ce moment.
C'est ce qu'il essaya de faire comprendre à Talhin en quelques mots. Mais le jeune homme n'écoutait plus. Face au trouble que dépeignait son visage, Karven le laissa retourner à l'intérieur du bâtiment d'un geste mou. Il n'avait pas le temps pour un tel sentimentalisme, pas ce soir. Ils avaient une lourde tâche à accomplir. Et qu'importe ce que pouvait penser le caporal Flytherson, ni lui ni le commandant ne prenaient plaisir à cela.
Talhin entra dans la caserne et se dirigea vers les vestiaires. Il passa la porte et s'appuya contre un casier, prit de vertiges. Jusqu'au bout il avait été persuadé que le commandant reviendrait sur sa décision. Il pensait que la sentence ne serait qu'une mise en scène pour faire réfléchir Khaltée et la mettre face à son erreur. Il ne comprenait pas et c'était cette incompréhension qui était la source de ses maux.
Lorsqu'il avait entendu pour la première fois le major Ventis dire qu'un officier ou sous-officier devait se porter volontaire pour défendre Khaltée, Talhin avait hésité. A ce moment, il n'était pas sûr de vouloir l'aider. Après tout elle avait trahit son serment, un serment auquel le jeune homme attachait une grande importance. Mais c'était aussi son devoir que de conserver une certaine neutralité : à l'état-major la décision d'une sentence, Talhin n'était pas là pour juger. Il était l'outil, pas la main.
Le temps était passé sans que personne ne se porte volontaire. Lorsqu'il entendait ses camarades parler de Khaltée c'était en des termes peu élogieux. Beaucoup éprouvaient de la rancœur à son égard et pour tous le verdict était sans appel : elle devait passer par les pics ou la corde. Selon Talhin, ce n'était pas juste. Non pas qu'il voulait l'exempter de toute punition, mais il avait bien du mal à concevoir le déroulement d'un procès équitable si le défenseur de l'accusée lui-même voulait sa mort.
C'est ainsi que le devoir prit le pas sur l'hésitation. Il avait décidé de défendre Khaltée afin qu'elle ait droit à un jugement aussi droit que possible en mettant de côté ses à priori. Ainsi, les valeurs en lesquels il croyait ne seraient pas bafouées.
Talhin déambula dans la pièce jusqu'à faire face à son casier. Il posa son front contre le métal froid de la porte.
Il avait échoué. Sa défense, pathétique, construite sur un sentimentalisme qui n'avait pas lieu d'être en cour martiale, n'avait pas tenue le choc face à la pugnacité du lieutenant Shephard. Khaltée ne l'avait pas non plus aidé alors qu'elle avait vanté les mérites de La Clef en plein procès, s'attirant les foudres de l'état-major et nourrissant la machine de guerre de Oliver.
Mais Talhin n'était pas de ceux qui abandonnaient facilement. Bien qu'atterré par la décision de la cour martiale, il avait continué de rendre visite à Khaltée. Il allait la voir régulièrement, jusqu'à une fois par jour. Il était persuadé, au fond de lui, qu'il pouvait lui ouvrir les yeux. Il savait en son fort intérieur qu'elle n'était qu'un pantin, un pion manipulé par la criminelle La Clef ; un pion qui s'était laissé abusé par de belles paroles.
Et puis il y était parvenu, avec l'aide de Cornelius. Il ne savait pas ce que le sergent lui avait raconté mais à eux deux ils avaient réussi. Ils avaient balayé l'emprise de La Clef sur son esprit. Il avait été fier, et heureux, de lire les deux lettres rédigées par Khaltée.
C'est ainsi que Talhin avait franchit une ligne dangereuse. Celle de la neutralité. Il avait commencé à éprouver de la sympathie pour celle qui un mois plus tôt était encore l'une des leurs. Il ne l'appréciait pas autant qu'il appréciait Maryl mais suffisamment pour ne pas avoir envie de la voir morte. Il agissait en humain avant d'agir en garde, la main sur le cœur plutôt que sur l'épais codex qui garantissait la paix de Hurlevent. Une erreur qui, s'il l'avait évité, l'aurait privé de bien des troubles qui l'agitaient en cet instant.
Soudain, le fil de ses pensées fut interrompu par le bruit de coups de feu. La salve de détonations se répercuta en écho dans le quartier. Le son résonnait aux oreilles de Talhin, à peine étouffé par les murs de la caserne. Le jeune homme fut prit d'un hoquet et écrasa violemment son poing contre la porte de son casier. Il ferma les yeux en essayant de se concentrer pour ne pas imaginer la scène qui venait de se dérouler à l'extérieur. Il ravala avec peine ses larmes.
Il avait échoué. Pire encore, il avait offert de l'espoir à une condamnée à mort. Il se revoyait encore face à sa cellule, la motivant à ne pas perdre espoir car lui, Talhin Flytherson, réussirait à convaincre le commandant. Elle y avait cru. Lui aussi.
Il aurait aimé pouvoir remonter le temps. Il aurait aimé mieux construire sa défense face à l'état-major et trouver les bons mots, plus tôt, pour lui ouvrir les yeux.
Mais c'était trop tard. Elle était morte. Elle n'avait prit aucune vie et pourtant, ils avaient décidé de prendre la sienne. Et pour couronner le tout, certains voyaient en lui un garçon naïf qui s'était laissé abusé par les charmes d'une traîtresse ; voilà tout ce qu'ils retenaient de son travail. Le caporal eut un nouveau hoquet. Un sentiment d'injustice nouait ses entrailles.
Il se laissa tomber sur une chaise. Le dos voûté, la tête baissée et les avant-bras appuyés sur ses genoux, il faisait peine à voir. C'est à ce moment que la voix du major Ventis retentit de derrière la porte des vestiaires.
- Flytherson ? Je peux entrer ?
Taverne du quartier nain, minuit
- C'est pas de bêtes ingrédients qu'on mélange, pour dire. Mais l'essence même des esprits qui les animent.
Le pandaren agitait ses mains en même temps qu'il parlait, comme le font les passionnés. Il se dégageait de sa robuste silhouette une forte odeur d'alcool. La discussion s'était enflammée depuis qu'il avait abordé le chapitre des bières, cette boisson si chère aux yeux de son peuple.
- Chaque chose à un esprit. L'eau, le feu, le vent, la terre, et tout ce qui y vit.
Il releva un peu le bord de son chapeau tressé de bambou et balaya le comptoir de son regard doré pour s'assurer que son public suivait bien ses explications. Il remarqua alors que le jeune humain à côté s'était de nouveau perdu dans ses pensées. Il empoigna sa bière et lui donna une tape dans le dos pour le rappeler à la réalité.
- La bière est l'union ultime de tout ça, gamin ! Le breuvage céleste et parfait !
Mais la voix du pandaren avait bien du mal à atteindre Talhin. Le rouquin était accoudé au comptoir, tête baissé, ailleurs. Le regard ancré dans les remous de sa bière, il ressassait les événements de la soirée. Tout autour de lui n'était qu'un brouhaha de voix informes. Le temps semblait comme suspendu, plié face aux tourments du jeune homme. Et rien n'arrivait à éloigner Talhin de sa morosité, pas même la bonhomie de Xuandian et son discours sur les bières, ni ce vieux nain qui les avait rejoint ou la plantureuse demoiselle qui s'était approchée du comptoir.
Aux grands maux les grands remèdes ! Le pandaren dégaina une gourde en argile de la manche de son gilet et fit sauter le bouchon de liège.
- Fabrication maison ! Je crois que l'eau de source vient de Dun Morogh. Viens par ici, Barlaf, viens la goûter ! Elle est faites à base de pacifique. On la sert normalement avant un repas, ou après. Vous allez voir, elle libère l'esprit. Elle vous donne des ailes. Au sens figuré bien sûr. Je n'ai pas encore trouvé la recette pour les vrais ailes, héhé.
Le vieux nain s'approcha de Talhin et Xuandian en tendant sa chope. Vaincu par l'obstination du pandaren à le tirer de sa morosité, le jeune homme accepta lui aussi le breuvage. Une fois qu'il les eut servit, Xuandian agita sa gourde au-dessus de sa langue en penchant la tête pour récupérer les dernières gouttes.
Talhin trempa ses lèvres dans la bière de pacifique et dès la première gorgée, son esprit s’apaisa. Le tourment de son cœur s'empêtra dans la chaleur de l'alcool. Des souvenirs chaleureux refaisaient surface à mesure que son esprit s'embuait. Il resta une partie de la nuit dans la taverne, flanqué du pandaren vagabond et du vieux nain vétéran, écoutant leurs conseils et leurs épopées.
Lorsqu'il se réveilla au petit matin, dans la paille de l'écurie aux côtés de sa jument, seules quelques phrases persistaient dans son esprit. De sages paroles et d'autres, un peu moins censées. Il se sentait le cœur plus léger et comme si cette nuit avait suffit à faire sauter un verrou, il laissa sa peine éclater et pleura à chaudes larmes.
Talhin était en rang avec les autres gardes dans la grand-salle de la caserne. L'ambiance était pesante, l'atmosphère lourde, le silence presque total. Seul le bâtiment gémissait sous le poids des bottes qui foulaient son plancher et bien que constant, le bruit des chaînes que les prisonniers remuent dans les geôles du sous-sol peinait à parvenir au rez-de-chaussé.
Le commandant faisait face à ses hommes. Alors que le major avait disparu dans les escaliers qui descendaient au sous-sol, le suspens atteignait des sommets. Certains redoutaient le sermon habituel qui précédait le retour aux activités du commandant, d'autres s'étaient fait une idée de la raison d'un tel rassemblement.
C'est alors que la voix de la vieille lionne coupa court aux élucubrations de chacun.
- Que ceux qui ne s'en sentent pas le courage quittent le service.
Aucun murmure n’accueillit cette phrase. Talhin lança un regard à sa droite, puis à sa gauche avant de se pencher vers son voisin, le sémillant sergent MacLane. Ce dernier ne bougea pas d'un pouce. Il écouta sans accorder un regard à son interlocuteur ; car tous ici le savaient – Clayton en tête de liste – mieux valait ne pas contrarier le commandant.
- De quoi parle-t-elle, sergent ? Murmura-t-il.
Pas de réponse. Talhin se redressa et tourna la tête en direction des escaliers alors que le major remontait, flanquée de Khaltée. Cette fois, le doute n'était plus permis. Et pourtant, volontairement drapé dans sa naïveté, Talhin se risqua à poser une nouvelle question à Cornelius.
- On va l'escorter à la prison centrale ?
Le sergent resta silencieux. Un silence qui en disait long, car si il se refusait à répondre au jeune homme, celui-ci pouvait maintenant comprendre aisément de quoi il en retournait. Ils vont l'exécuter... pensa-t-il, alors que son cœur s'emballait.
Sous l'ordre de la vieille lionne il se dirigea comme un pantin articulé à l'extérieur du bâtiment, aux côtés de ses camarades.
Alignés dans la cour, sous un ciel noir d'encre, baignés par la caresse de la lune, le lieutenant Oliver Shephard commença à leur distribuer les fusils. Il s'arrêta devant Talhin, le fixant alors qu'il tendait l'arme à feu. Mais le jeune homme restait immobile. Son esprit était en proie à une bataille et son corps refusait de coopérer.
C'est à cet instant que la voix de Cornelius le tira de sa torpeur. Il lui demandait de quitter le rang. Le ton était sans appel.
C'est alors que Talhin remarqua le fusil tendu vers lui. Un rapide coup d’œil à son voisin de droite et il comprit pourquoi le sergent avait rompu son mutisme. Plutôt que d'entamer la distribution à tous les gardes, Oliver s'était immédiatement dirigé vers Talhin. Une bouffée de colère réchauffa sa poitrine.
Il croisa le regard de celui qu'il avait élevé en mentor. L'homme en qui il avait placé sa confiance. Un homme qu'il respectait et qui avait son admiration. Alors c'est ainsi ? songea-t-il, amer.
Leur relation s'était envenimée depuis le début de cette affaire. Le piédestal sur lequel il avait placé Oliver avait commencé à s'effriter, une semaine plutôt, lorsque le lieutenant l'avait accusé de prendre la défense de la traîtresse Raven pour les galbes de son corps. Et puis il s'était acharné à vouloir sa mort, plus que de raison selon le jeune homme. Dès lors Talhin avait commencé à cultiver une certaine rancœur à l'égard de son supérieur. Et maintenant, il lui faisait face, le fusil tendu. Il l'avait choisit lui avant tout autre. Il savait que Talhin ne supportait pas la décision de la cour martiale. Il savait qu'il ne pourrait pas mettre la main sur cette arme.
Ses pensées se bousculèrent dans son esprit.
- Espèce de... fut tout ce qu'il parvint à articuler alors qu'il tenta de se jeter sur Oliver.
La poigne de Cornelius se referma aussitôt sur son bras comme un étau.
- Une rébellion ?! vociféra le lieutenant.
Talhin tourna la tête vers Cornelius. Le quarantenaire avait le visage fermé. Son regard était froid, plus sombre que Talhin ne l'avait jamais vu. Ses traits ne dégageaient rien de sa bonhomie habituelle. Il arborait un masque.
Le ton monta entre les deux officiers. C'est à ce moment que le capitaine Stolen quitta la caserne et s'approcha de la troupe d'un pas lourd et vif. Il arracha Talhin du rang en le tirant par le bras, l'air contrarié. Lui qui n'avait pas voulu prendre part à cette histoire se voyait contraint de gérer les petites querelles de ses subordonnées. Ils n'avaient pas besoin de ça, surtout en ce moment.
C'est ce qu'il essaya de faire comprendre à Talhin en quelques mots. Mais le jeune homme n'écoutait plus. Face au trouble que dépeignait son visage, Karven le laissa retourner à l'intérieur du bâtiment d'un geste mou. Il n'avait pas le temps pour un tel sentimentalisme, pas ce soir. Ils avaient une lourde tâche à accomplir. Et qu'importe ce que pouvait penser le caporal Flytherson, ni lui ni le commandant ne prenaient plaisir à cela.
Talhin entra dans la caserne et se dirigea vers les vestiaires. Il passa la porte et s'appuya contre un casier, prit de vertiges. Jusqu'au bout il avait été persuadé que le commandant reviendrait sur sa décision. Il pensait que la sentence ne serait qu'une mise en scène pour faire réfléchir Khaltée et la mettre face à son erreur. Il ne comprenait pas et c'était cette incompréhension qui était la source de ses maux.
Lorsqu'il avait entendu pour la première fois le major Ventis dire qu'un officier ou sous-officier devait se porter volontaire pour défendre Khaltée, Talhin avait hésité. A ce moment, il n'était pas sûr de vouloir l'aider. Après tout elle avait trahit son serment, un serment auquel le jeune homme attachait une grande importance. Mais c'était aussi son devoir que de conserver une certaine neutralité : à l'état-major la décision d'une sentence, Talhin n'était pas là pour juger. Il était l'outil, pas la main.
Le temps était passé sans que personne ne se porte volontaire. Lorsqu'il entendait ses camarades parler de Khaltée c'était en des termes peu élogieux. Beaucoup éprouvaient de la rancœur à son égard et pour tous le verdict était sans appel : elle devait passer par les pics ou la corde. Selon Talhin, ce n'était pas juste. Non pas qu'il voulait l'exempter de toute punition, mais il avait bien du mal à concevoir le déroulement d'un procès équitable si le défenseur de l'accusée lui-même voulait sa mort.
C'est ainsi que le devoir prit le pas sur l'hésitation. Il avait décidé de défendre Khaltée afin qu'elle ait droit à un jugement aussi droit que possible en mettant de côté ses à priori. Ainsi, les valeurs en lesquels il croyait ne seraient pas bafouées.
Talhin déambula dans la pièce jusqu'à faire face à son casier. Il posa son front contre le métal froid de la porte.
Il avait échoué. Sa défense, pathétique, construite sur un sentimentalisme qui n'avait pas lieu d'être en cour martiale, n'avait pas tenue le choc face à la pugnacité du lieutenant Shephard. Khaltée ne l'avait pas non plus aidé alors qu'elle avait vanté les mérites de La Clef en plein procès, s'attirant les foudres de l'état-major et nourrissant la machine de guerre de Oliver.
Mais Talhin n'était pas de ceux qui abandonnaient facilement. Bien qu'atterré par la décision de la cour martiale, il avait continué de rendre visite à Khaltée. Il allait la voir régulièrement, jusqu'à une fois par jour. Il était persuadé, au fond de lui, qu'il pouvait lui ouvrir les yeux. Il savait en son fort intérieur qu'elle n'était qu'un pantin, un pion manipulé par la criminelle La Clef ; un pion qui s'était laissé abusé par de belles paroles.
Et puis il y était parvenu, avec l'aide de Cornelius. Il ne savait pas ce que le sergent lui avait raconté mais à eux deux ils avaient réussi. Ils avaient balayé l'emprise de La Clef sur son esprit. Il avait été fier, et heureux, de lire les deux lettres rédigées par Khaltée.
C'est ainsi que Talhin avait franchit une ligne dangereuse. Celle de la neutralité. Il avait commencé à éprouver de la sympathie pour celle qui un mois plus tôt était encore l'une des leurs. Il ne l'appréciait pas autant qu'il appréciait Maryl mais suffisamment pour ne pas avoir envie de la voir morte. Il agissait en humain avant d'agir en garde, la main sur le cœur plutôt que sur l'épais codex qui garantissait la paix de Hurlevent. Une erreur qui, s'il l'avait évité, l'aurait privé de bien des troubles qui l'agitaient en cet instant.
Soudain, le fil de ses pensées fut interrompu par le bruit de coups de feu. La salve de détonations se répercuta en écho dans le quartier. Le son résonnait aux oreilles de Talhin, à peine étouffé par les murs de la caserne. Le jeune homme fut prit d'un hoquet et écrasa violemment son poing contre la porte de son casier. Il ferma les yeux en essayant de se concentrer pour ne pas imaginer la scène qui venait de se dérouler à l'extérieur. Il ravala avec peine ses larmes.
Il avait échoué. Pire encore, il avait offert de l'espoir à une condamnée à mort. Il se revoyait encore face à sa cellule, la motivant à ne pas perdre espoir car lui, Talhin Flytherson, réussirait à convaincre le commandant. Elle y avait cru. Lui aussi.
Il aurait aimé pouvoir remonter le temps. Il aurait aimé mieux construire sa défense face à l'état-major et trouver les bons mots, plus tôt, pour lui ouvrir les yeux.
Mais c'était trop tard. Elle était morte. Elle n'avait prit aucune vie et pourtant, ils avaient décidé de prendre la sienne. Et pour couronner le tout, certains voyaient en lui un garçon naïf qui s'était laissé abusé par les charmes d'une traîtresse ; voilà tout ce qu'ils retenaient de son travail. Le caporal eut un nouveau hoquet. Un sentiment d'injustice nouait ses entrailles.
Il se laissa tomber sur une chaise. Le dos voûté, la tête baissée et les avant-bras appuyés sur ses genoux, il faisait peine à voir. C'est à ce moment que la voix du major Ventis retentit de derrière la porte des vestiaires.
- Flytherson ? Je peux entrer ?
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Taverne du quartier nain, minuit
- C'est pas de bêtes ingrédients qu'on mélange, pour dire. Mais l'essence même des esprits qui les animent.
Le pandaren agitait ses mains en même temps qu'il parlait, comme le font les passionnés. Il se dégageait de sa robuste silhouette une forte odeur d'alcool. La discussion s'était enflammée depuis qu'il avait abordé le chapitre des bières, cette boisson si chère aux yeux de son peuple.
- Chaque chose à un esprit. L'eau, le feu, le vent, la terre, et tout ce qui y vit.
Il releva un peu le bord de son chapeau tressé de bambou et balaya le comptoir de son regard doré pour s'assurer que son public suivait bien ses explications. Il remarqua alors que le jeune humain à côté s'était de nouveau perdu dans ses pensées. Il empoigna sa bière et lui donna une tape dans le dos pour le rappeler à la réalité.
- La bière est l'union ultime de tout ça, gamin ! Le breuvage céleste et parfait !
Mais la voix du pandaren avait bien du mal à atteindre Talhin. Le rouquin était accoudé au comptoir, tête baissé, ailleurs. Le regard ancré dans les remous de sa bière, il ressassait les événements de la soirée. Tout autour de lui n'était qu'un brouhaha de voix informes. Le temps semblait comme suspendu, plié face aux tourments du jeune homme. Et rien n'arrivait à éloigner Talhin de sa morosité, pas même la bonhomie de Xuandian et son discours sur les bières, ni ce vieux nain qui les avait rejoint ou la plantureuse demoiselle qui s'était approchée du comptoir.
Aux grands maux les grands remèdes ! Le pandaren dégaina une gourde en argile de la manche de son gilet et fit sauter le bouchon de liège.
- Fabrication maison ! Je crois que l'eau de source vient de Dun Morogh. Viens par ici, Barlaf, viens la goûter ! Elle est faites à base de pacifique. On la sert normalement avant un repas, ou après. Vous allez voir, elle libère l'esprit. Elle vous donne des ailes. Au sens figuré bien sûr. Je n'ai pas encore trouvé la recette pour les vrais ailes, héhé.
Le vieux nain s'approcha de Talhin et Xuandian en tendant sa chope. Vaincu par l'obstination du pandaren à le tirer de sa morosité, le jeune homme accepta lui aussi le breuvage. Une fois qu'il les eut servit, Xuandian agita sa gourde au-dessus de sa langue en penchant la tête pour récupérer les dernières gouttes.
Talhin trempa ses lèvres dans la bière de pacifique et dès la première gorgée, son esprit s’apaisa. Le tourment de son cœur s'empêtra dans la chaleur de l'alcool. Des souvenirs chaleureux refaisaient surface à mesure que son esprit s'embuait. Il resta une partie de la nuit dans la taverne, flanqué du pandaren vagabond et du vieux nain vétéran, écoutant leurs conseils et leurs épopées.
Lorsqu'il se réveilla au petit matin, dans la paille de l'écurie aux côtés de sa jument, seules quelques phrases persistaient dans son esprit. De sages paroles et d'autres, un peu moins censées. Il se sentait le cœur plus léger et comme si cette nuit avait suffit à faire sauter un verrou, il laissa sa peine éclater et pleura à chaudes larmes.
« - Vous ne tuez jamais ? Même les orcs ? Pourtant ce sont des monstres !
- Oui, mais nous vallons mieux qu'eux. N'oublie jamais ça. »
- Oui, mais nous vallons mieux qu'eux. N'oublie jamais ça. »
« T'as la tête du gars qui a mit ses tripes dans la balance. Et ça, ça compte. »
« Boaf, gamin. Tu verras quand tu auras cent-vingt ans ! »
« Inexpérimenté, voilà tout. Je pourrais te montrer deux-trois choses, si tu veux.»
Pytt- Citoyen
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