[A lire seulement] Il était Garde... et c'était cool - Homélie

- "Nom d'un p'tit ch'wal... "

Retournant à la grande table et à ses maigres notes, le paladin - chapelain en l'occurence - s'accouda de nouveau devant la feuille blanche sur laquelle il avait simplement noté "homélie du capitaine Hadley" et pour laquelle il recherchait désespérément quelques éléments personnels pour tâcher de faire quelque chose d'un peu vivant.

Enfin "vivant"... façon de parler bien entendu.

Mais malgré une bonne heure de recherche dans les dossiers de recrutement, impossible de mettre la main sur la moindre information concernant les antériorités du capitaine défunt. C'était comme s'il s'était trouvé parachuté là, venu d'on ne sait où, et qu'il était reparti quasiment sur le même mode. En conséquence ce dossier sentait la magouille administrative, et ça ennuyait fort le paladin que de devoir rencontrer la Commandant juste pour éclaircir ce genre de dossier peu clair. Mmh... le mieux était sans doute de se passer de cette entrevue car, comme dit le sage "la merde, ça éclabousse". Il trouverait bien des formules adaptées, ni trop ni trop peu. Et une fois qu'il en aurait fini d'un premier jet, il escomptait bien que la recrue Cerena prenne sa part du boulot et s'avise de mettre sa patte dans le charabia qu'il allait pondre.

Officiers, collègues, amis de la Garde de Hurlevent

En l'absence de famille et, pour ainsi dire, d'amis personnels identifiés, on se contenterait d'un "collègues" et de broder un peu. Ça n'était pas hypocrite : on regrettait effectivement le collègue, même si ses méthodes gratuitement brutales, notamment dans les cales du navire soupçonné de contrebande, n'avait pas du tout laissé un bon souvenir au paladin. Il avait l'image de quelqu'un de renfermé, limite taciturne, qui savait faire preuve d'autorité mais de façon froide, distante. Il faudrait le présenter différemment, bien entendu.

C'est une bien triste occasion que celle qui nous réunit ce soir.

"Soir", "matin", ils aviseraient. Il souligna le mot d'un trait pour ne pas oublier de le corriger au dernier moment, quand la date exacte serait fixée.

Ensemble, dans la Lumière, nous nous réunissons à la mémoire de notre camarde, le capitaine Szanislav Haley, afin d'unir nos prières et de recommander son âme à nos anges protecteurs.

Ca c'était du grand classique mais en guise d'introduction c'était encore ce qu'il y avait de mieux. En tant que chapelain il aurait bien fait intervenir une ou deux personnes pour qu'elles lisent quelque chose de personnel qui aurait aidé tout le monde à faire son deuil de... de cet inconnu qui avait quand même partagé leur quotidien quelques semaines dans une discrétion presque totale.

Alors... que dire de cet homme qui s'est dévoué avec nous, à nos côtés, pour faire vivre notre glorieux idéal au service de notre bien-aimé roi et de notre belle cité de Hurlevent ?

Telle était bien la question.

Il était travailleur et dévoué. Il mettait son nom au tableau de service et, ce faisant, signifiait mieux que par des mots qu'il était des nôtres.

Ca tombe bien vu qu'il n'était pas très causant...

C'est à ce titre, parce qu'il était des nôtres, que nous honorons sa mémoire et prions ce soir pour son salut en observant un temps de silence.

Sobre et efficace. Les croyants plus fervents prierons, les autres adopteront des mines de circonstance en patientant gentiment. Ca durerait une minute, guère plus avant qu'il ne reprenne, lui ou la recrue Cerena si elle acceptait de prendre la charge de chapelaine.

A toi, ô Lumière, l'âme de notre camarade est rappelée. A toi il revient dans l'humilité de sa condition de mortel. En toi il s'abandonne et disparait au delà de l'horizon, échappant aux yeux des vivants. Nous ne l'oublierons jamais.

De fait, son nom allait être gravé sur le piédestal du buste du vieux commandant Tarnhelm. La plaque était déjà démontée et en garde à la fourre, toute prête à recevoir la cicatrice du pistolaser de l'ingénieur en chef.

Puis le paladin ferait établir une file pour ceux qui voudraient adresser un mot en particulier à la dépouille, puis la lieutenant Leizen mettrait fin à son sortilège de glace, un officier scellerait officiellement le cercueil et des gardes moucheraient les bougies disposées aux angles pendant qu'ils réciteraient la prière rituelle :

Ô Lumière qui vient des Cieux
Que ton nom nous soit sacré
Que tes couleurs soient belles
Sur le sol comme au ciel.

Pardonne nous nos bavures
Comme nous pardonnons aussi
A ceux qui nous en font baver
Et ne nous soumet pas à la corruption
Mais autorise nous la Paix

Il ajouterait, seul, la fin du rituel, ainsi qu'il était d'usage pour des raisons qui se perdaient dans l'ésotérisme lumineux le plus obscur :

Car c'est à Toi qu'appartiennent le Règne, la Puissance et la Gloire
Pour les siècles des siècles.

Et ils finiraient tous en coeur :

Que ces mots fassent Loi.

Puis la boîte serait ensevelie après avoir été scellée par le rituel ad hoc, soit que le paladin le fasse lui-même, soit que la recrue s'en charge. Ils resteraient au garde-à-vous en silence le temps qu'on n'en distingue plus rien et que la stèle soit scellée, puis se retireraient dans un silence religieux, autre synonyme de "pénible".

C'était toujours un moment difficile mais il savait qu'il pourrait compter sur ses camarades. Ils faisaient corps au delà de la vie, "Garde ou Crève". Lui avait choisi de crever.

Il était garde... et c'était pas toujours cool.