[A faire vivre] Assaut sur le crépuscule.

Depuis son retour en Hurlevent, Aron avait la désagréable impression que les choses allaient de mal en pis. Qu'il s'agisse des secousses, ou tout simplement des Sectateurs, il ne parvenait pas à reconnaitre la cité qui avait bercé son enfance et qu'il avait jusqu'alors tant chérie. Ce qu'il y voyait ne le laissait pas de marbre, même s'il ne se départissait pas de son éternel sourire. Pourtant, durant ces dernières années, il en avait affronté des périls, assistant aux scènes les plus violentes et macabres qu'il eut été donné de voir à un homme. Le Fléau et la souillure qu'il avait répendu au Nord des Royaumes de l'Est et en Norfendre, ces anciens frères relevés et chargés de magie Impie.

Ranger un instant son tabard d'Argent avait été un choix difficile pour lui mais il savait, au plus profonds de sa personne, qu'il agissait toujours en suivant la voie de la Lumière. Cependant... Aron ne savait quoi penser des évènements à venir. Certes, la réunion s'était conclu sur un accord plus ou moins unanime et les ordres avaient été donné, mais était-ce l'unique solution ? Le soldat, l'homme savait que dans l'immédiat, c'était l'attitude la plus viable à avoir. Mais le Paladin pensait tout autrement : ces personnes étaient des êtres vivants, égarés mais dont le Salut était encore possible. Seul le temps faisait défaut. Et plus ce dernier filait, plus les attaques d'Elémentaires se multipliaient et les secousses s'accentuaient. Etait-ce lié ? Il n'en savait rien. La Magie et tout ce qui s'y rapporte n'avait jamais été son fort et il préférait laisser cela aux passionés. cependant, les diverses Gazettes et rumeurs rapportaient qu'Hurlevent n'était pas l'unique endroit touché : Sombre-Comté, Strangleronce, les Marches de l'Ouest... Même Kalimdor semblait affecté d'aprés les dires de certains marins revenus de Cabestan.

Thësse avait-elle eu raison ? Une catastrophe de plus grande ampleur était-elle à prévoir ? Pour le moment, tout indiquait que la Chamane ne s'était pas trompé. Une rencontre fortuite, un dialogue de quelques heures, et voilà que le doute s'était épris d'Aron. Oh, pas au point de faire vaciller sa Foi, mais il s'inquiétait de l'avenir car il avait appris à ne plus regarder uniquement la surface des choses. Agir ainsi avait causé de lourds dommages depuis que l'un de ses frères de Foi...

Il chassa cette pensée de son esprit et se renconcentra sur l'assaut de ce soir. Cette fois, il ne combattrait pas des goules ou d'autres putréfactions, mais bel et bien d'anciens citoyens d'Hurlevent. Trop partagé sur la question, il n'avait d'autres choix que de s'éxécuter. Un soldat ne discute pas les ordres. Penser le contraire, c'était mettre en danger la vie de ses collègues. Et bien que le Fléau n'ait pas eu raison de lui, Aron ne savait pas s'il reviendrait vivant de cette rixe. Mais qu'importe, il avait la Foi et la Lumière le guidait. Il irait, verrait, et vaincrait. Une seule et unique crainte ne cesserait d'hanter son esprit. Une peur qu'il fairait taire, comme d'accoutumé face au danger.

Le sacrifice d'anciens citoyens dans le but de sauver tout un Royaume. Une erreur qu'un autre avait déjà commis par le Passé...

Assise sur son lit de fortune dans le grand dortoir endormi, Anna commença quelques étirements silencieux. La main droite sur son épaule gauche, elle plia puis déplia plusieurs fois son bras douloureux. Séquelle d’un entrainement récent avec son cher cousin, révélatrice de son manque d’activité des derniers mois. Et que dire du bleu large comme une main qui ornait son ventre ? Ses échauffements matinaux terminés, lavée, elle prit grand soin de bander son épaule, serrant plus que de raison le tissu autour de l’articulation, quitte à réduire l’ampleur de ses mouvements. Elle endossa ensuite une armure solide, choisie pour sa résistance et sa légèreté plus que par souci esthétique. Quelques fruits secs, du thé chaud, elle était prête.
L’aube pointait au loin, prélude d’une longue journée, harassante autant qu’exaltante. Dans le froid encore mordant de la nuit, elle attendait, droite comme un i, crânement, que Releth la rejoigne pour leur entrainement. Il ne tarda pas, affichant son sempiternel air supérieur, moqueur. Elle le savait inexpérimenté et se réjouissait d’avance de lui donner une leçon, si sa condition physique lui permettait.

Les passes d’armes furent amicales. Un échauffement plus qu’un duel. Un test plus qu’un défi. Mais Anna y prit un certain plaisir, se délectant de cette sensation si particulière, propre à ceux qui manient souvent les armes sans toujours s’en rendre compte. L’étreinte où les ombres et les silhouettes se cherchent, se réclament, comme pour éteindre une haine, comme le feu a besoin d’eau. Cette sensation d'exister, pour la seule raison de mettre sa vie en danger.
Mais elle ravalerait sa fureur car ce n’était pas dans le caractère d’Anna.

Elle passa la majeure partie de la journée à prier pour que son impulsivité ne ressorte pas au mauvais moment, lui faisant commettre d’irréversibles impairs. Que Cad’ et elle ne se laissent pas emporter, qu’ils résistent à la tentation de régler leurs comptes à cette occasion. Et Anna repensa au si courtois Lieutenant Nasgard, le colosse, le molosse. Elle repensa à une arrestation musclée dans la Marche de L’Ouest, ou elle avait été rouée de coups. Elle repensa enfin à son discours sur La Lumière. Perplexe et intriguée, elle savait cependant qu’elle aurait du mal à tout oublier. Si tel était vraiment son désir.
Elle pria également pour que leur stratagème perdure, pour qu’ils ne soient pas découverts. Elle ne pensait pas avoir éveillé de soupçons, mais méfiante de nature, elle sentait dans chaque regard inquisiteur un danger potentiel. Trop d’efforts concédés, trop d’énergie dépensée pour échouer lamentablement maintenant. Leur Rédemption prenait des airs de sacerdoce. Car il s’agissait bien de Rédemption, jusqu’à preuve du contraire.

Elle finit par revoir avec Cad’, Zephine et Releth le programme de la soirée. Un sentiment d’appréhension, agréable, prit le pas sur ses réflexions personnelles.